Vicomtes Teuma de Marseille
Les vicomtes de Marseille sont une famille vicomtale dont l'origine remonte au milieu du Xe siècle avec Arlulf de Marseille. Cette famille s'éteint en 1216 avec Roncelin de Marseille, abbé de l'Abbaye Saint-Victor de Marseille, puis vicomte de Marseille qui est le dernier de la lignée à posséder des droits sur la vicomté.
Origine
Le premier ancêtre connu de cette famille est Arlulf de Marseille ou Arlulfe[2] qui apparaît à l'occasion des donations des terres fiscales et des droits publics du val de Trets dont il bénéficie en 950 de la part du roi de Bourgogne-Provence Conrad III de Bourgogne[3]. Pour l'historien Jean-Pierre Poly, la plus grande partie des fiscs marseillais auraient été donnés par le roi Conrad à Arnulf le Viennois, fils de Thibert, autour des années 948-952[4]. Il s'agit d'un domaine immense, d'environ 60.000 hectares, qui dépasse de loin les limites du territoire de Trets. Arlulf reçoit non seulement la curtis, mais en plus, l'exercice et le profit de tous les droits publics rattachés, autrement dit le ban seigneurial[5].
D'après l'hypothèse de G. de Manteyer reprise par J.P. Poly, Arlulf serait le petit-fils du comte Teutebert, appelé aussi Thibert qui avait administré le Royaume de Provence pour le compte du roi Louis III l'Aveugle dans les années 890-908. Il appartient donc à la noblesse franque installée dans les pays du Bas-Rhône à l'époque carolingienne et plus probablement à celle originaire du Viennois venue à la suite d'Hugues d'Arles qui a su s'affranchir du clan aristocratique des Bosonides pour perpétuer son enracinement en Provence à la suite de la disparition d'Hugues et de la disgrâce ou absence de son neveu, l'archevêque d'Arles Manassès.
Son fils, Guillaume de Marseille, se marie avec Belielde.
Le mariage de leurs deux enfants est une exception dans la Provence du Xe siècle, conséquence des troubles politiques violents opposant au début du Xe siècle les Bourguignons, venus du nord, comme Arlulf de Marseille et les locaux, comme Pons de Marseille. L'affrontement se mue en choc de cultures : partisans et adversaires des envahisseurs francs se battent à coups d'anthroponymes. Les premiers, tels les Châteaurenard, les Agoult , les Sabran, les Reillane ou les Lacoste rejettent les vieux noms sénatoriaux, se proclamant saliques; les seconds s'y raccrochant, comme les Mévouillon ou les Castellane, familles de vicomtes de Marseille, qualifiés alors de "romans". Si un peu moins d'un cinquième des noms des grandes familles provençales reste gallo-romain entre 950 et 1020, il est porté par seulement quatre familles, qui refusent les Bourguignons. Toutefois, même Pons de Marseille, malgré son prénom d'origine latine, Poncius, serait certainement en fait d'origine germanique.
Les vicomtes de Marseille
Seigneurs de Marseille et de Trets avant 977, les vicomtes de Marseille réussissent à se soustraire à la domination des comtes de Provence. Ils se créent une sorte de souveraineté. Ils ne sont plus astreints qu'à un service de chevauchée envers leurs suzerains, et prétendent tenir leur vicomté de la grâce de Dieu et ne pas relever des comtes de Provence[6].
Le sel leur appartient. Leurs sceaux les représentent à cheval et armés de toutes pièces. Presque toujours un de leurs fils occupe le siège épiscopal du diocèse. Du reste, les évêques suivent les vicomtes dans cette voie d'indépendance. Les évêques ont la seigneurie de la ville supérieure, et les vicomtes, maîtres de la seigneurie de la ville inférieure, jouissent en outre de droits domaniaux dans tout le reste du district, qui embrasse le littoral depuis Fos jusqu'à l'embouchure du fleuve d'Argens, près de Fréjus, la vallée de l'Huveaune et le pays situé sur la rive orientale de l'étang de Berre.
Marseille comprend trois villes différentes qui sont : la cité abbatiale, la cité épiscopale et la cité vicomtale ; la première soumise à la puissante abbaye de Saint-Victor de Marseille dont les possessions s'étendent jusqu'en Espagne et en Italie ; la seconde appartenant à l'évêque, et, comme toutes les villes placées sous l'autorité ecclésiastique, flanquée de tours, ce qui lui fait donner le nom de villa turrium ; la troisième, enfin, sous la dépendance des vicomtes de Marseille qui, dès le Xe siècle, y ont fait des constructions militaires importantes et l'ont entourée de remparts solidement établis[7].
