Affaire Chahinez Daoud
L'affaire Chahinez Daoud concerne le féminicide d'une mère de trois enfants, Chahinez Daoud, brûlée vive par son mari en 2021, à Mérignac en Gironde (France).
Affaire Chahinez Daoud | |
Fait reproché | Féminicide |
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Chefs d'accusation | Homicide volontaire par conjoint |
Pays | France |
Ville | MĂ©rignac |
Nature de l'arme | Feu |
Date | |
Nombre de victimes | 1 mort |
Jugement | |
Statut | Instruction en cours |
L'affaire a mis en évidence plusieurs défaillances des services judiciaires et de la police dans les mesures de protection de la victime. Elle a conduit les pouvoirs publics à réagir.
DĂ©roulement des faits
Chahinez Daoud est une femme de 31 ans, mère de trois enfants (5, 8 et 13 ans)[1], en cours de séparation de son mari violent, Mounir Boutaa[1], ouvrier maçon[2] de 45 ans au moment du drame[3].
Le 23 juin 2020, elle est violemment frappée par son mari et porte plainte. Le 25 juin 2020, Mounir B. est condamné en comparution immédiate pour violences en récidive à une peine de 18 mois de prison dont 9 mois ferme. Le , Chahinez Daoud dépose une plainte pour harcèlement téléphonique alors qu'il était incarcéré et avait interdiction de la contacter[4]. Le , Mounir B. est convoqué pour qu'il s'explique sur ces contacts téléphoniques avec son épouse[5].
La police n'informe le parquet du non-respect de la mesure d'éloignement que le . Le parquet la classe sans suite, sans prévenir ni le référent chargé des violences conjugales ni le juge d'application des peines[5].
Entre-temps, Mounir B. bénéficie d'un aménagement de peine puis est remis en liberté le avec suivi judiciaire. Chahinez Daoud n'en est pas tenue informée. Il a l'interdiction de s'approcher du domicile de sa femme, interdiction qu'il ne respecte pas[4] - [5].
Le 15 mars 2021, la mère de famille porte à nouveau plainte après qu'il l'a frappée et a tenté de l'étrangler[4].
Le 26 mars et le 14 avril, Mounir B. se présente aux convocations du service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) sans être interpelé[5].
Le 4 mai 2021 à 18h15, alors qu'elle sort de son pavillon pour aller chercher ses enfants, Mounir B., qui s'était caché pour la surprendre, lui tire à deux reprises dans les jambes avant de l'asperger d'un liquide inflammable et de mettre le feu à sa victime et au pavillon. Chahinez Daoud périt brûlée vive. L'homme est interpelé peu après[6].
Protagonistes
Mounir B. est d'origine algérienne. Il a acquis la nationalité française lors de son premier mariage. De cette union sont nés trois enfants. Le couple a divorcé en 2015[3].
Il a été condamné à 7 reprises pour « violences avec usage d'une arme », « vol avec destruction ou dégradation » et pour « violences par conjoint en présence d'un mineur »[3].
Chahinez Daoud est algérienne. Elle a deux enfants d'une précédente union. Elle est présentée à Mounir B. en 2015 en Algérie. Chahinez Daoud le rejoint en France où le couple se marie. La jeune femme acquiert la nationalité française à cette occasion. Le couple accueille un nouvel enfant[3].
Chahinez Daoud était appréciée de ses voisins. C'était une mère attentionnée. Selon un témoignage « elle voulait vivre en France comme une Française, mais son mari n'était pas de cet avis »[3].
Elle avait été prise en charge en juin 2020 puis en mars 2021 au CHU de Bordeaux au sein de la cellule d’accueil en urgence de victimes d’agression (CAUVA)[7].
Procédure judiciaire
Le 6 mai 2021, Mounir B. est mis en examen « des chefs d’homicide volontaire par conjoint, destruction volontaire par incendie, violences volontaires sans ITT avec arme en récidive légale ». Il est placé en détention provisoire[8].
Écroué à l'isolement, Mounir B. met le feu au réfrigérateur de sa cellule et tente d'agresser ses gardiens le . Il est transféré vers une structure médicalisée[9].
En juillet 2021, les parents de Chahinez Daoud obtiennent un titre de séjour en France pour se rapprocher de leurs petits-enfants placés en famille d'accueil et dont ils souhaitent obtenir la garde[10]. Celle-ci leur sera octroyée le [11].
RĂ©actions
Ce 39e féminicide de l'année 2021 a suscité un grand émoi dans le pays et dans les médias[12] conduisant la classe politique à réagir publiquement.
Les ministères de la Justice et de l’Intérieur ont déclenché le jeudi une mission d’inspection chargée d'étudier les conditions de la remise en liberté et le suivi de Mounir B. Le garde des Sceaux a indiqué le « je n’aurai pas la main qui tremble » si des manquements sont avérés[13].
Des questions se posent[14] :
- Pourquoi la victime n'avait pas de téléphone grand danger ?
