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Critobule d'Imbros

Critobule d’Imbros ou Michel Critopoulos (en grec ΚρÎčτόÎČÎżÏ…Î»ÎżÏ‚ Îż ΙΌÎČρÎčώτης / ΜÎčÏ‡Î±ÎźÎ» ΚρÎčτόÎČÎżÏ…Î»ÎżÏ‚)[N 1] est un homme politique et historien byzantin, nĂ© Ă  Imbros vers 1410 et mort vers 1470.

Critobule d'Imbros
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
Activités
ƒuvres principales
Histoire de Mehmet II (d)

AprĂšs la chute de Constantinople, il fut nommĂ© gouverneur de son Ăźle d’Imbros de 1456 jusqu'Ă  sa conquĂȘte par les VĂ©nitiens en 1466. Il semble avoir vĂ©cu ensuite Ă  Constantinople jusqu’à sa mort peu aprĂšs la grande peste qui dĂ©vasta la ville. Son ouvrage sur les conquĂȘtes ottomanes sous Mehmet II est l’une des principales sources grecques concernant la chute de Constantinople en 1453 avec celles de Doukas, de Georges SphrantzĂšs et de Laonicos Chalcondyle. Il Ă©crivit Ă©galement un poĂšme en l’honneur de saint Augustin et une homĂ©lie sur la passion du Christ.

Sa vie

Michel Critobule est nĂ© vraisemblablement entre 1400 et 1410, dans une famille fortunĂ©e et politiquement influente de propriĂ©taires terriens de l’ile d’Imbros (aujourd’hui Gökçeada en Turquie)[1]. On sait peu de choses sur ses Ă©tudes. Toutefois, son Ɠuvre traduit un grand intĂ©rĂȘt pour la mĂ©decine comme en tĂ©moignent sa description de la grande peste de 1467, les louanges qu’il adresse au mĂ©decin juif du sultan, Hekim Yakub, et son utilisation de termes techniques qu'il n'aurait pu obtenir Ă  la seule lecture des textes anciens[2]. On peut Ă©galement tenir pour acquis qu’il s’est familiarisĂ© dĂšs sa jeunesse avec les grands auteurs et historiens de l’AntiquitĂ© comme le dĂ©montre sa maitrise des thĂšmes qui leur sont familiers (l’Iliade, l’Anabase d'Alexandre, etc.) ainsi que ses imitations du style de Thucydide.

Son nom apparait pour la premiĂšre fois en date du 29 septembre 1444 dans le journal d’un marchand, historien et collectionneur de manuscrits d’AncĂŽne, Ciriaco di Filippo de Pizzecolli, qui note avoir fait sa connaissance alors qu’il visitait les iles du nord de la mer ÉgĂ©e. Le lendemain, Pizzecolli envoyait une lettre Ă  son ami Georges Scholarios dans laquelle on apprend que Critobule et le patriarche se connaissaient, peut-ĂȘtre en raison d’études communes Ă  Constantinople[3] - [1].

Sa vie politique active commença en 1453 alors que la chute de Constantinople jetait la consternation dans les iles de la mer ÉgĂ©e encore territoires byzantins (Imbros, Lemnos et Thasos) oĂč l’on redoutait les attaques possibles de la flotte ottomane Ă  son retour vers sa base de Gallipoli. Plus de deux cents familles quittĂšrent Lemnos prĂ©cipitamment. Critobule raconte dans son Ɠuvre comment, en nĂ©gociant avec l’amiral ottoman Hamza et avec le sultan lui-mĂȘme, il rĂ©ussit Ă  assurer la sĂ©curitĂ© des iles en proposant leur capitulation et leur transformation en protectorats confiĂ©s Ă  la famille gĂ©noise des Gattilusi[4] - [5]. Imbros fut confiĂ©e Ă  la branche Ainos de la famille, les deux autres iles Ă  la branche Lesbos. L’annĂ©e suivante, en 1456, le sultan, se mĂ©fiant des Gattilusi, revint sur sa dĂ©cision et envoya l’amiral Yunus reprendre les iles. Critobule fut alors nommĂ© gouverneur d’Imbros[6] - [7] - [8].

