Chimie click
Dans le domaine de la synthÚse chimique, la chimie clic, ou chimie click (click chemistry en anglais ou plus communément tagging) est une classe de réactions chimiques biocompatibles utilisées pour joindre à un substrat choisi une biomolécule spécifique (le click peut évoquer le bruit imaginaire d'un clipsage d'une molécule sur l'autre).
La notion de chimie clic ne dĂ©crit pas simplement l'utilisation de rĂ©actions spĂ©cifiques (rĂ©actions de couplage ou plus complexes telles que des rĂ©actions de cycloaddition par clic), mais aussi une façon de gĂ©nĂ©rer des « produits » en s'inspirant des exemples de la nature (elle s'inscrit pour partie dans le biomimĂ©tisme), pour par exemple gĂ©nĂ©rer des biopolymĂšres (ou d'autres molĂ©cules d'intĂ©rĂȘt biochimique) en regroupant de petites unitĂ©s modulaires (en quelque sorte clipsables entre elles)[1].
Contextes d'utilisation
La chimie clic concerne souvent le vivant et la chimie verte, mais n'est pas strictement limitée au contexte biologique : le concept d'une réaction en « clic » a aussi été utilisé pour des applications pharmacologiques, de marquage (ex. : le marquage de protéines au carbone 11 et au fluor 18[2]) et diverses applications biomimétiques. Cependant cette méthode s'est montrée notablement utile dans la détection, la localisation et la qualification de biomolécules. Elle peut contribuer à la production de cristaux liquides[3].
La nanomédecine, les nanomatériaux et les nanotechnologies sont d'autres domaines d'utilisation[4] - [5].
ĂlĂ©ments de dĂ©finition
Le plus souvent, la chimie clic fait se joindre une biomolĂ©cule d'intĂ©rĂȘt (protĂ©ine) et une autre molĂ©cule (dite « reporter »).
Elles fonctionnent mĂ©taphoriquement comme un clipsage « Ă ressort » â caractĂ©risĂ©es par une forte force motrice thermodynamique qui conduit rapidement et de façon irrĂ©versible Ă un rendement Ă©levĂ© d'un seul produit de rĂ©action, avec une forte spĂ©cificitĂ© (parfois avec les deux rĂ©gio- et stĂ©rĂ©ospĂ©cificitĂ©).
Selon Sharpless, une « rĂ©action clic » souhaitable doit ĂȘtre[6] :
- modulaire ;
- Ă l'Ă©chelle ;
- Ă hauts rendements chimiques ;
- propre (ne générer que des sous-produits inoffensifs) ;
- stéréospécifique ;
- physiologiquement stable ;
- dotée d'une grande force motrice thermodynamique (> 84 kJ/mol) à la faveur d'une réaction avec un seul produit de réaction (une réaction nettement exothermique fait un réactif « à ressort ») ;
- économe en atomes (cf. « atom economy »).
Le processus devrait idéalement :
- nécessiter des conditions de réaction simples ;
- ne nécessiter que des matériaux et réactifs facilement disponibles ;
- ne pas nécessiter de solvant ou alors un solvant bénin (de préférence de l'eau) ;
- fournir des produits faciles à détecter ou isoler par des méthodes non-chromatographiques (cristallisation ou distillation).
Plusieurs de ces critĂšres sont subjectifs, et mĂȘme si des critĂšres mesurables et objectifs sont susceptibles d'ĂȘtre acceptĂ©s, il est peu probable que la rĂ©action sera parfaite pour chaque situation et chaque application. Mais plusieurs types de rĂ©actions ont Ă©tĂ© identifiĂ©s qui semblent mieux rĂ©pondre Ă ces critĂšres que d'autres :
- cycloadditions [3+2] comme la cycloaddition 1,3-dipolaire de Huisgen, en particulier catalysée par le Cu(I) et par étapes variantes[7] ;
- réaction thiol-Úne[8] - [9] ;
- réaction de Diels-Alder et réaction de Diels-Alder à demande d'électrons inverse (en)[10] ;
- cycloadditions [4+1] entre les isonitriles (isocyanides) et tétrazines[11] ;
- substitution nucléophile (en particulier pour de petits composés d'époxyde[12] et aziridine) ;
- des réactions de chimie-carbonyl comme la formation des urées, mais pas les réactions de type aldol en raison de leur faible force thermodynamique motrice ;
- des réactions d'addition à liaison double carbone-carbone comme la dihydroxylation ou les alcynes dans la réaction thiol-yne (en).
IntĂ©rĂȘt, spĂ©cificitĂ©s
Les rĂ©actions clic se produisent en synthĂšse monotope. Elles ne sont pas gĂȘnĂ©es par l'eau. Elles ne gĂ©nĂšrent que trĂšs peu de sous-produits (qui sont par ailleurs inoffensifs).
Ces qualitĂ©s rendent ces rĂ©actions particuliĂšrement adaptĂ©es aux besoins d'isolement et de ciblage de molĂ©cules complexes dans les milieux biologiques oĂč les rĂ©actions doivent ĂȘtre physiologiquement stables et biocompatibles (tous les sous-produits doivent ĂȘtre non toxiques (in vivo et pas seulement in vitro). Elles sont Ă©galement adaptĂ©es Ă la vectorisation de principes actifs (mĂ©dicaments) vers une molĂ©cule prĂ©cise dans l'organisme ou vers un type prĂ©cis de cellules.
