Bataille d'Andrinople (1205)
La bataille d'Andrinople eut lieu les 13 et entre les troupes bulgares menées par le tsar Kaloyan, et celles de l'empereur Baudouin Ier ainsi que ses alliés vénitiens conduits par le doge Enrico Dandolo. La victoire revint aux Bulgares grùce à une embuscade menée avec l'aide de leurs alliés coumans.
Date | 13 avril-14 avril 1205 |
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Lieu | Andrinople (actuelle Edirne) |
Issue |
Victoire bulgare décisive Capture de l'empereur Baudouin Ier |
Empire latin de Constantinople | Bulgarie |
Baudouin Ier | Kaloyan |
Latins : probablement pas plus de 3 000/4 000 dont environ 300 chevaliers | « Puissante armée composée de Valaques, Bulgares et 14 000 Coumans » |
Une bonne partie de lâarmĂ©e dont presque tous les chevaliers | Inconnues mais faibles |
CoordonnĂ©es | 41° 40âČ 00âł nord, 26° 34âČ 00âł est |
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Cette bataille nous est principalement connue grĂące Ă la chronique de Geoffroi de Villehardouin.
Le contexte
Ă la suite de la quatriĂšme croisade et de la prise de Constantinople, les croisĂ©s et les VĂ©nitiens s'Ă©taient partagĂ© lâancien Empire byzantin qu'ils avaient remplacĂ© par un empire latin dont Baudouin de Flandre avait pris la tĂȘte, recevant une partie de la ville ainsi que le quart de tout le territoire de lâempire, essentiellement la Thrace et le nord-ouest de lâAsie mineure jouxtant la capitale. Les autres chefs croisĂ©s partirent alors Ă la conquĂȘte des territoires quâils avaient reçus sur papier. Ainsi, Boniface de Montferrat sâinstalla en MacĂ©doine et Thessalie. Grande gagnante de cette aventure, Venise prit possession de Dyrrachium et de Raguse sur la cĂŽte adriatique et de diverses iles favorisant son commerce maritime[1]. Le comte Louis de Blois, qui nâavait pu prendre part Ă la capture de Constantinople en raison de maladie, fut fait duc de NicĂ©e en Asie mineure que sâapprĂȘta Ă conquĂ©rir le frĂšre du roi, Henri de Hainaut[2] - [3].
Dans la Bulgarie voisine, depuis quelques annĂ©es dĂ©jĂ , Jean Kalojan Ă©tait en nĂ©gociations avec le pape Innocent III pour rĂ©unir lâĂglise bulgare et valaque Ă lâĂglise catholique. En 1202, il avait proposĂ© au pape quâen Ă©change dâune telle union, lui-mĂȘme se voit concĂ©der le titre de « tsar » et quâun patriarche soit nommĂ© Ă TÄrnovo comme archevĂȘque-primat dâune Ă©glise autonome. Le pape se refusant Ă lui concĂ©der plus que le titre de « rex Bulgarorum et Blachorum» (rois des Bulgares et des Valaques), Kalojan sâĂ©tait tournĂ© vers Alexis III Ange qui acceptait non seulement de le reconnaĂźtre comme « tsar » (empereur) mais Ă©galement promettait la crĂ©ation dâun patriarcat autonome.
LâarrivĂ©e des Latins modifiait considĂ©rablement la situation, dâautant plus que ceux-ci revendiquaient certains territoires bulgares, franchissant la frontiĂšre et se livrant au pillage. Kalojan dĂ©cida alors de chercher des alliĂ©s au sein de lâaristocratie rurale byzantine de Thrace, laquelle heurtĂ©e de front par lâattitude hostile des Latins, se rebellait dĂ©jĂ contre ceux-ci. Au printemps 1205, Ă Didymotique, Ă Andrinople (dĂ©tenue par les VĂ©nitiens) et dans diverses autres villes de Thrace, les garnisons latines furent massacrĂ©es ou durent se retirer[4]. Les Ă©lites grecques appelĂšrent alors Ă lâaide Kalojan lui proposant la couronne impĂ©riale[5].
Constatant que la rĂ©volte se gĂ©nĂ©ralisait, lâempereur Baudouin Ier donna ordre Ă son frĂšre Henri de revenir dâAsie mineure avec ses troupes, pendant que Louis de Blois, remis de sa maladie, rappela ses gens Ă©galement partis Ă la conquĂȘte de leurs territoires[6]. Un premier contingent commandĂ© par Geoffroi de Villehardouin partit immĂ©diatement et attendit lâempereur Ă Neguise[N 1] - [7].
