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Apocrisiaire

Un apocrisiaire (en grec ancien áŒˆÏ€ÎżÎșρÎčσÎčÎŹÏÎčÎżÏ‚ / ApokrisiĂĄrios) dĂ©signait dans l’Empire byzantin un envoyĂ© ecclĂ©siastique de haut rang auprĂšs des diffĂ©rents patriarcats et siĂšges mĂ©tropolitains. Il en vint Ă  dĂ©signer plus spĂ©cifiquement un envoyĂ© papal Ă  la cour impĂ©riale de Constantinople.

À l’origine

Le terme « apocrisiarius » vient du nom grec « apokrisis » qui signifie « rĂ©ponse » ; l’équivalent latin Ă©tait « responsalis » venant du nom « responsum » [1]. La fonction existait dĂ©jĂ  au Ve siĂšcle alors que des autoritĂ©s ecclĂ©siastiques locales ou rĂ©gionales comme les Ă©vĂȘques et les higoumĂšnes envoyaient des dĂ©lĂ©guĂ©s auprĂšs du ressort supĂ©rieur dont elles dĂ©pendaient, mĂ©tropole ou patriarcat. À leur tour, les patriarcats, archevĂȘchĂ©s et siĂšges mĂ©tropolitains les plus importants envoyaient des apocrisiaires Ă  la cour impĂ©riale de Constantinople. La fonction fut officialisĂ©e sous Justinien Ier (r. 527 – 565)[2] pour faire cesser les longs et couteux dĂ©placements des autoritĂ©s ecclĂ©siastiques qui prĂ©fĂ©raient rĂ©sider Ă  Constantinople plutĂŽt que dans leur diocĂšse[3].

Apocrisiaires papaux

Dans cette tradition le pape, en tant que patriarche d’Occident, envoyait rĂ©guliĂšrement des reprĂ©sentants, officiellement auprĂšs du patriarche de Constantinople, en fait Ă  la cour impĂ©riale, pour reprĂ©senter les intĂ©rĂȘts de l’Église de Rome[4], spĂ©cialement au cours des grandes disputes christologiques qui agitĂšrent l’Église.

Le premier apocrisiaire connu avec certitude semble avoir Ă©tĂ© Julianus, Ă©vĂȘque de Cos, envoyĂ© par le pape LĂ©on Ier (pape 440-461) auprĂšs de l’empereur Marcien (r. 450-457) au moment de la crise du monophysisme[1] - [N 1].

Entre le VIe siĂšcle et le VIIIe siĂšcle, alors que les territoires byzantins d’Italie formaient l’exarchat de Ravenne, le pape envoyait des apocrisiaires auprĂšs de l’évĂȘque de Ravenne lequel avait Ă©galement ses reprĂ©sentants Ă  Rome[1].

Au cours des VIe siÚcle et VIIe siÚcle, pendant la période appelée « Papauté byzantine » pas moins de six anciens apocrisiaires devaient devenir papes :

