Le Christ mort
Le Christ mort (ou Le Corps du Christ mort dans la tombe ou encore Le Christ mort au tombeau) est une huile et tempera sur panneau de tilleul (30,5 cm × 200 cm) peinte par Hans Holbein le Jeune entre 1521 et 1522. L'œuvre est conservée au Kunstmuseum de Bâle.
Artiste | |
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Date |
Entre et |
Type | |
Matériau | |
Dimensions (H × L) |
30,5 × 200 cm |
Mouvement | |
No d’inventaire |
318 |
Localisation |
Ce tableau grandeur nature, d'un réalisme cru, montre le corps de Jésus-Christ entre sa descente de croix et sa résurrection, avec des signes de putréfaction sur le visage, les mains et les pieds[1]. Le caractère morbide de cette représentation a été souvent commenté, notamment par Dostoïevski mais aussi par le pape François.
Description
Le corps est figuré en trompe-l'œil, allongé sur un drap dans un tombeau. On distingue des plaies sur le côté, la main et les pieds. Les yeux et la bouche sont grands ouverts. Les cheveux en désordre semblent percer la surface du tableau[1]. En surplomb, sont inscrits ces mots : « IESVS NAZARENVS REX IVDÆORVM » (« Jésus de Nazareth, roi des Juifs »).
L'influence de Matthias Grünewald est visible. On sait que Hans Holbein l'Ancien a emmené son fils voir le Retable à Issenheim, ville où il travaillait à la commande pour l'hospice local[2].
Commentaires
Littérature
En 1867, Fiodor Dostoïevski a vu le tableau au musée de Bâle et en est resté fortement impressionné. Il semble que ce Christ mort soit l'une des œuvres qui l'ont le plus marqué[3]. Anna Dostoïevskaïa évoque l'émotion de son mari[4] - [5] :
« Ce tableau est l'œuvre de Hans Holbein, il représente un Christ ayant subi des souffrances inhumaines, qu'on a descendu de la croix et dont le corps est offert à la décomposition. Son visage boursouflé est couvert de plaies sanglantes et son apparence est horrible. Ce tableau a produit sur Fiodor une impression écrasante, et il s'est arrêté devant, comme frappé par la foudre. Quant à moi, je n'avais pas la force de le regarder : il me faisait trop mal, surtout que ma santé n'était pas très bonne. Je suis allée voir les autres salles. Quand je suis revenue quinze minutes ou vingt minutes plus tard, Fiodor était toujours planté devant le tableau, comme enchaîné. Son visage bouleversé présentait cette expression d'épouvante que j'avais observée dans les premières minutes d'une crise d'épilepsie. J'ai pris doucement mon mari par le bras, je l'ai emmené dans une autre salle et fait asseoir sur un banc, Heureusement, elle n'eut pas lieu : Fiodor se calma peu à peu et, au moment de sortir du musée, il insista pour retourner voir le tableau qui l'avait tant impressionné. »
Dans ses notes sur L'Idiot, Anna Dostoïevskaïa revient sur cet épisode : « Cette œuvre l'avait traumatisé et il m'avait dit alors : "Un tel tableau peut faire perdre la foi[6]" ». L'incident réapparaît dans le roman, où le prince Mychkine, voyant une copie du Christ mort, s'exclame : « Mais ce tableau peut faire perdre la foi à n'importe qui ! »[7] - [8].
En 1910, André Suarès écrit dans son Voyage du condottière :
« Le Christ mort est une œuvre terrible. C’est le cadavre en sa froide horreur, et rien de plus. Il est seul. Ni amis, ni parents, ni disciples. Il est seul abandonné au peuple immonde qui déjà grouille en lui, qui l’assiège et le goûte, invisible. Il est des Crucifiés lamentables, hideux et repoussants. Celui de Grunwaldt, à Colmar, pourrit sur la croix ; mais il est droit, couché haut sur l'espace qu'il sépare d'un signe sublime, ce signe qui évoque à lui seul l'amour et la pitié du genre humain. Et il n'est pas dans l'abandon : à ses pieds, on le pleure ; on croit en lui. [...] Le Christ d'Holbein est sans espoir. Il est couché à même la pierre et le tombeau. Il attend l'injure de la terre. La prison suprême l'écrase. [...] Il est dans la mort de tout son long. Il se putréfie. [...] Holbein me donne à croire qu’il est un athée accompli. Ils sont très rares. Le Christ de Bâle me le prouve : il n’y a là ni amour, ni un reste de respect. Cette œuvre robuste et nue respire une dérision calme : voilà ce que c’est que votre Dieu, quelques heures après sa mort, dans le caveau ! Voilà celui qui ressuscite les morts ! »
Théologie
Dans son encyclique Lumen fidei (2013), le pape François mentionne ce tableau : tout en rappelant la réaction de Mychkine dans L'Idiot, il voit au contraire dans les « effets destructeurs de la mort » sur le corps du Christ un point de départ pour une réflexion sur la crucifixion et sur le don d'amour que signifie la Passion[9].
Approche contemporaine
Pendant longtemps, ce tableau a passé pour exprimer la réaction désespérée que pouvait avoir l'époque de Holbein face à la mort ou encore, comme dans l'interprétation de Dostoïevski, le nihilisme terrifiant d'un athée. Cette vision a cependant évolué et les spécialistes actuels soulignent que l'état de décomposition du corps indique que la mort remonte à environ trois jours. Le peintre aurait alors représenté les derniers moments de l'ensevelissement de Jésus au tombeau, autrement dit l'imminence de sa résurrection[10].
Galerie
- Détail : la tête
- Détail : la main
- Détail : les pieds
- La Lamentation sur le Christ mort (v. 1480) par Andrea Mantegna
- Le Christ mort couché sur son linceul (avant 1654) par Philippe de Champaigne
Notes et références
- Oskar Bätschmann et Pascal Griener, Hans Holbein, p. 88.
- Oskar Bätschmann et Pascal Griener, Hans Holbein, p. 88-89.
- Leonid Grossman, Dostoïevski, Paris, Parangon, coll. « Biographies », 2003, (ISBN 2-84190-096-7), p. 362.
- Anna Dostoïevskaïa, Mémoires d'une vie, Mémoire du Livre, p. 191.
- La citation est tirée de Mikhaïl Chichkine, La Suisse russe, Paris, 2007, Fayard, p. 267.
- Cité par Mikhaïl Chichkine, op. cit., p. 268.
- L'Idiot, Partie II, chapitre 4.
- Jeffrey Meyers, « Holbein and the Idiot » in Painting and the Novel, p. 136-147.
- Lumen fidei, Parole et Silence/Le Rocher, p. 20.
- Web Gallery of Art.
Bibliographie
- Oskar Bätschmann et Pascal Griener, Hans Holbein, Reaktion Books, 1999, (ISBN 1-86189-040-0)
- Jeffrey Meyers, « Holbein and the Idiot » in Painting and the Novel, Manchester University Press, 1975
- Christian Müller, Holbeins Gemälde, Der Leichnam Christi im Grabe und die Grabkapelle der Familie Amerbach in der Basler Kartause, in Zeitschrift für schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, 58, 2001, p. 279–289 (Lire en ligne)
- Kunstmuseum de Bâle, Hans Holbein d. J. Die Jahre in Basel, 1515–1532, Prestel, Munich u. a. 2006, (ISBN 3-7913-3581-2)