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AladĂĄr Kuncz

AladĂĄr Kuncz ([ˈɒlɒdaːɟ], [ˈkunts]), nĂ© le Ă  Arad et dĂ©cĂ©dĂ© le Ă  Budapest, est un Ă©crivain hongrois de Transylvanie, critique littĂ©raire et traducteur.

AladĂĄr Kuncz
AladĂĄr Kuncz
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
(Ă  45 ans)
Budapest
SĂ©pulture
Nationalité
Formation
BĂĄthory IstvĂĄn High School in Cluj-Napoca (d) (jusqu'en )
Université Lorånd-Eötvös (-)
Activités
Fratrie
Ödön Kuncz (d)
Andor Kuncz (d)
Autres informations
A travaillé pour
Lieu de détention
Camp de l'Île Longue (d)

Biographie

De 1895 à 1903, il fait ses études secondaires chez les piaristes à Kolozsvår (aujourd'hui Cluj-Napoca, Roumanie), puis entre à l'université de Budapest avec comme matiÚres hongrois, latin et grec classiques (1903-1907) ; il obtient son doctorat en 1907. En ce début du XXe siÚcle, il mÚne une vie d'étudiant ouvert aux découvertes intellectuelles et aux plaisirs de la vie.

En 1908, il entre dans la vie active comme professeur de lycée à Budapest et à partir de 1909 contribue à la revue Nyugat. Pénétré de culture française, il passe ses vacances d'été à Paris et en Bretagne, puis en 1912-1913 séjourne 14 mois d'affilée en France avec une bourse de son gouvernement.

Aladár Kuncz, gravure de Pál KƑ, Chñteau de Noirmoutier, 2001

En , le dĂ©clenchement de la guerre le surprend Ă  Carantec, prĂšs de Morlaix ; il regagne Paris en catastrophe, puis tente en vain de rejoindre son pays. Ce qu'il avait vĂ©cu en France comme une idylle allait se transformer en cauchemar. Le dĂ©lai pour quitter le territoire français Ă©tant Ă©coulĂ©, il est dirigĂ© le au camp de PĂ©rigueux oĂč, dans une atmosphĂšre hostile, il vit la triste expĂ©rience du chauvinisme et de la xĂ©nophobie.

DĂ©but , avec d'autres ressortissants d'Ă©tats « ennemis Â», il est internĂ© avec ses compagnons d'infortune, d'abord Ă  la citadelle de Noirmoutier d' Ă  , puis Ă  la forteresse de l'Île-d'Yeu de Ă  . Dans son rĂ©cit intitulĂ© Fekete Kolostor (Le MonastĂšre noir), il Ă©voquera ces cinq annĂ©es d'internement qui le marquĂšrent Ă  vie.

AprĂšs sa libĂ©ration, il retourne Ă  Budapest comme professeur de lycĂ©e et collabore aux revues Új Magyar Szemle (Nouvelle revue hongroise) et Aurora. En 1923, il revient s'Ă©tablir Ă  KolozsvĂĄr oĂč il assure la rĂ©daction des pages littĂ©raires du quotidien EllenzĂ©k (Opposition). En 1928, il participe au lancement de la revue ErdĂ©lyi Helikon (L'HĂ©licon de Transylvanie) qu'il anime comme rĂ©dacteur de Ă  , date de sa mort.

En 2001, une plaque commĂ©morative gravĂ©e Ă  l'effigie de l'Ă©crivain par PĂĄl KƑ, artiste budapestois, fut apposĂ©e dans la cour du chĂąteau de Noirmoutier, rappelant les deux annĂ©es oĂč Kuncz y fut internĂ©.

Le MonastĂšre noir

S'il joua un rĂŽle influent dans la vie culturelle transylvaine de l'Ă©poque, AladĂĄr Kuncz s'est fait surtout connaĂźtre par la publication de Fekete kolostor (1931), oĂč il donne un tĂ©moignage humain de portĂ©e universelle sur l'expĂ©rience de la captivitĂ©. La version originale, en hongrois, de l’ouvrage, publiĂ©e peu avant le dĂ©cĂšs de l'auteur, sera traduite en plusieurs langues : anglais, français, allemand, italien, turc, roumain...

