Chrysotriklinos
Le Chrysotriklinos (en grec : ΧÏÏ ÏÎżÏÏÎŻÎșλÎčÎœÎżÏ, "salle dorĂ©e des trois lits", en latin : triclinium) fut la principale salle de rĂ©ception et de cĂ©rĂ©monie du Grand Palais de Constantinople depuis sa construction Ă la fin du VIe siĂšcle jusquâau Xe siĂšcle. Nous ne connaissons son apparence que par diverses sources littĂ©raires dont le De Ceremoniis, recueil de cĂ©rĂ©monies impĂ©riales rĂ©digĂ© par Constantin VII : une grande salle octogonale Ă coupole recouverte de mosaĂŻques d'or et comportant trois « lits », c'est-Ă -dire trois grandes banquettes de rĂ©ception. Cette salle symbolisait par sa majestĂ© la toute-puissance des empereurs byzantins. Aussi a-t-elle inspirĂ© la construction dâautres Ă©difices dont la chapelle palatine de Charlemagne Ă Aix-la-Chapelle.
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Emplacement
Ce que lâon appelle le Grand Palais de Constantinople Ă©tait en fait constituĂ© de deux palais, le premier bĂąti originellement par Constantin Ier au nord, et un nouveau palais qui prit forme Ă la fin du VIIe siĂšcle. Le vieux palais Ă©tait situĂ© Ă 32 m. au-dessus de la mer, Ă cĂŽtĂ© de la cathĂ©drale Hagia Sophia et de lâHippodrome. Le nouveau palais Ă©tait situĂ© 16 mĂštres en contrebas. SituĂ© entre le Grand Palais au nord et le palais de Boukoleon au sud, le Chrysotriklinos avait Ă sa gauche le Lausiakos et le Ioustinianos et Ă sa droite la Nea Ekklesia. Il devint le centre de la vie Ă la cour lorsque les empereurs transfĂ©rĂšrent leur rĂ©sidence des anciens Ă©difices situĂ©s sur la terrasse supĂ©rieure vers des Ă©difices plus prĂšs du niveau de la mer ; le Chrysotriklinos devait se trouver juste au-dessus du port du Boukoleon et permettait de passer des salles rĂ©servĂ©es Ă lâadministration aux appartements privĂ©s de lâempereur[1].
Histoire
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Les sources ne sâaccordent pas sur la date de la construction du Chrysotriklinos[2]. On croit gĂ©nĂ©ralement que la salle serait due Ă Justin II (r. 565 â 578) et aurait par la suite Ă©tĂ© complĂ©tĂ©e et dĂ©corĂ©e par son successeur, TibĂšre II (r. 578 â 582) [3]. Selon la Suda, ouvrage grec de rĂ©fĂ©rences de la fin du Xe siĂšcle, elle serait due Ă Justin Ier (5. 518 â 527), alors que selon la Patria de Constantinople[N 1], elle serait lâĆuvre de lâempereur Marcien (r. 450 â 457). Selon lâhistorien Jean Zonaras, thĂ©ologien et historien byzantin du XIIe siĂšcle, Justin II aurait en fait reconstruit un Ă©difice prĂ©existant Ă partir du palais dâHormisdas datant de Justinien Ier (r. 527 â 565)[4]. AprĂšs la pĂ©riode iconoclaste de lâEmpire byzantin, la salle fut embellie successivement par les empereurs Michel III (r. 842 â 867) et Basile Ier (r. 866 â 886). Contrairement aux Ă©difices de lâaile de DaphnĂ© du Grand Palais qui ne servaient quâĂ un seul usage, le Chrysotriklinos combinait les fonctions de salle du trĂŽne lors de rĂ©ceptions et dâaudiences, ainsi que celle de salle de banquet[4] - [5]. Comme les appartements impĂ©riaux lui Ă©taient contigus, la salle devint le lieu privilĂ©giĂ© des cĂ©rĂ©monies quotidiennes du palais au point oĂč Constantin VII PorphyrogĂ©nĂšte (r. 945 â 959) sây rĂ©fĂšre simplement comme « le palais » [6]. Plus prĂ©cisĂ©ment, le De Ceremoniis mentionne quâil servait pour la rĂ©ception des ambassades Ă©trangĂšres, pour la remise des titres et dignitĂ©s, ainsi que comme point de rassemblement pour diffĂ©rents festivals religieux, en plus de se transformer en salle de banquet lors de grandes fĂȘtes comme PĂąques [7].