En 1457, le pape Calixte III ayant lancĂ© une croisade commandĂ©e par Jean Hunyadi, la flotte pontificale reçut mission de s’emparer des iles de Lemnos, Thasos et Samothrace, menaçant ainsi Imbros. Cette fois encore, les manƓuvres diplomatiques de Critobule rĂ©ussirent Ă  Ă©viter que l’ile ne soit inquiĂ©tĂ©e. Il parvint mĂȘme l’annĂ©e suivante Ă  reprendre Lemnos des mains des Italiens. Il se rendit ensuite auprĂšs du sultan Ă  Adrianople et Ă©crivit Ă  DĂ©mĂ©trios PalĂ©ologue, le frĂšre du dernier basileus qui gouvernait une partie du PĂ©loponnĂšse Ă  titre de vassal du sultan, pour se faire remettre tant Lemnos qu’Imbros. Le sultan ayant rĂ©pondu positivement, Critobule put reprendre le commandement des iles, cette fois au nom de DĂ©mĂ©trios PalĂ©ologue[6] - [9].

Il devait quitter Imbros, probablement en 1466, lorsque les VĂ©nitiens vinrent assiĂ©ger l’ile[10]. Il semble s’ĂȘtre retirĂ© Ă  Constantinople comme l’indique sa description de la grande peste[11]. C’est alors qu’il termina l’Ɠuvre qu’il avait commencĂ©e en 1453, l’annĂ©e mĂȘme de la chute de Constantinople. La derniĂšre mention que l'on ait de lui se trouve dans une lettre datant de l’automne 1468 qui lui fut adressĂ©e par Georges AmirutzĂšs, un ami qu’il admirait et qui faisait partie du cercle frĂ©quentĂ© par Georges Scholarios et les frĂšres Eugenikos. Il est probable qu’il mourut peu aprĂšs, mais la lĂ©gende selon laquelle il serait devenu secrĂ©taire du sultan et se serait fait moine au mont Athos Ă  la fin de sa vie est dĂ©pourvue de tout fondement[6].

Son Ɠuvre

Histoire de Mehmet II

Critobule Ă©crivit son histoire en cinq livres des conquĂȘtes ottomanes sous Mehmet II entre l’étĂ© 1453 et 1467[12]. Couvrant la pĂ©riode de 1451 Ă  1467, elle dĂ©crit les exploits de Mehmet le ConquĂ©rant, en particulier la conquĂȘte de Constantinople et des territoires encore aux mains de Byzance.

Contenu

AprĂšs une introduction conventionnelle dans laquelle Critobule assure le lecteur de l’exactitude et de la vĂ©racitĂ© des faits Ă  la maniĂšre de Thucydide et d’HĂ©rodote, le premier livre s’ouvre sur la mort de Murad II et l’avĂšnement de Mehmet. Critobule dĂ©crit ensuite avec force dĂ©tails la construction de la forteresse de Rumeli Hisari, le transport des bateaux turcs par voie de terre entre le Bosphore et la Corne d’Or, la construction du grand canon. Vient ensuite le siĂšge et la capture de Constantinople, y compris la mort de l’empereur.

Le deuxiĂšme livre est consacrĂ© Ă  la reconstruction civile et militaire de la ville et de ses environs par le sultan pour en faire sa nouvelle rĂ©sidence. Viennent ensuite la politique de repeuplement du sultan ainsi que sa nomination de Georges Scholarios comme patriarche et ethnarque du Millet-i RĂ»m, c’est-Ă -dire de la population chrĂ©tienne de la ville. Enfin, il dĂ©crit les campagnes du sultan vers le nord, dans ce qui est aujourd’hui la Serbie, de mĂȘme que la perte des iles de Lemnos, Thasos et Samothrace aux mains des Italiens.

Le troisiĂšme livre raconte la conquĂȘte progressive du PĂ©loponnĂšse. Critobule en donne comme raison la discorde rĂ©gnant entre les despotes des États successeurs qui faisaient de ces territoires une porte d’entrĂ©e idĂ©ale pour les conquĂȘtes des Occidentaux et donc un danger pour les conquĂȘtes ottomanes, l’omission rĂ©pĂ©tĂ©e par les despotes de payer le tribu dĂ» au sultan, de mĂȘme que la position gĂ©ostratĂ©gique du PĂ©loponnĂšse en cas d’éventuelle invasion en provenance d’Italie.

Le quatriĂšme livre est consacrĂ© Ă  la conquĂȘte de l’Empire successeur de TrĂ©bizonde et du territoire de la ville de Sinope. Vient ensuite l’expĂ©dition contre Lesbos et MytilĂšne, de mĂȘme que celle contre la principautĂ© de Valachie, dans ce qui est aujourd’hui la Serbie et la Bosnie-HerzĂ©govine, de mĂȘme que les luttes contre les VĂ©nitiens dans le PĂ©loponnĂšse.

