L'amnésie collective désigne un biais de la mémoire collective (États, militaires, médias, enseignement et opinions publiques) occultant certains actes ou certaines réalités de leur histoire, afin de rendre celle-ci conforme aux stéréotypes et valeurs identitaires locales[1].
Elle comprend le déni, dans les analyses ou comptes rendus de guerres passées, de faits d'atrocités de son propre camp souvent passées sous silence ou imputées à d'autres (omission sélective) tandis que celles de l'opposant sont librement dénoncées.
L'amnésie collective est étroitement associée aux questions identitaires et s'accompagne en général d'une hypermnésie collective des atrocités et souffrances dont la collectivité concernée a été victime, et des faits jugés positifs de son histoire (victoires, secours aux persécutés, développement culturel, social ou économique, rayonnement international)[2].
Maurice Halbwachs et Sigmund Freud soutiennent que la mémoire collective, tout comme l'individuelle ou la familiale, est naturellement biaisée en faveur de l'oubli des souvenirs négatifs, avec la tendance à garder une image positive du passé[1].
Sommaire
Guerres, génocides et dictatures
Contexte
Dans le champ de la mémoire collective, les processus d'oubli, de maintien, et de reconstruction de la mémoire traumatique sont connus : les crimes imputables à la collectivité concernée sont tabous dans les livres d'Histoire, les historiens qui les dénoncent sont persécutés ou censurés, voire condamnés en justice pour atteinte à la mémoire ou à la dignité de la nation[1]. C'est le cas, par exemple, au Japon[3] et en Turquie, tandis qu'en Allemagne la période du Troisième Reich a longtemps été traitée de manière succincte et allusive[1], tout comme les crimes du stalinisme et des régimes successeurs dans les pays de l'ancien bloc de l'Est, ou les crimes du maoïsme en Chine[4].
MĂ©canismes
Cette amnésie collective se constate dans de nombreuses opinions publiques, mais l'État a souvent un rôle important, propagandiste, d'une part par l'enseignement primaire, simplificateur et intervenant à un âge où l'esprit critique n'est pas encore forgé, et où l'enfant adhère sentimentalement (« viscéralement ») aux repères identitaires qu'on lui présente[5], d'autre part en orientant les médias, usant éventuellement de la censure, mais également — depuis la révélation du poids des médias dans la guerre du Viêt Nam — d'autres moyens détournés, tels l'agitprop ou l'astroturfing, ainsi que l'interdiction d'accès sur place aux journalistes, l'interdiction de photographier, la tenue à distance des zones à risques officiellement dans un souci de protection de la vie humaine, qui sont autant de mesures pouvant être légitimes, mais aussi abusives.
Même si les soldats, les agents des différents régimes politiques et les victimes de violences ou de persécutions sont fréquemment choqués par les combats et développent des névroses post-traumatiques, nombreux sont ceux qui ont tendance à vouloir simplement oublier pour préserver leur équilibre au quotidien, et plus souvent encore, à justifier a posteriori leurs actions ou leur inaction, par des considérations concernant le contexte, la situation, leur connaissance des faits à ce moment.
À titre d'exemple, la France d'après-guerre s'est construite durant quarante ans une « identité résistante » à l'intérieur (pour sa propre opinion) en minimisant et occultant le régime de Vichy, et une identité de « grande puissance » internationale et de pays vainqueur, en magnifiant ses actions du côté Allié et ses relations avec les Anglo-saxons ou les Soviétiques, et en minimisant et occultant les actions militaires et policières de Vichy. En France, l'existence d'autres pays Alliés et vainqueurs que les « Quatre Grands » est ainsi l'objet d'une amnésie collective, comme dans l'exemple de la Pologne (exclue des « Quatre Grands » bien qu'elle n'ait pas eu de gouvernement collaborationniste ni de troupes du côté de l'Axe). Cette flatteuse identité française d'après-guerre a durablement orienté tant l'opinion que la politique étrangère de la France.