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Cinq colonnes Ă  la une

5 colonnes Ă  la une
Genre Émission d'information
Réalisation Pierre Lazareff
Pierre Desgraupes
Pierre Dumayet
Igor Barrère
Pays Drapeau de la France France
Langue Français
Production
Durée 90 minutes
Production RTF (1959-1964)
ORTF (1964-1968)
Production exécutive Pierre Lazareff
Pierre Desgraupes
Pierre Dumayet
Éliane Victor
Diffusion
Diffusion Première chaîne de l'ORTF (1964-1968)
Ancienne diffusion RTF Télévision (1959-1964)
Date de première diffusion [1]
Date de dernière diffusion
Statut Arrêtée
Public conseillé Tout public

Cinq colonnes Ă  la une est le premier magazine tĂ©lĂ©visĂ© d'information français diffusĂ© du jusqu’au sur RTF TĂ©lĂ©vision (puis ORTF). LancĂ© Ă  l'initiative de Jean d'Arcy, directeur des programmes de RTF, produit par Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet (les « trois Pierre Â»), le magazine est rĂ©alisĂ© par Igor Barrère, la secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale Éliane Victor assurant un rĂ´le de coordination. L'Ă©mission est emblĂ©matique de la prĂ©sidence du gĂ©nĂ©ral de Gaulle puisqu'elle l'accompagne de sa prise de fonction jusqu'Ă  pratiquement son terme.

Ayant lancé le genre du magazine de reportages à la télévision française, elle est encore aujourd’hui considérée comme une référence du genre.

Principe de l'émission

Le titre est inspirĂ© d’une expression employĂ©e dans la presse Ă©crite : le texte des journaux est alors gĂ©nĂ©ralement rĂ©parti sur cinq colonnes verticales. L’article Ă  la une (sur la première page) affiche un titre d’une largeur de cinq colonnes, signifiant par lĂ  qu’il relève d’une importance majeure.

« Si vous voulez ĂŞtre connu, il vaut mieux que l'on dise de vous sur 5 colonnes Ă  la une de France-Soir : “ce type est un salopard” plutĂ´t qu'Ă  la page des petites annonces “ce type est formidable, il cherche du boulot” ! Â»

— Pierre Lazareff

L'indicatif musical du générique de l'émission est La Danse des flammes, extraite de la musique du ballet Le Rendez-vous manqué de Michel Magne[2].

Le magazine se compose d’un assemblage d’une douzaine de reportages en moyenne, d’une durĂ©e de 90 minutes. Cinq colonnes Ă  la une fixe aux tĂ©lĂ©spectateurs un rendez-vous mensuel, placĂ© Ă  une case horaire de choix : 20 h 30. Très attendue et très remarquĂ©e, l’émission s’articule sur une succession de sĂ©quences, oĂą le rythme est rapide et oĂą l’attention ne doit pas faiblir. Elle se prĂ©sente comme « un produit pĂ©dagogique Â» : « une introduction qui prĂ©sente les faits, les lieux, les acteurs de l’évènement […], puis une partie centrale composĂ©e d’une succession d’interviews, entrecoupĂ©es d’images et de commentaires de transition, destinĂ©s Ă  exposer les diffĂ©rents aspects du sujet ; enfin une conclusion, le plus souvent formulĂ©e en voix off par le journaliste Â»[3]. Elle adopte la technique de la presse Ă©crite : le vĹ“u de Pierre Lazareff est respectĂ©.

Cette Ă©mission repose avant tout sur « la prĂ©sence du reporter sur le terrain qu’il met en scène Ă  l’écran […]. Le reportage y apparaĂ®t simultanĂ©ment comme le tĂ©moin, l’acteur et le narrateur de ce qu’il a vu Â». Autre innovation : l’association inĂ©dite d’un journaliste Ă  un rĂ©alisateur « qui souligne leur volontĂ© de donner la primautĂ© Ă  l’image et de prĂ©senter un produit visuel de qualitĂ© Â»[4]. Pierre Lazareff veut moderniser le journalisme audiovisuel et le dĂ©cliner sur un mode original : « je veux […] recrĂ©er sur le petit Ă©cran quelque chose qui ait une force percutante aussi grande que l’évĂ©nement lui-mĂŞme Â»[5]. La grande diversitĂ© des thèmes abordĂ©s, l’alternance de sĂ©quences graves et de sĂ©quences plus lĂ©gères confèrent Ă  l’émission un ton particulier.

