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Comportement homosexuel chez les animaux

Le comportement homosexuel chez les animaux se réfère à la preuve documentée de comportements et de pratiques homoérotiques dans les espèces non humaines du monde animal. L'homosexualité au sens large (ou comportementaliste) se définit par des rapports sexuels et/ou « amoureux » entre individus de même sexe[3] et implique la sexualité animale, la parade nuptiale, l'affection, la vie en couple et l'éducation familiale.

Le comportement homoérotique du Canard colvert est bien documenté, notamment le mâle pouvant se livrer à de la nécrophilie homosexuelle[1] ou à des viols homosexuels[2].

Une définition complexe

La notion humaine de « sexualité » ne peut pas être appliquée telle quelle chez les animaux : l'usage de ce terme en contexte animalier diffère de celle qu'on applique généralement à l'être humain, et cela est encore plus problématique en ce qui concerne l'homosexualité. Par exemple le Trésor de la langue française définit ainsi la « sexualité » chez les animaux : « ensemble des mécanismes physiologiques qui concourent au rapprochement des sexes et à la reproduction de l'espèce[4]. » Dans le cas de l'être humain, cela désigne en revanche l'« ensemble des tendances et des activités qui, à travers le rapprochement des corps, l'union des sexes (généralement accompagnés d'un échange psycho-affectif), recherchent le plaisir charnel, l'accomplissement global de la personnalité[4]. » Cette notion, très psychologique, est donc difficile à appliquer telle quelle aux animaux, de sorte que la sexualité se cantonne le plus souvent dans le règne animal à la somme des comportements sexuels observables, sans dimension psychologique ou ontologique. Il en va de même pour la sexualité prise au sens d'« orientation sexuelle »[5], qui est une définition éminemment subjective et existentialiste (voir à ce sujet l'article Orientation sexuelle et biologique), notamment dans sa dimension exclusive : par exemple, si l'on observe des comportements homoérotiques chez de nombreux vertébrés, la notion d'« homosexualité » au sens d'un mode d'épanouissement sexuel prenant la forme d'une attirance physique consciemment et exclusivement tournée vers des individus de même sexe semble impossible à appliquer à des non-humains. Toutefois ce comportement peut aussi être occasionnel chez les êtres humains[6].

Ainsi, pour Thierry Hoquet [7], « si l’espèce humaine doit être, à de nombreux égards et peut-être même de part en part, considérée comme une espèce biologique, on peut néanmoins s’interroger sur l’unité des catégories humaines de « viol », de « harem », de « monogamie », ou d’« homosexualité » quand elles sont appliquées indifféremment à tous les animaux ». Cette idée rejoint celle de Ruth Bleier, selon qui un tel abus de langage relève d'un « ethnocentrisme qui engendre des présupposés non examinés, des questions biaisées, un usage sélectif des modèles animaux, un anthropomorphisme des concepts et du langage (machisme des insectes, prostitution chez les grands singes ou les oiseaux, homosexualité des vers de terre), ainsi que des distorsions et des représentations fautives dans l’usage des données »[8].

On parlera donc plus prudemment de « comportements homoérotiques » chez les animaux, la notion d'« homosexualité » constituant une surinterprétation sans fondement scientifique assuré, puisque de tels comportements peuvent avoir des causes diverses (domination sociale, entraînement, méprise...).

Historique

Deux cerfs qui s'accouplent

Entre le VIIe et VIe siècle av. J.-C., au nord de la Chine les peuples de la dynastie des Zhou réalisaient des artefacts en bronze. La chasse, et donc l’observation, des animaux y étaient prépondérantes notamment dans les milieux vivriers. Un des peuples a rapporté ses observations sur des plaques ou l’on peut voir des animaux copuler. Sur l’un d’entre eux, on observe deux cerfs[9].

Les écrits relatant l'observation de comportements homosexuels chez les animaux remontent à l'Antiquité grecque. C'est ainsi qu'Aristote évoque dans son Histoire des animaux de tels comportements chez les cailles, les perdrix et les coqs. Le philosophe infère deux explications qui résultent d'un préjugé encore tenace dans la communauté scientifique et dans la société actuelles : « les contacts homosexuels entre mâles chez les perdrix, les cailles ou les coqs résulteraient de rapports de dominance. Le vainqueur d'un combat soumettrait le vaincu à une copulation forcée. Il suggère également que l'homosexualité serait un second choix[10] pour ces animaux auxquels l'hétérosexualité échapperait[11]. »

En France, l'homosexualité animale est évoquée en 1896 par le zoologiste Henri Gadeau de Kerville, qui propose comme thème de l'une de ses conférences à la Société entomologique de France Perversion sexuelle chez les coléoptères mâles[12].