Le Chrysotriklinos devint ainsi le centre du nouveau Palais de Boukoleon, lorsque lâempereur NicĂ©phore II (r. 963 â 969) fit fortifier la partie sud du Grand Palais en direction de la mer. Toutefois, Ă partir du XIe siĂšcle, les empereurs dĂ©laissĂšrent le Boukoleon en faveur du palais des Blachernes situĂ© dans la partie nord-ouest de la ville[4]. AprĂšs la chute de Constantinople aux mains des latins lors de la QuatriĂšme Croisade, les empereurs latins (1204 â 1261) utilisĂšrent principalement le Boukoleon, ce que fit Ă©galement, du moins pour un temps, Michel VIII PalĂ©ologue (r. 1259 â 1282) pendant que le palais des Blachernes Ă©tait restaurĂ©. On trouve mention du Chrysotriklinos pour la derniĂšre fois en 1308, quoique les ruines du Grand Palais subsistĂšrent jusquâĂ la fin de lâEmpire byzantin[4].
Description
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En dĂ©pit de son importance et de frĂ©quentes mentions dans les textes byzantins, aucune description complĂšte nâa Ă©tĂ© faite du Chrysotriklinos[3]. Toutefois, si lâon rassemble ce quâen disent les sources, il semble quâil sâagissait de huit espaces voutĂ©s (ÎșÎ±ÎŒÎŹÏαÎč) qui ouvraient sur une salle octogonale couronnĂ©e par un dĂŽme[8] - [N 2]. De ces huit petites salles, une seule constituait une vĂ©ritable abside (ÎșÏÎłÏη), les autres Ă©tant simplement des renfoncements fermĂ©s par des rideaux[6] - [2]. Les arches qui surmontaient ces espaces supportaient un toit percĂ© de seize fenĂȘtres (probablement deux pour chacune des huit petites salles attenantes[9]). La forme et le caractĂšre dâensemble du Chrysotriklinos devaient ĂȘtre utilisĂ©s plus tard par Charlemagne dans la construction de la chapelle palatine du palais dâAix-la-Chapelle quoique le modĂšle immĂ©diat ait probablement Ă©tĂ© San Vitale de Ravenne, situĂ©e Ă lâintĂ©rieur de son royaume[10] La grande diffĂ©rence toutefois Ă©tait que ces Ă©difices constituaient des structures indĂ©pendantes, alors que le Chrysotriklinos constituait un lieu de passage entre divers Ă©difices auxquels on accĂ©dait par des portes situĂ©es dans les petites salles voutĂ©es[11].
Ă lâintĂ©rieur, le trĂŽne Ă©tait situĂ© sur le cĂŽtĂ© est (le bÄma) derriĂšre une balustrade de bronze. Ă sa gauche (nord) se trouvait lâ « oratoire de saint ThĂ©odose » oĂč Ă©taient conservĂ©es la couronne de lâempereur de mĂȘme que diverses reliques dont le bĂąton dont MoĂŻse sâĂ©tait servi pour sĂ©parer les eaux du Nil ; lâempereur sâen servait Ă©galement lorsquâil devait changer de vĂȘtements[3]. Ă lâopposĂ© (sud) se trouvait lâentrĂ©e principale et le vestibule extĂ©rieur (Tripeton) oĂč se trouvait lâHorologion (probablement appelĂ© ainsi parce quâil contenait un cadran solaire) et par lequel on accĂ©dait aux salles du Lausiakos et du Justinianos, toutes deux attribuĂ©es Ă Justinien II (r. 685-695 et 705-711). Ă gauche des portes de lâouest se trouvait le Diaitarikion, antichambre Ă la disposition du papias, intendant du palais, oĂč celui-ci dĂ©posait les clĂ©s, symbole de son office, aprĂšs lâouverture solennelle de la salle chaque matin. Suivaient, en remontant vers le nord le Pantheon servant dâantichambre pour les hauts-fonctionnaires attendant dâĂȘtre convoquĂ©s. CĂŽtĂ© sud, on accĂ©dait aux appartements privĂ©s (KoitĆn) de lâempereur et de lâimpĂ©ratrice par une porte dâargent installĂ©e par Constantin VII[6]. Lors des grands banquets, les choristes dâHagia Sophia et des Saints-ApĂŽtres Ă©taient disposĂ©s de part et dâautre de la salle, les uns devant lâentrĂ©e du KoitĆn, les autres leur faisant face devant le Pantheon[12] - [13].