Enfin, le cinquiĂšme livre dĂ©crit les expĂ©ditions de Mehmet contre les VĂ©nitiens dans la mer ÉgĂ©e de mĂȘme qu’en PĂ©onie et en Illyrie au nord de la presqu’ile des Balkans. En terminant, Critobule cite divers exemples des efforts de Mehmet pour protĂ©ger la culture et la science avant de dĂ©crire la progression d’une Ă©pidĂ©mie de peste dans les Balkans, l’Asie Mineure et Constantinople.

DĂ©dicace

Deux thĂšmes principaux reviennent tout au long de l’Ɠuvre : d’une part la comparaison entre la vie et les exploits du sultan et ceux d’Alexandre le Grand, comparaison que le sultan lui-mĂȘme, Ă  l’instar de nombre d’empereurs romains, avait soin de cultiver et d’encourager ; d’autre part celle de la translatio imperii des Byzantins aux Ottomans[13].

Critobule termina la premiĂšre version de son histoire au printemps 1466 et la fit parvenir au sultan avec une lettre de dĂ©dicace qui existe toujours Ă  Istanbul. Son contenu se terminait alors en 1461. Il rĂ©visa par la suite le texte qu’il fit Ă  nouveau parvenir au sultan l’annĂ©e suivante avec une deuxiĂšme lettre de dĂ©dicace[14]. Dans celle-ci, Critobule explique les raisons qui l’ont amenĂ© Ă  Ă©crire cette histoire ainsi qu’un rĂ©sumĂ© du contenu et de l’interprĂ©tation qu’on doit lui donner. Son intention est de remĂ©dier aux lacunes des connaissances historiques du monde littĂ©raire et scientifique parlant grec, partant de l’Occident. Ainsi, Ă©crit-il « nombre des Ă©vĂšnements rapportĂ©s par les auteurs arabes et perses seront-ils connus et transmis Ă  la postĂ©ritĂ© ; ils seront enseignĂ©s et interprĂ©tĂ©s correctement [
] Ces faits ne seront pas seulement portĂ©s Ă  la connaissance de ceux qui parlent votre langue. Cette Ɠuvre sera apprĂ©ciĂ©e et admirĂ©e non seulement par les Grecs, mais aussi par tous les peuples occidentaux [
] ainsi que de nombreux autres[15] Â».

En dĂ©crivant la majestĂ© des gestes et des exploits du sultan, Critobule mentionne aussi une deuxiĂšme intention qui l’a poussĂ© Ă  Ă©crire : celle de montrer comment « les paroles et les actes, la philosophie et la majestĂ© royale s’étaient incarnĂ©es dans une seule personne, Ă  la fois roi juste et combattant intrĂ©pide[16] ». À cette glorification des gestes du souverain se rattache la comparaison entre Mehmet et Alexandre le Grand qui revient comme un leitmotiv tout au long de la narration : « Cependant tes exploits, mĂȘme s’ils sont glorieux et ne le cĂšdent en rien Ă  ceux d’Alexandre [le Grand] le MacĂ©donien ni Ă  ceux des gĂ©nĂ©raux et rois qui lui sont comparables [
][16] Â».

Le thĂšme de la translatio imperii[N 2] de l'Empire byzantin vers l'Empire ottoman apparait dans les premiĂšres lignes de la lettre d’introduction adressĂ©e Ă  Mehmet[17]. C’est ainsi que Critobule dĂ©signe Mehmet, dans la pure tradition byzantine, comme le souverain « autocrate Â» (Î±áœÏ„ÎżÎșÏÎŹÏ„Ï‰Ï), lui donnant Ă©galement le titre « roi des rois » (shĂąhanschĂąh) de la tradition perse, juxtaposant ainsi les traditions des deux grandes puissances mondiales que furent Rome et la Perse, deux puissances continentales qui se sont longtemps combattues mais que Mehmet unit sous sa gouverne. On retrouve cette prĂ©tention par la suite dans les titres fleuris qu’il donne au souverain, notamment celui de « Seigneur des terres et des mers », donc de souverain de l’ƓkoumĂšne qu’il fait suivre de la pĂ©riphrase « par la volontĂ© de Dieu » qui ancrait la lĂ©gitimitĂ© des basilei byzantins et qui a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e Ă  Mehmet[18] - [17].

