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Rythme circadien et troubles bipolaires

Le trouble bipolaire est une maladie mentale chronique caractĂ©risĂ©e par des Ă©pisodes prolongĂ©s de dĂ©pression et de manie[1]. Ces Ă©pisodes peuvent durer plusieurs semaines ou mĂȘme des mois en fonction de l’efficacitĂ© ou de la prĂ©sence d’un traitement psychiatrique[1]. Une des caractĂ©ristiques communes de cette maladie est des troubles du sommeil durant les Ă©tats de dĂ©pression et de manie, ainsi qu'Ă  travers celui de l’euthymie (un Ă©tat d’esprit normal)[1].

Le diagnostic de troubles bipolaires est portĂ© d’aprĂšs les symptĂŽmes cliniques. Des recherches scientifiques rĂ©centes ont proposĂ© des marqueurs biologiques molĂ©culaires pour les troubles bipolaires, en relation avec le rythme circadien (et cycles veille/sommeil) dans deux types de mĂ©canismes molĂ©culaires : la variation de certaines sĂ©crĂ©tions endocrines (hormonales) ; un polymorphisme gĂ©nĂ©tique associĂ© aux troubles bipolaires. Autre voie explorĂ©e d’identification de marqueurs biologiques molĂ©culaires, l’étude au niveau molĂ©culaire des mĂ©canismes d’action du lithium (traitement des troubles bipolaires) en relation avec les rythmes circadiens.

Sécrétion Endocrinienne

MĂ©latonine

La mĂ©latonine, sĂ©crĂ©tĂ©e par l'Ă©piphyse, est une hormone rĂ©glementant le cycle du sommeil. Elle dĂ©montre une concentration plasmatique suivant une variation circadienne grĂące Ă  la gouvernance des nuclĂ©oles suprachiasmatiques, au centre du contrĂŽle du rythme circadien endogĂšne[2]. Plusieurs Ă©tudes ont dĂ©montrĂ© des anormalitĂ©s dans la sĂ©crĂ©tion de la mĂ©latonine chez les individus diagnostiquĂ©s avec les troubles bipolaires. Plus prĂ©cisĂ©ment, la quantitĂ© ainsi que le moment de la sĂ©crĂ©tion dĂ©pendent gĂ©nĂ©ralement de la sĂ©vĂ©ritĂ© de la maladie. D’autres facteurs, comme l’ñge, l’exposition Ă  la lumiĂšre et la gĂ©nĂ©tique de l’individu en question peuvent affecter celle-ci[3]. Par exemple, une Ă©tude a dĂ©montrĂ© un apogĂ©e avancĂ© et une quantitĂ© Ă©levĂ©e de la sĂ©crĂ©tion de la mĂ©latonine dans un Ă©tat de manie chez les patients souffrant de la bipolaritĂ©[4] . À l’inverse, un Ă©tat dĂ©pressif se caractĂ©rise par un retard d'apogĂ©e et d’une sĂ©crĂ©tion moindre de mĂ©latonine[5]. Par contre, une autre Ă©tude fait auprĂšs de patients dĂ©montrant des Ă©tats de manie, dĂ©pression et d'euthymie, a conclu que la concentration de mĂ©latonine Ă©tait significativement moins Ă©levĂ©e chez les patients souffrant de troubles bipolaires comparer Ă  ceux ayant une santĂ© mentale normale, et ce, peu importe le stade de la maladie[6]. Ces rĂ©sultats peuvent donc potentiellement expliquer comment la sĂ©crĂ©tion irrĂ©guliĂšre de la mĂ©latonine, ainsi que d’autres facteurs psychosociaux, contribuent Ă  la perturbation des cycles de sommeil ainsi que les pĂ©riodes d’insomnie et d’hypersomnie courantes chez les patients bipolaires[7]