On ne sait rien de la dĂ©coration telle quâelle existait originellement au VIe siĂšcle. AprĂšs la fin de la pĂ©riode iconoclaste toutefois, elle fut refaite entre 856 et 866 et Ă©tait essentiellement constituĂ©e de mosaĂŻques monumentales[6] - [14]. Au Xe siĂšcle, lâambassadeur Liutprand de Cremone nâhĂ©sitait pas Ă parler de cette salle comme « de la plus belle du palais »[3]. Au-dessus du trĂŽne impĂ©rial se trouvait une image du Christ lui-mĂȘme assis sur un trĂŽne, alors quâau-dessus de lâentrĂ©e principale figurait la Vierge Marie en compagnie de lâempereur Michel III, avec prĂšs dâeux le patriarche Photios. Lâensemble de la dĂ©coration se voulait ainsi une analogie entre la cour du Christ dans les cieux et celle de son reprĂ©sentant sur la terre dans lâempire [5].
La salle contenait des meubles de prix comme le Pentapyrgion (litt: les cinq tours), une armoire construite par lâempereur ThĂ©ophile (r. 829 â 842) exposant des vases prĂ©cieux, des couronnes et autres objets de valeur[15]. Lors de banquets impĂ©riaux, la banquette principale pouvait accueillir trente convives; deux autres banquettes pouvaient accueillir dix-huit dignitaires chacune. Ă lâoccasion, lâempereur avait sa propre table, sĂ©parĂ©e des autres[9]. Lors dâoccasions spĂ©ciales, on dĂ©ployait toutes les splendeurs dâapparat; câĂ©tait le cas par exemple pour les banquets donnĂ©s en lâhonneur dâambassadeurs arabes et qui sont dĂ©crites dans le De Ceremoniis. Lâillumination se faisait alors par de grands chandeliers qui jetaient leur lumiĂšre sur les emblĂšmes impĂ©riaux, les reliques et autres objets prĂ©cieux venus de diverses Ă©glises et qui Ă©taient disposĂ©s sur les cĂŽtĂ©s pendant que le repas se faisait au son de deux orgues dâor et deux dâargent placĂ©s dans une galerie accompagnant les chĆurs de la cathĂ©drale Hagia Sophia et de lâĂ©glise des Saints-ApĂŽtres[16].
Le Chrysotriklinos, cĆur de la vie de cour
AprĂšs lâoffice des matines cĂ©lĂ©brĂ©e dans le Lausiakos, le commandant de la garde et le papias se rendaient Ă la porte de Skyla pour lâouverture du palais. Ceci fait, les gardes y demeuraient en faction pendant que leur commandant retournait au Lausiakos et que le papias dĂ©posait ses clĂ©s dans la petite salle voutĂ©e qui lui servait dâantichambre. Les serviteurs dĂ©posaient alors le skaramangion[N 3] sur une banquette.
La premiĂšre heure du jour Ă©tant terminĂ©e, lâintendant principal se rendait devant les portes dâargent du KoitĆn impĂ©rial oĂč il frappait Ă trois reprises. Lorsque lâempereur Ă©tait prĂȘt, les serviteurs lui apportaient le skaramangion quâil revĂȘtait avant dâaller prier devant lâimage du Christ au-dessus du trĂŽne impĂ©rial aprĂšs quoi il sâasseyait les jours ordinaires sur un siĂšge dâor (sellion) disposĂ© Ă droite du trĂŽne vide lequel, au centre, reprĂ©sentait lâautoritĂ© suprĂȘme de Dieu. Il commandait alors au papias dâaller chercher le logothĂšte qui attendait au Lausiakos. Ă son arrivĂ©e et aprĂšs que les rideaux aient Ă©tĂ© ouverts devant lui, le logothĂšte se prosternait devant lâempereur.
AprĂšs Ă©tude des diffĂ©rents dossiers, gĂ©nĂ©ralement vers la troisiĂšme heure, le renvoi des personnes convoquĂ©es (« minsai », du latin « missa ») Ă©tait signalĂ©e par le papias qui, prenant ses clĂ©s sur le banc oĂč elles avaient Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es, les entrechoquait en sortant.
Les dimanches ordinaires, aprĂšs la liturgie de saint Basile cĂ©lĂ©brĂ©e dans le Lausiakos, si lâempereur le dĂ©sirait, une procession se dirigeait vers le Chrystotriklinos oĂč les fonctionnaires prenaient leur siĂšge pendant que le papias Ă©numĂ©rait les noms des personnes invitĂ©es au banquet impĂ©rial. Le papias entrechoquait alors ses clĂ©s pour marquer la fin de la cĂ©rĂ©monie et seuls demeuraient les invitĂ©s.