Cette synthĂšse des titulatures de l’Est et de l’Ouest, de mĂȘme que cet amalgame de la conception et de l’exercice du pouvoir pourtant divergentes se retrouvent de diffĂ©rentes maniĂšres dans le texte. Ainsi Critobule justifie la prĂ©tention de Mehmet Ă  une descendance grecque d’AchĂ©mĂ©nĂšs et de PersĂ©e[19]. Reprenant l’épisode de Troie, il associe Mehmet aux Troyens en jouant sur le nom Teucros, premier roi de Troie qui rĂ©gnait sur les Teucri, mot dĂ©signant aussi les Turcs[20] et, comme l’avaient fait Alexandre et nombre de gĂ©nĂ©raux avant lui, fait visiter la tombe du hĂ©ros de Troie[21]. Comme le montre une Iliade composĂ©e par IoannĂšs Dokeianos (Johannes Docianus) vers 1470, Mehmet non seulement approuvait, mais encore encourageait une telle comparaison avec l’épopĂ©e et les hĂ©ros d’HomĂšre[22].

Style

Suivant les conventions de l’époque, Critobule utilise le grec « atticiste », langue littĂ©raire, apprise au cours de longues annĂ©es d'Ă©tude, par opposition Ă  la « koinĂš » qui dĂ©signe la langue parlĂ©e[23]. Utilisant cette langue avec maitrise, Critobule manie Ă©galement l’art de l’imitation avec dextĂ©ritĂ©. Sa premiĂšre source d’inspiration est Thucydide auquel il emprunte non seulement la composition de l’Ɠuvre (en annĂ©es et saisons), mais Ă©galement des discours qu’il met allĂšgrement dans la bouche de Mehmet en les adaptant, procĂ©dĂ© qui peut surprendre aujourd’hui, mais qui Ă©tait alors une forme d’admiration[24]. RĂ©fĂ©rence Ă©galement, sa description au livre V de la peste qui frappa Constantinople et qui rappelle celle que Thucydide donne dans le deuxiĂšme livre de sa Guerre du PĂ©loponnĂšse. Outre Thucydide, on trouve Ă©galement des imitations de l’Anabasis Alexandri d’Arrien (v. 95-v. 175) et des emprunts Ă  HĂ©rodote (introduction) et Ă  Flavius JosĂšphe (comparaison entre l’attitude des Romains-Byzantins Ă  l’endroit des Ottomans et celle des Juifs Ă  l’endroit des Romains : dans les deux cas un puissant conquĂ©rant a vaincu le peuple de l’auteur et s’est emparĂ© de sa capitale)[25].

Éditions

L’Ɠuvre nous est parvenue grĂące Ă  un seul manuscrit conservĂ© encore aujourd’hui dans la bibliothĂšque du palais Topkapi Ă  Istanbul. Datant des annĂ©es 1465/1467 (d’aprĂšs le filigrane), il fut Ă©crit de la main de l’auteur sur papier vĂ©nitien ; on peut reconnaitre l’écriture de Critobule par comparaison avec un manuscrit des Ɠuvres de Thucydide de la BibliothĂšque nationale de France[26]. On ne sait ce qu’il advint de l’ouvrage jusqu’au milieu du XIXe siĂšcle : aucune copie ne semble avoir Ă©tĂ© faite, aucune traduction, aucune rĂ©fĂ©rence mĂȘme dans un autre ouvrage. Il fut redĂ©couvert en 1859 par le philologue allemand Tischendorf lors d’un voyage Ă  Constantinople. Quelques annĂ©es plus tard, en 1870, il fut publiĂ© par Carl Muller dans les Fragmenta Historicorum Graecorum Ă  Paris. Une deuxiĂšme Ă©dition parut Ă  Bucarest en 1963, due Ă  Vasile Grecu ; celle-ci s’appuie toutefois, non sur le manuscrit original, mais sur la transcription de Muller et a fait l’objet de diverses critiques[27]. Une Ă©dition critique fut finalement publiĂ©e Ă  Berlin en 1983 dans la collection Corpus Fontium Historiae Byzantinae[28].

