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Romer v. Evans

L'arrĂȘt Romer v. Evans, 517 U.S. 620 (1996), est un arrĂȘt de la Cour suprĂȘme des États-Unis rendu le , concernant l'orientation sexuelle et les lois des États. Il s'agit de la premiĂšre dĂ©cision relative aux droits LGBT depuis l'arrĂȘt Bowers v. Hardwick de 1986, confirmant les constitutionnalitĂ© des lois anti-sodomie[1].

Romer v. Evans
Titre Roy Romer, Governor of Colorado, et al. v. Richard G. Evans, et al.
Code 517 U.S. 620
Pays Drapeau des États-Unis États-Unis
Tribunal Cour suprĂȘme des États-Unis
Date 20 mai 1996
Recours Recours contre la dĂ©cision de la Cour suprĂȘme du Colorado.
Personnalités
Composition de la cour William Rehnquist (Chief Justice) · John Paul Stevens · Sandra Day O'Connor · Antonin Scalia · Anthony Kennedy · David Souter · Clarence Thomas · Ruth Bader Ginsburg · Stephen Breyer
DĂ©tails juridiques
Solution Un amendement Ă  la Constitution du Colorado interdisant un statut juridique protĂ©gĂ© aux homosexuels et bisexuels est dĂ©clarĂ© contraire Ă  la Constitution des États-Unis car il n'est pas rationnellement liĂ© Ă  un intĂ©rĂȘt lĂ©gitime de l'État.
Voir aussi
Mot clef et texte Discrimination
Droits LGBT

La Cour juge, six votes contre trois, que l'amendement 2 Ă  la Constitution du Colorado, qui interdit les lĂ©gislations contre la discrimination envers les personnes homosexuelles et bisexuelles, ne satisfait pas Ă  la clause d'Ă©gale protection prĂ©vue par le XIVe amendement de la Constitution des États-Unis[2]. L'opinion majoritaire affirme que l'amendement manque d'un « lien rationnel avec les intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes de l'État Â», et l'opinion dissidente relĂšve que la majoritĂ© « de tout Ă©vidence est d'accord que le fondement rationnel — le test normal pour la conformitĂ© Ă  la clause d'Ă©gale protection — est le standard dirigeant[2] - [3] Â». L'amendement ne passe pas l'analyse du « fondement rationnel Â»[4] - [5] - [6] - [7].

La dĂ©cision Romer v. Evans est annonciatrice d'autres arrĂȘts importants pour les droits des personnes homosexuelles : Lawrence v. Texas, effectuant en 2003 un revirement de la jurisprudence Bowers[1], United States v. Windsor (en), annulant en 2013 la section 3 du Defense of Marriage Act, et Obergefell v. Hodges lĂ©galisant en 2015 le mariage homosexuel Ă  l'Ă©chelle du pays. Dans ces quatre arrĂȘts, l'opinion majoritaire est rĂ©digĂ©e par Anthony Kennedy.

Adoption de l'amendement 2

En 1992, les Ă©lecteurs du Colorado doivent se prononcer par initiative populaire sur un amendement Ă  la constitution du Colorado — l'amendement 2 — qui interdit Ă  l'État, aux villes et aux comtĂ©s de l'État de voter des lĂ©gislations contre la discrimination envers les personnes homosexuelles et bisexuelles. Par consĂ©quent, l'orientation sexuelle d'une personne ne peut pas ĂȘtre un motif de protection au mĂȘme titre que la couleur de peau (contre le racisme), la religion (contre l'antisĂ©mitisme), etc. Des lĂ©gislations en ce sens avaient Ă©tĂ© adoptĂ©es par les villes de Denver, Boulder et Aspen[8].

