Variolisation
La variolisation est l'inoculation volontaire de la variole, prélevée sur un sujet faiblement malade, ou lui-même variolisé. Cette technique, qui remonterait à la Chine ancienne, protège les sujets d'une variole grave. Son manque de fiabilité (rien ne prouve que le sujet variolisé ne fera pas une variole grave) et le risque de dissémination de variole ont conduit à son abandon après la découverte de la vaccination.
Cette pratique consistait à inoculer une forme qu'on espérait peu virulente de la variole en mettant en contact la personne à immuniser avec le contenu de la substance suppurant des vésicules d'un malade. Le résultat restait cependant aléatoire et risqué, le taux de mortalité pouvant atteindre 1 ou 2 % pour un taux de protection non chiffré. En 1760, Daniel Bernoulli démontra que, malgré les risques, la généralisation de cette pratique permettrait de gagner un peu plus de trois ans d'espérance de vie à la naissance[1].
Histoire
On dit que la variolisation était une pratique de la médecine ayurvédique et qu'elle est mentionnée dans le Sactaya Grantham de Dhanvantari[2] mais cette affirmation erronée est fondée sur une rumeur lancée en 1819 par le quotidien The Madras Courier qui fit passer un tract de propagande vaccinale, rédigé en sanscrit par l'administration coloniale, pour la copie d'un texte ancien[3]. On a dit également que dès le XIe siècle, les Chinois pratiquaient la variolisation. C'est le premier ministre Wang Dan qui, après la perte d'un de ses fils de la variole, avait convoqué divers praticiens de toute la Chine pour mettre au point une prophylaxie. Un moine taoïste apporta la technique d'inoculation qui se diffusa progressivement dans toute la Chine. Il apparaît cependant que la plus ancienne trace connue de ce récit ne remonte qu'à 1808 dans le Zhongdou xinfa (種痘心法) écrit par Zhu Yiliang[4]. La pratique de la variolisation en Chine n'est documentée de manière incontestable qu'à partir du XVIe siècle. Elle a été introduite à la cour le siècle suivant, après le décès de l'empereur Shunzhi qui avait été infecté par la maladie[5].
La pratique s'est progressivement propagée le long de la route de la soie. En 1701, Giacomo Pylarini (en) réalise la première inoculation à Constantinople, capitale de l'Empire ottoman, reproduisant la pratique des matrones qui introduisaient à l'intérieur des plaies un morceau de coton imbibé de pus variolique prélevé sur des malades, comme le raconte Aubry de La Mottraye. Partiellement défigurée par cette maladie qui avait déjà emporté son frère, Lady Mary Wortley Montagu, la femme de l'ambassadeur du Royaume-Uni à Constantinople, était inquiète devant les ravages de cette maladie. En , elle fait inoculer son fils avec succès par le chirurgien de l'ambassade Charles Maitland (en)[5]. À son retour à Londres où sévit une épidémie de variole, elle fait varioliser sa fille âgée de 3 ans par le même docteur en présence de médecins de la Cour royale le . Par prudence, le collège de médecins demande à Maitland de réaliser la même expérience sur six criminels (trois hommes et trois femmes) de la prison de Newgate le puis sur des enfants pauvres d'orphelinat[6]. Devant le succès de cette « opération byzantine », Caroline d'Ansbach, l'épouse du roi Georges II de Grande-Bretagne, fait inoculer ses deux filles âgées de onze et neuf ans le . Si la contribution de Lady Montagu dans la diffusion de cette nouveauté médicale est décisive, l'acceptation de la méthode, en Grande-Bretagne puis dans le monde occidental, n'est que progressive et le fait de médecins. L'ignorance médicale (et notamment le fait que les partisans de l'inoculation n'ont alors à opposer à leurs adversaires que des statistiques assez vagues) reste en effet telle que les controverses sur la variolisation sont légion, les camps pour et contre luttant tous deux avec leurs armes idéologiques, plus politiques et morales que scientifiques. La méthode empirique, accompagnée par des succès signifiants, mais aussi par des adversités, est revendiquée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par la politique populationniste des gouvernements du siècle des Lumières et comme moyen de conservation des vies individuelles par les médecins-humanistes[7].
