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Tarentisme

Avec le mot tarentisme (en italien tarantismo ou tarantolismo) on indique une technique chorĂ©graphique et musicale dĂ©diĂ©e Ă  la catharsis de crise psychique, connue dans toute l’Italie mĂ©ridionale jusqu’en Espagne[1]. Le terme dĂ©signe prĂ©cisĂ©ment une pathologie, qui est prĂ©sente seulement dans un contexte culturel dĂ©terminĂ©, donc elle fait partie des syndromes liĂ©s Ă  la culture[2].

llustrazione tratta dal volume 'Magnes: sive de Ars Magnetica'. Athanasius Kircher, 1643, Roma.

Dans le passĂ©, a Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme une forme d’hystĂ©rie, ou le terme dĂ©signait des manifestations idiopathiques de nature inconnue. Par extension, avec le mot tarentisme on se rĂ©fĂšre aussi au phĂ©nomĂšne culturel et thĂ©rapeutique qui en constitue le contexte, prĂ©sent historiquement dans le sud de l'Italie, en Sardaigne, en Corse et en Espagne.

Le tarentisme Ă©tait considĂ©rĂ© au Moyen Âge comme une maladie qui sĂ©vissait prĂšs de la ville de Tarente (d’oĂč, selon certaines interprĂ©tations, dĂ©rive le nom) et dans la rĂ©gion des Pouilles ainsi que dans les autres rĂ©gions du Sud de l'Italie (Campanie [3], Calabre, Sicile, Basilicate, Sardaigne[4] etc.) On soignait la morsure d'une araignĂ©e, la « tarentule », par un rituel, qui prĂ©voyait la danse de la tarentelle, que le tarentisme est Ă©galement venu Ă  dĂ©signer[5] - [6].

On trouvait des pratiques similaires en Andalousie et en Sardaigne oĂč le rituel est appelĂ© argia[7].

« La morsure de la tarentule fixe l’homme dans son propos, c’est-Ă -dire dans la disposition d’esprit oĂč il se trouvait quand il a Ă©tĂ© mordu »[8]

— LĂ©onard de Vinci

Étymologie

Dans la langue italienne, le diminutif et/ou dialectal de tarantola est taranta, et le lemme tarantella, et tarantismo sont ses dĂ©rivĂ©s. L’origine est incertaine, selon les thĂ©ories les plus accrĂ©ditĂ©es Ă  la formation de la parole «tarentule» a concouru le nom de la ville de Tarente, fondĂ©e en 706 a. C. par des Spartiates exilĂ©s qui l’ont dĂ©diĂ©e Ă  Î€ÎŹÏÎ±Ï‚, fils de PosĂ©idon et de la nymphe Satyria. Vers 123 av. J.-C., une partie de la ville est occupĂ©e par les Romains, TĂ ras devient Tarentum[9]

Le phénomÚne

Le phénomÚne du tarentisme est inscrit dans un systÚme idéologique complexe et ancien, éteint dans ses formes historiquement rapportées et de toute façon plus attesté depuis de nombreuses années[10].

Le tarentisme, qui se manifestait surtout dans les mois d’étĂ©, Ă©tait constituĂ© de symptĂŽmes de malaise gĂ©nĂ©ral, tels que des Ă©tats de prostration, dĂ©pression, mĂ©lancolie, cadres neuropsychologiques comme catatonie ou dĂ©lires, douleurs abdominales, musculaires ou fatigue[11].

L'araignée tarentule

La tarentule ("Lycosa tarantula"), que la tradition associait Ă  la maladie, est une araignĂ©e de grande taille dont la morsure, bien que douloureuse, est pratiquement inoffensive, et dont le poison est incapable de provoquer aucun des effets associĂ©s au trouble. Il a donc Ă©tĂ© supposĂ© qu’une cause possible pourrait ĂȘtre une autre araignĂ©e, la malmignatte (Latrodectus tredecimguttatus) ou veuve noire mĂ©diterranĂ©enne, un animal de petite taille dont la morsure, bien que quasiment indolore, est trĂšs dangereuse puisqu'elle est la cause du syndrome neurotoxique connu sous le nom de latrodectisme[12].

Tarentelle et exorcisme

Luigi Stifani, Salvatora Marzo, Pasquale Zizzani, pendant l’exorcisme d’une tarantata.