Selon l'amendement 2 :

« Ni l'État du Colorado, Ă  travers l'une de ses branches ou l'un de ses dĂ©partements, ni l'une de ses agences, subdivisions politiques, municipalitĂ©s ou districts scolaires, ne peut promulguer, adopter ou faire appliquer une loi, une rĂšgle, une ordonnance ou une politique selon laquelle l'orientation, le comportement, les pratiques ou les relations homosexuelles, lesbiennes ou bisexuelles devraient constituer ou ĂȘtre la base ou autoriser une personne ou un groupe de personnes Ă  avoir ou Ă  prĂ©tendre Ă  un statut de minoritĂ©, un quota de prĂ©fĂ©rence, un statut protĂ©gĂ© ou une plainte pour discrimination. Cette section de la Constitution doit Ă  tous Ă©gard s'appliquer directement[Trad 1]. »

L'amendement est approuvĂ© par 53 % des votants[8]. Selon les enquĂȘtes d'opinion, les habitants du Colorado Ă©taient en grande majoritĂ© opposĂ©s aux discriminations basĂ©es sur l'orientation sexuelle. Ils Ă©taient cependant opposĂ©s Ă  la discrimination positive en faveur des homosexuels et c'est cette crainte qui aurait conduit Ă  l'adoption de l'amendement[9] - [10]. DĂšs le passage de l'initiative, des appels au boycott de l'État du Colorado sont lancĂ©s[8].

ProcĂ©dure devant la Cour de l'État

Richard G. Evans, un homme homosexuel travaillant pour le maire de Denver Wellington Webb (en)[11] ainsi que plusieurs autres individus et trois municipalitĂ©s du Colorado (Denver, Boulder et Aspen) introduisent un recours en justice contre l'amendement 2. Un tribunal de l'État Ă©met une injonction permanente contre l'amendement et, en appel, la Cour suprĂȘme du Colorado affirme que l'amendement est sujet Ă  un « strict examen Â» au regard de la clause d'Ă©gale protection de la Constitution fĂ©dĂ©rale[12] - [13]. Le tribunal, sur renvoi, conclut que l'amendement ne passe pas ce « strict examen Â», ce que confirme la Cour suprĂȘme du Colorado aprĂšs rĂ©examen[14]. À deux reprises, la Cour suprĂȘme de l'État a rendu un arrĂȘt Ă  deux voix contre une[12] - [14].

La Cour suprĂȘme du Colorado soutient que l'amendement 2 enfreint le droit fondamental des homosexuels Ă  participer Ă©quitablement au processus politique. Le jugement du tribunal estime que les homosexuels ne sont pas une suspect class, susceptible d'ĂȘtre sujette Ă  discrimination ; la Cour suprĂȘme ne se prononce pas sur ce point, la disposition en question n'ayant pas fait l'objet d'un appel.

La majoritĂ© de la Cour suprĂȘme du Colorado prĂ©cise que l'amendement 2 n'affecterait pas les lois du Colorado qui protĂšgent gĂ©nĂ©ralement de la discrimination :

« La loi du Colorado proscrit actuellement la discrimination contre des personnes qui ne font pas partie de suspect classes... Bien sûr, l'amendement 2 n'a pas l'intention d'avoir des effets sur cette législation, mais recherche simplement à éviter l'adoption de lois anti-discrimination visant à protéger les gays, lesbiennes et bisexuels[Trad 2] - [14] - [15]. »

Le juge ayant un avis divergeant estime que ni une suspect class, ni un droit fondamental ne sont en jeu dans l'affaire, et qu'il aurait ainsi appliquĂ© un « test de fondement rationnel Â» (rational basis test) plutĂŽt qu'un « strict examen Â» (strict scrutiny)[14].

DĂ©cision de la Cour suprĂȘme

L'affaire est dĂ©battue le devant la Cour suprĂȘme des États-Unis[16]. Le , la Cour suprĂȘme dĂ©clare par six voix contre trois que l'amendement 2 du Colorado est inconstitutionnel, mais adopte un raisonnement diffĂ©rent des tribunaux du Colorado. Anthony Kennedy Ă©crit l'opinion majoritaire que rejoignent John Paul Stevens, Sandra Day O'Connor, David Souter, Ruth Bader Ginsburg et Stephen Breyer. La Cour estime que l'amendement constitutionnel du Colorado vise les homosexuels en raison d'une animositĂ© manquant de lien rationnel avec les buts lĂ©gitimes d'un gouvernement[2].

