Sculpture romaine
La sculpture romaine regroupe des œuvres provenant d'horizons géographiques très différents, de l'Atlantique à l'Asie, et s'étalant sur une durée très longue, du troisième siècle av. J.C. aux débuts de l'Empire byzantin. Ses domaines de prédilection ont été le portrait, la statuaire et la sculpture narrative.
Longtemps présentée comme une répétition, voire une forme de déclin, de la sculpture grecque antique, la sculpture romaine est reconnue depuis le XIXe siècle un objet d'étude à part entière. Elle présente la particularité de refléter davantage la volonté de ses riches commanditaires que la personnalité artistique des artistes, essentiellement des esclaves et des affranchis : on connaît peu de noms de sculpteurs romains.
Matériaux
Du fait de l'influence étrusque, les premiers matériaux utilisés par la sculpture à Rome sont la terre cuite et le bronze. Cependant, les artistes tirent rapidement parti d'un matériau très facilement accessible dans la région, le tuf calcaire ou travertin. À partir du IIe siècle av. J.-C., les sculpteurs romains commencent à utiliser des pierres venues de Grèce, principalement le marbre du Pentélique et celui de Paros. À l'époque de Jules César, l'ouverture des carrières de marbre de Luna (actuelle Carrare) bouleverse les habitudes des artistes : désormais, la majorité des statues et des monuments de la cité même de Rome seront réalisés dans ce matériau, le marbre de Carrare. Les œuvres plus modestes réalisées dans les provinces utilisent généralement des ressources locales. Le goût pour les pierres de couleur comme le granit gris ou le porphyre se développe sous les Flaviens (fin du Ier siècle).
La majorité des œuvres sculptées parvenues jusqu'à l'époque moderne sont en pierre. De ce fait, il est difficile d'évaluer la part originelle des sculptures en bronze ou en métaux précieux (or, argent), dont la plupart ont été refondus pour récupérer le matériau de départ.
Origines et originalité de la sculpture romaine
La sculpture romaine tire ses influence à la fois de la civilisation étrusque et hellénistique. Fascinés par les sculptures grecques qu'ils pillent et copient abondamment, les commanditaires romains évoluent par la suite pour donner à leur art des particularités qui deviendront un nouvel idéal pour les générations suivantes.
L'Ă©volution entre sculpture Ă©trusque et sculpture romaine
Les Romains ont été de grands amateurs de sculpture, mais à la création ils ont souvent préféré piller les chefs-d'œuvre grecs ou les copier. On ne saurait cependant négliger leur apport à la sculpture mondiale par le sens de l'histoire qu'ils lui ont insufflé, non plus que l'importance de la tradition étrusque. Les Étrusques avaient l'habitude de décorer leurs urnes funéraires de grandes figures en terracotta (terre cuite) polychrome. Le Sarcophage des Époux montre des visages précisément observés et présente une tendre image du couple humain (et le désintérêt des proportions anatomiques dans l'esthétique étrusque). L’Apollon de Véies (vers 500) prouve, quant à lui, « l'influence de l'art grec » sur les artistes étrusques. Cette œuvre de l'artisan Vulca est à lier avec les acrotères du temple de Portonaccio représentant Apollon, Leto et Hercule, ainsi que acrotères du temple de San'Omobono représentant Minerve et Hercule. Ces éléments de décor en terre cuite montrent bien que les modèles grecs pénètrent donc à Rome par l'intermédiaire d'artistes de tradition étrusque.
L'influence grecque
La sculpture romaine, tout comme l'art étrusque, s'est largement inspirée des modèles de sculpture grecque[1]. C'est grâce à des copies romaines que l'on connaît de nombreux originaux grecs aujourd'hui disparus (exemple la Vénus d'Arles qui serait une copie d'une œuvre disparue du grand sculpteur grec Praxitèle).
C'est surtout la Grèce de la période classique (499-336 av. J.-C.) qui a eu une grande influence sur les statues romaines, pour les styles, les techniques et les matériaux utilisés. Ainsi, les sculpteurs romains s'attachent à représenter via les postures, les mouvements ou les traits du visage « l'esprit, les émotions, le vécu existentiel des personnages »[2].
