Critobule d'Imbros
Critobule dâImbros ou Michel Critopoulos (en grec ÎÏÎčÏÏÎČÎżÏ Î»ÎżÏ Îż ÎÎŒÎČÏÎčÏÏÎ·Ï / ÎÎčÏαΟλ ÎÏÎčÏÏÎČÎżÏ Î»ÎżÏ)[N 1] est un homme politique et historien byzantin, nĂ© Ă Imbros vers 1410 et mort vers 1470.
AprĂšs la chute de Constantinople, il fut nommĂ© gouverneur de son Ăźle dâImbros de 1456 jusqu'Ă sa conquĂȘte par les VĂ©nitiens en 1466. Il semble avoir vĂ©cu ensuite Ă Constantinople jusquâĂ sa mort peu aprĂšs la grande peste qui dĂ©vasta la ville. Son ouvrage sur les conquĂȘtes ottomanes sous Mehmet II est lâune des principales sources grecques concernant la chute de Constantinople en 1453 avec celles de Doukas, de Georges SphrantzĂšs et de Laonicos Chalcondyle. Il Ă©crivit Ă©galement un poĂšme en lâhonneur de saint Augustin et une homĂ©lie sur la passion du Christ.
Sa vie
Michel Critobule est nĂ© vraisemblablement entre 1400 et 1410, dans une famille fortunĂ©e et politiquement influente de propriĂ©taires terriens de lâile dâImbros (aujourdâhui Gökçeada en Turquie)[1]. On sait peu de choses sur ses Ă©tudes. Toutefois, son Ćuvre traduit un grand intĂ©rĂȘt pour la mĂ©decine comme en tĂ©moignent sa description de la grande peste de 1467, les louanges quâil adresse au mĂ©decin juif du sultan, Hekim Yakub, et son utilisation de termes techniques qu'il n'aurait pu obtenir Ă la seule lecture des textes anciens[2]. On peut Ă©galement tenir pour acquis quâil sâest familiarisĂ© dĂšs sa jeunesse avec les grands auteurs et historiens de lâAntiquitĂ© comme le dĂ©montre sa maitrise des thĂšmes qui leur sont familiers (lâIliade, lâAnabase d'Alexandre, etc.) ainsi que ses imitations du style de Thucydide.
Son nom apparait pour la premiĂšre fois en date du 29 septembre 1444 dans le journal dâun marchand, historien et collectionneur de manuscrits dâAncĂŽne, Ciriaco di Filippo de Pizzecolli, qui note avoir fait sa connaissance alors quâil visitait les iles du nord de la mer ĂgĂ©e. Le lendemain, Pizzecolli envoyait une lettre Ă son ami Georges Scholarios dans laquelle on apprend que Critobule et le patriarche se connaissaient, peut-ĂȘtre en raison dâĂ©tudes communes Ă Constantinople[3] - [1].
Sa vie politique active commença en 1453 alors que la chute de Constantinople jetait la consternation dans les iles de la mer ĂgĂ©e encore territoires byzantins (Imbros, Lemnos et Thasos) oĂč lâon redoutait les attaques possibles de la flotte ottomane Ă son retour vers sa base de Gallipoli. Plus de deux cents familles quittĂšrent Lemnos prĂ©cipitamment. Critobule raconte dans son Ćuvre comment, en nĂ©gociant avec lâamiral ottoman Hamza et avec le sultan lui-mĂȘme, il rĂ©ussit Ă assurer la sĂ©curitĂ© des iles en proposant leur capitulation et leur transformation en protectorats confiĂ©s Ă la famille gĂ©noise des Gattilusi[4] - [5]. Imbros fut confiĂ©e Ă la branche Ainos de la famille, les deux autres iles Ă la branche Lesbos. LâannĂ©e suivante, en 1456, le sultan, se mĂ©fiant des Gattilusi, revint sur sa dĂ©cision et envoya lâamiral Yunus reprendre les iles. Critobule fut alors nommĂ© gouverneur dâImbros[6] - [7] - [8].