En ce qui concerne l'argument que l'amendement 2 empĂȘche simplement les homosexuels de recevoir des « droits spĂ©ciaux Â», Kennedy Ă©crit :

« L'Ă©tendue de l'amendement 2 pourrait ne pas se limiter aux lois spĂ©cifiques adoptĂ©es au profit des gays et lesbiennes. C'est une dĂ©duction juste, sinon nĂ©cessaire, des termes gĂ©nĂ©raux de l'amendement qu'il prive Ă©galement les gays et lesbiennes de la protection des lois gĂ©nĂ©rales et des politiques interdisant la discrimination arbitraire dans le cadre gouvernemental et privĂ© (...) La cour de l'État n'a pas dĂ©cidĂ© si cet amendement Ă  cet effet, et nous non plus[Trad 3] - [2]. »

Kennedy conclut que l'amendement fait peser une difficultĂ© particuliĂšre sur les homosexuels, en leur interdisant de chercher des protections « sans contrainte Â». PlutĂŽt que d'appliquer la mĂ©thode du « strict examen Â» comme la Cour suprĂȘme du Colorado, Kennedy pense que l'amendement ne remplit mĂȘme pas le critĂšre infĂ©rieur de lien rationnel avec les buts lĂ©gitimes du gouvernement[2] :

« Son simple ampleur est si discontinu avec les raisons invoquĂ©es Ă  [son soutien] que l'amendement ne semble expliquĂ© que par l'animositĂ© envers la classe qu'il affecte ; il manque d'un lien rationnel avec les intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes de l'État[Trad 4] - [17]. »

Il ajoute que l'amendement :

« Est à la fois trop étroit et trop large. Il identifie des personnes par un simple trait puis leur dénie la protection en général. L'exclusion induite d'une catégorie de personnes de rechercher une protection spécifique de la loi est sans précédent dans notre jurisprudence[Trad 5] - [2] »

Kennedy n'approfondit pas son rejet des arguments en faveur de la loi, comme la protection des propriĂ©taires souhaitant expulser des locataires gays s'ils jugent l'homosexualitĂ© moralement offensante. Il insiste cependant sur le fait que la loi est si particuliĂšre qu'elle « dĂ©concerte ce processus normal d'examen judiciaire Â» et « dĂ©fie (...) l'instruction conventionnelle Â». Il estime que « ce n'est pas dans notre tradition constitutionnelle de promulguer des lois de ce genre »[Trad 6] - [2].

Trouvant que « les lois comme celle qui nous est prĂ©sentĂ©e amĂšnent Ă  l'inĂ©vitable conclusion que le dĂ©savantage imposĂ© est nĂ© d'une animositĂ© envers le groupe de personnes affectĂ© Â»[Trad 7] - [2], Kennedy prĂ©cise : « si la conception constitutionnelle d'« Ă©gale protection des lois Â» signifie quelque chose, il signifie au strict minimum qu'un simple (...) dĂ©sir de blesser un groupe politiquement impopulaire ne peut constituer un intĂ©rĂȘt gouvernemental « lĂ©gitime Â» Â»[Trad 8] - [2] - [18].

L'opinion majoritaire dans Romer ne mentionne ni ne revient sur la jurisprudence Bowers v. Hardwick de 1986, qui permet aux États d'interdire les rapports homosexuels[19].