La bataille
Attendant toujours les troupes de son frĂšre, lâempereur ne put se mettre en route quâau printemps 1205 aprĂšs lâarrivĂ©e dâune centaine de chevaliers venant de NicomĂ©die. Il partit alors rejoindre Geoffroy de Villehardouin et atteignit Andrinople Ă la fin de mars. Mais vu le petit nombre des chevaliers qui les accompagnaient, Villehardouin et lâempereur dĂ©cidĂšrent dâassiĂ©ger la ville bien dĂ©fendue par les troupes bulgares plutĂŽt que de lâattaquer[8]. Peu aprĂšs arriva le doge Enrico Dandolo dont les troupes Ă©taient aussi importantes que celles de lâempereur et de Louis de Blois rĂ©unies[9].
Partie sans grands prĂ©paratifs de Constantinople, lâarmĂ©e latine manquait non seulement dâhommes pour cette entreprise mais Ă©galement dâapprovisionnement. Pour remĂ©dier Ă la chose, le comte Louis de Blois dĂ©cida dâaller faire razzia jusquâau chĂąteau appelĂ© Pentace, dĂ©fendu par des Grecs qui repoussĂšrent lâassaut des Latins. Revenus bredouilles au camp, les chevaliers passĂšrent la semaine sainte Ă fabriquer des machines de guerre et Ă creuser des tranchĂ©es sous les murs de la ville[10], plaçant devant chaque porte de la ville une unitĂ© comprenant un contingent du doge Dandolo.
Câest alors que les Latins apprirent que le tsar bulgare, venant au secours des Grecs, sâavançait avec « une puissante armĂ©e composĂ©e de Bulgares, Valaques et dâenviron quatorze mille Coumans[11]»; il sâarrĂȘta Ă environ 25 kilomĂštres au nord-est de la ville, le . Il fut alors dĂ©cidĂ© que Geoffroy de Villehardouin et ManassĂ©e de Lisle demeureraient Ă la garde du camp pendant que lâempereur et le surplus de lâarmĂ©e irait attendre Kalojan au cas oĂč celui-ci dĂ©ciderait de livrer bataille[12]. Kalojan envoya des contingents de cavalerie lĂ©gĂšre coumane faire des razzias jusqu'au camp des Francs. Lâalarme ayant Ă©tĂ© donnĂ©e, les Francs sortirent en dĂ©sordre pour leur donner la chasse sur « une bonne lieue » (environ quatre kilomĂštres), ne se rendant pas compte que ceux-ci les attiraient dans un guet-apens. AprĂšs cette longue poursuite, les Coumans se retournĂšrent brusquement et commencĂšrent Ă tirer leurs flĂšches sur leurs poursuivants, tuant un nombre important de ceux-ci et de leurs chevaux de guerre[12].
Réalisant leur erreur, les Francs de retour au camp décidÚrent que si les Bulgares revenaient, ils sortiraient hors du camp en bon ordre et se rangeraient en ordre de bataille sans avancer pour quelle que raison que ce soit. Geoffroy de Villehardouin et Manassée de Lisle demeureraient de garde du cÎté de la ville[13].
Effectivement, le lendemain, les Coumans revinrent et attaquĂšrent le camp, se rendant jusquâaux tentes des soldats. Tel quâordonnĂ©, les soldats prirent leurs armes et se rangĂšrent en formation. Toutefois, lâimpĂ©tueux Louis de Blois, contrairement aux ordres, dĂ©cida de charger les Coumans, demandant Ă lâempereur de le suivre. Ne sachant que faire, mais outrĂ©s par cette attaque qui tombait dans la semaine de PĂąques, nombre de soldats le suivirent, poursuivant leurs assaillants sur prĂšs de deux lieues. Leur cavalerie Ă©tant beaucoup plus rapide que celle des Francs, les Coumans sâarrĂȘtĂšrent Ă plusieurs reprises pour donner le temps Ă leurs poursuivants de les rejoindre, Ă la suite de quoi, aprĂšs un semblant de bataille, ils les attirĂšrent dans un traquenard soigneusement prĂ©parĂ©[14]. Le lieu exact de ce traquenard demeure inconnu, mais tout porte Ă croire quâil sâagissait des mĂ©andres de la riviĂšre ToĂčndja.
Pendant les jours oĂč ils prĂ©paraient leur camp, les Bulgares avaient creusĂ© dans un ravin entourĂ© de collines des « piĂšges Ă loups », fosses oĂč tomberaient les chevaux, ralentissant les mouvements et la formation de la cavalerie lourde latine. Tout autour du terrain ainsi minĂ©, Kalojan avait disposĂ© son infanterie et sa cavalerie lourde.