En 1457, le pape Calixte III ayant lancĂ© une croisade commandĂ©e par Jean Hunyadi, la flotte pontificale reçut mission de sâemparer des iles de Lemnos, Thasos et Samothrace, menaçant ainsi Imbros. Cette fois encore, les manĆuvres diplomatiques de Critobule rĂ©ussirent Ă Ă©viter que lâile ne soit inquiĂ©tĂ©e. Il parvint mĂȘme lâannĂ©e suivante Ă reprendre Lemnos des mains des Italiens. Il se rendit ensuite auprĂšs du sultan Ă Adrianople et Ă©crivit Ă DĂ©mĂ©trios PalĂ©ologue, le frĂšre du dernier basileus qui gouvernait une partie du PĂ©loponnĂšse Ă titre de vassal du sultan, pour se faire remettre tant Lemnos quâImbros. Le sultan ayant rĂ©pondu positivement, Critobule put reprendre le commandement des iles, cette fois au nom de DĂ©mĂ©trios PalĂ©ologue[6] - [9].
Il devait quitter Imbros, probablement en 1466, lorsque les VĂ©nitiens vinrent assiĂ©ger lâile[10]. Il semble sâĂȘtre retirĂ© Ă Constantinople comme lâindique sa description de la grande peste[11]. Câest alors quâil termina lâĆuvre quâil avait commencĂ©e en 1453, lâannĂ©e mĂȘme de la chute de Constantinople. La derniĂšre mention que l'on ait de lui se trouve dans une lettre datant de lâautomne 1468 qui lui fut adressĂ©e par Georges AmirutzĂšs, un ami quâil admirait et qui faisait partie du cercle frĂ©quentĂ© par Georges Scholarios et les frĂšres Eugenikos. Il est probable quâil mourut peu aprĂšs, mais la lĂ©gende selon laquelle il serait devenu secrĂ©taire du sultan et se serait fait moine au mont Athos Ă la fin de sa vie est dĂ©pourvue de tout fondement[6].
Son Ćuvre
Histoire de Mehmet II
Critobule Ă©crivit son histoire en cinq livres des conquĂȘtes ottomanes sous Mehmet II entre lâĂ©tĂ© 1453 et 1467[12]. Couvrant la pĂ©riode de 1451 Ă 1467, elle dĂ©crit les exploits de Mehmet le ConquĂ©rant, en particulier la conquĂȘte de Constantinople et des territoires encore aux mains de Byzance.
Contenu
AprĂšs une introduction conventionnelle dans laquelle Critobule assure le lecteur de lâexactitude et de la vĂ©racitĂ© des faits Ă la maniĂšre de Thucydide et dâHĂ©rodote, le premier livre sâouvre sur la mort de Murad II et lâavĂšnement de Mehmet. Critobule dĂ©crit ensuite avec force dĂ©tails la construction de la forteresse de Rumeli Hisari, le transport des bateaux turcs par voie de terre entre le Bosphore et la Corne dâOr, la construction du grand canon. Vient ensuite le siĂšge et la capture de Constantinople, y compris la mort de lâempereur.
Le deuxiĂšme livre est consacrĂ© Ă la reconstruction civile et militaire de la ville et de ses environs par le sultan pour en faire sa nouvelle rĂ©sidence. Viennent ensuite la politique de repeuplement du sultan ainsi que sa nomination de Georges Scholarios comme patriarche et ethnarque du Millet-i RĂ»m, câest-Ă -dire de la population chrĂ©tienne de la ville. Enfin, il dĂ©crit les campagnes du sultan vers le nord, dans ce qui est aujourdâhui la Serbie, de mĂȘme que la perte des iles de Lemnos, Thasos et Samothrace aux mains des Italiens.
Le troisiĂšme livre raconte la conquĂȘte progressive du PĂ©loponnĂšse. Critobule en donne comme raison la discorde rĂ©gnant entre les despotes des Ătats successeurs qui faisaient de ces territoires une porte dâentrĂ©e idĂ©ale pour les conquĂȘtes des Occidentaux et donc un danger pour les conquĂȘtes ottomanes, lâomission rĂ©pĂ©tĂ©e par les despotes de payer le tribu dĂ» au sultan, de mĂȘme que la position gĂ©ostratĂ©gique du PĂ©loponnĂšse en cas dâĂ©ventuelle invasion en provenance dâItalie.
