Roi pĂȘcheur
Le Roi pĂȘcheur, ou Roi blessĂ© (en vieux français le Roi MĂ©haigniĂ©), figure dans la lĂ©gende arthurienne comme le dernier d'une lignĂ©e chargĂ©e de veiller sur le Saint Graal. Dans les textes du Moyen Ăge tardif, on le qualifie de ce fait souvent de « Riche Roi PĂȘcheur » en rĂ©fĂ©rence Ă l'inestimable trĂ©sor dont il assure la garde (un trĂ©sor spirituel plus que matĂ©riel).
Roi |
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Roi jure uxoris (d) |
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Le rĂ©cit de son histoire varie largement, mais il est Ă chaque fois blessĂ© aux jambes ou Ă l'aine, et incapable de se mouvoir seul. Depuis sa blessure, son royaume semble partager ses souffrances, comme si l'infirmitĂ© du roi rendait la terre stĂ©rile. C'est le mythe de la Terre dĂ©solĂ©e[1]. Il ne lui reste plus rien Ă faire que de pĂȘcher dans la riviĂšre auprĂšs de son chĂąteau de Corbenic. De tous les horizons, les chevaliers accourent afin de soigner le Roi pĂȘcheur mais seul l'Ă©lu, le « bon chevalier », peut accomplir ce miracle. Dans les premiers rĂ©cits, Perceval est souvent assimilĂ© au « bon chevalier » mais la lĂ©gende la plus connue serait que ce soit le fils de Lancelot du lac, Galaad, accompagnĂ© de Gauvain et de Bohort qui le dĂ©couvrit.
Origine du nom
On attribue au « Roi pĂȘcheur » diverses origines, qui ne s'excluent pas les unes par rapport aux autres.
- Symbolique chrĂ©tienne primitive : le poisson symbolise le Christ ; les premiers apĂŽtres Ă©taient des pĂȘcheurs jusqu'Ă ce que JĂ©sus les envoie Ă travers le monde comme « pĂȘcheurs dâhommes » (Mt 4, 19; Mc 1, 17).
- Mythologie celtique : la mythologie irlandaise Ă©voque le Saumon de la sagesse.
- Un jeu sur les mots : en français, les mots « pĂȘcheur » et « pĂ©cheur » (celui qui commet le pĂ©chĂ©) sont quasiment identiques.
- D'aprĂšs Goulven PĂ©ron, dans L'influence d'Ovide sur la visite de Perceval au chĂąteau du Roi PĂȘcheur, le terme pourrait ĂȘtre empruntĂ© aux MĂ©tamorphoses d'Ovide et notamment Ă la mĂ©tamorphose de Mnestra, la fille d'Ărysichthon, en pĂȘcheur.
- D'aprĂšs Julius Evola, dans Le MystĂšre du Graal, le Roi pĂȘcheur peut ĂȘtre vu comme le roi qui recherche le « bon chevalier » parmi les hommes, un pĂȘcheur d'homme en quelque sorte.
Origine celtique
Bien qu'il apparaisse pour la premiĂšre fois dans Perceval, le Roi pĂȘcheur trouve ses racines dans la mythologie celtique. Il pourrait s'agir d'une figure plus ou moins dĂ©rivĂ©e de Nodens, dieu des morts, qui pĂȘchait les Ăąmes des morts telles des poissons, et/ou de Bran le BĂ©ni, personnage des Triades galloises. Bran le BĂ©ni possĂšde un chaudron pouvant redonner vie â de maniĂšre imparfaite il est vrai â qu'il offre comme cadeau au mariage de sa sĆur Branwen et du roi d'Irlande Matholwch. Par la suite, il dĂ©clare la guerre aux Irlandais et est blessĂ© au pied ou Ă la jambe â le chaudron est dĂ©truit. Il ordonne Ă ses compagnons de couper sa tĂȘte et de la rapporter en Grande-Bretagne. La tĂȘte sĂ©parĂ©e de son corps continue Ă parler et leur tient compagnie durant tout le voyage. La troupe arrive au chĂąteau de Grassholm, une petite Ăźle galloise, oĂč les hommes passent quatre-vingt annĂ©es dans la joie et l'abondance. Ils dĂ©cident finalement de repartir et ramĂšnent la tĂȘte de leur chef jusqu'Ă Londres.
