Conjecture de Goldbach
La conjecture de Goldbach est l'assertion mathĂ©matique qui sâĂ©nonce comme suit :
Tout nombre entier pair supĂ©rieur Ă 3 peut sâĂ©crire comme la somme de deux nombres premiers.
FormulĂ©e en 1742 par Christian Goldbach, câest lâun des plus vieux problĂšmes non rĂ©solus de la thĂ©orie des nombres et des mathĂ©matiques. Il partage avec l'hypothĂšse de Riemann et la conjecture des nombres premiers jumeaux le numĂ©ro 8 des problĂšmes de Hilbert, Ă©noncĂ©s par celui-ci en 1900.
La figure ci-contre montre les solutions de lâĂ©quation 2N = p + q reprĂ©sentĂ©es par des ronds, oĂč 2N est un nombre pair entre 4 et 50, et p et q sont deux nombres premiers : les nombres 2N sont reprĂ©sentĂ©s par les lignes horizontales et les nombres premiers p et q sont reprĂ©sentĂ©s par les lignes rouges et bleues. La conjecture de Goldbach correspond au fait quâaussi loin quâon prolonge la figure vers le bas, toute ligne horizontale grise contiendra au moins un rond :
4 | = | 2 + 2 | (1 solution) | |||
6 | = | 3 + 3 | (1 solution) | |||
8 | = | 3 + 5 | (1 solution) | |||
10 | = | 3 + 7 | = 5 + 5 | (2 solutions) | ||
12 | = | 5 + 7 | (1 solution) | |||
14 | = | 3 + 11 | = 7 + 7 | (2 solutions) | ||
50 | = | 19 + 31 | = 13 + 37 | = 7 + 43 | = 3 + 47 | (4 solutions) |
La conjecture de Goldbach est un cas particulier dâune conjecture liĂ©e Ă lâhypothĂšse H de Schinzel.
Origine
Le , le mathématicien prussien Christian Goldbach écrit au mathématicien suisse Leonhard Euler une lettre à la fin de laquelle il propose la conjecture suivante :
Tout nombre strictement supĂ©rieur Ă 2 peut ĂȘtre Ă©crit comme une somme de trois nombres premiers.
(Goldbach admettait 1 comme nombre premier ; la conjecture moderne exclut 1, et remplace donc[1] 2 par 5.)
Dans sa réponse datée du , Euler rappelle à Goldbach que cet énoncé découle d'un énoncé antérieur[2] que Goldbach lui avait déjà communiqué :
Tout nombre pair peut ĂȘtre Ă©crit comme somme de deux nombres premiers.
(Comme précédemment, « nombre » est à prendre au sens « entier strictement supérieur à 0 » et la conjecture moderne remplace[1] 0 par 2.)
Selon une version plus faible de la conjecture, tout nombre impair supérieur ou égal à 9 est somme de trois nombres premiers.
Justification heuristique
La majorité des mathématiciens pense que la conjecture de Goldbach est vraie, en se basant surtout sur des considérations statistiques axées sur la répartition des nombres premiers : plus le nombre est grand, plus il y a de maniÚres disponibles pour le représenter sous forme de somme de deux ou trois autres nombres, et la plus « compatible » devient celle pour laquelle au moins une de ces représentations est constituée entiÚrement de nombres premiers.