Les banquets dâenvergure avaient lieu dans le Chrysotriklinos et dans le Ioustinianos attenant. Lâempereur et sa famille, ainsi que les invitĂ©s spĂ©ciaux prenaient place Ă la grande table, pendant que les autres invitĂ©s Ă©taient placĂ©s selon leur rang aux autres tables, lâimportance de chacun Ă©tant symbolisĂ©e par la distance le sĂ©parant de la personne impĂ©riale. Lors dâoccasions importantes, les orgues annonçaient les plats servis pendant que les choristes placĂ©s de part et dâautre de la salle se faisaient entendre et que les factions du cirque ayant depuis longtemps perdu leur vocation sportive exĂ©cutaient des danses[17].
Bibliographie
Sources primaires
- Constantin VII PorphyrogénÚte. De Ceremoniis. Paris, Les Belles Lettres, 1967.
- Zonaras, « Ioannes Zonaras », Patrologia Graeca, Brepol Verlag, vol. 134, 1864 (ISBN 978-2-503-14342-2).
Sources secondaires
- (en) Cormack, Robin. "But is it Art?". In Hoffman, Eva Rose F. (ed.). Late antique and medieval art of the Mediterranean world. Wiley-Blackwell., 2007. (ISBN 978-1-4051-2071-5).
- (en) Featherstone, Michael. âSpace and Ceremony in the Great Palace of Constantinople under the Macedonian Emperorsâ. Spoleto, Centro Italiano di Studi SullâAlto Medioevo, 2015. [en ligne] https://www.Academia.edu/Space_and_Ceremony_in_the_Great_Palace_o%20(1).pdf.
- (en) Featherstone, Michael. « The Chrysotriklinos seen through De Ceremoniis ». (in) Zwischen Polis, Provinz und Peripherie. BeitrÀge zur byzantinischen Kulturgeschichte [= Mainzer Veröffentlichungen zur Byzantinistik 7], Wiesbaden, . L. Hoffmann, 2005, pp. 845-852 [en ligne] https://www.academia.edu/564881/The_Chrysotriklinos_as_Seen_through_De_Cerimoniis.
- (de) Featherstone, Michael. « Der GroĂe Palast von Konstantinopel:Tradition oder Erfindung? » . Byzantinische Zeitschrift Bd. 106/1, 2013: I. Abteilung. [en ligne] https://www.academia.edu/4808138/Der_Grosse_Palast_von_Konstantinopel_Tradition_oder_Erfindung.
- (en) Fichtenau, Heinrich (1978). The Carolingian empire. Toronto, University of Toronto Press, 1978. (ISBN 978-0-8020-6367-0).
- (en) Kazhdan, Alexander, ed. (1991). The Oxford Dictionary of Byzantium. Oxford and New York, Oxford University Press, 1991. (ISBN 0-19-504652-8).
- (en) Kostenec, Jan. "Chrysotriklinos". (in) Encyclopedia of the Hellenic World, Constantinople. 2008-04-06, Retrieved 2009-09-20.
- (en) Mango, Cyril A. (1986). The Art of the Byzantine Empire 312-1453: Sources and Documents. Toronto, University of Toronto Press, 1986. (ISBN 978-0-8020-6627-5).
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Chrysotriklinos » (voir la liste des auteurs).
Notes
- Collection de textes sur l'histoire et les monuments de Constantinople datant également de la fin du Xe siÚcle mais généralement peu fiable.
- On retrouve ce mĂȘme genre dâarchitecture Ă lâĂ©glise des Saints-Serge-et-Bacchus prĂšs de lĂ et Ă la basilique San Vitale de Ravenne
- Tunique avec ceinture et longues manches, fendue sur le devant et lâarriĂšre ou sur les cĂŽtĂ©s.
Références
- Featherstone (2015) pp. 588, 594-595
- Featherstone (2005) pp. 833-835
- Cormak (2004) p. 304
- Kostenec (2008), "Chrysotriklinos"
- Cormak (2007) p. 305
- Cormak (2007) pp. 304 -305
- Kazdhan (1991) vol.1, « Chrysotriklinos », p. 455
- De Ceremoniis, II, 15
- Kazdhan (1991) p. 455
- Fichtenau (1978) p. 68.
- Featherstone (2005) p. 836
- De Ceremoniis, II, 15, 585, 10-14
- Featherstone (2005) p. 839
- Mango (1986) p. 184
- Kazdhan (1991) p. 455-456
- Cormak (2007) p. 306
- Featherstone (2015) pp. 599-601
Voir aussi
Liens externes
- Byzantium 1200. 3D Reconstruction of the building. [en ligne] http://byzantium1200.com/chrysotriklinos.html.
- The Buildings of Constantinople. YouTube. [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=JzZp-qAYCZg.