La sculpture romaine s'inspire en effet, le plus souvent, des illustres modèles de l'époque classique (Ve et IVe siècles av. J.-C.. Pour autant, la sculpture romaine n'est pas qu'une simple répétition: elle décline les modèles en d'infinies variétés, créant des œuvres originales à partir de l'ancien (recréations). De plus, les influences de la sculpture romaine ne se limitent pas à l'époque classique. Dès le Ier siècle av. J.-C., de nombreuses œuvres dites "archaïsantes" s'inspirent des statues et reliefs de la période archaïque (VIe siècle av. J.-C.). Enfin, l'art de la période hellénistique survit à Rome, où revivent les différents styles des IIIe et IIe siècles av. J.-C., à l'exemple de l'art baroque hellénistique, très en vogue dans la première moitié du IIe siècle ap. J.-C.
Contrairement à ce que pensaient les premiers archéologues, les statues romaines, de même que les grecques, étaient polychromes. Les Romains utilisaient soit de la peinture soit le mélange des matériaux (marbre et porphyre par exemple) qui était utilisé presque uniquement par les Romains en raison de son coût.
L'originalité de la sculpture romaine
Au-delà de l'influence de la sculpture grecque, la sculpture romaine a ses particularités : l'individualisation du portrait, l'invention du buste, et le souci du réalisme, allant jusqu'à conserver des traits peu flatteurs[1]. De plus, elle a su produire un métissage des styles dans les régions sous imperium qui avaient déjà leur manière propre, comme l'Égypte ou les provinces orientales
En reprenant les formes et les savoir-faire de la sculpture grecque, la sculpture romaine s'en distingue par de nombreux aspects. De plus, les mœurs de la République romaine assimilent la nudité représentée dans la sculpture grecque comme une impudicitia déshonorante, aussi ce régime privilégie initialement une iconographie qui représente les valeurs républicaines, l’auctoritas (autorité), la gravitas (gravité) et la dignitas (dignité) du citoyen[3].
Le portrait romain
Portrait aristocratique
À Rome, le jus imaginum « droit aux images », permet aux aristocrates de regrouper, dans les armoires de leur atrium, les portraits de leurs ancêtres. Ce sont des images en trois dimensions, en cire, en plâtre ou en terre cuite, qui permettent de représenter la généalogie de l'aristocrate. À l'occasion de grands événements, comme des enterrements ou des triomphes, le maître de maison sortait sur le pas de sa porte pour y exposer, à la vue de tous, ces portraits.
C'est donc un usage presque politique, une manière de revendiquer leur place très élevée. Les portraits aristocratiques appuient sur les traits de l'âge, et cherchent à rendre l'image d'un personnage extrêmement dur, sévère. Ils sont à lier avec les idéaux moraux de l'aristocratie de sévérité (severitas), de responsabilité (autoritas) et d’économe. Ils ne cherchent pas à transmettre un véritable portrait, ou une émotion. Ces portraits sont beaucoup plus près de la caricature, de quelque chose d'assez artificiel. Il y a quelques rares portraits féminins qui suivent les mêmes principes.
Portrait hellénistique
En réaction à l'appropriation par les esclaves affranchis des codes du portrait aristocratique, l'aristocratie romaine s'inspire alors des portraits hellénistiques et des représentations du Grand Autel de Pergame. Si on retrouve des caractéristiques du portrait aristocratique, on retrouve une recherche d'expression de souffrance, d’inspiration, avec la tête légèrement de côté, la chevelure très vivante, les yeux levés au ciel, la bouche un peu entrouverte, etc.
Portrait impérial
Quant aux portraits des empereurs, ils sont révélateurs d'un programme politique.
Ainsi, Auguste trouve l'inspiration dans la Grèce de l’Époque classique. Son visage est complètement idéalisé, impassible, jeune (il sera d'ailleurs surnommé « l'empereur qui ne vieillit pas ») car il veut faire comprendre au peuple qui est derrière lui qu’on est dans une période nouvelle, qu’il choisit une voie médiane en s’installant dans le classicisme.