Une version trĂšs grossiĂšre de l'argument probabiliste heuristique (pour la forme forte de la conjecture de Goldbach) est la suivante. Le thĂ©orĂšme des nombres premiers affirme qu'un entier m sĂ©lectionnĂ© alĂ©atoirement d'une maniĂšre brute possĂšde chance d'ĂȘtre premier. Ainsi, si n est un grand entier pair et m, un nombre compris entre 3 et n/2, alors on peut s'attendre Ă ce que la probabilitĂ© que m et n â m soient tous deux premiers soit Ă©gale Ă . Cet argument heuristique n'est pas rigoureux pour de nombreuses raisons ; par exemple, on suppose que les Ă©vĂ©nements que m et n â m soient premiers sont statistiquement indĂ©pendants l'un de l'autre. Si l'on poursuit quand mĂȘme ce raisonnement heuristique, on peut estimer que le nombre total de maniĂšres d'Ă©crire un grand nombre entier pair n comme la somme de deux nombres premiers impairs vaut environ
Puisque cette quantité tend vers l'infini lorsque n augmente, on peut s'attendre à ce que tout entier pair suffisamment grand non seulement possÚde au moins une représentation sous forme de somme de deux nombres premiers, mais en fait en possÚde beaucoup.
L'argument heuristique ci-dessus est en fait quelque peu imprĂ©cis, car il ignore certaines corrĂ©lations entre les probabilitĂ©s que m et n â m soient premiers. Par exemple, si m est impair alors n â m aussi, et si m est pair alors n â m aussi, or les nombres premiers sont tous impairs Ă part 2. De mĂȘme, si n est divisible par 3 et si m est dĂ©jĂ un nombre premier distinct de 3, alors n â m est aussi premier avec 3 donc sa probabilitĂ© d'ĂȘtre premier est lĂ©gĂšrement supĂ©rieure Ă celle d'un entier quelconque. En poursuivant ce type d'analyse avec plus de soin, Hardy et Littlewood conjecturĂšrent en 1923 (c'est une partie de la cĂ©lĂšbre conjecture des n-uplets premiers de Hardy-Littlewood) que pour tout c â„ 2, le nombre de reprĂ©sentations d'un grand entier n sous la forme de somme de c premiers avec devrait ĂȘtre Ă©quivalent Ă oĂč le produit porte sur tous les nombres premiers p, et est le nombre de solutions de lâĂ©quation en arithmĂ©tique modulaire, soumise aux contraintes . Cette formule asymptotique a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e pour c â„ 3 Ă partir du travail de Vinogradov, mais est encore Ă l'Ă©tat de conjecture pour c = 2. Dans ce dernier cas, l'expression ci-dessus est nulle lorsque n est impair, et lorsque n est pair elle se simplifie en oĂč est la constante des nombres premiers jumeaux Cette formule asymptotique est quelquefois appelĂ©e conjecture Ă©tendue de Goldbach. La conjecture forte de Goldbach est en fait trĂšs similaire Ă celle des nombres premiers jumeaux, et les deux conjectures sont prĂ©sumĂ©es de difficultĂ©s comparables.
Ătat des recherches
ThéorÚmes apparentés
Dans le cadre de recherches en vue de démontrer la conjecture de Goldbach, plusieurs théoriciens des nombres ont abouti à des théorÚmes plus faibles que la conjecture. Le tableau suivant présente quelques étapes significatives de ces recherches. La mention f indique les théorÚmes en rapport avec la conjecture faible de Goldbach, « tout nombre impair supérieur ou égal à 9 est somme de trois nombres premiers. » :
Année | Auteurs | ThéorÚme | Détails | |
---|---|---|---|---|
1920 | Viggo Brun | Tout entier pair assez grand est somme de deux entiers composés chacun de 9 facteurs premiers au plus. | ||