  • Vigile, nĂ© dans une famille aristocratique de Rome, celui-ci est dĂ©jĂ  cardinal-diacre en 530 lorsque le pape Boniface II (pape 530-532), craignant d’ĂȘtre tuĂ© dans la guerre contre les Lombards, le dĂ©signe comme son successeur, mais doit rescinder sa nomination devant les protestations que soulĂšve cette façon de procĂ©der. Le troisiĂšme successeur de Boniface, le pape SylvĂšre, envoya Vigile Ă  Constantinople comme apocrisiaire; il y fut impliquĂ© dans le conflit monophysite au cours duquel l’empereur Justinien soutenait la doctrine officielle, son Ă©pouse ThĂ©odora les dissidents monophysites dont le patriarche de Constantinople, Anthime, dĂ©posĂ© par le pape Agapet pour hĂ©rĂ©sie[5]. Il revint Ă  Rome lorsque BĂ©lisaire eut reconquis la ville sur les Lombards. Refusant de se soumettre aux ordres de l’impĂ©ratrice pour rĂ©habiliter Anthime, le pape SilvĂšre dut dĂ©missionner et Vigile fut Ă©lu pape le 29 mars 537[6].
  • PĂ©lage, nĂ© Ă  Rome en 500, il Ă©tait le fils du prĂ©fet du prĂ©toire. Fait cardinal-diacre par le pape Vigile, il accompagna entre 535 et 536, le pape Agapet Ier (pape 535-536) Ă  Constantinople oĂč il demeura comme apocrisiaire. Il acquit une grande influence sur l’empereur Justinien avant de retourner Ă  Rome en 543. Deux ans plus tard, alors que le pape Vigile dut se rendre Ă  Constantinople, convoquĂ© par l’empereur Justinien, PĂ©lage demeura Ă  Rome comme reprĂ©sentant du pape alors que Totila, roi des Goths, assiĂ©geait la ville. Lorsque ce dernier conquit la ville en dĂ©cembre 546, PĂ©lage fut envoyĂ© par lui Ă  Constantinople nĂ©gocier sans succĂšs un accord de paix avec l’empereur[7]. AprĂšs la mort de Vigile en juin 555, PĂ©lage qui Ă©tait le candidat de l’empereur mĂȘme s’il s’était prĂ©cĂ©demment opposĂ© Ă  lui sur la question des « Trois Chapitres » fut Ă©lu pour lui succĂ©der, nomination qui fut mal accueillie par le clergĂ© latin et les notables de Rome qui finirent par le reconnaitre aprĂšs qu’il jura sur les Évangiles qu’il n’avait rien Ă  voir avec la mort de son prĂ©dĂ©cesseur et qu’il adhĂ©rait Ă  l’ensemble des dĂ©cisions prises par les conciles ƓcumĂ©niques[8] - [9].
  • GrĂ©goire Ier naquit Ă  Rome vers 540 au moment de la reconquĂȘte de l’Italie par Justinien. Sa famille fait partie de l’aristocratie et son pĂšre, le sĂ©nateur Gordien, est l’administrateur d’un des sept arrondissements de Rome. Ce dernier Ă©tait un grand admirateur de la vie monastique et, Ă  son dĂ©cĂšs, GrĂ©goire utilisa une partie de la fortune lĂ©guĂ©e pour transformer le palais familial en monastĂšre. Lui-mĂȘme Ă©tait fort attirĂ© par la vie monastique mais se devait Ă  sa charge de PrĂ©fet de Rome Ă  laquelle il avait Ă©tĂ© nommĂ© vers 573. Il dĂ©missionna deux ans plus tard pour entrer comme simple moine Ă  l’abbaye Saint-AndrĂ©. Ayant remarquĂ© ses talents, le pape PĂ©lage II (pape 597-590) le nomma cardinal-diacre avant de l’envoyer comme apocrisiaire Ă  Constantinople en 580. Bien qu’il s’y consacra surtout Ă  la rĂ©daction de sa plus importante Ɠuvre exĂ©gĂ©tique, l' « Expositio in Job », ne se souciant ni d’apprendre le grec, ni de s’initier Ă  la thĂ©ologie orientale[10], il semble avoir rĂ©ussi auprĂšs de l’empereur TibĂšre II (r. 578 – 582) et se fit remarquer lors d’une controverse publique avec EutychĂšs, le patriarche de Constantinople, Ă  propos de la rĂ©surrection des corps, GrĂ©goire dĂ©fendant la doctrine nicĂ©enne sur le sujet. À la demande du pape, GrĂ©goire attira aussi l'attention du successeur de TibĂšre II, l’empereur Maurice (r. 582-602) sur l'invasion lombarde en Italie. RetournĂ© Ă  Rome en 584, il reprit l’habit monastique tout en devenant le secrĂ©taire du pape PĂ©lage. À la mort de celui-ci en 590, il fut, Ă  son corps dĂ©fendant, acclamĂ© pape par le peuple et confirmĂ© par le clergĂ© et l’empereur[11].
  • Sabinien, nĂ© Ă  Blera prĂšs de Viterbo vers 530, il fut envoyĂ© par GrĂ©goire Ier qui avait une haute opinion de lui comme apocrisiaire Ă  la cour de Constantinople. Le pape fut cependant déçu de son manque de conviction dans les discussions avec l’empereur Maurice au-sujet du titre de « patriarche ƓcumĂ©nique » que revendiquait le patriarche Jean IV de Constantinople. Il lui retira ce poste pour l’envoyer en Gaule la mĂȘme annĂ©e. Sabinien devait rentrer Ă  Rome en 597 et devint pape en 604[12] - [13].
  • Boniface III, nĂ© Ă  Rome Ă  une date inconnue, il impressionna le pape GrĂ©goire Ier qui l’envoya Ă  la cour de Constantinople en 603. Il rĂ©ussit Ă  entrer dans les bonnes grĂąces de l’empereur Phocas (r. 602-610) avec qui il dut intercĂ©der sur instruction du pape en faveur de l’évĂȘque Alcison de CassipĂ© (ile de Corcyre). Ce dernier avait Ă©tĂ© Ă©vincĂ© de son poste par l’évĂȘque Jean d’Euria (Épire) qui avait fui son diocĂšse avec son clergĂ© devant l’avance des Slaves et des Avars. RĂ©fugiĂ© sur l’ile de Corcyre, Jean parvint Ă  remplacer l’évĂȘque lĂ©gitime avec la complicitĂ© bienveillante de l’empereur. Alcison en appela alors au pape qui chargea Boniface de rĂ©gler le problĂšme. Ce dernier rĂ©ussit avec beaucoup de diplomatie Ă  rĂ©concilier les parties impliquĂ©es tout en conservant la confiance de l’empereur. Élu pape en 607, il mourut aprĂšs un court pontificat de dix mois[14] - [15].
  • Martin Ier, fils d’un patricien, il nait entre 590 et 600 Ă  Todie (Ombrie). On sait qu’il servit comme apocrisiaire dans les premiĂšres annĂ©es du pontificat de ThĂ©odore Ier (pape 642-649)[16]. Quand le pape ThĂ©odore excommunia le patriarche Paul de Constantinople pour cause de monothĂ©lisme, les envoyĂ©s pontificaux Ă  Constantinople furent emprisonnĂ©s, mais Martin parvint Ă  s’échapper. Élu pape en juillet 649 il est consacrĂ© le mois suivant sans avoir sollicitĂ© la confirmation de son Ă©lection par l'empereur, ou son reprĂ©sentant en Italie, l'exarque de Ravenne, et n'est donc pas reconnu pape par les autoritĂ©s byzantines. De plus, il convoqua presque immĂ©diatement un concile qui condamna le monothĂ©lisme, doctrine officielle de l'Empire depuis le Typos (648), Ă©dit par lequel l'empereur Constant II (r. 641-668) interdit toute discussion Ă  ce sujet. OutrĂ©, l’empereur tenta de le faire arrĂȘter sans succĂšs en 650, puis une deuxiĂšme fois en juin 653. AccusĂ© de haute trahison, Martin sera amenĂ© de force Ă  Constantinople, jetĂ© en prison, puis exilĂ© dans la ChersonĂšse oĂč il mourut de mauvais traitements en 655. Ce fut le dernier des « papes martyrs » et il est vĂ©nĂ©rĂ© comme saint tant par les Églises grecque que latine[17].