- Pourquoi le conjoint violent n'avait pas de bracelet anti-rapprochement ?
- Pourquoi son arme ne lui a pas été retirée ?[13]
- Pourquoi après la plainte de mars 2021, l'homme violent n'a pas été arrêté ?[6]
Selon la chancellerie, sur les mille bracelets anti-rapprochement disponibles seuls 45 Ă©taient actifs au moment du drame[13].
L'association locale de secours aux femmes battues et à leurs enfants APAFED rappelle que, depuis le Grenelle des violences conjugales de 2019, il est possible de confisquer les armes à feu des personnes condamnées pour violences conjugales[14]. Sa directrice souhaiterait que les associations puissent attribuer elles-mêmes des téléphones grand danger aux personnes menacées[14].
Dans une chronique publiée dans Le Monde du 15 mai 2021, l’ancienne vice-procureure Corine Béal, la médecin légiste Karine Dabadie et l’avocat Alain Garay préconisent d'étendre au territoire national le protocole mis en place en Guadeloupe qui a fait preuve d'efficacité[7].
Le rapport de la mission d’inspection signale plusieurs défaillances concernant le suivi du conjoint violent multirécidiviste et la protection de la victime[15]. La mission d’inspection considère que la grille d’évaluation du danger a bien été renseignée et transmise au parquet, mais qu'« il existe un doute sérieux sur le soin avec lequel ces grilles ont été renseignées »[4] - [5].
Ce rapport conduit le gouvernement à annoncer le de nouvelles mesures parmi lesquelles le déploiement de 3 000 téléphones grave danger supplémentaires, permettant d’alerter les forces de l'ordre en cas de danger immédiat. Le ministre de l'intérieur se déclare prêt à prendre les sanctions « qui s’imposent à tous les niveaux de la chaîne de responsabilité »[4].
On apprend en juillet 2021 que le policier de Mérignac qui avait enregistré la plainte de Chahinez Daoud avait été lui-même condamné pour violence familiale, le 10 février 2021 à une peine de 8 mois de prison avec sursis probatoire et non-inscription de cette condamnation au casier judiciaire B2[4]. Après cette révélation par le Canard Enchainé, le collectif Abandon de famille - Tolérance zéro lance une pétition qui recueille 23 000 signatures afin de recenser de manière confidentielle les policiers et gendarmes auteurs de violences intrafamiliales pour « briser l’omerta autour de ce phénomène et d’affecter les mis en cause dans des services où ils ne sont pas amener à enregistrer des plaintes ». L'association dénonce le fait que la condamnation du policier qui a mal enregistré la plainte de Chahinez Daoud ne soit même pas mentionné dans le rapport de la mission d'inspection du ministère de l’Intérieur qui doit « identifier les différentes failles du processus judiciaire dans cette affaire » et pour elle « le fait que cette information ait été occultée est encore plus grave que la condamnation en elle-même, cela montre qu’on ne veut pas imaginer les forces de l’ordre en tant que prédateurs. »[16]
Le 29 mars, Mounir B. s'est présenté à l'accueil du commissariat de Mérignac se plaignant de ne pas voir ses enfants. L'agent, le même qui avait enregistré la plainte de Chahinez Daoud, demande à l'individu de sortir sans vérifier son identité. La mission d'inspection observe : « La connexion du logiciel d'accueil du commissariat au logiciel de gestion des fiches de recherche locales aurait permis d'identifier formellement et d'interpeller Mounir B. »[5].
Julien Plouton, l'avocat de la famille Daoud, estime : « Nous considérons que les manquements les plus graves ne se situent pas principalement au niveau du recueil de la plainte de Chahinez Daoud mais plutôt au niveau du suivi d’enquête qui a été totalement carencé avec une inaction inexplicable à partir du moment où les faits dénoncés par Chahinez Daoud seront confirmés »[17].
Hommages
Les voisins et proches de la victime ont laissé de nombreuses marques de sympathie à son domicile où 400 personnes se sont rassemblées le lendemain du drame. Parmi les messages laissés ou les déclarations à la presse, on peut citer : « Pour une maman qui aspirait à vivre en paix, aimait profondément ses enfants… », « C’était une belle personne »[1], « C'était un rayon de soleil »[6]…
Le 25 novembre 2021, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, la mairie de Mérignac plante un cèdre de l'Atlas en hommage à Chahinez Daoud et à l'ensemble des femmes victimes de violences. La cérémonie se tient en présence d'Alain Anziani et de Marie Récalde[18].
Mesures administratives
En septembre 2021, un rapport de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) met en cause un brigadier, deux commandants et un commissaire[19]. Finalement, dans un souci d'exemplarité, toute la chaine de commandement est impliquée ; le directeur zonal de la sécurité publique du Sud-Ouest a reçu un blâme et sept fonctionnaires sont convoqués devant un conseil de discipline le : deux commissaires dont le directeur départemental de la sécurité publique en Gironde, deux commandants, un major, un brigadier-chef et le gardien de la paix qui a reçu la plainte de la victime[20], mais ce dernier a été révoqué avant de comparaitre, du fait de sa condamnation[21]. Les sanctions prononcées (allant d'un avertissement à trois jours d'exclusion avec sursis) restent symboliques[22], l'enjeu étant que des faits similaires ne se reproduisent pas[23].