1923 | Hardy et Littlewood | f | En supposant vraie une certaine généralisation de l'hypothÚse de Riemann, tout nombre impair assez grand est somme de trois nombres premiers[3]. | |
1924 | Hans Rademacher | Tout entier pair assez grand est somme de deux entiers composés chacun de 7 facteurs premiers au plus. | ||
1931 | Lev Schnirelmann | Tout entier > 1 est somme de 20 nombres premiers au plus. | ||
1937 | Ivan Vinogradov | f | Tout entier impair assez grand est somme de trois nombres premiers. Corollaire : Tout entier pair assez grand est somme de quatre nombres premiers. | |
1937 | Nikolai Chudakov (en)[4] | Presque tout entier pair est somme de deux nombres premiers[5]. | ||
1938 | Johannes van der Corput[6] | |||
1938 | Theodor Estermann[7] | |||
1947 | AlfrĂ©d RĂ©nyi | Il existe une constante K telle que tout entier pair est somme dâun nombre premier et dâun nombre ayant au plus K facteurs premiers. | ||
1951 | Yuri Linnik | Il existe une constante K telle que tout entier pair assez grand est somme de deux nombres premiers et dâau plus K puissances de 2. | ||
1966 | Chen Jingrun | Tout entier pair assez grand est somme dâun nombre premier et dâun nombre ayant au plus deux facteurs premiers. | ||
1975 | Hugh Montgomery et Robert Charles Vaughan | La plupart des entiers pairs sont la somme de deux nombres premiers[8]. | ||
1995 | Olivier Ramaré | Tout entier pair est somme de six nombres premiers au plus. Corollaire : Tout entier impair est somme de sept nombres premiers au plus. | [lire en ligne][9] | |
1997 | Jean-Marc Deshouillers, Gove Effinger, Herman te Riele et Dimitri Zinoviev | f | L'hypothÚse de Riemann généralisée implique la conjecture faible de Goldbach. | [lire en ligne][PDF][10] |
2002 | Roger Heath-Brown et Jan-Christoph Schlage-Puchta | Le résultat de Linnik (1951) vaut avec K = 13. | ||
2012 | Terence Tao | f | Tout entier impair > 1 est somme de cinq nombres premiers au plus. Corollaire : rĂ©sultat dâOlivier RamarĂ©, 1995. | Article dĂ©taillĂ© (preuve en cours de vĂ©rification) |
2013 | Harald Helfgott | f | Tout entier impair > 5 est somme de trois nombres premiers. Corollaire : résultat de Terence Tao, 2012. | Article détaillé (preuve en cours de vérification) |
Vérifications numériques
En 2014, les vérifications numériques publiées conduisent aux conclusions suivantes :
Dans la culture
- En 2007, Luis Piedrahita et Rodrigo Sopeña produisent le film espagnol La Cellule de Fermat (La HabitaciĂłn de Fermat) mettant en scĂšne un jeune mathĂ©maticien qui affirme faussement avoir dĂ©montrĂ© la conjecture et un vieux mathĂ©maticien qui, lui, lâaurait dĂ©montrĂ©e.
- Le roman Oncle Petros et la Conjecture de Goldbach [dĂ©tail des Ă©ditions], dâApĂłstolos DoxiĂĄdis, raconte lâhistoire fictive dâun mathĂ©maticien ayant consacrĂ© sa vie professionnelle Ă la seule conjecture de Goldbach, gaspillant ainsi ses ressources intellectuelles et se mettant lui-mĂȘme Ă lâĂ©cart de la vie scientifique et de sa famille. Le roman en profite surtout pour fournir un Ă©clairage culturel sur quelques mathĂ©maticiens et logiciens du dĂ©but du siĂšcle (Kurt Gödel, Alan Turing, Srinivasa Ramanujan, Godfrey Harold HardyâŠ) et les rapports entre leurs diffĂ©rents travaux.
- Afin de faire de la publicitĂ© pour le livre de DoxiĂĄdis, lâĂ©diteur britannique Tony Faber offrit en 2000 un prix d'un million de dollars amĂ©ricains pour une preuve de la conjecture. Le prix ne pouvait ĂȘtre attribuĂ© quâĂ condition que la preuve soit soumise Ă publication avant . Il nâa jamais Ă©tĂ© rĂ©clamĂ©.