La plupart de ces apocrisiaires Ă©taient au moment de leur nomination « cardinaux-diacres »[N 2]. Ils Ă©taient ainsi rĂ©putĂ©s avoir reçu une excellente Ă©ducation et possĂ©der des talents de nĂ©gociateurs[4]. Ils possĂ©daient une influence considĂ©rable sur la conduite des nĂ©gociations diplomatiques tant officielles qu’officieuses entre le pape et l’empereur byzantin[18] et une nomination Ă  Constantinople pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une Ă©tape vers la papautĂ© [19]. Au cours de leur sĂ©jour Ă  Constantinople, ils rĂ©sidaient gĂ©nĂ©ralement au palais Placidia qui servait Ă©galement de rĂ©sidence au pape lorsque celui-ci faisait un sĂ©jour Ă  Constantinople[20]. Ce palais Ă©tait devenu rĂ©sidence officielle de l’apocrisiaire aprĂšs l’avĂšnement de Justin Ier qui mit fin au schisme acacien et rĂ©tablit les relations avec Rome pendant le pontificat du pape Hormisdas (519)[21].

Disparition de la fonction

Les papes continuĂšrent Ă  avoir des apocrisiaires permanents Ă  Constantinople jusqu’à l’édit de 726 instaurant l’iconoclasme dans l’Empire byzantin. On sait toutefois que les papes GrĂ©goire II (715-731), GrĂ©goire III (731-741), Zacharie (741-752) et Étienne II (752-757) continuĂšrent Ă  envoyer des apocrisiaires non permanents Ă  Constantinople.

La fonction cessa d’avoir un rĂŽle religieux au VIIIe siĂšcle et continua Ă  exister jusqu’au Xe siĂšcle. Vers 900, le titre fit place Ă  celui de « syncelle », lequel contrairement Ă  l’apocrisiaire qui Ă©tait officiellement accrĂ©ditĂ© auprĂšs du patriarche de Constantinople, sera directement accrĂ©ditĂ© auprĂšs de l’empereur.

Selon la Catholic Encyclopedia, on trouva aussi des « apocrisiaires » Ă  la cour des roi Francs dĂšs le rĂšgne de Charlemagne; ceux-ci n’étaient cependant que des archi-chapelains royaux que l’on honorait en leur donnant un titre prestigieux[1].

