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Slimane Asselah

Slimane Asselah, né le à Ighil Imoula, est un médecin algérien proche du Front de libération nationale, disparu aprÚs son enlÚvement en 1957 dans le contexte de la bataille d'Alger.

Slimane Asselah
Biographie
Naissance
DécÚs
AprĂšs (Ă  33 ans)
Nationalité
Activité

Les recherches officielles menées à partir de 1957, à la demande de sa famille et de proches, sont conséquentes mais n'aboutissent pas, en raison de nombreuses lacunes, comme d'une volonté d'éviter le scandale.

Biographie

Formation et carriĂšre

Né le [1], ce fils d'un paysan kabyle obtient son certificat d'études primaires[2] et poursuit ses études en 1938 au collÚge Sarouy. Il est alors initié au militantisme nationaliste[3] - [4] - [5] et devient plus tard trésorier de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA)[6].

Il entreprend des Ă©tudes de mĂ©decine et se spĂ©cialise en psychiatrie. En stage Ă  l'hĂŽpital psychiatrique de Blida-Joinville, il co-signe avec Frantz Fanon un article sur « le phĂ©nomĂšne de l’agitation en milieu psychiatrique ». MariĂ© en 1954 et pĂšre de jumeaux, il quitte l'hĂŽpital en octobre 1956 pour exercer comme mĂ©decin remplaçant rue Marengo, Ă  Alger, au cabinet de Rabah Kerbouche, Ă©galement militant nationaliste. Il prĂ©pare sa thĂšse de mĂ©decine, et soigne notamment des malades et blessĂ©s du FLN[3].

Les archives de la police des renseignements généraux conservent plusieurs rapports sur ses activités : en 1940, il participerait au Festival mondial de la jeunesse à Budapest, puis est contrÎlé au CongrÚs mondial des étudiants de Varsovie en 1953[3].

Le , il est arrĂȘtĂ© Ă  son cabinet par des « bĂ©rets rouges » du 2e rĂ©giment parachutiste colonial[3].

Disparition et détention

Il fait partie des 350 AlgĂ©riens identifiĂ©s comme disparus dans le projet Mille autres[7] - [8]. Les historiens Malika Rahal et Fabrice Riceputi lui consacrent en juin 2022 une enquĂȘte en quatre volets sur Mediapart[3].

Le l'avocat chrĂ©tien Pierre Popie, qui dĂ©fend des militants nationalistes[3] — il sera assassinĂ© par l'OAS en 1961 — et ancien condisciple d'Asselah Ă  l'universitĂ© signale sa disparition Ă  Serge Barret, prĂ©fet d'Alger. Quatre jours auparavant, la presse a annoncĂ© le douteux suicide d'Ali Boumendjel, lui aussi arrĂȘtĂ© pendant la bataille d'Alger, torturĂ© et assassinĂ©[9]. Le service administratif des « liaisons nord-africaines » (SLNA), qui recense les demandes des familles d'un proche enlevĂ© par l'armĂ©e, Ă©met rapidement un avis de recherche. Sans rĂ©ponse de l'armĂ©e, l'avocat reçoit d'un Français de souche nord-africaine une information : « le docteur Asselah Ă©tait dĂ©tenu par les parachutistes dans une cave du cafĂ© La Grande Terrasse aux Deux-Moulins, commune de Saint-EugĂšne ». Pierre Popie, qui se rend sur place, peut briĂšvement apercevoir Slimane Asselah, mais ne parvient ni Ă  connaĂźtre le motif de la dĂ©tention, ni Ă  s’entretenir avec lui[9].

