Andachtsbild
L'Andachtsbild (en allemand, « image de dévotion » ; au pluriel, Andachtsbilder) est un terme désignant, en iconographie chrétienne, un type particulier d'images invitant à la prière ou à la contemplation. Elle est caractéristique du Moyen Âge tardif, et plus particulièrement présente dans le cadre géographique du bassin rhénan et de ses alentours.
Définition
L'Andachtsbild se définit, étymologiquement, comme une « image de dévotion »[1]. Cependant, le terme désigne en général plus spécifiquement des œuvres d'art graphiques (sculptures, peintures, vitraux, gravures) de la fin du Moyen Âge (XIIe – XVe siècle) à caractère tragique (Pietà , Crucifixion, Mater dolorosa, Descente de croix, Christ de pitié, Homme de douleurs, Arma Christi, etc.) visant à la contemplation empathique et immédiate (sans biais intellectuel) du Christ ou de la Vierge souffrants — et par anticipation de la Résurrection[2] - [3] - [4].
Historique et historiographie
Historique
La pratique consistant à représenter de manière isolée le personnage (généralement le Christ ou la Vierge) vivant le cœur de l'action du récit, pour concentrer l'attention visuelle et émotionnelle du spectateur, naît aux XIIIe et XIVe siècles dans les couvents féminins de l'Ordre des Prêcheurs (Unterlinden, Katharinental (de), Adelhausen (de)), réputés particulièrement mystiques, et comptant de nombreux témoignages de sœurs ayant reçu des visions[5] - [6].
De nombreux historiens estiment que le développement parallèle des Andachtsbilder et de la littérature de dévotion — par exemple La Grande Vie de Jésus-Christ, Meditationes vitae Christi (en) ou L'Imitation de Jésus-Christ — consacrée à la Passion du Christ sont liés[7].
Historiographie
Le terme Andachtsbild dans son acception actuelle est utilisé pour la première fois par Erwin Panofsky en 1927, qui l'oppose à deux autres types de représentations religieuses médiévales : la szenisches Historienbild ou « scène historique » à but narratif et la hieratisches oder kultisches Repräsentationsbild (« image de représentation hiératique ou cultuelle »)[8]. Toutefois, Panofsky a lui-même emprunté le terme à Georg Dehio (1921) et Wilhelm Pinder (1925) sous lequel ces auteurs avaient tous deux désignés une pratique sculpturale de la fin du Moyen Âge, exécutée souvent pour des couvents féminins, qui consistaient à ne conserver d'un récit biblique ou hagiographique que la figure centrale pour mieux en exprimer l'aspect émotionnel et favoriser ainsi la contemplation du spectateur[9], ce qui correspond donc à une acception très proche.
En 1956, la thèse de Panofsky se voit contestée par Rudolf Berliner et Hans Aurenhammer, qui reprochent à ce dernier le parallèle, sinon nécessaire, du moins préférentiel, qu'il établit entre forme et fonction, déniant à l'Andachtsbild une fonction autre que celle de contemplation empathique, et affirmant la nécessité de la présence d'une Andachtsbild comme catalyseur de cette même contemplation[10]. En 1965, Sixten Ringbom (en) donne raison à Berliner et Aurenhammer en distinguant les deux termes Andachtsbild et « images de dévotion » (en anglais devotional images), attribuant la forme à la première, et la fonction aux secondes. Selon lui, on ne doit donc définir l'Andachtsbild que selon des critères de forme et d'iconographie, et non selon l'usage qui en a été fait[10].
Analyse
Dans de nombreuses œuvres pouvant être classifiées comme Andachtsbild, le personnage principal de la scène, le plus généralement Jésus-Christ ou Marie, est cadré à mi-corps, isolé sur un fond neutre et en présence d'un décor uniquement centré sur l'action. Dans le cas d'une scène de Passion, par exemple, il n'est accompagné que des instruments de son supplice et de ses bourreaux ; ces derniers sont représentés en arrière-plan ou sur les côtés et regardent Jésus, qui regarde directement le spectateur. C'est le cas du Couronnement d'épines de Jérôme Bosch[11].
Le but généralement admis de la contemplation de l'Andachtsbild est triple. Le but premier est la création d'un certain état psychologique chez le spectateur, une « empathie affective » selon le terme d'Hans Belting. Cet état psychologique doit lui-même être source, ou renforcement, d'une édification spirituelle, et, finalement, l'adoration, selon Sixten Ringbom (fi)[7].