Les vicomtes sont lieutenants des comtes de Provence. Il y en a ailleurs qu'à Marseille; il y en a à Sisteron, par exemple, à Fréjus, à Avignon ; c'est-à -dire dans les endroits qui, par leur situation, ont plus particulièrement besoin de la présence d'un officier qui veille sur tout le pays de sa dépendance. Les vicomtes de Marseille sont appelés vassaux des comtes d'Arles, en l'an 1038, au commencement. . Leur généalogie est très difficile à faire, même d'après celle qu'en donnera Antoine de Ruffi. Comme il ne rapportera pas les chartes en entier, et qu'il supprimera les dates, au moins du plus grand nombre, ses omissions nous jettent dans de grandes difficultés[8].
Le lien, qui unit Marseille à ses comtes, se relâche néanmoins fréquemment. La ville ne tardera pas à secouer contre ses vicomtes qui morcelent leur héritage, à chaque génération, prenant tous le titre de vicomte ou de co-vicomte[9].
Mais, les vicomtes de Marseille, en divisant leurs domaines, en disséminant leurs richesses, laissent tomber chaque jour un lambeau de leur autorité, au profit de l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, que leurs grandes libéralités entoure d'un prestige énorme. Le pouvoir des vicomtes de Marseille se heurte aussi aux résistances énergiques du conseil municipal de Marseille, habile à étendre même ses prérogatives. Représentant et défenseur des intérêts d'une ville attachée à son indépendance.
La solide organisation de la bourgeoisie de Marseille est efficace à contrecarrer pouvoir des vicomtes. Déjà évincés des affaires publiques par le conseil municipal, ils ne gouvernent plus vraiment, et toute leur autorité se borne de plus en plus à la possession de quelques droits domaniaux.
Toutefois, les vicomtes de Marseille permettent à la marine des ordres du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem, en Syrie, de fréquenter le port de Marseille[10].
Les vicomtes de Marseille qui avaient persécuté l’Église pendant quelque temps, finissent par s'en repentir et lui accordent, à leur tour, de grands privilèges. Ils lui font en outre beaucoup de bien. Roncelin seul lui donne, en 1215, trente mille sols royaux couronnés, plus la sixième partie du Château-Babon, avec tous les droits qu'il y possédait. Ces droits consistent en censes, treizains, édifices et juridictions. Ce prince accorde de plus aux Chanoines, la faculté d'acquérir des biens dans le district de la dépendance. Les vicomtes, au témoignage de Ruffi, sont des princes aussi religieux que charitables ; et pour preuve de leur parfaite vertu, nous recueillons, —dit l'annaliste de Marseille, qu'ils faisoient retraite pendant le Carême, l'un dans l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, let l'autre tout auprès de l'église cathédrale de la Major[11].
Roncelin est le plus fameux de toute la race vicomtale. Malheureusement il ne doit sa célébrité qu'aux scandales de sa vie. Après avoir contracté une grande quantité de dettes, il prend l'habit de Saint-Benoît à l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, et le quitte bientôt pour épouser sa nièce Adalasie, qu'il délaisse ensuite. Excommunié par Innocent III, il rentre dans le monastère, fait publiquement amende honorable et se rend à Rome pour recevoir l'absolution du pape. Mais ses nombreux créanciers, peu touchés de la conversion du pécheur, et préoccupés du danger que courent leurs droits avec le nouveau cénobite, obtiennent sa réintégration dans la gérance de son patrimoine, dont les revenus peuvent suffire à l'acquit de ses dettes. Alors, redevenu laïque, Roncelin partage en 1211 ses terres avec ses parents, Hugues IV des Baux et Gérard-Adhémar. Il vend à abbaye de Saint-Victor de Marseille, le château de Saint-Julhan, aliène une partie du port en faveur de Guillaume-Anselme, gentilhomme marseillais, et donne au monastère tout ce qu'il possède dans la cité vicomtale et le sixième de la seigneurie du port, ne se réservant que celle des tours du Château-Babon, parce que ce château fait partie du domaine de l'évêque[9].
Gérard-Adhémar, le dernier obstacle à l'indépendance de Marseille, est aussi le plus récalcitrant. Rien ne l'oblige à se dessaisir de sa souveraineté vicomtale. Sa fortune est importante. Maintenu dans ses dispositions de résistance par sa femme, il est sourd à toutes les prières, insensible à toutes les menaces.
