Datation par isotopes cosmogéniques
La datation d'exposition par isotopes cosmogéniques est une méthode de datation géochimique qui utilise la production par les rayons cosmiques de nucléides cosmogéniques que l'on retrouve à l'état de traces dans l'environnement. Parmi ces nucléides on compte de l'hydrogène (3H) et son produit l'hélium (3He), du béryllium (10Be), du carbone (14C), du néon (21Ne), de l'aluminium (26Al), ou encore du chlore (36Cl) ; leur accumulation dans les échantillons à dater permet de déterminer un âge d'exposition.
Paramètres
Les taux de production dépendent :
- de l'altitude ;
- de la latitude ;
- de la profondeur (Ă©paisseur de roche, d'eau et/ou de neige au-dessus de l'Ă©chantillon) ;
- de l'angle d'incidence (angle entre la verticale et l'Ă©chantillon) ;
- du masquage lié à la topographie (falaise, montagne…) ;
- de la nature des rayons cosmiques impliqués (le carbone 14 est issu de rayons d'origine galactique, le silicium 32 de rayons d'origine solaire[1]).
La production de ces isotopes décroît de façon exponentielle avec la profondeur, et peut être considérée comme négligeable vers 2 à 3 m sauf s'il existe d'autres sources de l'isotope considéré (c'est le cas du chlore 36 par exemple[2]).
Détermination d'un âge
La mesure de la concentration d'éléments cosmogéniques permet, connaissant le taux de production, de déterminer l'âge du début de l'exposition. Ces isotopes étant radioactifs (hormis le 3He qui est l'isotope stable du 4He), il faut considérer la décroissance radioactive dans les calculs, sauf si l'âge d'exposition est très inférieur à la demi-vie.
L'utilisation de ce type de méthodes nécessite une connaissance fine du cycle des éléments considérés depuis l'atmosphère vers les étendues d'eau et le sol, ainsi que les différences éventuelles de comportement entre les isotopes d'un même élément : si le cycle du carbone est sensiblement le même pour les isotopes stables que pour le carbone 14, ce n'est en général pas le cas du béryllium ou de l'aluminium[2].
Une autre possibilité est de chercher à identifier un pic d'abondance caractéristique d'une année, principalement celui de carbone 14 en 774 ou celui de l'an 993, puis de s'en servir comme d'un point de repère en lien avec une autre méthode comme la dendrochronologie[3].
Amplitude
La datation par isotopes cosmogéniques permet d'explorer des âges de quelques années (par exemple pour la datation par le tritium) à 1 million d'années environ (comme la datation par le chlore 36). La méthode la plus connue, la datation par le carbone 14, permet quant à elle la détermination d'âges allant de quelques siècles à environ 50 000 ans.
Applications
La méthode a permis en 2015 au géoarchéologue Laurent Bruxelles (Prix La Recherche 2015) de repousser la datation du fossile Little Foot de 2,2 à 3,67 millions d'années[4].
Cette méthode est notamment utilisée[5] - [6] :
- en paléosismologie, pour dater une surface décalée par une faille ;
- en géomorphologie,
- pour calculer des taux d'Ă©rosion (en utilisant un couple d'isotopes et leurs demi-vies respectives) ;
- pour obtenir l'âge d'une terrasse fluviatile, d'une moraine ou de toute autre formation ;
- en paléoglaciologie, pour estimer une déglaciation (l'exposition commence quand la glace ne recouvre plus la roche) ;
- en astronomie, pour dater les chutes de météorites sur Terre (les rayons cosmiques y créent beaucoup plus d'isotopes cosmogéniques dans le milieu interplanétaire que sur Terre)[7].
Notes et références
- Étienne Roth (dir.), Bernard Poty (dir.), Robert Delmas et al. (préf. Jean Coulomb), Méthodes de datation par les phénomènes nucléaires naturels, Paris, Éditions Masson, coll. « Collection CEA », , 631 p. (ISBN 2-225-80674-8), chap. 17 (« Silicium 32 et argon 39 »)
- Étienne Roth (dir.), Bernard Poty (dir.), Jean-Charles Fontes et al. (préf. Jean Coulomb), Méthodes de datation par les phénomènes nucléaires naturels, Paris, Éditions Masson, coll. « Collection CEA », , 631 p. (ISBN 2-225-80674-8)
- (en) M. Kuitems, B. L. Wallace, C. Lindsay et al., « Evidence for European presence in the Americas in AD 1021 », Nature,‎ (DOI https://doi.org/10.1038/s41586-021-03972-8, lire en ligne), disponible en accès libre.
- « Les nouveaux outils de la paléoanthropologie », La Recherche Hors série. L'odyssée de l'homme, no 17,‎ , p. 14
- (en) John C.Gosse, Fred M.Phillips, « Terrestrial in situ cosmogenic nuclides: theory and application », Quaternary Science Reviews, vol. 20, no 14,‎ , p. 1475-1560 (DOI 10.1016/S0277-3791(00)00171-2).
- (en) Joerg M. Schaefer, Alexandru T. Codilean, Jane K. Willenbring et Zheng-Tian Lu, « Cosmogenic nuclide techniques », Nature Reviews Methods Primers, vol. 2, no 1,‎ , p. 1–22 (ISSN 2662-8449, DOI 10.1038/s43586-022-00096-9, lire en ligne, consulté le )
- (en) Gunter Faure (en), Principles and Applications of Geochemistry, , 2e Ă©d. (1re Ă©d. 1986).
Bibliographie
- Étienne Roth (dir.), Bernard Poty (dir.) et al. (préf. Jean Coulomb), Méthodes de datation par les phénomènes nucléaires naturels, Paris, Éditions Masson, coll. « Collection CEA », , 631 p. (ISBN 2-225-80674-8), particulièrement les chapitres consacrés à l'utilisation du béryllium 10, de l'aluminium 26 et du calcium 41, ainsi que ceux consacrés au carbone 14, au chlore 36 et au tritium.
- Gosse, John C., and Phillips, Fred M. (2001). « Terrestrial in situ cosmogenic nuclides: Theory and application », Quaternary Science Reviews, 20, 1475-1560.
- Granger, Darryl E., Fabel, Derek, and Palmer, Arthur N. (2001). « Pliocene-Pleistocene incision of the Green River, Kentucky, determined from radioactive decay of cosmogenic 26Al and 10Be in Mammoth Cave sediments », Geological Society of America Bulletin, 113, (7), 825-836.