GĂ©nĂ©ralement, l'ensemble de la communautĂ© villageoise Ă©tait impliquĂ©e dans le processus de guĂ©rison du tarentule[rĂ©f. nĂ©cessaire].. La guĂ©rison n'Ă©tait que de courte durĂ©e, car chaque annĂ©e Ă  la date de la piqĂ»re de la tarentelle, la personne rechutait. La piqĂ»re de tarentule Ă©tait censĂ©e provoquer une profonde lĂ©thargie parfois accompagnĂ©e de chutes catatoniques. Ces troubles ne pouvaient ĂȘtre soignĂ©s que par une intense agitation. Cette agitation Ă©tait obtenue puis canalisĂ©e par une musique et une danse effrĂ©nĂ©es, Ă©crite dans une mesure 6/8 : la tarentelle ou pizzica tarantata. Cette danse pouvait se prolonger pendant des heures, parfois des jours, et plusieurs instrumentistes jouaient en continu pour ne pas interrompre le flux musical[rĂ©f. nĂ©cessaire].. Les deux instruments majeurs Ă©taient un tambourin pour la rythmique et un violon pour la ligne mĂ©lodique. Mais beaucoup d'autres instruments ont Ă©tĂ© utilisĂ©s : guitare, harpe, bombarde, lyre, accordĂ©on


L'enquĂȘte : la terre du remords

Ernesto De Martino mĂšne la premiĂšre enquĂȘte anthropologique en Ă©quipe sur le phĂ©nomĂšne dans la rĂ©gion des Pouilles.

{{Selon Ernesto De Martino, « la pĂ©riode de formation du tarentisme apulien se situe approximativement entre le IXe siĂšcle et le XIVe siĂšcle, c'est-Ă -dire entre l'apogĂ©e de l'expansion musulmane en MĂ©diterranĂ©e et le retour offensif de l'Occident »[13], mĂȘme si ce n'est qu'avec Giogio Baglivi qu'on en trouve la premiĂšre trace Ă©crite[14], trĂšs rapidement suivie par une recension dans le traitĂ© de danse de Louis de Cahusac[15]. Son rapport Ă  la transe semble indiquer un lien avec les danses des Bacchanales, cortĂšges en l'honneur de Dionysos qui cĂ©lĂ©braient sa renaissance au printemps. Pour Friedrich Nietzsche, une telle Ă©quivalence est toutefois abusive : dans Ainsi parlait Zarathoustra, le philosophe et philologue attribue la tarentelle Ă  l'esprit chrĂ©tien de remords, et lui oppose l'exubĂ©rance des danses grecques dionysiaques : « Zarathoustra n’est pas un tourbillon et une trombe ; et s’il est danseur, ce n’est pas un danseur de tarentelle. »[16] }}

Cette tradition lĂ©gitimait des chorĂ©graphies extrĂȘmement suggestives, dans une rĂ©gion oĂč les prescriptions de l'Église contre toute forme de danse Ă©taient trĂšs sĂ©vĂšres. La plupart du temps la personne tarentule reprenait les mouvements de l'araignĂ©e : renversĂ©e en arriĂšre la personne marchait sur ses mains, le dos courbĂ© et se balançait comme suspendue Ă  sa toile..

Postérité

La tradition du tarentisme a en quelque sorte survĂ©cu jusqu’à nos jours avec la messe-exorcisme du 29 juin dans l’église Saint-Paul de Galatina. Cependant, les moments de participation collective ont progressivement disparu et le nombre de personnes qui se rendent Ă  l’église pour y donner lieu au rituel diminue de plus en plus. Le contexte dans lequel se dĂ©roule le rituel a radicalement changĂ©.