DĂšs quâelle fut rendue en sĂ»retĂ© de lâautre cĂŽtĂ© du terrain oĂč se trouvaient ces piĂšges, la cavalerie lĂ©gĂšre des Coumans se retourna, prĂȘte Ă une bataille rangĂ©e. Se rendant compte trop tard du piĂšge tendu, le comte de Blois fut parmi les premiers Ă ĂȘtre terrassĂ©[14]. Lorsque lâempereur arriva avec ses propres chevaliers, il Ă©tait trop tard : ses tentatives pour secourir le comte de Blois sâavĂ©rĂšrent vaines. Kalojan Ă son tour attaqua, entourant Baudouin et sa cavalerie lourde, sĂ©parant les Francs en deux groupes distincts. Leur formation rompue, entourĂ©s et incapables dâagir de concert, les Latins furent complĂštement dĂ©faits : lâempereur fut fait prisonnier, alors que le comte de Blois trouva la mort sur le terrain[15]. Kalojan emmena alors son prisonnier Ă Veliko Tarnovo oĂč il fut enfermĂ© dans la tour de la forteresse Tsarevets.
Parmi les chefs de lâarmĂ©e latine, nombreux sont ceux qui trouvĂšrent la mort. Les autres se hĂątĂšrent de regagner leur camp Ă la tombĂ©e du jour, alors que les Coumans qui les poursuivaient commencĂšrent Ă se retirer[16]. AprĂšs consultation entre Geoffroy de Villehardouin et le doge Dandolo, il fut rĂ©solu de lever le siĂšge et de retourner Ă Constantinople[17]. Le prince Henri apprit la dĂ©faite et la capture de son frĂšre alors quâayant quittĂ© lâAnatolie, il gagnait aussi rapidement que possible Andrinople accompagnĂ© de troupes armĂ©niennes. En chemin, ils rencontrĂšrent Villehardouin et le doge Dandolo qui rentraient. Il fut alors dĂ©cidĂ© quâHenri deviendrait rĂ©gent du royaume[18]. Pendant ce temps, Kalojan se rendait maĂźtre du pays, envoyant ses Coumans jusque devant Constantinople[19].
Les suites
Le sort de Baudouin Ier
Si lâon est certain que Baudouin mourut en captivitĂ©, les circonstances entourant sa mort ont donnĂ© lieu Ă diverses thĂ©ories. Dans les premiers temps, il fut apparemment traitĂ© avec honneur. Selon certaines hypothĂšses, il aurait pu ĂȘtre tuĂ© par Kalojan furieux de la rĂ©volte de Philipopolis (aujourdâhui Plovdiv en Bulgarie) dont les citoyens sâĂ©taient rendus aux forces latines. Une lĂ©gende bulgare voudrait que la cause de la fureur de Kalojan ait Ă©tĂ© le fait que Baudouin soit tombĂ© amoureux de son Ă©pouse. Selon lâhistorien byzantin Georges AcropolitĂšs, le tsar Kalojan aurait fait monter son crĂąne pour sâen servir comme coupe Ă boire, exactement comme un de ses prĂ©dĂ©cesseurs, le khan Kroum, lâavait fait avec lâempereur NicĂ©phore Ier; aucun autre tĂ©moignage cependant ne vient appuyer cette affirmation. Il est certain toutefois que Kalojan informa Ă la fois le pape Innocent III et la cour de Constantinople du dĂ©cĂšs de son prisonnier en prison. Une tour de la forteresse mĂ©diĂ©vale de Tsarevets sâappelle encore « tour de Baudouin ».
ConsĂ©quences pour lâempire latin
Une annĂ©e aprĂšs la conquĂȘte de Constantinople par les CroisĂ©s, la puissance latine Ă©tait dĂ©jĂ Ă©branlĂ©e par la perte de plusieurs des principaux chevaliers qui avaient participĂ© Ă la conquĂȘte ; en Asie mineure, ThĂ©odore Lascaris avait maintenant les mains libres pour crĂ©er lâEmpire de NicĂ©e et se poser en successeur lĂ©gitime des empereurs byzantins[4].
La nouvelle de cette dĂ©faite se rĂ©pandit rapidement en Europe. Sâajoutant aux excommunications lancĂ©es par le pape contre les croisĂ©s aprĂšs la prise de Zara, elle flĂ©trit la rĂ©putation de lâarmĂ©e rĂ©putĂ©e invincible aprĂšs la conquĂȘte de Constantinople dont les murailles avaient rĂ©sistĂ© pendant des siĂšcles aux assauts des envahisseurs. Le rĂ©gent Henri et son conseil envoyĂšrent immĂ©diatement une dĂ©lĂ©gation Ă Rome, en France et en Flandres pour implorer du secours devant lâavance de Kalojan et de ses troupes. Un autre malheur vint affaiblir les Latins : le doge Dandolo, Ă©puisĂ© par lâĂąge et les fatigues de la retraite, devait mourir six semaines aprĂšs la bataille. Il fut inhumĂ© dans la cathĂ©drale Sainte-Sophie[20].