Notes et références

Références

  1. (en) Doug Linder, « Gay Rights and the Constitution », sur University of Missouri-Kansas City (consulté le )
  2. (en) United States Supreme Court, « Romer v. Evans (1996), No. 94-1039 », sur FindLaw.com (consulté le ).
  3. (en) Kenneth Wald et Allison Calhoun-Brown, Religion and Politics in the United States, Rowman & Littlefield, (lire en ligne), p. 347.
  4. (en) Joanne Hames et Yvonne Ekern, Constitutional Law : Principles and Practice, Cengage Learning, (lire en ligne), p. 215.
  5. (en) Miriam Smith, Political Institutions and Lesbian and Gay Rights in the United States and Canada, Routledge, (lire en ligne), p. 88.
  6. (en) David Schultz, Encyclopedia of the United States Constitution, Infobase Publishing, (lire en ligne), p. 629.
  7. (en) Clint Bolick, David's Hammer : The Case for an Activist Judiciary, Cato Institute, (lire en ligne), p. 80.
  8. (en) Stephen Gascoyne, « Anti-Gay-Rights Law Leads To Colorado Boycott Calls », sur The Christian Science Monitor, (consulté le ).
  9. (en) William Turner, « The Gay Rights State: Wisconsin's Pioneering Legislation to Prohibit Discrimination Based on Sexual Orientation », Wisconsin Women's Law Journal, vol. 22,‎ , p. 91-104 (lire en ligne [archive du ] [PDF]).
  10. (en) Evan Gerstmann, The Constitutional Underclass : Gays, Lesbians, and the Failure of Class-Based Equal Protection, University of Chicago Press, , 100-102, 135-138 (ISBN 0-226-28859-5, lire en ligne).
  11. (en) David W. Dunlap, « The Gay Right Ruling: In Colorado, Ruling Signals More Fights to Come », sur The New York Times, (consulté le ).
  12. (en) « Supreme Court of Colorado, no 93SA17, July 19, 1993, Decided », sur Queer Resources Directory (consulté le ).
  13. (en) Alison Shay, « This Day: Romer v. Evans » [archive du ], This Day in Civil Rights History, sur Long Civil Rights Movement, Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, (consulté le ).
  14. (en) « Supreme Court of Colorado, Evan v. Romer, no 94SA48, October 11, 1994, Decided », sur Queer Resources Directory (consulté le ).
  15. (en) Walsh, Kevin, « Throwing Stones: Rational Basis Review Triumphs over Homophobia », Seton Hall Law Review, vol. 27,‎ , p. 1064
  16. (en) The Oxford Guide to United States Supreme Court Decisions, Oxford University Press, , 499 p. (ISBN 978-0-19-537939-6, lire en ligne), p. 286.
  17. (en) « Chapter 14: Other Indicia of Animus Against LGBT People by State and Local Officials, 1980–Present » [PDF], sur United States District Court for the Northern District of California, .
  18. Department of Agriculture v. Moreno, 413 U.S. 528, 534 (1973).
  19. (en) Michael Greve, Real Federalism : Why It Matters, How It Could Happen, American Enterprise Institute, (lire en ligne), p. 100.

Traductions

  1. « Neither the State of Colorado, through any of its branches or departments, nor any of its agencies, political subdivisions, municipalities or school districts, shall enact, adopt or enforce any statute, regulation, ordinance or policy whereby homosexual, lesbian or bisexual orientation, conduct, practices or relationships shall constitute or otherwise be the basis of or entitle any person or class of persons to have or claim any minority status, quota preferences, protected status or claim of discrimination. This Section of the Constitution shall be in all respects self-executing ».
  2. « Colorado law currently proscribes discrimination against persons who are not suspect classes....Of course Amendment 2 is not intended to have any effect on this legislation, but seeks only to prevent the adoption of anti-discrimination laws intended to protect gays, lesbians, and bisexuals ».
  3. « Amendment 2's reach may not be limited to specific laws passed for the benefit of gays and lesbians. It is a fair, if not necessary, inference from the broad language of the amendment that it deprives gays and lesbians even of the protection of general laws and policies that prohibit arbitrary discrimination in governmental and private settings....The state court did not decide whether the amendment has this effect, however, and neither need we ».
  4. « Its sheer breadth is so discontinuous with the reasons offered for it that the amendment seems inexplicable by anything but animus toward the class that it affects; it lacks a rational relationship to legitimate state interests ».
  5. « [Amendment 2] is at once too narrow and too broad. It identifies persons by a single trait and then denies them protection across the board. The resulting disqualification of a class of persons from the right to seek specific protection from the law is unprecedented in our jurisprudence ».
  6. « confound this normal process of judicial review (...) defies (...) conventional inquiry (...) It is not within our constitutional tradition to enact laws of this sort ».
  7. « laws of the kind now before us raise the inevitable inference that the disadvantage imposed is born of animosity toward the class of persons affected ».
  8. « If the constitutional conception of 'equal protection of the laws' means anything, it must at the very least mean that a bare ... desire to harm a politically unpopular group cannot constitute a legitimate governmental interest ».

Liens externes

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