Cortisol

Le cortisol est une hormone stĂ©roĂŻdienne produite dans la zone fasciculĂ©e du cortex de la glande surrĂ©nale[8]. Comme la mĂ©latonine, ses sĂ©crĂ©tions sont gouvernĂ©es par le nuclĂ©ole suprachiasmatique et manifestent ainsi une expression de type circadienne[9]. Il intervient aussi dans la rĂ©gulation du sommeil chez les humains[10]. Son niveau plasmatique atteint un pic aux alentours de 8h le matin, et est Ă  son plus bas entre minuit et 4h du matin[11]. Une Ă©tude effectuĂ©e en 1994 par Linkowski et al. [12] a dĂ©montrĂ© un avancement de phase de la sĂ©crĂ©tion de cortisol diurne chez des patients bipolaires, associĂ©s Ă  une perturbation de l’horloge circadienne centrale dans l’hypothalamus, comparĂ© au patient ayant une santĂ© mentale normale. Cependant, une Ă©tude publiĂ©e dans le Journal of Psychiatry and Neuroscience en 2001 a conclu qu’il n’avait vĂ©ritablement pas de changement significatif concernant les niveaux de sĂ©crĂ©tion de cortisol lors d'une comparaison des trois Ă©tats d'humeur chez 18 patients bipolaires[13]. Cette contradiction indique donc la nĂ©cessitĂ© d'effectuer plus de recherches en ce qui concerne cette hormone et son lien avec la bipolaritĂ©.

Origine Génétique

Il existe trĂšs peu d'Ă©tudes tentant de relier les polymorphismes des gĂšnes-horloges aux troubles bipolaires. Cependant, celles effectuĂ©es dĂ©montrent, pour la plupart, l’implication des gĂšnes polymorphiques dans la manifestation et la gravitĂ© des Ă©pisodes de manie et de dĂ©pression

CLOCK

En effet, il existe quelques Ă©tudes suggĂ©rant que le polymorphisme de la rĂ©gion flanquante en 3’ (3111T/C) du gĂšne CLOCK est directement corrĂ©lĂ© Ă  un prolongement des Ă©pisodes d'insomnies durant un traitement antidĂ©presseur et Ă  une augmentation de la rĂ©currence d’épisodes maniaques chez les patients bipolaires [14] - [15] - [16]. Un autre groupe de chercheurs a dĂ©terminĂ© avec succĂšs un lien potentiel entre le polymorphisme affectant les gĂšnes-horloges BMAL1 et PER3 et la bipolaritĂ©. Toutefois, ces recherches sont dans les stades prĂ©liminaires et n’ont pas encore Ă©tabli de rĂ©sultats concluants [17].

En 2007, Roybal et al. [18] ont dĂ©montrĂ© que des souris ayant une mutation du gĂšne CLOCK dĂ©montraient un profil de comportement trĂšs similaire Ă  celui des patients bipolaires lors de la phase maniaque. La mutation a Ă©tĂ© induite via une mutagenĂšse N-Ă©thyl-N nitrosourĂ©e, inhibant l’activitĂ© transcriptase du gĂšne CLOCK. Plus prĂ©cisĂ©ment, les rĂ©sultats dĂ©montrent que les souris mutantes traversent des Ă©pisodes soutenus d’hyperactivitĂ© et d'insomnie, ainsi qu’un niveau plus faible d'anxiĂ©tĂ© et de dĂ©pression. De plus, les chercheurs ont pu observer une augmentation de la valeur du renforcement induite par l’abus de cocaĂŻne et de saccharose [19] crĂ©ant ainsi un parallĂšle avec l’abus de drogues et d’alcool qui ont une forte prĂ©valence chez les personnes souffrant de troubles bipolaires, particuliĂšrement durant la pĂ©riode maniaque[1]. Bien que ces rĂ©sultats concluants aient Ă©tĂ© obtenus en Ă©tudiant des souris, les chercheurs croient que des rĂ©sultats similaires seraient observables chez des humains, puisque plusieurs gĂšnes du mĂ©canisme molĂ©caire du rythme circadien sont bien conservĂ©s chez les mammifĂšres [20].

Traitements au Lithium

Actuellement, le lithium est considĂ©rĂ© comme un des mĂ©dicaments de premier choix prescrit chez les patients souffrant de trouble bipolaire. Il appartient Ă  la famille de mĂ©dicaments normothymiques (thymorĂ©gulateurs), prĂ©venant les rechutes d'Ă©pisodes maniaques et dĂ©pressifs[1]. Le lithium est connu pour sa capacitĂ© d’allonger la pĂ©riode du rythme circadien et de corriger les avancements de phase [21] - [22].