Le quatriĂšme livre est consacrĂ© Ă la conquĂȘte de lâEmpire successeur de TrĂ©bizonde et du territoire de la ville de Sinope. Vient ensuite lâexpĂ©dition contre Lesbos et MytilĂšne, de mĂȘme que celle contre la principautĂ© de Valachie, dans ce qui est aujourdâhui la Serbie et la Bosnie-HerzĂ©govine, de mĂȘme que les luttes contre les VĂ©nitiens dans le PĂ©loponnĂšse.
Enfin, le cinquiĂšme livre dĂ©crit les expĂ©ditions de Mehmet contre les VĂ©nitiens dans la mer ĂgĂ©e de mĂȘme quâen PĂ©onie et en Illyrie au nord de la presquâile des Balkans. En terminant, Critobule cite divers exemples des efforts de Mehmet pour protĂ©ger la culture et la science avant de dĂ©crire la progression dâune Ă©pidĂ©mie de peste dans les Balkans, lâAsie Mineure et Constantinople.
DĂ©dicace
Deux thĂšmes principaux reviennent tout au long de lâĆuvre : dâune part la comparaison entre la vie et les exploits du sultan et ceux dâAlexandre le Grand, comparaison que le sultan lui-mĂȘme, Ă lâinstar de nombre dâempereurs romains, avait soin de cultiver et dâencourager ; dâautre part celle de la translatio imperii des Byzantins aux Ottomans[13].
Critobule termina la premiĂšre version de son histoire au printemps 1466 et la fit parvenir au sultan avec une lettre de dĂ©dicace qui existe toujours Ă Istanbul. Son contenu se terminait alors en 1461. Il rĂ©visa par la suite le texte quâil fit Ă nouveau parvenir au sultan lâannĂ©e suivante avec une deuxiĂšme lettre de dĂ©dicace[14]. Dans celle-ci, Critobule explique les raisons qui lâont amenĂ© Ă Ă©crire cette histoire ainsi quâun rĂ©sumĂ© du contenu et de lâinterprĂ©tation quâon doit lui donner. Son intention est de remĂ©dier aux lacunes des connaissances historiques du monde littĂ©raire et scientifique parlant grec, partant de lâOccident. Ainsi, Ă©crit-il « nombre des Ă©vĂšnements rapportĂ©s par les auteurs arabes et perses seront-ils connus et transmis Ă la postĂ©ritĂ© ; ils seront enseignĂ©s et interprĂ©tĂ©s correctement [âŠ] Ces faits ne seront pas seulement portĂ©s Ă la connaissance de ceux qui parlent votre langue. Cette Ćuvre sera apprĂ©ciĂ©e et admirĂ©e non seulement par les Grecs, mais aussi par tous les peuples occidentaux [âŠ] ainsi que de nombreux autres[15] ».
En dĂ©crivant la majestĂ© des gestes et des exploits du sultan, Critobule mentionne aussi une deuxiĂšme intention qui lâa poussĂ© Ă Ă©crire : celle de montrer comment « les paroles et les actes, la philosophie et la majestĂ© royale sâĂ©taient incarnĂ©es dans une seule personne, Ă la fois roi juste et combattant intrĂ©pide[16] ». Ă cette glorification des gestes du souverain se rattache la comparaison entre Mehmet et Alexandre le Grand qui revient comme un leitmotiv tout au long de la narration : « Cependant tes exploits, mĂȘme sâils sont glorieux et ne le cĂšdent en rien Ă ceux dâAlexandre [le Grand] le MacĂ©donien ni Ă ceux des gĂ©nĂ©raux et rois qui lui sont comparables [âŠ][16] ».