De fait, les rĂšgles de la dĂ©tention judiciaire ne s’appliquent pas dans les locaux militaires, ni dans ces nombreux lieux oĂč les troupes françaises dissĂ©minent les personnes enlevĂ©es et disparues. Dans la pĂ©riode qui suit l'enlĂšvement, que les militaires nomment dans leur jargon « pĂ©riode d'exploitation », la dĂ©tention n'a mĂȘme aucune existence officielle, et Jacques Massu insiste rĂ©guliĂšrement sur le secret de ces opĂ©rations, tant envers les familles qu'envers la justice[N 1]. Pour Malika Rahal et Fabrice Riceputi, « La "pĂ©riode d’exploitation" est le moment de l’interrogatoire, c’est-Ă -dire, le plus frĂ©quemment, de la torture. Il est aussi celui oĂč les corps des dĂ©tenus morts durant les supplices ou exĂ©cutĂ©s peuvent ĂȘtre dĂ©truits ou dissimulĂ©s, en toute impunitĂ©, car le crime sans cadavre pourra toujours ĂȘtre niĂ© par ses auteurs, faute de preuve directe de sa perpĂ©tration »[9].

Le cafĂ© la Grande Terrasse, comme la villa SĂ©sini, font partie de cette « zone grise » des lieux de dĂ©tention : alors que le protocole rapidement mis au point, par les autoritĂ©s tant civiles que militaires en janvier 1957, en application des « pouvoirs spĂ©ciaux » prĂ©voit l'internement des suspects arrĂȘtĂ©s par l'armĂ©e dans un « centre de tri et de transit »[N 2] , de trĂšs nombreux suspects sont en fait dĂ©tenus dans des lieux rĂ©quisitionnĂ©s, Ă©pars, et discrets. Henri Alleg est ainsi torturĂ© dans un immeuble d'El-Biar, lĂ  mĂȘme oĂč est tuĂ© Ali Boumendjel, et peut-ĂȘtre Maurice Audin[9].

Le prĂ©tendu suicide de Larbi Ben M’hidi et l'assassinat de l’avocat Ali Boumendjel sont rĂ©vĂ©lĂ©s en mars 1957 Ă  l'opinion publique de mĂ©tropole. Dans ce contexte tendu, l'armĂ©e cherche Ă  empĂȘcher l'Ă©closion d'une nouvelle affaire, d'autant plus que le gĂ©nĂ©ral BollardiĂšre dĂ©missionne Ă  la fin du mois. Cependant, l'armĂ©e n'officialise pas la dĂ©tention de Slimane Asselah, ni ne l'assigne Ă  rĂ©sidence[9].

En avril 1957, l’état-major de la 10e division parachutiste communique au SLNA que Slimane Asselah est « encore dĂ©tenu au Corps qui l’a arrĂȘtĂ© », sans plus de prĂ©cisions ; sa famille recevra ultĂ©rieurement le tĂ©moignage d'un ancien dĂ©tenu, indiquant que Slimane Asselah est, « en avril 1957 malade et grelottant sur le sol de sa cellule »[9].

Recherches ultérieures

En juin 1957, l'UGEMA adresse un tĂ©lĂ©gramme pour alerter la commission de sauvegarde des droits et libertĂ©s individuels instituĂ©e par le gouvernement Guy Mollet[N 3] - [6]. Serge Barret, prĂ©fet d’Alger, adresse une requĂȘte similaire au commandement militaire en aoĂ»t 1957. Le , Jacques Massu lui rĂ©pond par courrier que Slimane Asselah a « Ă©tĂ© remis en libertĂ© par les soins du 2e RPC », sans fournir d'autres Ă©lĂ©ments[N 4]. Entretemps, le nom de Slimane Asselah a Ă©galement disparu des listes du personnel mĂ©dical, aprĂšs que la police de Blida a informĂ© la Direction gĂ©nĂ©rale de la santĂ© d’Alger, en mars 1957, qu'« Asselah avait rejoint les rangs de la rĂ©bellion »[6].