Conséquences pour la Bulgarie
Par bonheur pour les Latins, toutefois, lâĂ©tĂ© arrĂȘta lâavancĂ©e de Kalojan en territoire impĂ©rial ; la plupart des Coumans ne pouvant rĂ©sister Ă la chaleur estivale de cette rĂ©gion dĂ©cidĂšrent de quitter celui-ci et de rentrer dans leur pays. Kalojan et ses Bulgares ainsi que les Grecs qui sâĂ©taient joints Ă lui se dirigĂšrent alors vers Thessalonique aprĂšs avoir conquis Serres et Philippopolis ainsi quâune grande partie des territoires latins de Thrace et MacĂ©doine[21]. Boniface de Montferrat qui assiĂ©geait Nauplie, dut abandonner le siĂšge pour rentrer prĂ©cipitamment dans sa ville.
Kalojan devait toutefois mourir le pendant le siĂšge de Thessalonique, assassinĂ© par le chef des mercenaires coumans restĂ©s avec lui. Il avait entre-temps fait du second Empire bulgare une puissance importante dans la rĂ©gion, permettant aux Balkans dâĂ©chapper Ă la domination latine.
Bibliographie
Sources primaires
- NicĂ©tas ChoniatĂšs, Histoire (ΧÏÎżÎœÎčÎșÎź ÎŽÎčΟγηÏÎčÏ), Ă©d. Jan Louis van Dieten, Berlin (CFHB #11), 1975. (ISBN 3110045281)
- Robert de Clari, La ConquĂȘte de Constantinople. Paris, HonorĂ© Champion, 2004. (ISBN 2745311352). [lire en ligne]
- Aubry de Trois-Fontaines, Chronica Albrici Monachi Trium Fontium dans Monumenta Germaniae Historica: Scriptorum, vol. 23, Hanover, 1874, pp. 631-950.
- Geoffroy de Villehardouin, La ConquĂȘte de Constantinople. [lire en ligne]
Sources secondaires
- René Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris, Perrin, 1936 (réimpr. 1999).
- Michel Kaplan, Pourquoi Byzance ? Un empire de onze siĂšcles, Paris, Gallimard, 2016. (ISBN 978-2-070-34100-9).
- Jean Longnon, Les Compagnons de Villehardouin : Recherches sur les croisés de la quatriÚme croisade, GenÚve, Droz, 1978. (OCoLC)557989224.
- Georges Ostrogorsky, Histoire de lâĂtat byzantin. Paris, Payot, 1956, 1983. (ISBN 2-228-07061-0).
- Steven Runciman, Histoire des croisades. Paris, Tallendier, 2006. (ISBN 978-2-847-34272-7).
- (en) DeVries, Kelly. Battles of the Crusades 1097-1444: From Dorylaeum to Varna. New York: Barnes & Noble, 2007. (ISBN 0760793344).
- (en) Norwich, John Julius. A History of Venice. London, Penguin Books, 1982 [1977]. (ISBN 978-0-140-06623-4).
- (en) Phillips, Jonathan. The Fourth Crusade and the Sack of Constantinople, London, Jonathan Cape, 2004. (ISBN 0-224-06986-1).
- (en) Queller, Donald E. & Madden, Thomas F. The Fourth Crusade: The Conquest of Constantinople. University of Pennsylvania Press, 1997. (ISBN 978-0-812-21713-1).
- (en) Revell, Elizabeth, ed. The Later Letters of Peter of Blois. Oxford University Press, 1993. (ISBN 978-0-197-26108-8).
Notes et références
Notes
- Appelée par les Grecs Néontzikon, ville située entre Arcadiople et Andrinople.
Références
- Norwich (1982), p. 141
- Ostrogorsky (1983) pp. 445-449
- Queller & Madden (1997), p. 176
- Ostrogorsky (1983), p. 449
- Nicétas ChroniatÚs, 791 et 808; Villehardouin, paras 177 - 179, éd. Petitot en ligne
- Villehardouin, para 180
- Villehardouin, para 181
- Villehardouin, para 184
- Villehardouin, para 185 - On ne précise toutefois pas l'importance de ces troupes.
- Villehardouin, para 186
- Villehardouin, para 185
- Villehardouin, para 187
- Villehardouin, para 188
- Villehardouin, para 189
- Villehardouin, para 190
- Villehardouin, para 191
- Villehardouin, para 194
- Villehardouin, para 202
- Villehardouin, para 203
- Villehardouin, para 204; Norwich (1982), p. 142
- Villehardouin, para 205.
Voir aussi
Liens externes
- La quatriĂšme croisade par Marc Carrier [lire en ligne].
- Prise de Constantinople : Les croisades de 1204. [lire en ligne]. (« La Fabrique de l'histoire », émission du 11/05/2016).