Tarentisme
Avec le mot tarentisme (en italien tarantismo ou tarantolismo) on indique une technique chorĂ©graphique et musicale dĂ©diĂ©e Ă la catharsis de crise psychique, connue dans toute lâItalie mĂ©ridionale jusquâen Espagne[1]. Le terme dĂ©signe prĂ©cisĂ©ment une pathologie, qui est prĂ©sente seulement dans un contexte culturel dĂ©terminĂ©, donc elle fait partie des syndromes liĂ©s Ă la culture[2].
Dans le passĂ©, a Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme une forme dâhystĂ©rie, ou le terme dĂ©signait des manifestations idiopathiques de nature inconnue. Par extension, avec le mot tarentisme on se rĂ©fĂšre aussi au phĂ©nomĂšne culturel et thĂ©rapeutique qui en constitue le contexte, prĂ©sent historiquement dans le sud de l'Italie, en Sardaigne, en Corse et en Espagne.
Le tarentisme Ă©tait considĂ©rĂ© au Moyen Ăge comme une maladie qui sĂ©vissait prĂšs de la ville de Tarente (dâoĂč, selon certaines interprĂ©tations, dĂ©rive le nom) et dans la rĂ©gion des Pouilles ainsi que dans les autres rĂ©gions du Sud de l'Italie (Campanie [3], Calabre, Sicile, Basilicate, Sardaigne[4] etc.) On soignait la morsure d'une araignĂ©e, la « tarentule », par un rituel, qui prĂ©voyait la danse de la tarentelle, que le tarentisme est Ă©galement venu Ă dĂ©signer[5] - [6].
On trouvait des pratiques similaires en Andalousie et en Sardaigne oĂč le rituel est appelĂ© argia[7].
« La morsure de la tarentule fixe lâhomme dans son propos, câest-Ă -dire dans la disposition dâesprit oĂč il se trouvait quand il a Ă©tĂ© mordu »[8]
Ătymologie
Dans la langue italienne, le diminutif et/ou dialectal de tarantola est taranta, et le lemme tarantella, et tarantismo sont ses dĂ©rivĂ©s. Lâorigine est incertaine, selon les thĂ©ories les plus accrĂ©ditĂ©es Ă la formation de la parole «tarentule» a concouru le nom de la ville de Tarente, fondĂ©e en 706 a. C. par des Spartiates exilĂ©s qui lâont dĂ©diĂ©e à ΀ΏÏαÏ, fils de PosĂ©idon et de la nymphe Satyria. Vers 123 av. J.-C., une partie de la ville est occupĂ©e par les Romains, TĂ ras devient Tarentum[9]
Le phénomÚne
Le phénomÚne du tarentisme est inscrit dans un systÚme idéologique complexe et ancien, éteint dans ses formes historiquement rapportées et de toute façon plus attesté depuis de nombreuses années[10].
Le tarentisme, qui se manifestait surtout dans les mois dâĂ©tĂ©, Ă©tait constituĂ© de symptĂŽmes de malaise gĂ©nĂ©ral, tels que des Ă©tats de prostration, dĂ©pression, mĂ©lancolie, cadres neuropsychologiques comme catatonie ou dĂ©lires, douleurs abdominales, musculaires ou fatigue[11].
L'araignée tarentule
La tarentule ("Lycosa tarantula"), que la tradition associait Ă la maladie, est une araignĂ©e de grande taille dont la morsure, bien que douloureuse, est pratiquement inoffensive, et dont le poison est incapable de provoquer aucun des effets associĂ©s au trouble. Il a donc Ă©tĂ© supposĂ© quâune cause possible pourrait ĂȘtre une autre araignĂ©e, la malmignatte (Latrodectus tredecimguttatus) ou veuve noire mĂ©diterranĂ©enne, un animal de petite taille dont la morsure, bien que quasiment indolore, est trĂšs dangereuse puisqu'elle est la cause du syndrome neurotoxique connu sous le nom de latrodectisme[12].