Le thĂšme de la translatio imperii[N 2] de l'Empire byzantin vers l'Empire ottoman apparait dans les premiĂšres lignes de la lettre dâintroduction adressĂ©e Ă Mehmet[17]. Câest ainsi que Critobule dĂ©signe Mehmet, dans la pure tradition byzantine, comme le souverain « autocrate » (αáœÏÎżÎșÏÎŹÏÏÏ), lui donnant Ă©galement le titre « roi des rois » (shĂąhanschĂąh) de la tradition perse, juxtaposant ainsi les traditions des deux grandes puissances mondiales que furent Rome et la Perse, deux puissances continentales qui se sont longtemps combattues mais que Mehmet unit sous sa gouverne. On retrouve cette prĂ©tention par la suite dans les titres fleuris quâil donne au souverain, notamment celui de « Seigneur des terres et des mers », donc de souverain de lâĆkoumĂšne quâil fait suivre de la pĂ©riphrase « par la volontĂ© de Dieu » qui ancrait la lĂ©gitimitĂ© des basilei byzantins et qui a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e Ă Mehmet[18] - [17].
Cette synthĂšse des titulatures de lâEst et de lâOuest, de mĂȘme que cet amalgame de la conception et de lâexercice du pouvoir pourtant divergentes se retrouvent de diffĂ©rentes maniĂšres dans le texte. Ainsi Critobule justifie la prĂ©tention de Mehmet Ă une descendance grecque dâAchĂ©mĂ©nĂšs et de PersĂ©e[19]. Reprenant lâĂ©pisode de Troie, il associe Mehmet aux Troyens en jouant sur le nom Teucros, premier roi de Troie qui rĂ©gnait sur les Teucri, mot dĂ©signant aussi les Turcs[20] et, comme lâavaient fait Alexandre et nombre de gĂ©nĂ©raux avant lui, fait visiter la tombe du hĂ©ros de Troie[21]. Comme le montre une Iliade composĂ©e par IoannĂšs Dokeianos (Johannes Docianus) vers 1470, Mehmet non seulement approuvait, mais encore encourageait une telle comparaison avec lâĂ©popĂ©e et les hĂ©ros dâHomĂšre[22].
Style
Suivant les conventions de lâĂ©poque, Critobule utilise le grec « atticiste », langue littĂ©raire, apprise au cours de longues annĂ©es d'Ă©tude, par opposition Ă la « koinĂš » qui dĂ©signe la langue parlĂ©e[23]. Utilisant cette langue avec maitrise, Critobule manie Ă©galement lâart de lâimitation avec dextĂ©ritĂ©. Sa premiĂšre source dâinspiration est Thucydide auquel il emprunte non seulement la composition de lâĆuvre (en annĂ©es et saisons), mais Ă©galement des discours quâil met allĂšgrement dans la bouche de Mehmet en les adaptant, procĂ©dĂ© qui peut surprendre aujourdâhui, mais qui Ă©tait alors une forme dâadmiration[24]. RĂ©fĂ©rence Ă©galement, sa description au livre V de la peste qui frappa Constantinople et qui rappelle celle que Thucydide donne dans le deuxiĂšme livre de sa Guerre du PĂ©loponnĂšse. Outre Thucydide, on trouve Ă©galement des imitations de lâAnabasis Alexandri dâArrien (v. 95-v. 175) et des emprunts Ă HĂ©rodote (introduction) et Ă Flavius JosĂšphe (comparaison entre lâattitude des Romains-Byzantins Ă lâendroit des Ottomans et celle des Juifs Ă lâendroit des Romains : dans les deux cas un puissant conquĂ©rant a vaincu le peuple de lâauteur et sâest emparĂ© de sa capitale)[25].