Bibliographie

  • (it) Ernesto de Martino, La terra del rimorso, Il Saggiatore, (lire en ligne)
  • Ernesto De Martino, La terre du remords, Paris, Institut d'Ă©dition Sanofi-Synthelabo (Le Plessis-Robinson), coll. « Les EmpĂȘcheurs de penser en rond », , 494 p. (ISBN 2-84324-074-3)
  • A. Colin, Revue de mĂ©taphysique et de morale, tome 79, 1974 pag. 51-56 (ISSN 0035-1571, lire en ligne, consultĂ© le 17 mars 2022)
  • Centre national de la recherche scientifique, Archives de sciences sociales des religions, Volume 22, Editions 43-44; tomes 43-44, 1977, p. 111-113 (ISSN 0335-5985, lire en ligne, consultĂ© le 17 mars 2022)
  • Centre national de la recherche scientifique, Archives de sociologie des religions, Editions 21-24, 1966, p. 212
  • AlĂšssi Dell'Umbria, Tarantella! : Possession et dĂ©possession dans l'ex-royaume de Naples, L'Oeil d'Or, (ISBN 978-2-913661-70-7 et 2-913661-70-X, OCLC 970660726, lire en ligne)
  • Claude Poncet, La Terre du remords, Institut SynthĂ©labo, 1999 (ISBN 2-84324-074-3) et 978-2-84324-074-4, OCLC 42812770
  • Giordana Charuty, Michel Valensi et Impr. DarantiĂšre), La Danse de l'argia : fĂȘte et guĂ©rison en Sardaigne, Verdier, 1988 (ISBN 2-86432-075-4) et 978-2-86432-075-3, OCLC 416791197
  • Gino L. Di Mitri, « Les LumiĂšres de la transe. Approche historique du tarentisme », Cahiers d'ethnomusicologie, no 19,‎ , p. 117-137 (lire en ligne, consultĂ© le ).
  • Tullia Conte, Andrea Marvisi, La derniĂšre tarentule: danses et rituels dans le sud de l'Italie, Turin, Ă©d. Sudanzare, 2021, p. 171, (ISBN 979-8763112887)

Notes et références

  1. (it) « tarantismo nell'Enciclopedia Treccani », sur www.treccani.it (consulté le )
  2. R. E. Bartholomew, « Tarantism, dancing mania and demonopathy: the anthro-political aspects of 'mass psychogenic illness' », Psychological Medicine, vol. 24, no 2,‎ , p. 281–306 (ISSN 0033-2917, PMID 8084927, DOI 10.1017/s0033291700027288, lire en ligne, consultĂ© le )
  3. (it) Annabella Rossi, E il mondo si fece giallo : il tarantismo in Campania, Vibo Valentia, Qualecultura, (9788816900240)
  4. Marinella Carosso, La généalogie muette: résonances autour de la transmission en Sardaigne, Les Editions de la MSH, (ISBN 978-2-7351-1089-6, lire en ligne)
  5. Claude Poncet, La Terre du remords, Institut Synthélabo, (ISBN 2-84324-074-3 et 978-2-84324-074-4, OCLC 42812770, lire en ligne)
  6. Ernesto De Martino, La terra del rimorso : Contributo a una storia religiosa del Sud, Il Saggiatore, (ISBN 978-88-428-2081-9 et 88-428-2081-4, OCLC 937602739, lire en ligne)
  7. Giordana Charuty, Michel Valensi et Impr. DarantiĂšre), La Danse de l'argia : fĂȘte et guĂ©rison en Sardaigne, Verdier, (ISBN 2-86432-075-4 et 978-2-86432-075-3, OCLC 416791197, lire en ligne)
  8. Dell'Umbria 2015
  9. (it) Carmelina Naselli, Studi di folklore., Crisafulli, (OCLC 1011166126, lire en ligne)
  10. (it) « Il morso del ragno: la storia del tarantismo », sur www.storicang.it, (consulté le )
  11. Gino Leonardo Di Mitri, Storia biomedica del tarantismo nel XVIII secolo, L.S. Olschki, (ISBN 978-88-222-5508-2 et 88-222-5508-9, OCLC 65861415, lire en ligne)
  12. J. Meier et Julian White, Handbook of clinical toxicology of animal venoms and poisons, CRC Press, (ISBN 0-8493-4489-1 et 978-0-8493-4489-3, OCLC 32397582, lire en ligne)
  13. Ernesto de Martino (trad. de l'italien par Claude Poncet), La terre du remords, Paris, Gallimard, , p. 258
  14. G. Baglivi, Opera omnia, Lugdini, 1733, "Caput IX, De Tarentula", p. 622.
  15. Louis de Cahusac, La Danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse, La Haye, Jean Neaulme, 1754.
  16. F. W. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, in ƒuvres, t. 2, Paris, Robert Laffont, 1993, p. 361.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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