L'information selon laquelle Slimane Asselah aurait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© reste, faute de levĂ©e d'Ă©crou ou de procĂ©dure d'assignation Ă  rĂ©sidence, invĂ©rifiable[6]. Plusieurs contradictions tendent Ă  la rendre peu crĂ©dible : d'abord la famille d'Asselah reçoit ainsi en 1958 deux courriers contresignĂ©s par Massu, l'un indiquant la libĂ©ration, l'autre mentionnant ne retrouver aucune trace de Slimane Asselah dans les fichiers militaires. Ensuite, le responsable du SNLA d'Alger regrette, Ă  l'Ă©poque, un grand nombre de rĂ©ponses de l'armĂ©e qu'il juge « non valables [ou] insatisfaisantes ». Enfin, un tĂ©moignage — fragile — issu des MĂ©moires de Paul Aussaresses indique qu'Ă©tait pratiquĂ© un code particulier et cynique dans les fichiers militaires, Ă  Alger et dans ce contexte des arrestations et disparitions : le « L » suivant le nom d'un suspect ne signifiait pas « libĂ©rĂ© », mais Ă©tait suivi d'une date correspondant Ă  la mort de la personne ; seul le « E », pour « Ă©largi », indiquerait les libĂ©rations vĂ©ritables[6].

Les avocats Jacques VergĂšs et Michel Zavrian recueillent en 1959 des Ă©lĂ©ments provenant des familles des disparus. Pierre-Vidal-Naquet ajoute, lors de la publication dans Le Cahier vert en 1959[11], une postface dans laquelle il indique « les noms citĂ©s, les rĂ©fĂ©rences d’état-civil, les adresses permettent aux autoritĂ©s compĂ©tentes de faire rapidement les enquĂȘtes nĂ©cessaires »[12].

En 1960, la famille de Slimane Asselah transmet Ă  EugĂšne Thomas une demande qu'il relaie auprĂšs du MinistĂšre de la Justice et d'Edmond Michelet. Saisi Ă  cette occasion, Maurice Patin, prĂ©sident de la Commission de sauvegarde, ouvre un dossier de disparition et requiert du commandement militaire en AlgĂ©rie qu'il mĂšne « d’urgence, une enquĂȘte au sujet de cette affaire ». Cependant, pour Malika Rahal et Fabrice Riceputi, cet appel « ne mobilise pas la justice, ni l’opinion publique. Victime de ce que Vidal-Naquet appelait "la comĂ©die" de la Commission de sauvegarde, le crime est en quelque sorte aboli par un procĂ©dĂ© bureaucratique simulant littĂ©ralement la recherche de la vĂ©ritĂ©. Le rĂŽle rĂ©el de la commission est en effet d’éviter tout scandale »[12].

En 1961, deux gendarmes auditionnent des tĂ©moins ; leur travail aboutit Ă  un procĂšs-verbal qui, par ses omissions et ses prĂ©jugĂ©s, ressemble Ă  « un cas d’école de parodie d’enquĂȘte interne »[12]. Clos en 1961, le rapport de la Commission de sauvegarde n’est pas rendu public. Il devient accessible aux Archives nationales en janvier 2022[12].

Postérité

Slimane Asselah est ultĂ©rieurement reconnu martyr par l’État algĂ©rien. Une rue et plusieurs bĂątiments portent son nom[12]. Le Washington Post consacre en 2021 un reportage Ă  sa famille, et Ă  ses efforts pour obtenir des rĂ©ponses de la part des autoritĂ©s[5].

Pour Malika Rahal et Fabrice Riceputi cependant, ces rĂ©ponses ne peuvent se trouver dans les archives, car « les militaires n’ont jamais tenu par Ă©crit la chronique de leurs crimes », ou n'ont en tous cas pas versĂ© leurs Ă©lĂ©ments aux archives. Les historiens constatent un « pacte du silence » qui lie, sur le long terme, les officiers français qui Ă©taient alors en fonctions en AlgĂ©rie[12]. Benjamin Stora indique, lui, l'urgence du travail Ă  mener sur la mĂ©moire des milliers de « disparus »[13].