Galerie
- Homme de douleurs de Pietro Lorenzetti, vers 1330.
- Portement de croix de Barna da Siena, 1330-1350.
- Homme de douleurs de Maître Francke, vers 1435.
- Christ de pitié représenté sur fond d'Arma Christi, tableau allemand de 1450-1460.
- Christ de pitié représenté sur fond d'Arma Christi, gravure de Maître E. S., vers 1460.
- Ecce homo d'Antonello de Messine, vers 1473.
- Arma Christi, d'Hans Memling, 1475-1479.
- Christ d'Hans Memling, 1470.
- Christ de Giovanni Bellini.
- La Lamentation sur le Christ mort, d'Andrea Mantegna, vers 1490.
- Ecce Homo d'Andrea Mantegna, vers 1500.
- Le Christ mort, vue générale et détail, peinture de Hans Holbein le Jeune, 1521-1522.
Notes et références
- Pierre Bourdieu, « Piété religieuse et dévotion artistique — Fidèles et amateurs d'art à Santa Maria Novella », Actes de la recherche en sciences sociales, Maison des sciences de l'homme, vol. 105, no 1,‎ , p. 71-74 (DOI 10.3406/arss.1994.3127, lire en ligne).
- Gwendoline de Mûelenaere, « La chute des idoles lors de la Fuite en Égypte . Analyse iconologique d’un récit apocryphe », sur Koregos - Revue et encyclopédie multimédia des arts (consulté le ).
- « La Chapelle de l’Étang de Bitche, écrin gothique pour la Vierge de Pitié », sur Parc naturel régional des Vosges du Nord (consulté le ).
- Falque 2016, p. 78.
- Falque 2016, p. 81.
- (de) Hartmut Boockmann, Die Stadt im späten Mittelalter, C.H.Beck, , 357 p. (ISBN 978-3-406-31565-7, lire en ligne), chap. 16 (« Klöster und andere geistliche Immunitäten »), p. 230.
- Falque 2016, p. 83.
- Falque 2016, p. 79.
- Falque 2016, p. 80.
- Falque 2016, p. 82.
- Falque 2016, p. 85.
Voir aussi
Bibliographie
- [Spamer 1930] (de) Adolf Spamer, Das kleine Andachtsbild : vom XIV. bis zum XX. Jahrhundert., Munich, F. Bruckmann, , 334 p. (ISBN 978-3-7654-1823-5)
- [Guardini 1960] (de) Romano Guardini, Kultbild und Andachtsbild : Brief an einen Kunsthistoriker, Wurtzbourg, Werkbund-Verlag,
- [Ringbom 1965] (en) Sixten Ringbom, Icon to narrative : the rise of the dramatic close-up in fifteenth-century devotional painting, Doornspijk, The Netherlands, , 241 p. (ISBN 978-90-70288-14-3)
- [Ross 1996] (en) Leslie Ross, Medieval art : a topical dictionary, Westport, Greenwood Press, , 292 p. (ISBN 978-0-313-29329-0, lire en ligne)
- [Hamburger 1997] (en) Jeffrey F. Hamburger, Nuns as artists : the visual culture of a medieval convent, Berkeley, University of California Press, , 318 p. (ISBN 978-0-520-20386-0, lire en ligne)
- [Ehrenschwendtner 1999] (de) Marie-Luise Ehrenschwendtner, Die Bildung der Dominikanerinnen in Süddeutschland vom 13. bis 15. Jahrhundert : [Thèse d'histoire], Tübingen, Université de Tübingen, , 399 p. (ISBN 3-515-07838-X, lire en ligne)
- [Elkins 2001] (en) James Elkins, Pictures and tears : a history of people who have cried in front of paintings, New York, Routlege, , 272 p. (ISBN 978-0-415-97053-2, lire en ligne)
- [Gärtner 2004] (de) Hans Gärtner, Andachtsbildchen : Kleinode privater Frömmigkeitskultur, Munich, Verlag Sankt Michaelsbund, , 160 p. (ISBN 978-3-920821-45-0)
- [Nash 2008] (en) Susie Nash, Northern Renaissance art, New York, Oxford University Press, , 272 p. (ISBN 978-0-19-284269-5, lire en ligne)
- [Falque 2016] Ingrid Falque, « Du dynamisme de l'herméneutique dévotionnelle à la fin du Moyen Âge — L'exemple des Andachtsbilder flamandes », Méthodes et Interdisciplinarité en Sciences humaines, Presses Universitaires de Liège, no 5,‎ , p. 77-109 (lire en ligne)