En avril 1935, sous le titre « le Reclus de Noirmoutier », RĂ©gis Messac rendait compte de Black Monastery[1], l’édition anglo-amĂ©ricaine de ce livre, en retraduisait des extraits dans sa revue, les Primaires. Il constate tout d’abord que « le titre hongrois n'est lui-mĂȘme que la traduction d'un mot français, un nom propre : Noirmoutier; en ancien français : noir monastĂšre. [
] Les promesses contenues dans le titre ne sont d'ailleurs pas trompeuses : toute l'action se passe bien en France, et principalement Ă  Noirmoutier 
 » Le critique indique ensuite les circonstances dans lesquelles ce rĂ©cit a Ă©tĂ© Ă©crit : « [AladĂĄr Kuncz] fit, avant la guerre, plusieurs sĂ©jours Ă  Paris. “J'Ă©tais”, nous dit-il dans les premiĂšres pages de son livre : “j'Ă©tais un dĂ©cadent, et j'Ă©tais venu Ă  Paris pour adorer Maurras et MallarmĂ© et Verlaine. Je portais un monocle et buvais de l'absinthe.” Les Ă©vĂ©nements allaient se charger de mettre ces goĂ»ts et ces sympathies Ă  une rude Ă©preuve. Kuncz, en effet, se trouvait encore Ă  Paris en juillet 1914. Il fut donc internĂ©, pendant toute la durĂ©e de la guerre, dans les fameux camps de concentration, et son livre est tout simplement le rĂ©cit de ses vicissitudes. »

RĂ©gis Messac relĂšve notamment que l’anomalie de la vie sexuelle des compagnons de Kuncz, ou plutĂŽt, « l'absence de vie sexuelle normale », comme chez tous les captifs, constitue un des principaux facteurs de dĂ©sĂ©quilibre mental des internĂ©s. Il souligne ensuite que l'armistice de 1918 apparaĂźt comme « une nouvelle catastrophe ajoutĂ©e Ă  toutes les autres. C'est la suprĂȘme catastrophe. Et c'est Ă  partir de ce moment qu'ils vont vivre leurs heures les plus noires. Peut-ĂȘtre en cela, Ă©crit Messac, le livre du reclus de Noirmoutier est-il plus vrai et plus profond que d'autres rĂ©cits oĂč l’on prĂ©sente la cessation des hostilitĂ©s comme une fin, la fin d’une Ăšre de malheurs et le dĂ©but d'une Ăšre de joie, de lumiĂšre et de santĂ©. Pour le prisonnier hongrois – et qui sait si cela ne fut pas vrai pour nous autres aussi, sans que nous nous en doutions – l'armistice est le signal d'une nouvelle explosion de calamitĂ©s. Au lieu de s’attĂ©nuer, la violence, la virulence et la pestilence de tous les maux guerriers n'ont jamais atteint pareille intensitĂ©. » À tout cela, s’ajoute l'hiver et l’arrivĂ©e de la grippe espagnole : « Parmi les prisonniers affaiblis par la captivitĂ©, sous-alimentĂ©s, nĂ©vrosĂ©s, elle fera des ravages terribles. Sans soins, sans mĂ©dicaments, sans hygiĂšne, ils rĂąlent de compagnie dans leurs casemates humides et sans air. Ils vomissent sur leurs paillasses ou leurs couvertures, et personne ne vient enlever leurs vomissements. Les fiĂ©vreux se dĂ©battent et se dĂ©couvrent, dĂ©chirant leur poitrine nue, et il faut que ce soit le moins malade des malades qui se lĂšve pour les recouvrir. Une fois, une seule, le mĂ©decin s'aventure dans le couloir des casemates, hĂ©site, se bouche le nez et bat en retraite. [
] Beaucoup de ceux qui sont lĂ  vont mourir de la peste entre NoĂ«l et le jour de l'an. Il y a lĂ  quelques pages terribles qui rappellent le fameux conte d'Edgar Poe, le Roi Peste, et mĂȘme le dĂ©passent en puissance. Car AladĂĄr Kuncz n'a pas eu besoin d'inventer. Il n'a eu qu'Ă  raconter ce qu'il avait vu et vĂ©cu. »

« AprĂšs cela, conclut Messac, lorsque l'ordre de libĂ©ration arrive, en avril [1919], il laisse les survivants indiffĂ©rents. Ils n'ont plus d’espoir. Quitter les casemates de l'Ăźle d'Yeu ? Oui, si l’on veut, mais peu importe au fond, puisque le monde entier est devenu semblable Ă  une casemate, Ă  une forteresse, Ă  une prison. Les parents et les amis sont morts, ou dispersĂ©s, et l’on ne voit nulle part aucune chance de reconstruire une vie normale. Partout les Clemenceau rĂšgnent sur les ruines.