Ăditions
LâĆuvre nous est parvenue grĂące Ă un seul manuscrit conservĂ© encore aujourdâhui dans la bibliothĂšque du palais Topkapi Ă Istanbul. Datant des annĂ©es 1465/1467 (dâaprĂšs le filigrane), il fut Ă©crit de la main de lâauteur sur papier vĂ©nitien ; on peut reconnaitre lâĂ©criture de Critobule par comparaison avec un manuscrit des Ćuvres de Thucydide de la BibliothĂšque nationale de France[26]. On ne sait ce quâil advint de lâouvrage jusquâau milieu du XIXe siĂšcle : aucune copie ne semble avoir Ă©tĂ© faite, aucune traduction, aucune rĂ©fĂ©rence mĂȘme dans un autre ouvrage. Il fut redĂ©couvert en 1859 par le philologue allemand Tischendorf lors dâun voyage Ă Constantinople. Quelques annĂ©es plus tard, en 1870, il fut publiĂ© par Carl Muller dans les Fragmenta Historicorum Graecorum Ă Paris. Une deuxiĂšme Ă©dition parut Ă Bucarest en 1963, due Ă Vasile Grecu ; celle-ci sâappuie toutefois, non sur le manuscrit original, mais sur la transcription de Muller et a fait lâobjet de diverses critiques[27]. Une Ă©dition critique fut finalement publiĂ©e Ă Berlin en 1983 dans la collection Corpus Fontium Historiae Byzantinae[28].
Autres Ćuvres
Deux autres opuscules nous sont Ă©galement parvenus, Ă©crits par Critobule : une PriĂšre Ă JĂ©sus ainsi quâun poĂšme dodĂ©casyllabique Ă la louange de saint Augustin. Il existait aussi une HomĂ©lie sur la Passion du Christ et une lettre qui furent dĂ©truites dans lâincendie de lâEscorial de Madrid en 1671.
Ceux-ci sont importants pour deux raisons. La premiĂšre est que les codex qui les contiennent prouvent que Critobule appartenait Ă un cercle animĂ© par Georges-Gennade Scholarios, le premier patriarche orthodoxe sous lâoccupation ottomane, cercle que frĂ©quentaient Ă©galement les frĂšres Marc et Jean EugĂ©nikos. On sait que Gennade II exhortait les thĂ©ologiens orthodoxes Ă apprendre le latin et Ă lire les textes thĂ©ologiques Ă©crits dans cette langue, ce Ă quoi correspondent parfaitement les vers de Critobule. DeuxiĂšmement, ils permettent dâassocier le nom de Kritopoulos/Kritoboulos et le lieu dâorigine Imbros, confirmant que lâauteur du livre sur les conquĂȘtes de Mehmet et celui de ces opuscules sont une seule et mĂȘme personne. Le nom de Kritopoulos est effectivement byzantin alors que celui de Kritoboulos, utilisĂ© par lâauteur, serait une variante « classisante », rĂ©fĂ©rence Ă des auteurs anciens, procĂ©dĂ© que lâon retrouve chez Nikolaos Chalkokondyles qui devint Laonikos Chalkokondyles ou Georgios Gemistos qui devint Georgios Plethon[29].
Critobule et les historiens byzantins de son Ă©poque
Critobule dâImbros fait partie dâun groupe de quatre historiens qui dĂ©crivirent les derniĂšres annĂ©es de lâempire : Laonicos Chalcondyle, Georges SphrantzĂšs, Doukas et lui-mĂȘme. Ces quatre Ă©crivains avaient reçu une Ă©ducation classique avant la chute de Constantinople ; mais alors que Chalcondyle et Critobule Ă©crivirent dans lâempire du sultan en utilisant un style archaĂŻque affectĂ©, Doukas et SphrantzĂšs, rĂ©fugiĂ©s Ă lâĂ©tranger, utilisaient un langage familier incluant dans le cas de SphrantzĂšs nombre de mots turcs et italiens[30].