Lorsque Boston connut une épidémie de variole en 1721, le pasteur puritain, Cotton Mather fit la promotion de l'inoculation comme protection contre celle-ci[8], citant Onesimus (fin des années 1600-début 1700)[9], un de ses esclaves, comme source de ce protocole. Quelques années plus tôt, Onésimus avait décrit à Mather le processus d'inoculation qui avait été effectué sur lui et d'autres personnes en Afrique (comme le rapportait Mather dans une lettre)[8] - [10].
En 1762, le britannique Daniel Sutton met au point une méthode qui lui permet de traiter plus de 13 000 personnes en réduisant le nombre de décès. Il ouvre des centres d'inoculation jusqu'à la Nouvelle-Angleterre et à la Jamaïque et amasse une fortune considérable[11].
En 1768, l’impératrice Catherine II de Russie demande à un médecin anglais, Thomas Dimsdale, de se faire inoculer ainsi que son fils. À la suite de la réussite de l’opération, 140 nobles de la cour se font également inoculer. La variolisation devient alors un effet de mode dans l’empire Russe[12].
La variolisation est introduite en France par le docteur Théodore Tronchin qui inocule son fils puis, en 1756, les enfants de Louis Philippe d'Orléans[13]. Charles Marie de La Condamine passe la fin de sa vie à faire campagne pour la variolisation contre la petite vérole, maladie qui l'avait contaminé étant enfant : en 1754, il introduit l'argument probabiliste en faveur de l'inoculation auprès de l'Académie des sciences à Paris[14], et 1758 il en vante le mérite citant La Mottraye et l'usage répandu à Londres[15]. La pratique est d'abord contestée, mais un certain nombre de grands personnages suivent l'exemple du duc d'Orléans : le duc de Chartres la fait subir à ses fils, le duc de Valois et le duc de Montpensier, le . Louis XVI a été inoculé en 1774[5]. Mais ce phénomène resta limité à une élite aristocratique, et ne se répandra pas parmi le peuple, malgré une tentative, en 1786 de faire inoculer les enfants abandonnés et orphelins des Provinces[16].
La méthode resta en France largement controversée, en raison de ses risques, parce qu'elle est accusée de provoquer des épidémies, les personnes inoculées étant contagieuses. Le , un arrêt du parlement de Paris interdit de pratiquer la variolisation dans les villes et interdit l'accès des villes aux inoculés avant la sixième semaine. La Faculté de médecine, sollicitée par le parlement, est partagée entre pro et anti variolisation[17].
Cependant, entre 1765 et 1787, le docteur Jean-François-Xavier Girod (1735-1783) fait inoculer 33 619 personnes en Franche-Comté soit plus de 10 % de la population de la province[18]. Puis, Jean François Coste l'introduit au sein des armées napoléoniennes[19].
La méthode d’inoculation a été largement remplacée en 1796 par la vaccination proposée par Edward Jenner considéré comme le « père de l'immunologie »[20].
Applications vétérinaires
La clavelée, aussi appelée variole ovine du fait de sa similitude avec la maladie humaine, a connu un traitement préventif par inoculation de matières contenant le virus pur. Connu depuis probablement fort longtemps en Orient, ce traitement a été appliqué dès le XVIIIe siècle dans le midi de la France. Cette pratique nommée en 1820 par Odier « clavelisation »[21] - [22] — mais qui est aussi connue en anglais sous l'appellation d'« ovination » — a donné matière à législation dans la majorité des pays d’Europe continentale de 1880 à 1890[21]. Elle a connu un nouvel essor à partir de 1906, associée à l'administration de sérums d'animaux convalescents[23].
À partir de 1852 Louis Willems (en) promeut pour sa part un procédé similaire pour la péripneumonie contagieuse (pleuropneumonie), mais semble-t-il avec moins de bonheur[23].
L'aphtisation, qui avait semblablement cours à l'occasion d'épisodes de fièvre aphteuse, fut une pratique à laquelle MM. Vallée et Carré étaient prêts à se résoudre — en association avec le sérum — avant de mettre au point finalement le premier vaccin en 1936[24].
Notes et références
- Jean-François Guégan et Marc Choisy, Introduction à l'épidémiologie intégrative, De Boeck Supérieur, , p. 4
- Pierre Darmon, « Vaccins et vaccinations avant Jenner : Une querelle d'antériorité », dans Santé et politique de santé au XIXe siècle, coll. « Histoire, économie et société », (lire en ligne), p. 583-592.