En dĂ©veloppant des rĂ©actions bioorthogonales spĂ©cifiques et contrĂŽlables, les scientifiques ont aussi ouvert la possibilitĂ© de cibler des objectifs particuliers dans les lysats cellulaires complexes. RĂ©cemment, on a ainsi pu adapter des rĂ©actions clic au milieu interne de cellules vivantes, dont Ă l'aide de trĂšs petites molĂ©cules-sondes (Affimer, qui sont des sortes d'anticorps artificiels). Ces molĂ©cules peuvent trouver leurs cibles et s'y fixer (clic). MalgrĂ© les dĂ©fis posĂ©s par la permĂ©abilitĂ© de la cellule et les rĂ©actions du systĂšme immunitaire, les rĂ©actions clic ont dĂ©jĂ prouvĂ© leur utilitĂ© dans une nouvelle gĂ©nĂ©ration d'expĂ©riences d'immunoprĂ©cipitation et en spectromĂ©trie de fluorescence (oĂč un fluorophore est attachĂ© Ă une cible d'intĂ©rĂȘt qui peut alors ĂȘtre quantifiĂ©e et/ou localisĂ©e).
Plus rĂ©cemment, d'autres mĂ©thodes nouvelles ont Ă©tĂ© utilisĂ©es pour incorporer des Ă©lĂ©ments « chimio-cliquables » sur et dans des biomolĂ©cules, y compris pour l'incorporation d'acides aminĂ©s non naturels contenant des groupes protĂ©iques rĂ©actifs en protĂ©ines et des nuclĂ©otides modifiĂ©s. Ces techniques reprĂ©sentent une partie du domaine de la biologie chimique, et de la biologie synthĂ©tique oĂč la chimie clic joue un rĂŽle fondamental en permettant des couplages plus intentionnels et prĂ©cis d'unitĂ©s modulaires, Ă des fins diverses.
Histoire
Le terme de click chemistry a été inventé par K. Barry Sharpless, chimiste de l'Institut de recherche Scripps en 1998.
Il n'a été décrit par Sharpless, avec Hartmuth Kolb et M.G Finn, qu'en 2001, comme une méthode chimique permettant de générer « sur mesure » des substances par couplage de petites unités de maniÚre rapide, efficace et reproductible[6] - [13].
ArriĂšre-plan
La chimie clic est une mĂ©thode de fixation d'une sonde ou d'un Ă©lĂ©ment d'intĂ©rĂȘt Ă une biomolĂ©cule, via un processus (le clic) qui est une conjugaison biochimique (ou « bioconjugaison »).
La possibilité offerte d'attacher des fluorophores et d'autres « molécules reporters » a fait de la chimie clic un outil puissant pour l'identification, la localisation et la caractérisation à la fois d'anciennes et de nouvelles biomolécules.
Comme avec les autres mĂ©thodes, l'insertion d'une molĂ©cule (fluorophore par exemple), mĂȘme de petite taille dans une protĂ©ine d'intĂ©rĂȘt, peut affecter ses fonctions et son expression (car elle affecte la forme de la protĂ©ine et Ă©ventuellement son repliement, surtout si la fixation se fait sur une partie fonctionnellement importante de la protĂ©ine cible).
Pour surmonter ou contourner ces dĂ©fis, les chimistes ont choisi de procĂ©der en identifiant prĂ©alablement des paires de molĂ©cules « partenaires » pouvant interagir selon des rĂ©actions bioorthogonales. Ceci leur permet d'utiliser des molĂ©cues exogĂšnes trĂšs petites comme sondes biomolĂ©culaires. Un fluorophore peut ĂȘtre rattachĂ© Ă l'une de ces sondes pour donner un signal de fluorescence lors de la liaison de la molĂ©cule rapporteur de la cible.
Exemple : cycloaddition azoture-alcyne catalysée par le cuivre(I) (CuAAC)
Une réaction clic classique[14] - [15] est la réaction catalysée par le cuivre(I) d'un azoture avec un alcyne, qui fournit un triazole 1,4 disubstitué. De telles réactions (cycloadditions) ont été signalées par Arthur Michael dÚs 1893[16]. Plus tard, vers le milieu du XXe siÚcle, cette famille de cycloadditions 1,3-dipolaire a pris le nom d'« Huisgen » aprÚs des études de leur cinétique et conditions de réactions.
La catalyse de la cycloaddition de Huisgen 1,3 dipolaire par des sels de cuivre(I) a été découverte simultanément et indépendamment par les groupes de Valery V. Fokine et K. Barry Sharpless à l'Institut de recherche Scripps en Californie[17] et Morten Meldal dans le Laboratoire de Carlsberg, Danemark[18]. La version catalysée de cette réaction ne donne que de l'isomÚre 1,4 du triazole résultant, tandis que la réaction de Huisgen classique offre à la fois les isomÚres 1,4 et 1,5, est lente et nécessite une température de 100 °C[16].
Notes et références
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Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
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