Brundibár
Brundibár est un opéra pour enfants écrit par Adolf Hoffmeister et le compositeur tchèque-allemand Hans Krása en 1938. Il fut interprété clandestinement pour la première fois en 1942 à Prague, dans un orphelinat juif de la rue Belgická[1], et connut son premier succès lors de ses représentations dans le camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie occupée. En tchèque commun, Brundibár désigne un bourdon et dans cette pièce il s'agit d’un personnage de méchant, un joueur d’orgue de barbarie inspiré d’Adolf Hitler.
Fable
La fable de l’opĂ©ra reprend des Ă©lĂ©ments des contes Hansel et Gretel et Les Musiciens de BrĂŞme. Aninka et PepĂÄŤek sont frères et sĹ“urs, orphelins de père. Leur mère est malade et le mĂ©decin dit qu’elle a besoin de lait. Mais les enfants n'ont pas d’argent. Ils dĂ©cident de chanter sur la place du marchĂ© pour en avoir. Mais le tyrannique Brundibár les pourchasse et Ă©touffe leurs chants avec son orgue de barbarie. Avec l’aide des enfants des rues, d’un oiseau vif, d’un chat gourmand (d’oiseaux) et d’un chien savant, Aninka et PepĂÄŤek vont chercher Ă s'en dĂ©barrasser…
Contexte historique
Krása et Hoffmeister Ă©crivirent l’opĂ©ra en 1938 pour un concours lancĂ© par le Ministère de l’enseignement et de l’éducation populaire, mais celui-ci fut annulĂ© Ă la suite des bouleversements politiques (invasion de la TchĂ©coslovaquie la mĂŞme annĂ©e). NĂ©anmoins, les premières rĂ©pĂ©titions eurent lieu Ă l’orphelinat juif de Prague, utilisĂ© comme lieu d’accueil et d’école pour les enfants sĂ©parĂ©s de leurs parents par la guerre. En hiver 1942 eut lieu la première reprĂ©sentation, en mĂŞme temps que Krása et le scĂ©nographe František Zelenka Ă©taient dĂ©portĂ©s Ă TerezĂn. En juillet 1943, presque tous les enfants du chĹ“ur original ainsi que tout le personnel de l’orphelinat furent dĂ©portĂ©s Ă leur tour. Seul le librettiste Hoffmeister put s’échapper de Prague Ă temps.
Au camp, Krása reconstitue la partition de l’opĂ©ra Ă partir de la partition apportĂ©e dans ses bagages par le directeur de l'orphelinat juif, Rudolf Freudenfeld[1]. Il adapte l’opĂ©ra aux instruments disponibles dans le camp de concentration : flĂ»te, clarinette, guitare, accordĂ©on, piano, percussions, quatre violons, violoncelle et contrebasse. Un dĂ©cor est recrĂ©Ă© par František Zelenka, ancien metteur en scène du Théâtre national chargĂ© des dĂ©cors lors de la reprĂ©sentation de 1942 : peints au fond des baraquements, les panneaux possèdent des trous dans lesquels les chanteurs peuvent insĂ©rer la tĂŞte pour reprĂ©senter des chats, des chiens et des oiseaux. Le , c'est la première de Brundibár Ă TerezĂn. Une des dernières phrases du livret est rĂ©Ă©crite par le poète Emile Saudek pour accentuer le message d'appel Ă la lutte contre le nazisme. Le spectacle est dirigĂ© par Zelenka, chorĂ©graphiĂ© par Camilla Rosenbaum et fut reprĂ©sentĂ© 55 fois dans l’annĂ©e qui suivit.
Une reprĂ©sentation de Brundibár eut lieu en 1944 pour une visite du camp par la Croix-Rouge organisĂ©e par le Reich pour nier l’existence des camps. Ce que ne savaient pas les reprĂ©sentants de la Croix-Rouge Ă l’époque, c'est que l’intĂ©gralitĂ© de leur visite Ă©tait une mise en scène : le camp avait Ă©tĂ© amĂ©nagĂ© en "ghetto confortable". Ă€ l’approche de la visite, un grand nombre de rĂ©sidents furent transfĂ©rĂ©s au camp d’Auschwitz pour donner une meilleure image du camp, bondĂ© auparavant. Certaines pièces furent repeintes et des fausses boutiques furent amĂ©nagĂ©es Ă la hâte. Plus tard, l’opĂ©ra fut filmĂ© dans Theresienstadt un film de propagande nazi, pour faire croire Ă une vie agrĂ©able dans les camps. Des extraits y figurent dans le documentaire Voices of the Children, dans lequel les survivants alors choristes Zuzana Justman et Ela Weissberger reviennent sur leur vie au camp de TerezĂn.