En comparaison, dans le conte du Mabinogion Culhwch et Olwen, les hommes d'Arthur doivent aller jusqu'en Irlande pour y rĂ©cupĂ©rer un chaudron magique. Le poĂšme gallois The Spoils of Annwn (Le Butin d'Annwn) relate la quĂȘte similaire d'un mystĂ©rieux chaudron.
Dans le roman gallois Peredur, qui se base sur le rĂ©cit de ChrĂ©tien de Troyes tout en apportant de nombreuses Ă©volutions, le Graal a totalement Ă©tĂ© abandonnĂ©. Le personnage du Roi pĂȘcheur, mĂȘme s'il n'est plus nommĂ© ainsi, apparaĂźt et prĂ©sente Ă Peredur une tĂȘte coupĂ©e sur un plateau. Ce dernier apprend ensuite qu'il a des liens de consanguinitĂ© avec ce roi, et que la tĂȘte coupĂ©e est celle de son cousin, dont il devra venger la mort.
Mais le Roi pĂȘcheur fait surtout penser au Dagda de la mythologie celtique irlandaise, dont le chaudron Ă©tait aussi lâun des talismans. Ce dieu-druide Ă©tait le plus important de la hiĂ©rarchie divine des Tuatha DĂ© Danann, juste aprĂšs Lug le Polytechnicien. Sa blessure et son infirmitĂ© reprĂ©sentent sa dĂ©chĂ©ance par le christianisme et la « Terre Gaste », la dĂ©solation des anciens temps, vouĂ©s au paganisme.
Chez Chrétien de Troyes
Chez ChrĂ©tien de Troyes, le Roi pĂȘcheur et PellĂšs ne font qu'un, mais dans d'autres lĂ©gendes, il y a le Roi pĂȘcheur et le Roi blessĂ©.| â un pĂšre (ou grand-pĂšre) et son fils â vivant dans le mĂȘme chĂąteau et protĂ©geant le Graal. Le pĂšre, plus sĂ©rieusement blessĂ©, reste au chĂąteau et n'est d'ailleurs qu'Ă©voquĂ© car il n'apparaĂźt dans aucune scĂšne des diffĂ©rents rĂ©cits, uniquement gardĂ© en vie par le pouvoir du Graal, alors que le fils, plus alerte, peut accueillir les invitĂ©s et aller pĂȘcher. Afin de faciliter la comprĂ©hension tout au long de l'article, le pĂšre sera appelĂ© le « Roi blessĂ© » et le fils le « Roi pĂȘcheur ». Ces deux personnages sont notamment prĂ©sents dans les textes de Robert de Boron.
Le Roi pĂȘcheur apparaĂźt pour la premiĂšre fois dans le roman inachevĂ© de ChrĂ©tien de Troyes, Perceval ou le Conte du Graal, aux environs de 1180. Ni sa blessure ni celle de son pĂšre ne sont expliquĂ©es, mais Perceval dĂ©couvre par la suite que les rois auraient Ă©tĂ© guĂ©ris s'il les avait questionnĂ©s sur le Graal, alors que son tuteur lui avait enseignĂ© de ne point poser trop de questions. Perceval apprend qu'il est liĂ© aux deux rois par sa mĂšre, la fille du Roi blessĂ©. Le rĂ©cit s'interrompt avant le retour de Perceval au chĂąteau qui abrite le Graal.
ChrĂ©tien de Troyes ne dĂ©signe jamais l'objet de la quĂȘte par le terme de Saint Graal. Il semble donc clair qu'il a utilisĂ© le mot Graal en sachant que l'objet serait familier au lecteur. Ce n'est pas avant Robert de Boron (voir ci-dessous) que le Graal est liĂ© Ă JĂ©sus. De la mĂȘme maniĂšre, des auteurs plus tardifs ont associĂ© la Sainte Lance, utilisĂ©e par le centurion romain Longinus qui a blessĂ© JĂ©sus au flanc et sur laquelle se trouvait le sang du Christ, Ă la Lance de la DestinĂ©e.