Autres Ɠuvres

Deux autres opuscules nous sont Ă©galement parvenus, Ă©crits par Critobule : une PriĂšre Ă  JĂ©sus ainsi qu’un poĂšme dodĂ©casyllabique Ă  la louange de saint Augustin. Il existait aussi une HomĂ©lie sur la Passion du Christ et une lettre qui furent dĂ©truites dans l’incendie de l’Escorial de Madrid en 1671.

Ceux-ci sont importants pour deux raisons. La premiĂšre est que les codex qui les contiennent prouvent que Critobule appartenait Ă  un cercle animĂ© par Georges-Gennade Scholarios, le premier patriarche orthodoxe sous l’occupation ottomane, cercle que frĂ©quentaient Ă©galement les frĂšres Marc et Jean EugĂ©nikos. On sait que Gennade II exhortait les thĂ©ologiens orthodoxes Ă  apprendre le latin et Ă  lire les textes thĂ©ologiques Ă©crits dans cette langue, ce Ă  quoi correspondent parfaitement les vers de Critobule. DeuxiĂšmement, ils permettent d’associer le nom de Kritopoulos/Kritoboulos et le lieu d’origine Imbros, confirmant que l’auteur du livre sur les conquĂȘtes de Mehmet et celui de ces opuscules sont une seule et mĂȘme personne. Le nom de Kritopoulos est effectivement byzantin alors que celui de Kritoboulos, utilisĂ© par l’auteur, serait une variante « classisante », rĂ©fĂ©rence Ă  des auteurs anciens, procĂ©dĂ© que l’on retrouve chez Nikolaos Chalkokondyles qui devint Laonikos Chalkokondyles ou Georgios Gemistos qui devint Georgios Plethon[29].

Critobule et les historiens byzantins de son Ă©poque

Critobule d’Imbros fait partie d’un groupe de quatre historiens qui dĂ©crivirent les derniĂšres annĂ©es de l’empire : Laonicos Chalcondyle, Georges SphrantzĂšs, Doukas et lui-mĂȘme. Ces quatre Ă©crivains avaient reçu une Ă©ducation classique avant la chute de Constantinople ; mais alors que Chalcondyle et Critobule Ă©crivirent dans l’empire du sultan en utilisant un style archaĂŻque affectĂ©, Doukas et SphrantzĂšs, rĂ©fugiĂ©s Ă  l’étranger, utilisaient un langage familier incluant dans le cas de SphrantzĂšs nombre de mots turcs et italiens[30].

Critobule cherche essentiellement Ă  rĂ©concilier les Grecs avec la fin de l’Empire byzantin et le nouvel ordre des choses imposĂ© par le conquĂ©rant ottoman. Ému par la dĂ©tresse, la dĂ©termination et le courage des Grecs, il reste l’homme-lige du sultan qui demeure son hĂ©ros[31]. Contrairement Ă  Critobule qui, sauf quelques passages critiques, trace un panĂ©gyrique du sultan, Doukas voit en lui sa « bĂȘte noire Â», ce qui se traduit dans ses descriptions par une sĂ©rie d’épithĂštes peu flatteuses Ă  l’endroit de Mehmet : « une bĂȘte sauvage, [
] un serpent, la prĂ©figuration de l’AntĂ©christ, [
] Nabuchodonosor aux portes de JĂ©rusalem Â»[32]. Il n’est guĂšre plus tendre Ă  l’endroit de l’homme politique qu’il dĂ©crit contrairement Ă  Critobule comme « un vĂ©ritable tyran (Ï„ÏÏÎ±ÎœÎœÎżÏ‚) [
] lequel, contrairement Ă  la conception byzantine du pouvoir, se rĂ©vĂ©la rebelle et usurpa le trĂŽne du souverain lĂ©gitime Â»[33]. De mĂȘme, il n’accepte le couronnement de Constantin XI qu’« avec hĂ©sitation[33] », puisqu’opposĂ© Ă  la rĂ©union des Églises, il considĂ©rait comme non valide l’onction confĂ©rĂ©e par un patriarche unioniste. Ainsi, alors que la question de la rĂ©unification des Églises constitue un thĂšme rĂ©current chez Doukas, Critobule passe ces questions sous silence[34].