Critobule cherche essentiellement Ă rĂ©concilier les Grecs avec la fin de lâEmpire byzantin et le nouvel ordre des choses imposĂ© par le conquĂ©rant ottoman. Ămu par la dĂ©tresse, la dĂ©termination et le courage des Grecs, il reste lâhomme-lige du sultan qui demeure son hĂ©ros[31]. Contrairement Ă Critobule qui, sauf quelques passages critiques, trace un panĂ©gyrique du sultan, Doukas voit en lui sa « bĂȘte noire », ce qui se traduit dans ses descriptions par une sĂ©rie dâĂ©pithĂštes peu flatteuses Ă lâendroit de Mehmet : « une bĂȘte sauvage, [âŠ] un serpent, la prĂ©figuration de lâAntĂ©christ, [âŠ] Nabuchodonosor aux portes de JĂ©rusalem »[32]. Il nâest guĂšre plus tendre Ă lâendroit de lâhomme politique quâil dĂ©crit contrairement Ă Critobule comme « un vĂ©ritable tyran (ÏÏÏÎ±ÎœÎœÎżÏ) [âŠ] lequel, contrairement Ă la conception byzantine du pouvoir, se rĂ©vĂ©la rebelle et usurpa le trĂŽne du souverain lĂ©gitime »[33]. De mĂȘme, il nâaccepte le couronnement de Constantin XI quâ« avec hĂ©sitation[33] », puisquâopposĂ© Ă la rĂ©union des Ăglises, il considĂ©rait comme non valide lâonction confĂ©rĂ©e par un patriarche unioniste. Ainsi, alors que la question de la rĂ©unification des Ăglises constitue un thĂšme rĂ©current chez Doukas, Critobule passe ces questions sous silence[34].
Cette diffĂ©rence dâapproche dans la prĂ©sentation et lâinterprĂ©tation du caractĂšre de Mehmet se retrouve dans les approches diffĂ©rentes de Doukas et de Critobule concernant lâassassinat de Lucas Notaras. Alors que Doukas attribue ce geste aux tendances perverses du sultan (ivrognerie, pĂ©dĂ©rastie, irrationalitĂ©), Critobule y voit le rĂ©sultat de lâ« envie et de la haine » de ses adversaires qui dĂ©truisirent sa rĂ©putation auprĂšs du sultan[35] - [36]. Laonicos pour sa part reprend la version de Doukas mais de façon affaiblie et quelque peu plus vague[37].
Georges SphrantzĂšs pour sa part utilise les « termes couramment en usage dans le langage diplomatique[38] ». Il ne tente guĂšre de noircir le personnage, mĂȘme lorsquâil traite du meurtre du propre fils du sultan ou de la fuite du « commandant des infidĂšles[38] ». Contrairement au portrait optimiste et tournĂ© vers lâavenir de Critobule, celui de SphrantzĂšs est empreint de « pessimisme devant la main de Dieu qui punit les croyants en servant les dessins politico-militaires des ennemis »[39]. Les questions dogmatiques lui importent peu.
Laonikos Chalkokondyles sâemploie pour sa part à « grĂ©ciser » lâhistoire byzantine en employant par exemple la mĂȘme terminologie pour dĂ©signer tous les souverains qui portent indistinctement le titre de basileus normalement rĂ©servĂ© au seul empereur byzantin[40].
Laonikos, pas plus que Doukas et SphrantzĂšs ne donne dâinformation sur les Ă©vĂšnements politico-militaires de cette pĂ©riode, pas plus quâil ne cherche Ă tracer le portrait psychologique du sultan. Seul Critobule nous informe de la vie politique et des visĂ©es culturelles du sultan ou de ses tentatives pour faire de Constantinople sa nouvelle capitale, qui sont le fil conducteur de son Ćuvre[41].
Notes et références
Notes
- (de) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en allemand intitulĂ© « Kritobulos von Imbros » (voir la liste des auteurs).
- On identifie gĂ©nĂ©ralement Kritoboulos lâhistorien Ă Kritoboulos lâauteur religieux de la mĂȘme pĂ©riode ; Kazhdan 1991, vol. II, « Kritoboulos, Michael », p. 1159.
- Lâexpression latine « transfert de lâempire » est gĂ©nĂ©ralement employĂ©e en rĂ©fĂ©rence au transfert de la capitale de lâEmpire romain de Rome vers Constantinople.
Références
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- Reinsch 1986, p. 298.
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- Babinger 1975, p. 210.
- Critobule, livre IV, chap. 11, para. 5 et 6.
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- Pour cette section, voir Reinsch 2003, p. 302-306.
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Bibliographie
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