On pourrait sans doute faire quelques reproches au livre d’AladĂĄr Kuncz. Il s'y trouve encore parfois trop de littĂ©rature ou de sentimentalitĂ© littĂ©raire ; ce n'est que par instants que l'auteur voit clair, et sous la pression des circonstances extrĂȘmes. Cependant, tel qu'il est, c'est un livre trĂšs riche, et qui oblige souvent Ă  rĂ©flĂ©chir. Il ferait surtout rĂ©flĂ©chir les Français, mĂȘme ceux qui se croient le plus complĂštement dĂ©gagĂ©s des prĂ©jugĂ©s nationaux, et qui cependant en sont souvent tributaires sans s’en rendre compte. C'est pourquoi il faudrait souhaiter que A Fekete Kolostor fĂ»t traduit en français. Ce vƓu Ă  vrai dire, n'a guĂšre de chances d'ĂȘtre exaucĂ©. Du moins, ce modeste article donnera peut-ĂȘtre quelque dĂ©sir de lire la traduction anglaise Ă  ceux qui savent l’anglais, et aux autres quelque aperçu des problĂšmes posĂ©s par le livre. »

Dans le n° 182 de la revue Europe (15 fĂ©v. 1938), l’écrivain et professeur de littĂ©rature hongroise Ervin SinkĂŽ s’accorde avec Messac pour convenir qu’Aladar Kuncz a vĂ©cu « un enfer psychique et physique » et qu’il « ne manque pas de talent pour Ă©voquer et faire revivre ce qu'il a souffert. [
] Le MonastĂšre noir, Ă©crit-il, est un livre Ă©mouvant, sincĂšre et douloureux. Les rĂ©flexions qu'il Ă©veille chez le lecteur capable de conclure, peuvent en faire une lecture importante. » Mais, sous un autre angle, le critique d’Europe voit aussi en l’auteur du MonastĂšre noir « le symbole de l'intellectuel d'avant-guerre ». Il ne constate chez lui « aucune Ă©volution, aucun changement dans un sens d'Ă©claircissement social ou politique ». Il lui reproche d’ignorer « ce qu'est la solidaritĂ© » Ă  l’égard de ses compagnons de misĂšre. Et, souligne-t-il, ce n'est point lĂ  pur hasard psychologique : c'est la consĂ©quence d'une conformation d'esprit qui s'est dĂ©veloppĂ©e sans contact positif avec la sociĂ©tĂ©. »

SimultanĂ©nĂ©ment, dans le n° 292 des Primaires (fĂ©v. 1938), sous le pseudonyme des Aliborons et sous le titre « Le MonastĂšre noir par AladĂĄr Kuncz, adaptĂ© du hongrois par L. Gara & M. Piermont; prĂ©face de Jacques de Lacretelle (Gallimard, 27 francs) », RĂ©gis Messac en vient Ă  l’édition française qu’il critique sĂ©vĂšrement. Il Ă©crit : « 
 Quant aux adaptateurs
 Mais que veut dire au juste “adaptĂ©â€ ? Pourquoi ne pas dire tout simplement : traduit ? Pour le savoir, il faudrait comparer soigneusement “l’adaptation” française avec l'original hongrois, ce que nous n'avons guĂšre la possibilitĂ© de faire. Mais la comparaison du volume publiĂ© chez Gallimard avec la traduction anglaise de Ralph Murray permet de soupçonner que cette adaptation est surtout une abrĂ©viation. Cela pourrait se concevoir Ă  la rigueur, car le livre est fort touffu. Mais n'aurait-on pas supprimĂ© de prĂ©fĂ©rence les passages trop dĂ©sagrĂ©ables pour l’amour-propre national ? À la page 332 de la traduction de Murray, on trouve une longue tirade oĂč Kuncz exhale sa haine contre Clemenceau, nĂ©faste vieillard. À la page 243 de l'Ă©dition française, on retrouve la mĂȘme tirade... mais rĂ©duite de plus de moitiĂ© ! Un peu plus loin, page 244, on trouve le passage suivant :

“... presque tous nos compagnons de dortoir parlaient et criaient dans leur sommeil. La nuit, la casemate n'Ă©tait jamais calme, surtout aprĂšs les jours de pluie et aux Ă©poques d'Ă©vĂ©nements de guerre importants. Les paillasses, les cadres de couchette grinçaient sous les dormeurs agitĂ©s qui se tournaient et se retournaient sans cesse. On entendait des soupirs, de longs gĂ©missements. Il s'en trouvait Ă  peine un ou deux pour ronfler paisiblement. Quand l'un d'entre nous criait trop fort, tout le monde bougeait, certains se levaient, quelqu'un cherchait ses sabots, son manteau...”