Lors de la dynastie Julio-claudiene avec le portrait de Tibère, on garde quelque chose de relativement semblable et classique. De même pour l'empereur Caligula. Pourtant, on commence à avoir quelque chose de différent. La bouche fait une sorte de mou, très particulier à son portrait. À l'époque de Claude, on a une véritable rupture par rapport au portrait augustéen. Il est d'ailleurs connu pour ses défauts physiques, et il va se faire représenter avec eux. C'est sûrement à lier avec l'assassinat de son prédécesseur, jugé trop tyrannique. Son successeur, en revanche, n'aura pas cette prudence. Il se fait représenter de manière totalement différente, absolument pas de tradition aristocratique, et très exubérante.
Il s'ensuit, après le règne de Néron, une guerre civile, à la suite de laquelle s'impose la dynastie flavienne. Vespasien a alors recourt au portrait aristocratique en guise de gage politique envers l'aristocratie. C'est un type de portrait pas du tout populaire, très stéréotypé mais pas particulièrement idéalisé.
Sous les Antonins, on va avoir un portrait assez lisse, mais personnalisé, assez classicisant. Marc Aurèle en est la meilleure représentation.
On peut donc considérer que le portrait Julio-claudien voulu par Auguste est une sorte d’échec, puisqu’on revient à des formules qui sont plus anciennes.
La statuaire
Le corps
Le statut du visage est très particulier. Avec les corps, on procède tout à fait différemment. Le corps ne représente absolument pas et ne se doit que d’être beau. Il y a cependant parfois des exceptions, notamment dans le domaine funéraire, où des symboles liés à la mort et au domaine funéraire se glissent dans la représentation.
La sculpture, propagande officielle
Chaque empereur est soucieux de l'image que les habitants de l'empire ont de lui et établissent sinon un véritable programme, au moins une volonté de contrôle[4].
La première forme de propagande est la monnaie, qui diffuse en masse un portrait et un message à travers de grandes distances. Mais les statues impériales sont également une forme réfléchie pour permettre aux citoyens de l'empire de révérer l'homme et la fonction. Les spécialistes ont recensé des milliers de statues et bustes d'empereurs, même si malheureusement, on connait pour très peu la destination exacte « L'iconographie de la statue impériale romaine comprend cinq types principaux : la figue équestre, l'homme vêtu d'une tunique et d'un manteau, l'homme en toge, l'homme cuirassé et la statue idéalisée. Parmi les figures impériales en toge, l'attitude la plus fréquente est celle de l’adlocutio, l'avant-bras étendu. Parfois l'empereur est représenté en prêtre, la tête voilée ». Au cours du premier siècle de l'Empire, il est fréquent de représenter l'empereur en Jupiter, assis ou debout, avec un aigle[5].
Au-delà des statues d'empereur, les autorités déploient la communication officielle au travers de multiples supports sculptés, via les reliefs sur des trophées, arcs, colonnes, autels et autres monuments. Si dès l'époque républicaine, des statues de personnages illustres décédés sont présents sur les arcs ; à partir de 70 ap. J. C., des personnes encore en vie sont honorées par ce biais. Le plus grand exemple d'art officiel et triomphal est l'arc de Trajan à Bénévent[6].
La sculpture narrative et historique
Ce domaine de l'art a été considérablement employé par les romains, et surtout les autorités, pour porter un message et fixer un évènement dans la mémoire. La sculpture narrative, essentiellement en bas-relief, s'éloigne des créations grecques tout en exubérance pour se tourner vers un style sobre, propre à leur mentalité et en suivant les règles de la structure narrative[7].
À partir du Ier siècle av. J.-C., les reliefs sur pierre ou marbre sont utilisés pour exprimer une idéologie au travers des récits fondateurs ou le rappel de période glorieuses. De nombreux personnages illustres font établir des monuments relatant leurs faits d'arme et glorifiant leur personnalité. Cela se développe à l'ère impériale, le relief historique devenant un genre artistique majeur. Ainsi, il subsiste trente-huit exemplaires de relief à thème historique datant de l'époque des Julio-Claudiens dont la Procession de la Villa Médicis ou les Suovetaurilia du Louvre. Un âge d'or de ce type de sculpture se repère sous Trajan, notamment avec sa célèbre colonne ou la grande frise de l'arc de Constantin[8].
La sculpture religieuse
La sculpture religieuse romaine se distingue de l'héritage hellénistique « par son goût pour l'espace, l'ampleur des constructions, le décor illusionniste, le manque d'attention aux détails plastiques et l'importance de la façade »[9].