Dans la littérature médiévale aprÚs Chrétien de Troyes
L'Ă©volution suivante du Roi pĂȘcheur se trouve dans Joseph d'Arimathie de Robert de Boron, qui Ă©tablit la premiĂšre connexion entre le Graal et JĂ©sus-Christ. Ici, le « riche pĂȘcheur » est appelĂ© « Bron », nom assez semblable Ă celui de Bran pour suggĂ©rer une relation. Il est Ă©galement dĂ©crit comme le beau-frĂšre de Joseph d'Arimathie, ce dernier ayant recueilli le sang du Christ grĂące au calice. Joseph dĂ©couvre une communautĂ© religieuse qui voyage jusqu'en Grande-Bretagne, oĂč il confie le Graal Ă Bron, appelĂ© le « riche pĂȘcheur ». Bron, appelĂ© ainsi car il attrape le poisson qui nourrit toute la table du Graal, trouve ensuite la lignĂ©e des gardiens du Graal dont Perceval ferait partie.
Dans le Didot-Perceval, qui serait la transposition en prose d'un travail perdu de Robert de Boron, Bron est appelĂ© le « Roi pĂȘcheur » et son histoire est relatĂ©e alors que Perceval revient Ă son chĂąteau pour en dĂ©couvrir plus sur le mystĂšre de la guĂ©rison du roi. Ce dernier est ici prĂ©sentĂ© comme le Grand-pĂšre de Perceval et non comme son oncle maternel comme dans les Ćuvres prĂ©cĂ©dentes.
Wolfram von Eschenbach s'appuie sur l'histoire de ChrĂ©tien de Troyes et l'Ă©tend largement dans son roman Ă©pique Parzival. Il retravaille le concept du graal et la communautĂ© qui l'entoure, en nommant notamment des personnages que l'auteur initial avait laissĂ©s dans l'anonymat : le Roi blessĂ© est « Titurel » et le Roi pĂȘcheur « Anfortas ».
Le cycle associant le Graal et Lancelot va plus en avant dans l'histoire qui entoure le Roi pĂȘcheur, dont de nombreux parents auraient Ă©tĂ© blessĂ©s pour leurs Ă©checs. Les deux seuls rois survivant Ă l'Ă©poque arthurienne sont Pellam (ou Pelleham), le roi blessĂ©, et PellĂšs, qui fomente la naissance de Galahad en amenant Lancelot Ă convoler avec sa fille Ălaine de CorbĂ©nic (cette derniĂšre prenant sous l'effet d'un sort de BrisĂšne l'enchanteresse les traits de GueniĂšvre). Selon la prophĂ©tie, Galaad dĂ©couvrira le Graal et ramĂšnera Ă la vie la Terre dĂ©solĂ©e.
Dans le Roman du Graal, aussi appelĂ© « cycle Post-Vulgate » de mĂȘme que dans Le Morte d'Arthur de Sir Thomas Malory (Ă©crit vers 1470), le Roi pĂȘcheur Pellam est blessĂ© par le seigneur Balin, qui pour se dĂ©fendre face au roi enragĂ© lui inflige le « coup douloureux », avec la Lance de la DestinĂ©e. Pellam et son royaume doivent alors traverser une pĂ©riode de dĂ©solation jusqu'Ă la venue de Galahad. Chez Malory, quatre personnages, dont certains se recoupent sans doute, correspondent au Roi blessĂ© ou au Roi pĂȘcheur.
- Le roi Pellam, blessé par Balin, comme dans le Roman du Graal.
- Le roi PellÚs, grand-pÚre de Galahad, décrit comme le « roi mutilé ». Dans un passage, il est clairement identifié comme étant Pellam ; en revanche, dans un autre passage, les circonstances dans lesquelles il a été blessé sont différentes.
- Le roi Pescheour ou Petchere, seigneur du chĂąteau du Graal, qui n'apparaĂźt vraiment dans aucune scĂšne (en tout cas pas sous ce nom), doit sans doute son existence Ă une erreur de Malory, qui aura pris l'Ă©pithĂšte « le Roi PĂȘcheur » en français pour un nom. NĂ©anmoins, Malory le distingue clairement de PellĂšs.
- Un roi mutilĂ© anonyme, clouĂ© au lit, soignĂ© par Galahad Ă l'apogĂ©e de la quĂȘte du Graal. Il est lui aussi clairement distinguĂ© de PellĂšs, qui dans le passage vient juste d'ĂȘtre envoyĂ© hors de la piĂšce, et qui en tout cas est capable de se dĂ©placer.