Un bref chapitre sur l'homosexualité animale figure dans l'ouvrage Die Homosexualität des Mannes und des Weibes écrit par le sexologue Magnus Hirschfeld en 1914[13]. Il y relève que l'étude de l'homosexualité animale est un sujet d'étude alors assez récent et qu'elle se heurte à des difficultés, puisque la psychologie des animaux n'est pas accessible. Malgré cela, Hirschfeld souligne que l'homosexualité est largement répandue dans le règne animal, encore qu'il faille distinguer les comportements sexuels résultant des circonstances (par exemple l'absence d'un partenaire de l'autre sexe à disposition ou encore une erreur) des cas où un « instinct homosexuel » doit être admis chez un animal. L'auteur évoque divers cas documentés de comportements homoérotiques animaux, ainsi que d'hermaphrodisme et d'adoption par un sexe de comportements typiquement rattachés à l'autre sexe. Hirschfeld conclut son chapitre en déclarant que l'existence d'un instinct homosexuel chez les animaux peut être opposé à ceux qui prétendent que l'homosexualité irait à l'encontre de la survie des espèces ; notamment, la reproduction ne serait qu'un moyen parmi d'autres dans le perfectionnement des espèces.

L'étude des comportements homoérotiques chez les animaux n'a pris véritablement son essor que dans les années 1990. Considérés comme déviants et rares (encore au début du XXe siècle, les zoologues castraient ou lobotomisaient les babouins ou manchots papous homosexuels[14]), les éthologues ont progressivement rompu avec la conception réductionniste et mécaniste de ces comportements en s'intéressant à la variabilité des conduites animales[15].

Dans son livre Biological exuberance : animal homosexuality and natural diversity paru en 1999, le chercheur Bruce Bagemihl affirme que des comportements homoérotiques ont été observés chez près de 450 espèces animales (essentiellement des espèces qui ont peu de dimorphisme sexuel), dans chaque grande zone géographique et chaque groupe animal, et qu'ils peuvent être séparés en cinq groupes distincts : parade amoureuse, affection, relation sexuelle, vie en couple et comportement parental[16]. Les organisateurs de l'exposition Against nature ? affirmaient que des comportements homosexuels étaient retrouvés chez la plupart des groupes de vertébrés, mais aussi parmi les insectes, les araignées, les crustacés, les octopodes et les vers parasites, le phénomène étant reporté chez près de 1 500 espèces animales et bien documenté chez 500 d'entre elles[17].

Pour Thierry Lodé, de l'université de Rennes 1[18], « toutes les conduites sexuelles existent dans la nature » bien que les comportements homoérotiques exclusifs restent plutôt rares. Toutefois un grand nombre de chercheurs[19] - [16] - [20] pensent que le qualificatif d'« homosexualité » ne peut pas être appliqué au règne animal car bien que le comportement homoérotique occasionnel soit présent chez certains, l'homosexualité au sens humain contemporain d'« attirance sexuelle exclusivement dirigée vers des partenaires de même sexe au détriment de la reproduction sexuée » n'est presque jamais observée, ne saurait être transmis et ne constitue en aucun cas un acte « conscient ».

Observations

Deux girafes mâles pratiquant le necking (enlacement de cou) pouvant s'accompagner d'érection[21].

Les oiseaux

L'existence de comportements homoérotiques chez les oiseaux a été décrite par plusieurs auteurs de l'Antiquité : Aristote (perdrix), Athénée (colombes, perdrix), Élien (cailles), Horapollon (perdrix), Pline l'Ancien (cailles, coqs, perdrix), Plutarque (coqs). Ces comportements sont discutés (même si leur existence est niée) par les auteurs et/ou les textes suivants : Platon (Lois), Ovide, Pseudo-Phocylide, Plutarque, Lucien, Longus, Jean Chrysostome, Célius Aurélien, Agathias (VIe siècle), Justinien, Altercation , Vincent de Beauvais. Ces textes impliquent une perception ancienne du concept d'homosexualité, ce qui contredit a priori la thèse constructiviste.