- Le roman Le ThĂ©orĂšme du Perroquet, de Denis Guedj, met en scĂšne un mathĂ©maticien qui, au fond de lâAmazonie, rĂ©ussit Ă dĂ©montrer la conjecture de Goldbach. Refusant de la livrer Ă lâhumanitĂ©, il se suicide en brĂ»lant ses recherches. Mais avant, il la fait apprendre par son perroquet. Des mafieux veulent sâapproprier lâoiseau mais ce dernier reste muet. ExcĂ©dĂ©s, ils lâabattent. Le roman se termine dans la forĂȘt oĂč le perroquet, blessĂ©, rĂ©cite la dĂ©monstration aux autres animaux. Elle demeure ainsi inconnue des hommes.
Notes et références
- Mais avec ce remplacement, la conjecture moderne est un peu plus forte que lâoriginale.
- En fait, les deux conjectures sont Ă©quivalentes : si tout nombre pair supĂ©rieur Ă 2 peut s'Ă©crire comme somme de trois premiers, l'un d'entre eux est nĂ©cessairement 2, et alors tout nombre pair supĂ©rieur Ă 0 peut s'Ă©crire comme somme de deux premiers. Notons qu'Euler prĂ©sente Ă Goldbach sa version comme Ă©tant celle reçue de lui : « âŠso Ew. vormals mit mir communicirt haben, dass nehmlich ein jeder numerus par eine summa duorum numerorum primorum sey⊠», Lettre XLIV.
- Autrement dit : sous l'hypothÚse indiquée, la conjecture faible de Goldbach est valable pour tout nombre impair assez grand.
- Nikolai G. Chudakov, « On the Goldbach problem », Doklady Akademii Nauk SSSR, vol. 17,â , p. 335-338.
- DâaprĂšs le travail de Vinogradov, et dans le sens que la proportion des nombres pairs qui peuvent sâĂ©crire sous cette forme tend vers 1.
- (en) J. G. Van der Corput, « Sur lâhypothĂšse de Goldbach », Proc. Akad. Wet. Amsterdam, vol. 41,â , p. 76-80.
- (en) T. Estermann, « On Goldbachâs problem: proof that almost all even positive integers are sums of two primes », Proc. London Math. Soc., vol. 44,â , p. 307-314 (DOI 10.1112/plms/s2-44.4.307).
- Plus prĂ©cisĂ©ment, il existe deux constantes positives c et C telles que, pour tout nombre N assez grand, tout entier pair infĂ©rieur Ă N est somme de deux nombres premiers, avec au plus exceptions. En particulier, lâensemble des entiers pairs qui ne sont pas la somme de deux nombres premiers a pour densitĂ© zĂ©ro.
- (en) O. RamarĂ©, « On Ć nirel'man's constant », Ann. Scuola Norm. Sup. Pisa Cl. Sci., vol. 22, no 4,â , p. 645-706 (lire en ligne).
- (en) Deshouillers, Effinger, te Riele et Zinoviev, « A complete Vinogradov 3-primes theorem under the Riemann hypothesis », Electronic Research Announcements of the American Mathematical Society, vol. 3, 1997, p. 99-104.
- (en) TomĂĄs Oliveira e Silva, Siegfried Herzog et Silvio Pardi, « Empirical verification of the even Goldbach conjecture and computation of prime gaps up to 4.1018 », Math. Comp., vol. 83,â , p. 2033-2060 (DOI 10.1090/S0025-5718-2013-02787-1, lire en ligne).
- (en) H. A. Helfgott et David J. Platt, « Numerical Verification of the Ternary Goldbach Conjecture up to 8.875.1030 », Exper. Math., vol. 22, no 4,â , p. 406-409 (DOI 10.1080/10586458.2013.831742, arXiv 1305.3062).
Voir aussi
Articles connexes
- Conjecture de Polignac
- Constante de Schnirelmann
- ProblĂšme de Waring-Goldbach (en)
Liens externes
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- Projet de calcul distribué des nombres de Goldbach
- (en) Chris Caldwell, Goldbachâs conjecture, sur le site Prime Pages
- (en) Tomås Oliveira e Silva, « Goldbach conjecture verification »