Revanche des berceaux
La revanche des berceaux parfois appelée guerre des berceaux est une expression désignant l'époque de la résistance démographique des Canadiens français aprÚs la déportation des Acadiens de 1755, dont le but était d'avoir davantage de naissances (taux de fécondité plus élevé) que les colons d'origine britannique.
Suivant les sources, la revanche des berceaux avait pour objectif de permettre aux francophones d'ĂȘtre supĂ©rieurs en nombre, ou du moins de rĂ©sister Ă la chute du pourcentage de francophones provoquĂ©e par l'arrivĂ©e massive de colons anglophones (l'immigration de colons français Ă©tant devenue impossible). L'idĂ©e Ă©tait qu'en devenant et/ou restant nombreux, il devenait ainsi plus ardu pour les anglophones d'assimiler et de discriminer les francophones.
Historique
Avec le traité de Paris de 1763, la France renonça aux territoires de la Nouvelle-France au profit de la force d'invasion de la Grande-Bretagne à Montréal. Peu aprÚs, l'Acte de Québec de 1774 accordait à la province de Québec un vaste territoire depuis la vallée du fleuve Saint-Laurent jusqu'aux Grands Lacs et la vallée de l'Ohio. L'Acte restitua ainsi les droits de la noblesse seigneuriale, abolit le serment du test (qui excluait les catholiques de la fonction publique) et ramena l'usage du droit civil français.
Ainsi, les Canadiens français purent conserver leurs institutions et leur religion, ce qui n'empĂȘcha pas des colons anglais de s'installer massivement sur des terres confisquĂ©es aux Canadiens français. De la mĂȘme façon, les MĂ©tis, installĂ©s du Manitoba jusqu'Ă lâouest du QuĂ©bec, se virent aussi confisquer leurs terres en 1869. C'est ainsi que les Canadiens français rĂ©sistĂšrent par la revanche des berceaux. L'Ăglise catholique encourageait une tendance dĂ©jĂ Ă©voquĂ©e par les colonies françaises du XVIIe siĂšcle d'avoir davantage d'enfants pour finalement dĂ©passer ou rĂ©sister Ă l'augmentation du nombre de colons anglais[1].
Pour se rendre compte de cette explosion démographique, deux familles pouvaient former une équipe entiÚre de hockey sur glace. Un couple avait en moyenne 14 enfants, qui pouvaient avoir 14 enfants chacun. Il était d'usage pour une femme d'avoir 14 enfants et 170 petits-enfants[2].
En 1871, un recensement permit de dénombrer 87 000 Acadiens au Canada, dont la moitié étaient au Nouveau-Brunswick, soit prÚs de 15 % de la population de la province. En 1960, à la suite de la revanche des berceaux, les Acadiens représentaient 40 % des habitants de la province[3].
La situation s'est cependant inversĂ©e depuis la RĂ©volution tranquille des annĂ©es 1960, le QuĂ©bec connaissant une chute drastique de sa natalitĂ©. C'est en 1970 que le nombre moyen d'enfants par femme passa sous le seuil de remplacement des gĂ©nĂ©rations (2,1 enfants par femme dans les pays dĂ©veloppĂ©s). Ce nombre a continuĂ© de dĂ©croĂźtre jusqu'en 1987 en atteignant le plus faible niveau de son histoire, soit 1,36. AprĂšs une lĂ©gĂšre remontĂ©e au cours des annĂ©es 1990, le niveau retomba Ă 1,45 en 2000. Une nouvelle remontĂ©e fut Ă lâĆuvre Ă la fin de la premiĂšre dĂ©cennie des annĂ©es 2000[4].
La fin de la revanche des berceaux a provoquĂ© de nombreux dĂ©bats sur l'avenir de la culture quĂ©bĂ©coise, du peuple quĂ©bĂ©cois et de la langue française. L'exemple le plus cĂ©lĂšbre fut peut-ĂȘtre la sortie en 1989 du documentaire DisparaĂźtre, Ă©crit par Lise Payette. Chaque nouvelle annonce d'une baisse de la fĂ©conditĂ© entraĂźne encore la publication d'articles et d'analyses sur le sujet[5].