Tarentelle et exorcisme
GĂ©nĂ©ralement, l'ensemble de la communautĂ© villageoise Ă©tait impliquĂ©e dans le processus de guĂ©rison du tarentule[rĂ©f. nĂ©cessaire].. La guĂ©rison n'Ă©tait que de courte durĂ©e, car chaque annĂ©e Ă la date de la piqĂ»re de la tarentelle, la personne rechutait. La piqĂ»re de tarentule Ă©tait censĂ©e provoquer une profonde lĂ©thargie parfois accompagnĂ©e de chutes catatoniques. Ces troubles ne pouvaient ĂȘtre soignĂ©s que par une intense agitation. Cette agitation Ă©tait obtenue puis canalisĂ©e par une musique et une danse effrĂ©nĂ©es, Ă©crite dans une mesure 6/8 : la tarentelle ou pizzica tarantata. Cette danse pouvait se prolonger pendant des heures, parfois des jours, et plusieurs instrumentistes jouaient en continu pour ne pas interrompre le flux musical[rĂ©f. nĂ©cessaire].. Les deux instruments majeurs Ă©taient un tambourin pour la rythmique et un violon pour la ligne mĂ©lodique. Mais beaucoup d'autres instruments ont Ă©tĂ© utilisĂ©s : guitare, harpe, bombarde, lyre, accordĂ©onâŠ
L'enquĂȘte : la terre du remords
Ernesto De Martino mĂšne la premiĂšre enquĂȘte anthropologique en Ă©quipe sur le phĂ©nomĂšne dans la rĂ©gion des Pouilles.
{{Selon Ernesto De Martino, « la pĂ©riode de formation du tarentisme apulien se situe approximativement entre le IXe siĂšcle et le XIVe siĂšcle, c'est-Ă -dire entre l'apogĂ©e de l'expansion musulmane en MĂ©diterranĂ©e et le retour offensif de l'Occident »[13], mĂȘme si ce n'est qu'avec Giogio Baglivi qu'on en trouve la premiĂšre trace Ă©crite[14], trĂšs rapidement suivie par une recension dans le traitĂ© de danse de Louis de Cahusac[15]. Son rapport Ă la transe semble indiquer un lien avec les danses des Bacchanales, cortĂšges en l'honneur de Dionysos qui cĂ©lĂ©braient sa renaissance au printemps. Pour Friedrich Nietzsche, une telle Ă©quivalence est toutefois abusive : dans Ainsi parlait Zarathoustra, le philosophe et philologue attribue la tarentelle Ă l'esprit chrĂ©tien de remords, et lui oppose l'exubĂ©rance des danses grecques dionysiaques : « Zarathoustra nâest pas un tourbillon et une trombe ; et sâil est danseur, ce nâest pas un danseur de tarentelle. »[16] }}
Cette tradition lĂ©gitimait des chorĂ©graphies extrĂȘmement suggestives, dans une rĂ©gion oĂč les prescriptions de l'Ăglise contre toute forme de danse Ă©taient trĂšs sĂ©vĂšres. La plupart du temps la personne tarentule reprenait les mouvements de l'araignĂ©e : renversĂ©e en arriĂšre la personne marchait sur ses mains, le dos courbĂ© et se balançait comme suspendue Ă sa toile..
Postérité
La tradition du tarentisme a en quelque sorte survĂ©cu jusquâĂ nos jours avec la messe-exorcisme du 29 juin dans lâĂ©glise Saint-Paul de Galatina. Cependant, les moments de participation collective ont progressivement disparu et le nombre de personnes qui se rendent Ă lâĂ©glise pour y donner lieu au rituel diminue de plus en plus. Le contexte dans lequel se dĂ©roule le rituel a radicalement changĂ©.