Exemple, le programme de l’émission du mois d’avril 1961 oĂą figurent dix reportages[6] : New York, cible no 1 – LĂ©o FerrĂ© – Angola – Sacha Distel – Le procureur – Les Frères Jacques – École de mannequins – Chine 1961 – Charles Trenet – Planning familial Ă  Grenoble. Dans ce programme, l’actualitĂ© lĂ©gère est illustrĂ©e par FerrĂ©, Distel ou Trenet, tandis que les informations gĂ©nĂ©ralistes de sociĂ©tĂ© se focalisent sur la justice ou la politique. Cette dernière est le domaine rĂ©servĂ© des pays Ă©trangers : le magazine fait le point sur la situation chinoise et Ă©voque la menace castriste aux États-Unis (New York, cible no 1). Cette diversitĂ© est en grande partie Ă  l’origine de sa consĂ©cration par le public.

Les professionnels de l’audiovisuel les premiers accueillent l’émission avec tous les honneurs. D’ailleurs, les producteurs ouvrent rĂ©gulièrement leurs « colonnes Â» Ă  des collaborations extĂ©rieures. Le public quant Ă  lui, semble « avoir trouvĂ© ce qu’il attendait plus ou moins confusĂ©ment depuis la naissance de la tĂ©lĂ©vision : la force d’évocation de l’image tĂ©lĂ©visĂ©e Â»[4]. Le succès est foudroyant : l’émission est la plus regardĂ©e du petit Ă©cran. Toute cette attention incite au contrĂ´le accru de son contenu, mais paradoxalement, cette notoriĂ©tĂ© engendre aussi une certaine autonomie.

La première émission

Le , lendemain de la prise de fonction du gĂ©nĂ©ral de Gaulle Ă  la prĂ©sidence de la Cinquième RĂ©publique, le premier numĂ©ro de l'Ă©mission est diffusĂ©. Au programme de la première Ă©mission[7] : une interview de Brigitte Bardot, les vĹ“ux de Jean XXIII aux Français ainsi qu'un sujet sur Yves Montand. On y traite aussi de la confrontation entre trois ouvriers (un Allemand, un Italien et un Français) au sujet de l'avenir du MarchĂ© commun europĂ©en et un reportage sur un poste militaire en AlgĂ©rie.

Si la forme est innovante, il en va de mĂŞme pour le contenu. Dès cette première Ă©mission, le magazine s’attaque donc au plus dĂ©licat sujet d’actualitĂ© du moment : la guerre d’AlgĂ©rie. Ainsi, les journalistes Ă©voquent-ils le sergent Robert amenĂ© Ă  reprĂ©senter tous les autres appelĂ©s qui font leur service militaire, les difficultĂ©s de l’armĂ©e, la rĂ©alitĂ© des combats, les hommes du FLN et les dĂ©sillusions des pieds-noirs[8]. L'Ă©mission souffle alors comme une bombe sur le monde des mĂ©dias. Le reportage-document vient ainsi d'ĂŞtre inventĂ© par Pierre Desgraupes et Igor Barrère.

Pourquoi ce droit aux sujets tabous ? Rènald Perquis propose son analyse : « entre janvier 1959 et octobre 1962, la vingtaine de reportages sur l’AlgĂ©rie Ă©tablit avec la ligne politique suivie par le gouvernement, un parallèle flagrant Â»[9]. Il poursuit : lorsqu’un reportage se consacre Ă  dĂ©velopper l’information en AlgĂ©rie, « soit il s’inscrit dans une ligne officielle, soit il fait l’exposĂ© des thèses qui s’opposent Â». Mais mise Ă  part l’AlgĂ©rie, le magazine n’évoque qu’épisodiquement des faits de politique intĂ©rieure. Et si on ne parle que très rarement des Ă©vènements politiques, Cinq colonnes compense nĂ©anmoins cette carence par de brillants reportages de politique Ă©trangère.

Face Ă  la censure

De l’idée du reportage à la diffusion de la séquence, toutes les étapes de l’élaboration du magazine sont contrôlées.