DĂ©mographie
La dĂ©mographie de ce phĂ©nomĂšne est complexe et peut ĂȘtre sujette Ă certains bĂ©mols dans la vĂ©racitĂ© des recensements Ă cause de deux facteurs. Le premier facteur est lâĂ©poque. Les annĂ©es 1700 nâavaient pas dâordinateur pour garder toutes les donnĂ©es en un seul endroit et il y avait de hauts risques de perdre les papiers officiels des recensements. Le deuxiĂšme facteur est le dĂ©sir dâavoir plus de francophones que dâanglophones au sein de lâĂ©glise. Il aurait Ă©tĂ© possible et facile pour les prĂȘtres et lâĂglise francophone de falsifier les donnĂ©es de recensements. Il y a peu de donnĂ©es des Canadiens anglais dans les annĂ©es 1700, les premiĂšres arrivent en 1851. Le site du gouvernement du QuĂ©bec mentionne quâen 1851, au QuĂ©bec, il y avait 890 261 habitants tandis quâen Ontario, dans la partie anglophone du Canada, il y avait 952 004 habitants, soi-disant 61 743 de plus que le QuĂ©bec[6].
Une femme sur cinq dans les annĂ©es 1800, avait 10 enfants ou plus. En gĂ©nĂ©ral, les femmes avaient en moyenne 5 enfants par famille[7]. Ă cette Ă©poque, il y avait un haut taux de mortalitĂ© infantile, ce qui pourrait expliquer pourquoi les familles avaient tendance Ă avoir plusieurs enfants[7]. Dans cette dynamique de famille traditionnelle, le mariage est presque obligatoire et toujours religieux et le divorce est interdit. Le dĂ©sir et le devoir de reproduction est Ă©levĂ©[8]. Bien que la revanche des berceaux ait augmentĂ© le taux de fĂ©conditĂ© et dâhabitants au QuĂ©bec dans les annĂ©es 1700/1800, aujourdâhui ce nâest plus la mĂȘme chose, car aprĂšs la fin de la revanche des berceaux vers la fin des annĂ©es 1960, le QuĂ©bec est devenu en sous-fĂ©conditĂ©[9].
DĂ©bats
La revanche des berceaux est un phĂ©nomĂšne engendrĂ© par la dĂ©portation acadienne. , Ă la suite de cette dĂ©portation, les Canadien français ont dĂ©cidĂ© dâaccroĂźtre les naissances. Ils voulaient dĂ©passer en nombre leurs voisins anglophones, une maniĂšre de se venger de la dĂ©portation acadienne. « Dans un siĂšcle, il n'y aura plus de QuĂ©bec parlant majoritairement français, mais il y aura des QuĂ©bĂ©cois partout dans le monde, sans lieu de retour, qui devront se trouver une patrie ... enfin! »[10]. Ce phĂ©nomĂšne sociodĂ©mographique a Ă©tĂ© souvent contestĂ©. Il sâagirait plus dâun mythe quâune rĂ©alitĂ©. Le dĂ©mographie Jaques Henripin, , se questionne sur la situation de la fĂ©conditĂ© avant 1870 et affirme que: « Tout se passe comme si la fĂ©conditĂ©Ì traditionnelle des Canadiens français Ă©tait une fĂ©conditĂ© nord-amĂ©ricaine. Peut-on parler de « revanche » quand il s'agit d'un comportement fĂ©cond semblable Ă celui de son « adversaire » ? »[11]. Cette analyse met en doute la thĂšse de la revanche des berceaux. Câest Ă se demander quelle est la place de la revanche des berceaux, car la fĂ©conditĂ© des quĂ©bĂ©cois et des anglophones est trĂšs semblable. De plus, le QuĂ©bec a toujours Ă©tĂ© plus en retard sur lâindustrialisation que le reste du Canada. Il existe des donnĂ©es qui prouve que le QuĂ©bec est en retard, lâOntario est la province dont la structure ressemble le plus Ă celle du QuĂ©bec, au Canada. En 1930, lâĂ©quipement tĂ©lĂ©phonique est beaucoup moins rĂ©pandu quâau QuĂ©bec. Il y avait 42% dâĂ©quipement moins rĂ©pandu dans cette province que celle de lâOntario[12]. On peut donc aussi expliquer pourquoi le taux de naissance au QuĂ©bec a pris plus le temps Ă descendre que le reste du Canada. Les familles quĂ©bĂ©coises sont restĂ©es plus longtemps dans les terres agricoles et pour assurer la survie des terres, les familles devaient avoir des enfants pour avoir de la main dâĆuvre et assurĂ© lâhĂ©ritage de la famille. La population a rĂ©duit le taux de naissance puisquâils ont quittĂ© leurs terres agricoles pour sâinstaller dans la grande ville.