Bibliographie

  • (en) Catholic Encyclopedia. New York, Robert Appleton Company, 1911 [en ligne] https://en.wikisource.org/wiki/Catholic_Encyclopedia_(1913).
  • (en) Attwater, Aubrey (1939). A Dictionary of Popes: From Peter to Pius XII, 1939. [Reproduit par CreateSpace Independent Publishing Platform, 2012] (ISBN 978-1469948331).
  • (en) Browning, Robert. Justinian and Theodora. Gorgias Pr Llc, 2003. (ISBN 978-1593330538).
  • (en) Brusher, Joseph S. Popes Through the Ages, San Rafael (California), Neff-Kane, 1980. (ISBN 978-0-89-141110-9).
  • (en) Dolan, Thomas Stanislaus. The papacy and the first councils of the church, 1910. [en ligne] https://archive.org/details/ThePapacyAndTheFirstCouncils/page/n1 [archive]. (PDF) (recherche 2020.01.09).
  • (en) Ekonomou, Andrew J. Byzantine Rome and the Greek Popes: Eastern influences on Rome and the papacy from Gregory the Great to Zacharias, A.D. 590-752. Lexington, Lexington Books, 2007. (ISBN 0-7391-1977-X).
  • (fr) Gobry, Ivan. Dictionnaire des papes. Paris, Pygmalion, 2013. (ISBN 978-2-7564-1039-5).
  • (en) Herrin, Judith. Ravenna, Capital of Empire, Crucible of Europe. Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2020. (ISBN 978-0691-15343-8).
  • (en) Herrin, Judith. The formation of Christendom. Princeton, Princeton University Press, 1989. (ISBN 978-0691008318).
  • (en) Howorth, Henry Hoyle. Saint Augustin of Canterbury. 1913. [Reproduit Arkose Press (2 novembre 2015), (ISBN 978-1345781915).
  • (en) Kirsch, Johann Peter. « Apocrisiarius » (in) Catholic Encyclopedia, vol. 1, 1913. Recherche 2021.08.21.
  • (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re Ă©d., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208), s. v. Apokrisiarios, vol. 1, 136.
  • (en) Richards, Jeffrey. The Popes and the Papacy in the Early Middle Ages (476-752). Routledge, 2014. (ISBN 978-1138777842).
  • (fr) Sotinel, Claire. « AutoritĂ© pontificale et pouvoir impĂ©rial sous le rĂšgne de Justinien : le pape Vigile », MĂ©langes de l'Ecole française de Rome. AntiquitĂ©, vol. 104, no 1, 1992, (ISSN 0223-5102).

Notes et références

Notes

  1. Selon la Catholic Encyclopedia, il se pourrait que le futur pape Boniface Ier (pape 418-422) ait été envoyé par le pape Innocent Ier à Constantinople vers 405 (Catholic Encyclopedia, « Boniface I »)
  2. Membres du clergĂ© de Rome, les cardinaux se rĂ©partissaient en trois classes : les cardinaux-Ă©vĂȘques des diocĂšses circonvoisins (Ă©vĂȘchĂ©s suburbicaires), les cardinaux-prĂȘtres, titulaires des paroisses ou titres de la ville de Rome, et les cardinaux-diacres, responsables des diaconies romaines (d’oĂč leur titre usuel de « cardinaux de la curie »).

Références

  1. Kirsch (1913) p. 1
  2. Codex Justinianus I,3; novelle 6.2-3; novelle 123.125.
  3. Kazhdan (1991) « Apokkirsiarios », vol. 1, p. 136.
  4. Ekonomou (2007) p. 8
  5. Kazhdan 1991, « Theodora » vol. 3, p. 2036
  6. Gobry (2013) « Vigile », p. 495
  7. Mann (1911). "Pope Pelagius I" (In) Catholic Encyclopedia.
  8. Bruscher (1980) « Pélagius »
  9. Gobry (2013) « Pélage Ier, p. 413
  10. EncyclopĂŠdia Universalis, vol. 8, (1968), p. 11
  11. Gobry (2013) « Grégoire Ier le Grand », pp. 186-193
  12. Attwater (1939) « Sabinius », p. 65
  13. Gobry (2013) « Sabinien », p. 451
  14. Oestreich, Thomas (1907). "Pope Boniface III". (In) Catholic Encyclopedia, 2.
  15. Gobry (2013) « Boniface III », p. 62
  16. Richards (1974), pp. 186–7
  17. Gobry (2013), « Martin Ier », p. 382
  18. Herrin (1989) p. 152
  19. Howorth (1913) p. xxvi
  20. Ekonomou (2007) p. 9
  21. Kazhdan (1991), vol. 1, « Akakios », p. 43
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