L’équipe de Cinq colonnes dispose d’un mois entier pour concevoir, tourner puis monter les diverses sĂ©quences qui composeront le magazine. Et Ă  chaque Ă©tape de la fabrication, s’exerce un rigoureux contrĂ´le, qui dĂ©leste les producteurs de quelques-unes de leurs prĂ©rogatives. Le magazine surmonte cette contrainte spĂ©cifique car, en règle gĂ©nĂ©rale, il « ne s'intĂ©resse pas aux problèmes de politique intĂ©rieure et ne donne jamais la parole Ă  des adversaires ou Ă  des partisans du pouvoir en place Â», Cinq colonnes se mĂ©nageant ainsi un Ă®lot de libertĂ© dans le cadre d'une tĂ©lĂ©vision largement contrĂ´lĂ©e par l'État[10].

Au cours de confĂ©rences des programmes, l’ossature du magazine est dĂ©crĂ©tĂ©e. Ă€ ce stade, on dresse une liste de sujets qui doivent recevoir l’aval de la direction de l’actualitĂ© tĂ©lĂ©visĂ©e et de la direction des programmes, toutes deux influencĂ©es par le contrĂ´le du ministère de l'Information[11]. Lorsqu’on arrive Ă  boucler un reportage dont le sujet est sensible, il reste Ă  subir l’épreuve de la projection privĂ©e en prĂ©sence des censeurs du gouvernement. « La veille de la diffusion sur un sujet comme l’AlgĂ©rie par exemple, il y avait tout le gâteau des ministres et des gĂ©nĂ©raux concernĂ©s […] ; s’il y avait un gendarme dans le sujet, automatiquement, il y avait un patron de la gendarmerie Â»[12] explique Michel Honorin lorsqu’il Ă©voque le dĂ©but de sa carrière.

S’il arrive qu’on interdise une sĂ©quence, ce n’est pourtant pas la règle. L’usage veut que ce soit le directeur des programmes qui vise en premier lieu toutes les sĂ©quences. Si les producteurs ne peuvent prĂ©tendre en aucun cas Ă  s’attaquer ouvertement au gouvernement, le magazine jouit pourtant d’une libertĂ© de ton et d’esprit reconnue par tous. L’émission jouit d’une très grande popularitĂ© auprès du public et reprĂ©sente ainsi une arme dĂ©cisive. Pierre Desgraupes dĂ©crit le phĂ©nomène en 1961 : « il y a très peu de censure […]. Il y a seulement des pressions politiques qui nous font choisir tel sujet. Une seule sĂ©quence, sur l’AlgĂ©rie, a sautĂ© il y a un an environ. La meilleure dĂ©fense de l’émission contre la censure ? Sa très grande popularitĂ© auprès du public Â»[13].

En effet, lorsque la pression politique devient trop lourde Ă  supporter, l’influent Pierre Lazareff publie dans la presse des communiquĂ©s dĂ©nonçant la censure, avant mĂŞme que celle-ci soit effective. Ă€ propos d’un reportage d’Édouard Sablier et de Jean-Pierre Gallo sur les Ă©vĂ©nements d’Irak de 1963 et le rĂ´le du nassĂ©risme au Moyen-Orient, le communiquĂ© publiĂ© dans la presse en rĂ©vèle le dĂ©tail : « La direction gĂ©nĂ©rale de la RTF a interdit, Ă  la demande d’un reprĂ©sentant du Quai d’Orsay, la diffusion de cette sĂ©quence. Pourtant, elle Ă©tait de l’avis mĂŞme de ceux qui l’ont censurĂ©e, en tout point objective et mesurĂ©e […]. Ces crises devenant de plus en plus frĂ©quentes, rendent de plus en plus hasardeuse la rĂ©alisation d’une Ă©mission du type Cinq colonnes. Dans ces conditions, les producteurs se trouvent bien malgrĂ© eux dans l’obligation d’attendre […] que des garanties Ă©lĂ©mentaires mettent l’information tĂ©lĂ©visĂ©e Ă  l’abri d’incident de ce genre Â»[13]… Ainsi, une semaine plus tard, la RTF publie-t-elle Ă  son tour un communiquĂ© qui annonce la diffusion du reportage. Pierre Lazareff fait ainsi planer la menace d’un arrĂŞt pur et simple du fleuron des Ă©missions de la tĂ©lĂ©vision

Les producteurs sabordent le magazine en mai 1968 pour protester contre les mesures gouvernementales prises à la suite des évènements. L’émission ressuscite quelques mois plus tard en un De nos envoyés spéciaux, mais l’ambition et l’entrain du début n’y sont plus. Cinq colonnes disparaît définitivement des écrans de l’ORTF en mai 1968.