Cependant, son mode d’action pharmacologique est toujours mĂ©connu. PrĂ©sentement, deux mĂ©canismes molĂ©culaires ont Ă©tĂ© explorĂ©s pour tenter de rĂ©pondre Ă  cette question.

Action moléculaire via GSK3

Tout d’abord, le premier mĂ©canisme repose sur le principe que le lithium inhibe le glycogen synthase kinase 3 (GSK3)[23]. En effet, GSK3 est chargĂ© de la phosphorylation et la stabilisation de Rev-erba, un rĂ©cepteur faisant le lien entre le bras nĂ©gatif et positif de la boucle de rĂ©troaction[24]. L’inhibition de GSK3 entraĂźne donc la dĂ©gradation protĂ©asomale accĂ©lĂ©rĂ©e de Rev-erba, et la rĂ©initiation facilitĂ©e du bras positif, CLOCK/BMAL1[25], ce qui facilite, en thĂ©orie, le rĂ©tablissement d’un rythme circadien normal.

Action moléculaire via CRMP2

Le deuxiĂšme mĂ©canisme molĂ©culaire a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© en utilisant des cellules-souches humaines pluripotentes (human-induced pluripotent stem cells: hiPSCs) dans un laboratoire du Sanford Burnham Prebys Medical Discovery Institute. Plus prĂ©cisĂ©ment, les chercheurs ont dĂ©couvert que la collapsin response mediator protein 2 (CRMP2), une protĂ©ine ayant un rĂŽle primordial dans la neurotransmission [26], Ă©tait inactive chez les individus souffrant de la bipolaritĂ©. Par contre, l’ajout du lithium aux hiPSCs (provenant de patients sensibles Ă  celui-ci) rĂ©tablissait l'activitĂ© CRMP2 Ă  un niveau non pathologique [27]. En effet, le lithium joue sur la rĂ©gulation de GSK3b et AKT kinase, ainsi que leurs sites de phosphorylation, qui gouvernent le fonctionnement de CRMP2 [27]. La CRMP2 phosphorylĂ©e est inactive, dissociant du cytosquelette neuronal, alors que la CRMP2 non phosphorylĂ©e s’y lie [26]. Bref, en limitant la phosphorylation de la CRMP2, le lithium rĂ©duit le ratio pCRMP2:CRMP2, typiquement Ă©levĂ© chez les patients bipolaires, amĂ©liorant ainsi la conduction neuronale[27].

Notes et références

  1. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5th edn. American Psychiatric Association, Arlington, VA, 2013.
  2. Moore RY. The fourth C.U. Ariens Kappers lecture. The organization of the human circadian timing system. Prog Brain Res 1992;93:99–115.
  3. Marta NovĂĄkovĂĄ, JĂĄn PraĆĄko, KlĂĄra LĂĄtalovĂĄ et Martin SlĂĄdek, « The circadian system of patients with bipolar disorder differs in episodes of mania and depression », Bipolar Disorders, vol. 17, no 3,‎ , p. 303–314 (ISSN 1398-5647, DOI 10.1111/bdi.12270, lire en ligne, consultĂ© le )
  4. Novakova M, Prasko J, Latalova K, Sladek M, Sumova A. The circadian system of patients with bipolar disorder differs in episodes of mania and depression. Bipolar Disord. 2015; 17: 303–314.
  5. Robillard R, Naismith SL, Rogers NL et al. Sleep‐wake cycle and melatonin rhythms in adolescents and young adults with mood disorders: Comparison of unipolar and bipolar phenotypes. Eur. Psychiatry 2013; 28: 412–416
  6. Kennedy SH, Kutcher SP, Ralevski E, Brown GM. Nocturnal melatonin and 24‐hour 6‐sulphatoxymelatonin levels in various phases of bipolar affective disorder. Psychiatry Res. 1996; 63: 219–222.
  7. Harvey AG. Sleep and circadian rhythms in bipolar disorder: Seeking synchrony, harmony, and regulation. Am. J. Psychiatry 2008; 165: 820–829.
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Voir aussi

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