Il semblerait que Malory ne souhaitait qu'un seul Roi mutilé, blessé par Balin et souffrant jusqu'à ce que son petit-fils Galahad le guérisse, mais il n'a jamais réussi à concilier toutes ses sources.
Dans certaines versions, le roi blessé se nomme Evalac/Mordrain, d'aprÚs le nom du roi de Sarras qui avait accueilli Joseph.
Ćuvres modernes inspirĂ©es de la lĂ©gende
Musique
- Wagner met en scĂšne le Roi pĂȘcheur dans son opĂ©ra Parsifal, composĂ© d'aprĂšs le livre homonyme de Wolfram von Eschenbach.
- Le deuxiÚme mouvement d'Harmonielehre de John Coolidge Adams, intitulé The Anfortas Wound (la blessure d'Anfortas).
Littérature
- T. S. Eliot parle abondamment du Roi pĂȘcheur dans son poĂšme The Waste Land (La Terre vaine).
- Le Roi pĂȘcheur est l'unique piĂšce de thĂ©Ăątre de Julien Gracq (JosĂ© Corti, 1948).
- On rencontre le Roi pĂȘcheur dans divers romans comme ceux de C. S. Lewis (Cette hideuse puissance), Paule Marshall (The Fisher King: A Novel), Tim Powers (la « Trilogie du Roi pĂȘcheur », qui commence avec Poker d'Ăąmes).
- Dans le Cycle de Pendragon de Stephen Lawhead, le roi pĂȘcheur est le surnom d'Avallach, roi de Sarras en Atlantide, installĂ© dans le sud de la Bretagne aprĂšs que son continent eut Ă©tĂ© englouti. Devenu chrĂ©tien, il est le gardien du Graal que seuls Merlin, Arthur, Bors, Perceval et Galaad pourront contempler.
- Le Roi pĂȘcheur est un personnage apparaissant dans la saga du Sorceleur d'Andrzej Sapkowski ainsi que dans le jeu vidĂ©o qui en est inspirĂ© (The Witcher) ; il ne parle pas et vit dans une petite cabane au bord du lac d'Eaux-Troubles, ville qu'il protĂšge avec la Dame du Lac.
- Dans Small World (Un tout petit monde) de David Lodge, le vieux critique littĂ©raire Arthur Kingfisher est impuissant et incapable de rien produire, jusqu'Ă ce que le personnage principal, Persse (Perceval) lui pose une question qui fait « sortir Arthur Kingfisher de sa lĂ©thargie ». Toute la diĂ©gĂšse et l'onomastique du roman de David Lodge sont fondĂ©es sur la rĂ©fĂ©rence Ă la quĂȘte du Graal et aux lĂ©gendes arthuriennes.
Cinéma
- Le Roi pĂȘcheur (The Fisher King), film de Terry Gilliam sorti en 1991 avec Robin Williams et Jeff Bridges, qui adapte Ă l'Ă©poque moderne la version de ChrĂ©tien de Troyes.
Bande dessinée
- La série Mage de Matt Wagner.
- Le tome trois de Merlin de Joann Sfar, oĂč le Roi pĂȘcheur est reprĂ©sentĂ© comme le grand-pĂšre de Merlin alors enfant, ce dernier aura mĂȘme l'occasion de boire dans le Saint Graal.
- Perceval de Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg.
Notes et références
- En ancien français : Terre Gaste, à rapprocher de l'anglais Waste Land.
Voir aussi
Bibliographie
- La LĂ©gende arthurienne â le Graal et la Table Ronde, recueil de contes de ChrĂ©tien de Troyes, Robert de Boron, PaĂŻen de MaisiĂšres, Raoul de Houdenc, Jean Froissart et dâanonymes. Ădition Ă©tablie, prĂ©facĂ©e et prĂ©sentĂ©e par Danielle RĂ©gnier-Bohler. Robert Laffont, collection « Bouquins », Paris, 1989 (ISBN 2221052595)
- Goulven PĂ©ron, « L'influence d'Ovide sur la visite de Perceval au chĂąteau du Graal », Journal of the International Arthurian Society,â (lire en ligne [PDF])
- (en) Roger Sherman Loomis (en), The Grail : From Celtic Myth to Christian Symbol, Princeton University Press, (1re Ă©d. 1963), 287 p. (ISBN 978-0-691-02075-4, lire en ligne)