Du côté de l’institution judiciaire, l’enquête n’identifie pas de personne « fautive disciplinairement » mais « des dispositions organisationnelles » seront prises pour éviter les dysfonctionnements constatés[19].
Six mois plus tard, le 104e féminicide, commis le à Épinay-sur-Seine, montre des dysfonctionnements comparables avec une victime équipée de téléphone grave danger mais non prévenue — ainsi que le commissariat local — de la libération de son ancien conjoint violent[24].
Notes et références
- Florence Moreau, « « C’était une belle personne » : à Mérignac, l’émotion après la mort de Chahinez Boutaa, brûlée vive par son mari », sur Le Monde, (consulté le ).
- « Féminicide de Mérignac : Chahinez Daoud, cette femme « douce » et « solaire » qui vivait dans la peur », sur Ouest-France, (consulté le ).
- Sedera Raliniainjanahary, « “Elle voulait vivre comme une Française” : Chahinez, 31 ans, brûlée vive par son mari », sur AmoMama, (consulté le ).
- Géraldine John, « Féminicide de Mérignac : le policier qui a pris la plainte de Chahinez Daoud était lui-même condamné pour violences intrafamiliales », sur Nord Littoral, (consulté le ).
- « Féminicide de Mérignac : une longue suite de défaillances pointée dans le rapport de la mission d'inspection », sur France info, (consulté le ).
- V. F., « "C'était un rayon de soleil" : l’enquête de "Sept à Huit" sur le meurtre de Chahinez à Mérignac », sur LCI, (consulté le ).
- « Assassinat de Chahinez Boutaa : « Le lien police-justice-médecine a t-il été défaillant ? » », Tribune, sur Le Monde, (consulté le ).
- « Femme brûlée vive à Mérignac : Le suspect mis en examen et placé en détention provisoire », (consulté le ).
- « Lot-et-Garonne : que faisait l'auteur présumé du féminicide de Mérignac à la prison d’Agen ? », sur Le Petit Bleu d'Agen, (consulté le ).
- Margaux d'Adhémar, « Meurtre de Mérignac : les parents de Chahinez se battent pour la garde de leurs petits-enfants », sur Le Figaro, (consulté le ).
- « Féminicide de Mérignac : les parents de Chahinez obtiennent la garde de leurs petits-enfants », sur France Info, (consulté le ).
- https://www.lepoint.fr/justice/feminicide-a-merignac-le-passe-judiciaire-du-policier-ayant-pris-la-plainte-interroge-21-07-2021-2436388_2386.php
- « JUSTICE - Après le féminicide de Mérignac, Éric Dupond-Moretti exhorte les magistrats à utiliser les bracelets anti-rapprochement, qui "n'ont pas vocation à rester dans les tiroirs". », sur LCI, (consulté le ).
- « Féminicide de Mérignac : le rapport de la mission d'inspection de la justice très attendu ce mardi 11 mai », sur FR3, (consulté le ).
- https://www.leparisien.fr/faits-divers/feminicide-de-chahinez-a-merignac-le-policier-qui-a-pris-la-plainte-avait-ete-condamne-pour-violences-intrafamiliales-21-07-2021-CNXJUNAJ7JGGLNT3AR7DVUBBCI.php
- Une pétition lancée pour recenser les policiers et gendarmes auteurs de violences intra-familiales, BFMTV, 3/8/2021
- https://www.bfmtv.com/police-justice/feminicide-a-merignac-six-policiers-convoques-devant-un-conseil-de-discipline-ce-mardi_AV-202201040024.html
- « Mérignac : un cèdre de l’Atlas planté en hommage à Chahinez Daoud victime d’un féminicide », sur Sud-Ouest, (consulté le ).
- Emmanuel Leclère, « Féminicide de Mérignac : les policiers impliqués dans les défaillances seront sanctionnés », sur France Inter, (consulté le ).
- « Féminicide de Chahinez Daoud à Mérignac : sept policiers convoqués devant le conseil de discipline », sur FR3, (consulté le ).
- https://news.konbini.com/societe/feminicide-de-chahinez-daoud-6-policiers-convoques-en-conseil-de-discipline/
- « Féminicide de Mérignac : d'un avertissement à trois jours d'exclusion avec sursis proposés à l'encontre de cinq policiers », sur France Info, (consulté le ).
- https://www.francetvinfo.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/feminicides-six-policiers-entendus-dans-le-meurtre-de-chahinez-daoud_4904291.html
- « Epinay-sur-Seine : une femme mortellement poignardée par son compagnon, qui sortait de prison pour violences et menaces », sur FR3, (consulté le ).