Que l'on compare avec la traduction du mĂȘme morceau donnĂ© page 207 du numĂ©ro des Primaires citĂ© plus haut, et on verra tout ce qui manque :

[“Presque tous parlaient ou pleuraient pendant leur sommeil. Les bruits de la casemate ne s'apaisaient jamais, mĂȘme pendant la nuit, surtout aprĂšs les jours de pluie, ou quand la guerre atteignait une pĂ©riode critique. Les paillasses et les chĂąlits bancroches craquaient et se froissaient sous le poids des dormeurs incessamment agitĂ©s. Des cris, des gĂ©missements et de profonds soupirs se faisaient entendre. Dans toute la chambrĂ©e, un ou deux individus tout au plus ronflaient paisiblement. Tout Ă  coup, on entendait Dudas crier du fond de son embrasure : “Tire lĂ  oĂč ça brille... C'est son Ɠil !” Puis une voix aigrelette et invraisemblable se mettait Ă  parler en allemand : “Das LeichentĂŒch ist nicht genĂŒgend lang” [le linceul n'est pas assez long]. Un des frĂšres Stocker rĂȘvait qu'il Ă©tait Ă  un enterrement. Et puis un cri si perçant que tout le monde sursautait et que quelques-uns, dans le noir, cherchaient Ă  tĂątons leurs galoches et leur manteau, pour aller voir.”]

De mĂȘme, le nom du prĂ©fet de la VendĂ©e, M. [Fernand] Tardif, qui ne s'intĂ©ressa que mĂ©diocrement au sort des prisonniers, est pudiquement remplacĂ© par une initiale. Si l'on ajoute que cette adaptation est rĂ©digĂ©e dans un français parfois un peu hĂątif, on voit qu'elle offre certains dĂ©fauts que le patronage de M. de Lacretelle ne suffit peut-ĂȘtre pas Ă  compenser entiĂšrement. »

Dans une Ă©tude intitulĂ©e « Une mĂ©moire hongroise particuliĂšre ; le cas d'AladĂĄr Kuncz » et publiĂ©e en 2007 dans le n° 228 de Guerres mondiales et conflits contemporains, le traducteur Jean-LĂ©on Muller admet que « Un certain nombre de coupes [ont Ă©tĂ©] demandĂ©es Ă  Ladislas Gara ». Mais il ajoute que l’on « ne saurait y voir une volontĂ© de censure. Il s’agi[ssait] plutĂŽt, dit-il, d’épargner au lecteur français des digressions jugĂ©es superflues. Les passages concernant le sort trĂšs difficile rĂ©servĂ© aux dĂ©tenus sont intĂ©gralement conservĂ©s. Seul le nom d’un prĂ©fet impliquĂ© dans la mort de nombreux enfants Ă©trangers n’est pas mentionnĂ© dans l’édition française. Des raisons juridiques ont trĂšs certainement justifiĂ© ce choix. »

La traduction française du MonastĂšre noir par Ladislas Gara & Marie Piermont a Ă©tĂ© reprise en 1999 et en 2014 par les Ă©ditions de l'Étrave Ă  Beauvoir-sur-Mer (VendĂ©e) avec un avant-propos de LĂĄszlĂł LƑrinczi (1999) et une prĂ©face de Nicolas Gicquel (2014).


Édition originale en hongrois :

  • Fekete kolostor : feljegyzĂ©sek a francia internĂĄltsĂĄgbĂłl (Le MonastĂšre noir : notes sur l'internement français) , KolozsvĂĄr, ErdĂ©lyi SzĂ©pmĂ­ves CĂ©h, 1931.

Éditions françaises :

  • Le MonastĂšre noir : souvenirs de captivitĂ© Ă  la citadelle, trad. et adapt. du hongrois par Ladislas Gara et Marie Piermont, prĂ©f. de Jacques de Lacretelle, Paris, Gallimard, 1937.
  • Le MonastĂšre noir, prĂ©f. de LĂĄszlĂł LƑrinczi, Beauvoir-sur-Mer (VendĂ©e), L'Étrave, 1999.

Autres Ɠuvres

Dans ces mĂȘmes annĂ©es, Kuncz Ă©crit Felleg a vĂĄros felett (Nuage sur la ville, non trad.en fr.), roman publiĂ© Ă  titre posthume en 1934. Il fut aussi l'auteur d'essais : Thököly a francia irodalomban ("Thököly dans la littĂ©rature française"), 1913, Vajda JĂĄnos, 1922, PetƑfi zsenije ("Le gĂ©nie de PetƑfi"), 1923 ; ces deux derniĂšres Ă©tudes parurent dans Nyugat. Il a traduit en hongrois plusieurs Ɠuvres de littĂ©rature française dont l'Histoire de Gil Blas de Santillane de Lesage, La Renaissance de Gobineau, Monsieur Parent de Guy de Maupassant, Secret d'État de Tristan Bernard ; il fit connaĂźtre Proust Ă  ses concitoyens.

Références

  1. AladĂĄr Kuncz, Black Monastery, trad. Ralph Murray, Chatto & Windus, Londres, 1934.

Bibliographie

Liens externes

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