Sous l'Empire, le relief cultuel prend un importance particulière ; moins couteux que la ronde-bosse, il est déployé pour faire le récit des légendes divines et permet plus aisément d'adjoindre aux personnages des motifs symboliques secondaires[9]. En outre, les représentations classiques des divinités sont alors associées aux figures impériales divinisées. De très nombreux autels dédiés à un empereur sont érigés un peu partout dans l'Empire[10].
La sculpture permet de voir l'introduction de nouvelles religions au sein de l'empire romain, avec la datation et la localisation de statues et reliefs dédiés aux nouvelles divinités[10]
Quant aux sculptures du culte domestique, elles étaient étroitement liées à la terre et au cadre des paysans et souvent placées dans les maisons. Représentations de forces spirituelles, elles servaient de protection au noyau familial. On pouvait également les trouver dans les magasins et les réserves alimentaires. Le foyer domestique était protégé par la déesse Vesta et la porte de la maison par le dieu Janus. La maison était protégée par les Lares. Chaque famille avait ses propres mânes (esprits des ancêtres), sortes d’ « anges gardiens »[11].
Postérité
Le langage figuratif de la sculpture romaine s'impose pendant des siècles comme une source essentielle de l'art occidental[2].
Par exemple, le type de la statue équestre de l’empereur Marc-Aurèle a servi de modèle pendant de nombreux siècles après l’époque romaine. Au Moyen-âge, Charlemagne s’est fait représenter comme un empereur romain, avec le buste droit et le regard portant au loin. Aux Temps Modernes également, la statue de Marc-Aurèle inspira de nouvelles représentations (comme la statue équestre de Louis XIV)[12].
Notes et références
- Zuffi 2005, p. 30.
- Zuffi 2005, p. 31.
- Alexandra Dardenay, « Rome, les Romains et l’art grec : translatio, interpretatio, imitatio, aemulatio », dans études réunies par Corinne Bonnet et Florence Bouchet, "Translatio" : traduire et adapter les Anciens, Classiques Garnier, (ISBN 978-2-8124-0860-1, SUDOC 171779282, lire en ligne), p. 119..
- Duby, Daval et Baral i Altet 2015, p. 158.
- Duby, Daval et Baral i Altet 2015, p. 156.
- Duby, Daval et Baral i Altet 2015, p. 157.
- Zuffi 2005, p. 33.
- Duby, Daval et Baral i Altet 2015, p. 175-176.
- Duby, Daval et Baral i Altet 2015, p. 177.
- Duby, Daval et Baral i Altet 2015, p. 179.
- Ada Gabucci, Rome, Paris, , p. 158.
- Elisabetta Gigante, L'art du portrait. Histoire, Ă©volution et technique, Paris, , p. 58 et 61.
Voir aussi
Ouvrages généraux
- Bernard Andreae, L'art de l'ancienne Rome, Éditions d'art Lucien Mazenod, , 621 p., 32 cm (ISBN 2-85088-004-3, SUDOC 001996010)
- Stefano Zuffi (trad. de l'italien), La sculpture : de la Grèce antique au postmodernisme, Solar, , 191 p., 25 cm (ISBN 2-263-03730-6, SUDOC 087266776)
- Georges Duby (dir.), Jean-Luc Daval (dir.) et Baral i Altet (trad. de l'italien), La Sculpture : De l'antiquité au XXe siècle, Köln/Paris, Taschen, 2015 (réédition) (1re éd. 1991: Précédemment publié aux éd. Skira. (collection: Histoire d'un art)), 1148 p., 27 cm (ISBN 978-3-8365-4483-2, SUDOC 174310560), (SUDOC 10323411X), (SUDOC 147263158). Philippe Bruneau, Mario Torelli et Xavier Barral i Altet, La sculpture : le prestige de l'Antiquité du VIIIe siècle avant J.-C. au Ve siècle après J.-C., Skira, coll. « Histoire d'un art », , 253 p., 23 cm (ISBN 2-605-00191-1, SUDOC 002719274).
Ouvrages en langue étrangère
- (en) Elise A. Friedland, Melanie Grunow Sobocinski, The Oxford Handbook of Roman Sculpture, Oxford University Press, , 728 p. (lire en ligne)