- Dominik Wujastyk, «‘A Pious Fraud’: The Indian Claims for pre-Jennerian Smallpox Vaccination», dans G. Jan Meulenbeld & Dominik Wujastyk eds, Studies on Indian Medical History, Groningen: Egbert Forsten (Groningen Oriental Studies, 2), 1987, p. 121-154, version avec annexe de mise à jour 2011; voir la copie du Madras Journal du 12 janvier 1819; Jan Van Alphen, Anthony Aris, Fernand Meyer, Mark de Fraeye, Florène Cramant, Médecines orientales : Guide illustré des médecines d'Asie [« Oriental Medicine »], Genève, Éditions Olizane, , 271 p., 23 x 31 cm relié (ISBN 978-2-88086-195-7, lire en ligne).
- Joseph Needham, Science and Civilization in China, vol. 6 : Biology and Biological Technology, chap. 6 : « Medicine », Cambridge University Press, Cambridge, 1999, p. 154.
- Patrick Berche, Une histoire des microbes, Montrouge, John Libbey Eurotext, coll. « Sélection médecine sciences », , 308 p., 17 x 24,5 cm broché (ISBN 978-2-7420-0674-8, lire en ligne), p. 206.
- Hervé Bazin, Histoire des vaccinations, John Libbey Eurotext, , p. 29.
- Duka Zólyomi Norbert, « Aspects médicaux et idéologiques de l'histoire de la variolisation », XXe congrès international de l'histoire de la médecine, Bucarest, 1970, p. 657-858
- (en) Rene F. Najera, « Black History Month: Onesimus Spreads Wisdom That Saves Lives of Bostonians During a Smallpox Epidemic », sur www.historyofvaccines.org, (consulté le ).
- (en) « The 100 Best Bostonians of All Time. Boston Magazine », (consulté le ).
- (en) Koo, Kathryn S., « Strangers in the House of God: Cotton Mather, Onesimus, and an Experiment in Christian Slaveholding (pdf) », The Proceedings of the American Antiquarian Society, vol. 117, no Part 1,‎ , p. 143-175 (lire en ligne).
- Nadine Fenouillat, Médecins et charlatans en Angleterre (1760-1815), 1991, p. 99 (ISBN 2-86781-089-2).
- https://www.mos.ru/amp/en/news/item/62002073/
- Claude Petitfrère, Le scandale du "Mariage de Figaro," 1784 : prélude à la Révolution française ?, Bruxelles, Editions Complexe, coll. « Mémoire des siècles » (no 209), (ISBN 978-2-87027-268-8), p. 105.
- Collectif La Recherche, Les grandes controverses scientifiques, Paris, Dunod, , 166 p. (ISBN 978-2-10-071033-1), p. 27
- Mémoire sur l'inoculation de la variole, par Charles-Marie de La Condamine, [Paris], 1758 — sur Gallica.
- Lettre de Charles Alexandre de Calonne aux Intendants du 4 septembre 1786 : Archive.
- Pierre Darmon, La variole, les nobles et les princes la petite vérole mortelle de Louis XV : 1774, Bruxelles Paris, Éd. Complexe Diff. Presses universitaires de France, coll. « Mémoire des siècles » (no 216), , 171 p. (ISBN 978-2-87027-301-2, OCLC 708309164, lire en ligne), p. 64.
- Jean-Louis Clade, Médecines et superstitions en Franche-Comté autrefois et dans le Pays de Montbéliard, Yens sur Morges etc, Editions Cabédita, , 215 p. (ISBN 2-88295-397-6, lire en ligne), p. 84.
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- Jean Théodoridès, « Quelques grands précurseurs de Pasteur (pdf) », Histoire des sciences médicales,, vol. 7, no 4,‎ , p. 336-343 (lire en ligne).
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- François Vallat, « Les épizooties en France de 1700 à 1850. Inventaire clinique chez les bovins et les ovins », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 15, no 1,‎ , p. 67 à 104 (lire en ligne).
- Hervé Bazin, L'histoire des vaccinations, Montrouge, J. Libbey Eurotext, (ISBN 978-2-7420-0705-9 et 2-7420-0705-9, lire en ligne)
- La fèvre aphteuse, Chronique agricole,18 Février 1922, n°7, p.131
Bibliographie
- (en) Genevière Miller, The Adoption of Inoculation for Smallpox in England and France, 1957.
- Pierre Darmon, La Longue Traque de la variole : Les Pionniers de la médecine préventive, Perrin, Paris, 1986.