Bibliographie

  • Malika Rahal, Ali Boumendjel: Une affaire française, une histoire algĂ©rienne, La DĂ©couverte, (ISBN 978-2-348-07324-3, lire en ligne).

Notes et références

Notes

  1. L'épouse de Maurice Audin, Josette, indique ainsi au Monde en août 1957 que son époux « serait [...] dans un camp secret, sans que désormais, aucune loi ni personne ne puisse faire pour lui quoi que ce soit »[10].
  2. Les plus connus sont les centres de transit de Ben Aknoun et de BĂ©ni Messous. Paul Teitgen, alors secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral Ă  la police de la prĂ©fecture d’Alger, rĂ©dige sa lettre de dĂ©mission au ministre Robert Lacoste en mars 1957, aprĂšs avoir constatĂ© l'usage rĂ©gulier de la torture au centre de transit de BĂ©ni Messous[9].
  3. Le tĂ©lĂ©gramme indique : « Étudiants AlgĂ©riens attirent votre attention sur cas ASSELAH Slimane, interne HĂŽpital Psychiatrique de Bida, arrĂȘtĂ© mi-janvier 15, rue Marengo par Parachutistes – STOP – AprĂšs disparition 5 mois a Ă©tĂ© vu dĂ©but mai par son Avocat au camp d’hĂ©bergement [sic] des Deux-Moulins – STOP – Actuellement, malgrĂ© dĂ©marches rĂ©itĂ©rĂ©es famille confrĂšre avocat sans nouvelles du dĂ©tenu exprimons vives inquiĂ©tudes – STOP – Craignons réédition sort BENMHIDI et BOUMENDJEL – UGEMA »
  4. Plusieurs mois plus tard, la famille d'Asselah reçoit comme date de « libération » le 24 avril 1957, date qui correspond au fichier du 2e bureau de la 10e division parachutiste.

Références

  1. HC_1000, « ASSELAH S. * », sur Alger 1957 - des Maurice Audin par milliers (consulté le )
  2. Ramdane Asselah, « Ighil Imoula Haut lieu de Mémoire et d'Hisoire », sur https://aleph.edinum.org:443, (consulté le )
  3. Malika Rahal, Fabrice Riceputi, « Peut-ĂȘtre, je reviendrai », sur Mediapart (consultĂ© le )
  4. (it) « Slimane Asselah e gli altri spettri della guerra d'Algeria cui ancora Macron non ha dato pace », sur la Repubblica, (consulté le )
  5. (en-US) « As Algerians push France to open its colonial archives, the family of a man who vanished long ago yearns for answers », Washington Post,‎ (ISSN 0190-8286, lire en ligne, consultĂ© le )
  6. Malika Rahal et Fabrice Riceputi, « En 1958, la « libération » du docteur Slimane Asselah », sur Mediapart, (consulté le )
  7. Rahal 2022, p. 7.
  8. Nadjia Bouzeghrane, « 60e anniversaire de la signature des accords d’Evian / Malika Rahal et Fabrice Riceputi. Historiens : «Jamais les militaires n’ont couchĂ© par Ă©crit le rĂ©cit de leurs crimes» », sur El watan, (consultĂ© le )
  9. Malika Rahal, Fabrice Riceputi, « J’ai pu apercevoir le docteur Asselah », sur Mediapart (consultĂ© le )
  10. « ARRÊTÉE DEPUIS SEIZE JOURS Mme Huguette Timsit aurait disparu », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  11. (en) Jacques VERGÈS, Les Disparus. Le Cahier Vert. Postface de Pierre Vidal-Naquet ... "Le Cahier Vert Expliqué," Etc. [By J. VergÚs, Michel Zavrian, Maurice Courrégé. With Facsimiles.]., (lire en ligne)
  12. Malika Rahal et Fabrice Riceputi, « Slimane Asselah, la vérité étouffée », sur Mediapart, (consulté le )
  13. « Focus - Guerre d'Algérie : le tabou des "disparus" », sur France 24, (consulté le )

Liens externes

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