Bibliographie
- (it) Ernesto de Martino, La terra del rimorso, Il Saggiatore, (lire en ligne)
- Ernesto De Martino, La terre du remords, Paris, Institut d'Ă©dition Sanofi-Synthelabo (Le Plessis-Robinson), coll. « Les EmpĂȘcheurs de penser en rond », , 494 p. (ISBN 2-84324-074-3)
- A. Colin, Revue de métaphysique et de morale, tome 79, 1974 pag. 51-56 (ISSN 0035-1571, lire en ligne, consulté le 17 mars 2022)
- Centre national de la recherche scientifique, Archives de sciences sociales des religions, Volume 22, Editions 43-44; tomes 43-44, 1977, p. 111-113 (ISSN 0335-5985, lire en ligne, consulté le 17 mars 2022)
- Centre national de la recherche scientifique, Archives de sociologie des religions, Editions 21-24, 1966, p. 212
- AlÚssi Dell'Umbria, Tarantella! : Possession et dépossession dans l'ex-royaume de Naples, L'Oeil d'Or, (ISBN 978-2-913661-70-7 et 2-913661-70-X, OCLC 970660726, lire en ligne)
- Claude Poncet, La Terre du remords, Institut Synthélabo, 1999 (ISBN 2-84324-074-3) et 978-2-84324-074-4, OCLC 42812770
- Giordana Charuty, Michel Valensi et Impr. DarantiĂšre), La Danse de l'argia : fĂȘte et guĂ©rison en Sardaigne, Verdier, 1988 (ISBN 2-86432-075-4) et 978-2-86432-075-3, OCLC 416791197
- Gino L. Di Mitri, « Les LumiĂšres de la transe. Approche historique du tarentisme », Cahiers d'ethnomusicologie, no 19,â , p. 117-137 (lire en ligne, consultĂ© le ).
- Tullia Conte, Andrea Marvisi, La derniĂšre tarentule: danses et rituels dans le sud de l'Italie, Turin, Ă©d. Sudanzare, 2021, p. 171, (ISBN 979-8763112887)
Notes et références
- (it) « tarantismo nell'Enciclopedia Treccani », sur www.treccani.it (consulté le )
- R. E. Bartholomew, « Tarantism, dancing mania and demonopathy: the anthro-political aspects of 'mass psychogenic illness' », Psychological Medicine, vol. 24, no 2,â , p. 281â306 (ISSN 0033-2917, PMID 8084927, DOI 10.1017/s0033291700027288, lire en ligne, consultĂ© le )
- (it) Annabella Rossi, E il mondo si fece giallo : il tarantismo in Campania, Vibo Valentia, Qualecultura, (9788816900240)
- Marinella Carosso, La généalogie muette: résonances autour de la transmission en Sardaigne, Les Editions de la MSH, (ISBN 978-2-7351-1089-6, lire en ligne)
- Claude Poncet, La Terre du remords, Institut Synthélabo, (ISBN 2-84324-074-3 et 978-2-84324-074-4, OCLC 42812770, lire en ligne)
- Ernesto De Martino, La terra del rimorso : Contributo a una storia religiosa del Sud, Il Saggiatore, (ISBN 978-88-428-2081-9 et 88-428-2081-4, OCLC 937602739, lire en ligne)
- Giordana Charuty, Michel Valensi et Impr. DarantiĂšre), La Danse de l'argia : fĂȘte et guĂ©rison en Sardaigne, Verdier, (ISBN 2-86432-075-4 et 978-2-86432-075-3, OCLC 416791197, lire en ligne)
- Dell'Umbria 2015
- (it) Carmelina Naselli, Studi di folklore., Crisafulli, (OCLC 1011166126, lire en ligne)
- (it) « Il morso del ragno: la storia del tarantismo », sur www.storicang.it, (consulté le )
- Gino Leonardo Di Mitri, Storia biomedica del tarantismo nel XVIII secolo, L.S. Olschki, (ISBN 978-88-222-5508-2 et 88-222-5508-9, OCLC 65861415, lire en ligne)
- J. Meier et Julian White, Handbook of clinical toxicology of animal venoms and poisons, CRC Press, (ISBN 0-8493-4489-1 et 978-0-8493-4489-3, OCLC 32397582, lire en ligne)
- Ernesto de Martino (trad. de l'italien par Claude Poncet), La terre du remords, Paris, Gallimard, , p. 258
- G. Baglivi, Opera omnia, Lugdini, 1733, "Caput IX, De Tarentula", p. 622.
- Louis de Cahusac, La Danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse, La Haye, Jean Neaulme, 1754.
- F. W. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, in Ćuvres, t. 2, Paris, Robert Laffont, 1993, p. 361.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
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