Cette diffĂ©rence d’approche dans la prĂ©sentation et l’interprĂ©tation du caractĂšre de Mehmet se retrouve dans les approches diffĂ©rentes de Doukas et de Critobule concernant l’assassinat de Lucas Notaras. Alors que Doukas attribue ce geste aux tendances perverses du sultan (ivrognerie, pĂ©dĂ©rastie, irrationalitĂ©), Critobule y voit le rĂ©sultat de l’« envie et de la haine » de ses adversaires qui dĂ©truisirent sa rĂ©putation auprĂšs du sultan[35] - [36]. Laonicos pour sa part reprend la version de Doukas mais de façon affaiblie et quelque peu plus vague[37].

Georges SphrantzĂšs pour sa part utilise les « termes couramment en usage dans le langage diplomatique[38] ». Il ne tente guĂšre de noircir le personnage, mĂȘme lorsqu’il traite du meurtre du propre fils du sultan ou de la fuite du « commandant des infidĂšles[38] ». Contrairement au portrait optimiste et tournĂ© vers l’avenir de Critobule, celui de SphrantzĂšs est empreint de « pessimisme devant la main de Dieu qui punit les croyants en servant les dessins politico-militaires des ennemis »[39]. Les questions dogmatiques lui importent peu.

Laonikos Chalkokondyles s’emploie pour sa part Ă  « grĂ©ciser » l’histoire byzantine en employant par exemple la mĂȘme terminologie pour dĂ©signer tous les souverains qui portent indistinctement le titre de basileus normalement rĂ©servĂ© au seul empereur byzantin[40].

Laonikos, pas plus que Doukas et SphrantzĂšs ne donne d’information sur les Ă©vĂšnements politico-militaires de cette pĂ©riode, pas plus qu’il ne cherche Ă  tracer le portrait psychologique du sultan. Seul Critobule nous informe de la vie politique et des visĂ©es culturelles du sultan ou de ses tentatives pour faire de Constantinople sa nouvelle capitale, qui sont le fil conducteur de son Ɠuvre[41].

Notes et références

Notes

  1. On identifie gĂ©nĂ©ralement Kritoboulos l’historien Ă  Kritoboulos l’auteur religieux de la mĂȘme pĂ©riode ; Kazhdan 1991, vol. II, « Kritoboulos, Michael », p. 1159.
  2. L’expression latine « transfert de l’empire » est gĂ©nĂ©ralement employĂ©e en rĂ©fĂ©rence au transfert de la capitale de l’Empire romain de Rome vers Constantinople.

Références

  1. Reinsch 2003, p. 299.
  2. Reinsch 2003, p. 300.
  3. Moravcsik 1983, p. 432-433.
  4. Runciman 1965, p. 169.
  5. Harris 2010, p. 228.
  6. Moravcsik 1983, p. 433.
  7. Reinsch 2003, p. 300-301.
  8. Runciman 1965, p. 171.
  9. Babinger 1975, p. 150, 172.
  10. Sur les relations entre Venise et les Turcs, voir Norwich 1977, chap. « The Ottoman Menace (1457-1481) Â», p. 342-359.
  11. Babinger 1975, p. 254.
  12. Reinsch 2003, p. 297, 300.
  13. Raby 1983, p. 17-18.
  14. Reinsch 1986, p. 14.
  15. Critobule, Lettre au souverain autocrate, para. 3.
  16. Critobule, Lettre au souverain autocrate, para. 1.
  17. Reinsch 2009, p. 22.
  18. Reinsch 1986, p. 298.
  19. Critobule, livre I, chap. 4, para. 2.
  20. Babinger 1975, p. 210.
  21. Critobule, livre IV, chap. 11, para. 5 et 6.
  22. Reinsch 2009, p. 26.
  23. Pour cette section, voir Reinsch 2003, p. 302-306.
  24. Runciman 1965, p. 127-128.
  25. Reinsch 2003, p. 305.
  26. Reinsch 2003, p. 297.
  27. Florescu 1965, p. 139-141.
  28. Reinsch 2003, p. 298.
  29. Reinsch 2003, p. 298-299.
  30. Treadgold 1997, p. 836-837.
  31. Runciman 1965, p. 194.
  32. Reinsch 2009, p. 15.
  33. Reinsch 2009, p. 20.
  34. Reinsch 2009, p. 16-17.
  35. Harris 2010, p. 216.
  36. Babinger 1975, p. 97.
  37. Reinsch 2009, p. 24-25.
  38. Reinsch 2009, p. 21.
  39. Reinsch 2009, p. 18.
  40. Reinsch 2009, p. 20-21.
  41. Reinsch 2009, p. 26-27.

Bibliographie

Sources primaires

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Sources secondaires

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