La plupart des participants à cette production, dont le compositeur et l’acteur Kurt Gerron qui réalisa le film de propagande sous la contrainte, périrent peu après leur arrivée à Auschwitz.
Symbolique
L’opéra aboutit sur la victoire des démunis solidaires sur un homme tyrannique et égoïste, mais ne fait pas directement référence au contexte historique. La réécriture de quelques phrases au camp laisse toutefois quelques sous-entendus anti-nazis très implicites. Si, en 1938, le texte contient des notions de valeurs patriotiques, celles-ci sont effacées par la suite et remplacées par celles de justice.
Adaptations
En livre pour enfants
En 2003, l’opéra est adapté en livre pour enfants par Tony Kushner, avec des illustrations de Maurice Sendak. La symbolique anti-nazie y est renforcée, et Brundibár affublé d’une moustache en brosse à dents comme celle de Hitler. Kushner et Sendak ré-adapteront en 2004 l’album en opéra. La mise en scène et la scénographie sont confiées à Sendak, et Kushner rédige le livret.
En pièce de théâtre
L’opĂ©ra est adaptĂ© en 2013 en une pièce de théâtre Ă©crite par Jaromir Knittl : Pour ne jamais oublier ou le Cabaret Brundibár de TerezĂn.
Une suite
L'écrivaine suisse Dominique Caillat a écrit trois scènes, Prolog, Szene et Epilog, qui constituent une suite de Brundibár.
Représentations
Brundibár a été créé pour la première fois aux États-Unis en 1975, à l'initiative de Joža Karas, violoniste tchèque d’origine polonaise auteur du premier ouvrage sur le camp. Avec son épouse Milada, Karas établit la première traduction anglaise du livret, publiée en 1993 par Tempo Praha (revue et corrigée en 1998). L’œuvre a été créée en Allemagne en 1985 au lycée de jeunes filles St Ursula de Fribourg-en-Brisgau. En 2000, la Fédération des Jeunesses Musicales impulse un projet autour de Brundibár, comportant l’enregistrement de l'opéra en version française par les élèves de l'Académie de musique d'Evere sous la direction d'Eric Lederhandler. Le dossier pédagogique constitué pour l'occasion est accompagné d'interviews d’interprètes survivants[2]. En mai 2013, le centre culturel Charlie Chaplin de Vaulx-en-Velin, avec le chœur de la Formation musicale de cycle I du conservatoire de Musique et de Danse de la ville et du collège Jean de Verrazane de Lyon 9ème, a donné deux représentations. Elles ont été dirigées par Delphine Ardiet, Dewy Besson, Isabelle Besson et mises en scène par Dominique Lurcel[3] - [4]. En mai 2019, la Philharmonie de Paris, avec le chœur d'enfants de l'Orchestre de Paris, dirigé par Lionel Sow, a donné quatre représentations mises en scène par Olivier Letellier et Guillaume Servely[5] - [6].
Notes et références
- « Brundibár », sur holocaustmusic.ort.org (consulté le )
- Anne Carré, Fédération des Jeunesses Musicales de la Communauté française, Brundibár. Un opéra chargé d’histoire… Le camp-ghetto de Theresienstadt (1941-1945). Mémoire du présent, Bruxelles, Fédération des Jeunesses Musicales de la Communauté française, , 93 p.
- Brundibar : Musique près de Lyon
- ARCHIVE Brundibar primé / Cultures / Actualités / Journal / Vaulx-en-Velin
- Aliette de Laleu, « Brundibar, opĂ©ra jouĂ© en 1943 dans le camp de TerezĂn, arrive Ă Paris », sur France Musique, (consultĂ© le )
- « Brundibar - Hans Krása », sur Philharmonie de Paris (consulté le )