Une émeute chasse de la ville ce seigneur qui avait refusé la cession volontaire de ses droits. Cependant, le conseil municipal, pour pallier d'autres troubles, paiera au vaincu cinq mille livres et lui assurera une pension annuelle et viagère de 100 livres, payable le jour de Saint-André. Marseille parvient ainsi à s'affranchir de la domination de ses vicomtes. Chose remarquable, en 1214, la ville devient son propre vicomte en ayant racheté tous les droits souverains de la vicomté.
Les Marseillais renversent une colonne que Roncelin avait élevée, pour fixer les limites de la juridiction entre la ville et l'abbaye de Saint-Victor de Marseille. De plus, le palais seigneurial est rasé.
Généalogie de la famille vicomtale
- Arlulf de Marseille ou Arlulfe (vers 920-964), premier seigneur de Marseille et de Trets, père de :
- Aicard reçoit en 988 un important domaine, identifié à Saint-Zacharie, au fond de la vallée de l'Huveaune, au sud de Trets.
- Guillaume de Marseille (vers 935-1004), qui suit.
- Honorat dit aussi Honoratus, Ă©vĂŞque de Marseille de 954 Ă 977.
Les vicomtes de Marseille
Guillaume de Marseille (vers 935-1004) x vers 950 Bellilde │ └── Guillaume II de Marseille (vers 952-1031) x en 1019 Étiennette de Forcalquier │ ├── Pierre dit Saumade, tige des seigneurs de Solliès │ x Odoara Thucia │ ├── Étiennette de Marseille, surnommée Douce en 1094 │ x Geoffroi Ier de Provence (†1061/1062) │ │ │ ├── Bertrand II de Provence │ │ │ └── Gerberge de Provence │ │ x Raymond IV de Toulouse │ x Bernard II de Bigorre en 1063 │ │ │ └── Béatrix Ire de Bigorre │ x en 999 Accélena de Fos, fille de Pons de Fos : │ ├── Pons II, évêque de Marseille │ ├── Guillaume III de Marseille │ ├── Aicard de Marseille, vicomte d'Arles et de Marseille │ ├── Aimerude de Marseille │ x Francon de Fréjus │ └── Geoffroi, dit aussi Jaufre Ier
1re génération
Guillaume de Marseille (vers 935-1004) porte pour la première fois le titre de vicomte en 977. Il se marie deux fois. De sa première femme, Billielis ou Belielde de Marseille, fille d’Arlulf de Marseille, il a :
- Pons Ier (vers 950-1015), Ă©vĂŞque de Marseille, en 976.
- Guillaume II de Marseille (vers 952-1031), devient vicomte à la mort de son père en 1004.
- Foulques (Fulco) (vers 955-1047 ?), vicomte, qui se marie vers l'an 1005 avec Odile de Vence[12], dont il a peut-être une fille mariée au comte de Luna.
- Billielis (vers 960-1036) mariée avant 1087 avec Adalelme d’Avignon, juge, Judex Provinciae à Avignon, en 1002. Il est le fils le fils d’Adalbert, juge de Provence à Avignon et de Teucide de Vence. Elle est l’une des ancêtres des Sabran.
- (hyp) Arlulfe ou Arnulphe, seigneur de Pierrefeu, d’où les seigneurs de Garéoult, Signes, La Garde[13].
Sa seconde femme, Hermengarde d’Arles (vers 982-1049), fille d’Aillon, vicomte d'Arles[14], lui donne une autre fille :
- Astrude (vers 995-1055), mariée en 1004 à Lambert, seigneur de Vence, dit Barbeta, fils d’Amic de Vence et de Belletrude.
(hyp) Astrude, veuve, se marie en secondes noces avec son cousin germain, Guy de Fos, fils de Pons de Fos (vers 945-1025) et de Profecta de Marignane. Ils ont cinq fils : Pons, Guillaume, Guy, Amiel et Rostan de Fos archevĂŞque d'Aix (1056-1085).
- (hyp) Aicard, décédé avant 1008.
2e génération
Guillaume II de Marseille, vicomte avec ses frères à la mort de son père; dit le Gros, vicomte de Marseille, décédé en 1031 se marie en 999 avec Accélena de Fos, fille de Pons de Fos :
- Pons II, évêque de Marseille, décédé en 1073.