Les bonobos

Le bonobo est une espèce dont la bisexualité est un fait d'observation, partie prenante de ce qu'on appelle chez cette espèce la « pansexualité ». Les mâles comme les femelles s'adonnent fréquemment à des relations avec le même sexe ou avec le sexe opposé, avec des individus matures et immatures sexuellement, et y compris entre descendants. Le sexe a une fonction d'apaisement des tensions très importantes chez les bonobos ainsi que d'apprentissage[22].

Les bisons

Se faire la cour, le montage et la pénétration anale complète entre mâles a été remarqué chez le Bison Américain. Aussi, le montage d’une femelle par une autre (aussi interprété comme étant de l’intimidation) est très fréquent dans les troupeaux. Ce comportement est hormonal et se synchronise avec les montées d'œstrogène, particulièrement en la présence d’un mâle.

Les manchots

En 2005, six manchots de Humboldt mâles du zoo de Bremerhaven (Allemagne) avaient défrayé les chroniques en formant trois couples homosexuels[23] et en « adoptant » des cailloux comme œufs. Les instances du zoo avaient essayé d'introduire des manchots femelles pour qu'ils s'accouplent mais les couples homosexuels se sont maintenus[24]. Cette observation pourrait cependant être biaisée par les conditions de captivité des animaux, et ne renseigne pas sur le comportement spontané de l'espèce dans la nature.

Des cas similaires ont été observés, comme celui des deux manchots Wendell et Cass de l'Aquarium de New York[25] ou encore de Skipper et Ping au Jardin zoologique de Berlin[26].

Autres

Jeu sexuel entre deux femelles Labrador.

Le chercheur Bruce Bagemihl a observé des dauphins mâles qui frottaient leur pénis l'un contre l'autre, pratiquaient le sexe anal et nasal (intromission du pénis dans l'évent)[27]. Un autre scientifique, Paul Vasey, a également identifié des comportements lesbiens chez les macaques[28]. Plusieurs chercheurs ont aussi observé des préférences homosexuelles chez les moutons[29], même si là encore le geste pourrait être interprété comme un acte de domination, donc à but plus social que sexuel. Les comportements exclusivement homoérotiques restent rares dans la nature et la diversité des comportements serait largement privilégiée par l'évolution biologique et le conflit sexuel.

Chez certaines espèces de lézards se reproduisant par parthénogenèse, une homosexualité exclusive des femelles a été observée (les mâles ayant disparu chez cette espèce). Ce comportement est nécessaire à la réalisation de l'ovulation. Aucun cas d'homosexualité exclusive des femelles n'a été décrit chez les espèces animales où les mâles sont présents[30] - [31].

Il existe des jeux homosexuels chez le chien qu'il ne faut pas confondre avec le comportement de dominance de « chevauchement hiérarchique »[32].

La température a des conséquences sur les couples de mouches : lorsqu'elle baisse, les mouches sont hétérosexuelles, lorsque la température augmente dépassant 30ºC, les mouches sont homosexuelles[33]