Le magazine actuel EnvoyĂ© spĂ©cial — diffusĂ© Ă  partir de 1990 sur Antenne 2, chaĂ®ne devenue, en 1992, France 2 â€” semble ĂŞtre l'Ă©mission hĂ©ritière de Cinq colonnes Ă  la une, et lui ressemble, vu que cette Ă©mission se dĂ©roule en plusieurs rubriques, avec des thèmes diffĂ©rents.

Pour approfondir

Bibliographie

  • HervĂ© Brusini, Francis James, Voir la vĂ©ritĂ©, le journalisme de tĂ©lĂ©vision, PUF, 1982
  • Jean-NoĂ«l Jeanneney, Monique Sauvage, TĂ©lĂ©vision nouvelle mĂ©moire, Seuil-INA, 1982 (tout entier consacrĂ© Ă  5 colonnes Ă  la une)
  • Pierre Desgraupes, Hors antenne, Quai Voltaire, 1992
  • Karine Mancier, « Cinq colonnes Ă  la Une  Â» et la dĂ©colonisation (mĂ©moire de maĂ®trise en histoire), Paris, universitĂ© PanthĂ©on-Sorbonne,
  • Robert SoulĂ©, Lazareff et ses hommes, Grasset, 1992
  • Yves Courrière, Pierre Lazareff ou le Vagabond de l’actualitĂ©, Gallimard, 1995
  • Pierre Baylot (dir.), Les Magazines de reportage Ă  la tĂ©lĂ©vision, CinĂ©maction no 84, Corlet-TĂ©lĂ©rama, 1997
  • David Buxton, Le Reportage de tĂ©lĂ©vision en France depuis 1959, L’Harmattan, 2000
  • Aude Vassallo, La TĂ©lĂ©vision sous de Gaulle : Le contrĂ´le gouvernemental de l'information (1958-1969), INA-De Boeck, 2005

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Cinq colonnes Ă  la une sur toutelatele.com.
  2. Générique de 5 colonnes à la une, 8 mai 1959, sur le site de l'INA.
  3. HĂ©lène Bousser-Eck, Monique Sauvage, « Le règne de Cinq colonnes 1959-1965 Â», Jean-NoĂ«l Jeanneney, Monique Sauvage, TĂ©lĂ©vision Nouvelle MĂ©moire, Seuil-INA, 1982, p.53
  4. Francis James, « Cinq colonnes Ă  la une ou le Journalisme total Â», CinĂ©maction n°84, 1997, Paris
  5. Pierre Lazareff, TĂ©lĂ© 59, 4 janvier 1959, citĂ© par Jean Ungaro, notice de Cinq colonnes Ă  la une : Images du temps prĂ©sent Ă  la tĂ©lĂ©vision (1949-1964), INA.
  6. Jean-Noël Jeanneney, Monique Sauvage, Télévision nouvelle mémoire, Seuil-INA, 1982, p.229.
  7. Jean-NoĂ«l Jeanneney, Monique Sauvage, TĂ©lĂ©vision, nouvelle mĂ©moire: les magazines de grand reportage, 1959-1968, Seuil, , p. 225 .
  8. Jean-NoĂ«l Jeanneney, Monique Sauvage, TĂ©lĂ©vision, nouvelle mĂ©moire: les magazines de grand reportage, 1959-1968, Seuil, , p. 99-100 .
  9. Rènald Perquis, « La guerre d’AlgĂ©rie Ă  travers 5 colonnes Ă  la une Â», mĂ©moire, universitĂ© Paris Diderot, 1998, p.70.
  10. Jean-NoĂ«l Jeanneney, Monique Sauvage, TĂ©lĂ©vision, nouvelle mĂ©moire: les magazines de grand reportage, 1959-1968, Seuil, , p. 98 .
  11. Aude Vassallo, La TĂ©lĂ©vision sous de Gaulle : Le ContrĂ´le gouvernemental de l’information (1958-1969), INA-De Boeck, 2005.
  12. Michel Honorin interviewé par Hervé Brusini et Francis James dans le documentaire Voyage au centre de l’info, France 2, janvier 1999.
  13. Pierre Desgraupes, L’Écho de la Presse, 25 mars 1961.