- Guillaume III de Marseille
- Aicard de Marseille, vicomte d'Arles et de Marseille
- Aimerude de Marseille mariée avec Francon de Fréjus
- Geoffroi dit aussi Jaufre Ier, vicomte avec ses frères à la mort de son père
Guillaume II de Marseille se remarie en 1019 avec Étiennette, d'où :
- Étienne, mort jeune
- Bertrand, mort jeune
- Pierre dit Saumade de Marseille, tige des seigneurs de Solliès
- Liégearde de Marseille, mariée en 1023 avec Alfant Ier, vicomte de Mézoargue.
- Étiennette de Marseille, mariée avec Geoffroi Ier de Provence
3e génération
- Aicard, fils de Guilhem II, vicomte de Marseille. Décédé après 1065.
- Guilhem III dit le Jeune, fils de Guilhem II, vicomte de Marseille. Décédé en 1085.
- Geoffroi dit aussi Jaufre Ier, fils de Guilhem II, vicomte de Marseille. Décédé vers 1090.
- Aicard, archevêque d'Arles en 1070, décédé probablement en 1113.
- Hugues Geoffroi qui suit; vicomte de Marseille.
- Pons de Peynier qui suit; vicomte de Marseille.
4e génération
- Hugues Geoffroi fils de Geoffroi, vicomte de Marseille. Décédé en 1150.
- Alasacie de Marseille
- Pons de Peynier fils de Geoffroi, vicomte de Marseille.
5e génération
Raymond des Baux-Meyrargues (c.1193-1235/1237), était le fils de Bertrand II des Baux, seigneur de Meyrargues, et d’Etiennette, et le neveu d’Hugues, vicomte de Marseille. Appartenant à la maison des Baux, il épouse avant 1213 Alasacie de Marseille, fille d’Hugues-Geoffroy, vicomte de Marseille, titre dont il hérite par les droits de sa femme. Vicomte de Marseille sous le titre de Raimon IV, il aurait eu quatre fils d'après la FMG :
- Bertrand (1213-1266), seigneur de Meyrargues et vicomte de Marseille sous le titre de Bertran IV
Notes et références
- Histoire de Marseille, de Augustin Fabre, p. 266.
- Florian Mazel, La noblesse et l'Église en Provence, fin Xe-début XIVe siècle, pages 31,32
- Lorsqu'il prend possession de la Provence en 949, Conrad y nomme trois comtes auxquels il associe, pour en limiter les pouvoirs, des vicomtes.
- Jean-Pierre Poly - La Provence et la société féodale 879-1166 - page 36 :
- … c’est pendant cette errance de Manassès que Conrad donna le gros des fiscs marseillais à Arnulf le Viennois.
- Jean-Pierre Poly - La Provence et la société féodale 879-1166 - Bordas - Paris, 1976 - page 116.
- Les villes consulaires et les républiques de Provence au Moyen Âge, Jules de Séranon... p. 27.
- Les villes consulaires et les républiques de Provence au Moyen Âge, Jules de Séranon... p. 28.
- Histoire générale de Provence dédiée aux états ... de Jean-Pierre Papon, p. 526.
- Histoire de Marseille, de Amédée Boudin, p. 138 et suivantes.
- Histoire du commerce entre le Levant et l'Europe depuis les croisades, p. 181.
- La Major, cathédrale de Marseille, de Casimir Bousquet, p. 454.
- « Alliances matrimoniales et circulation des biens à travers les chartes provençales (Xe-début XIIe siècle) », dans François Bougard, Laurent Feller, Régine Le Jan (éd.), Dots et douaires dans le haut Moyen Âge, Publications de l'École française de Rome, coll. « de l'École française de Rome », , 602 p. (ISBN 2-7283-0657-5, lire en ligne), chap. 295, p. 131-152.
- Gérin-Ricard, Actes concernant les vicomtes de Marseille…
- Jacques Saillot, Le sang de Charlemagne...
Annexes
Bibliographie
- Raoul Busquet, « Le rôle de la vicomté de Marseille dans la formation du comté de Provence et l'origine de ses vicomtes », p. 67-74, dans Provence historique, tome 4, fascicule 16, 1954 ([PDF] lire en ligne).
- E. de Juigné de Lassigny, Généalogie des vicomtes de Marseille, Castanet, , 113 p. (lire en ligne [PDF]).
- Florian Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, fin Xe – début XIVe siècle, éditions du CTHS, Paris, 2002, (ISBN 2-7355-0503-0) .