Notes et références

  1. Pierre Barthélémy, « L'étrange cas du canard homosexuel nécrophile », sur Le Monde, .
  2. Denis Chavigny, Plumes & pinceaux : histoires de canards, Versailles, Éditions Quae, , 143 p. (ISBN 978-2-7592-1028-2, lire en ligne), p. 103.
  3. Il s'agit là d'une définition de l'homosexualité au sens large (donc humains compris) qui n'implique aucune affirmation quant à la possibilité pour l'animal non-humain d'éprouver des sentiments amoureux. Ce débat sur la conscience animale et les sentiments animaux étant très controversé, il n'est pas du ressort de cet article de trancher sur le sujet donc aucune affirmation ni infirmation ne pourrait être acceptée.
  4. Article sur le TLF.
  5. Le TLF la définit ainsi : « disposition, comportement spécifique (de telle personne ou catégorie humaine) dans les rapports sexuels ».
  6. « Homosexualité : Définition de Homosexualité », sur www.cnrtl.fr (consulté le ).
  7. Thierry Hoquet, « La sociobiologie est-elle amendable ? : biologistes, féministes, darwiniennes face au paradigme de la sélection sexuelle », Diogène, no 225,‎ , p. 139-156 (ISSN 0419-1633).
  8. (en) Ruth Bleier, Science and gender, New York, Pergamon Press, .
  9. « Cerfs qui s’accouple », sur www.drouotonline.com
  10. Les éthologues ont longtemps associé ce comportement à une frustration sexuelle lorsque les animaux n'ont pas accès à leurs partenaires de sexe opposé. Ils considéraient également que la frustration de certains besoins instinctifs (besoins alimentaires) entraînait cette « perversion » de leurs instincts sexuels.
  11. Fleur Daugey, Animaux homos : histoire naturelle de l'homosexualité, Paris, Albin Michel, , 166 p. (ISBN 978-2-226-32420-7), p. 12.
  12. Jean-Claude Féray, Grecques, les mœurs du hanneton ?, Paris, Quintes-Feuilles, , 307 p. (ISBN 2-9516023-3-2, lire en ligne), p. 7.
  13. (de) Magnus Hirschfeld, Die Homosexualität des Mannes und des Weibes, Berlin, Marcus, (lire en ligne), p. 629-635.
  14. (en) Judith Horstman, The Scientific American Book of Love, Sex and the Brain : The Neuroscience of How, When, Why and Who We Love, New York, Wiley, , 264 p. (ISBN 978-0-470-64778-3), p. 57.
  15. (en) Aldo Poiani, op. cit., p. 26-27.
  16. (en) Bruce Bagemihl, Biological Exuberance : Animal Homosexuality and Natural Diversity, New York, St. Martin's Press, , 751 p. (ISBN 0-312-19239-8, présentation en ligne).
  17. (en) « Homosexuality in the animal kingdom », sur http://www.nhm.uio.no, Université d'Oslo, pour l'exposition Against nature ? An exhibition on animal homosexuality, (consulté le ).
  18. Thierry Lodé, La guerre des sexes chez les animaux, Paris, Odile Jacob, 2007 (ISBN 978-2-7381-1901-8).
  19. (en) Simon LeVay, Queer Science : The Use and Abuse of Research Into Homosexuality, Cambridge, Mass., MIT Press, , 364 p. (ISBN 0-262-12199-9, lire en ligne).
  20. Antonio Pardo, « Aspectos médicos de la homosexualidad », Nuestro tiempo, Jul.-Aug. 1995, p. 82-89.
  21. (en) James Neill, The origins and role of same-sex relations in human societies, Jefferson (N.C.), McFarland, , 470 p. (ISBN 978-0-7864-3513-5), p. 17.
  22. Voir par exemple (en) « Context and development of sexual behavior of wild bonobos (Pan paniscus) at Wamba, Zaire », International journal of primatology, 18 (1), 1997.
  23. A priori ce sont des couples fidèles mais ce n'est qu'une hypothèse, car certains contestent une telle affirmation.
  24. (en) Article sur les manchots du zoo de Bremerhaven.
  25. « Birds of a Feather: Meet Wendell and Cass, the Gay Male Penguin Couple at the New York Aquarium. (Behind the Headlines)" by Bull, Chris - The Advocate (The national gay & lesbian newsmagazine), April 2, 2002 | Online Research Library: Questia Reader », sur www.questia.com (consulté le )
  26. R.G.-V. avec AFP, « Allemagne: Deux manchots homos du zoo de Berlin autorisés à couver un œuf », 20 minutes,‎ (lire en ligne).
  27. (en) J.-P. Sylvestre, « Some observations on behavior of two orinoco dolphins (Inia geoffrensis humboldtiaba [Pilleri and Gihr 1977]), in captivity, at Duisburg Zoo », Aquatic mammals, no 11,‎ , p. 58-65
  28. (en) Paul Vasey, « Homosexual behavior in primates : a review of evidence and theory », International journal of primatology, 16, 1995, 173-204.
  29. (en) Endocrinology, 2004.
  30. Joan Roughgarden, Evolution's rainbow : diversity, gender, and sexuality in nature and people, Berkeley, University of California Press, 2004 (ISBN 0-520-24073-1), cité dans La Recherche, octobre 2007.
  31. Entretien avec J. Roughgarden.
  32. Patrick Pageat, L’homme et le chien, Paris, Odile Jacob, , 377 p. (ISBN 2-7381-0743-5, lire en ligne), p. 221.
  33. L'Express, « Des mouches gays - L'Express », L'Express,‎ (lire en ligne, consulté le ).

Annexes

Bibliographie

  • (en) Aldo Poiani, Animal homosexuality : A Biosocial Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, , 576 p. (ISBN 978-0-521-19675-8).
  • (en) Volker Sommer, Paul L. Vasey (Ă©d.), Homosexual behaviour in animals : an evolutionary perspective, Cambridge, Cambridge University Press, , 382 p. (ISBN 0-521-86446-1, lire en ligne).

Articles connexes

Lien externe

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