« Cet Ă©goisme se traduit... [d'abord] par la restriction volontaire du nombre d'enfants - doctrine qui devient de plus en plus Ă la mode aujourd'hui, mais qui est simplement criminelle; car c'est un crime de vivre dans la luxure [âŠ] ; c'est un crime de priver l'Ăglise et Dieu d'enfants qui un jour peupleraient le ciel; c'est un crime de priver sa patrie de bras pour la secourir et de poitrines pour la dĂ©fendre. »[13]
Les accommodations du travail ouvrier, en plus de nouveau logement, ne permettait pas dâaccueillir les enfants en aussi grand nombre quâautrefois. Un peu plus tard, vers les annĂ©es 60ââ, les quĂ©bĂ©cois vivent dans un meilleur confort et ils rĂ©duisent considĂ©rablement leur nombre dâenfants. « [L]a revanche des berceaux s'avĂšre ici une hypothĂšse inutile dans la mesure oĂč elle conduirait Ă imputer Ă la ConquĂȘte des phĂ©nomĂšnes qui prĂ©existaient. »[14] En somme, il semble quâil nây a pas assez de preuves concluantes qui prouvent que la revanche des berceaux a Ă©tĂ© motivĂ© par lâaffiliation de la langue française par les quĂ©bĂ©cois.
Notes et références
- « Généalogie.com »(Archive.org ⹠Wikiwix ⹠Archive.is ⹠Google ⹠Que faire ?)
- « desbiens123.net/bersim/genealo⊠»(Archive.org ⹠Wikiwix ⹠Archive.is ⹠Google ⹠Que faire ?).
- (en) James Bickerton, « Seeking New Autonomies: State Rescaling, Reterritorialization and Minority Identities in Atlantic Canada », Political Autonomy and Divided Societies: Imagining Democratic Alternatives in Complex Settings,â , p. 98-117 (lire en ligne, consultĂ© le )
- Institut de la statistique du Québec, Bilan démographique du Québec - édition 2018, Institut de la statistique du Québec, (ISBN 978-2-550-82929-4, lire en ligne), p.34
- Vincent Destouches, « FĂ©conditĂ©: pourquoi le QuĂ©bec a besoin de vous », L'actualitĂ©,â (lire en ligne)
- BEMIER Gérald et Robert BOILY. « Québec en chiffres de 1850 à nos jours », dans bibliothÚque et archives nationales du Québec, Montréal, ACFAS, 1986, https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2828103, page consultée le 19 mars 2023.
- Victor PichĂ© et CĂ©line Le Bourdais, La dĂ©mographie QuĂ©bĂ©coise, MontrĂ©al, Presse de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al, , 324 p. (lire en ligne).
- Commission ontarienne des droits de la personne, « LâĂ©volution des familles Canadiennes » (consultĂ© le ).
- HENRIPIN Jacques. « Trois siÚcle de grosses familles », dans Cap-aux-diamants, numéro 39, automne 1994, p.30-35,https://www.erudit.org/en/journals/cd/1900-v1-n1-cd1042227/8656ac.pdf, page consultée le 19 mars 2023.
- Office national du film du Canada, « Québec à vendre » (consulté le )
- Jacques Henripin, « Les prĂȘts idĂ©ologiques dâun historien riche Ă un dĂ©mographe pauvre », L'ActualitĂ© Ă©conomique, vol. 61, no 2,â , p. 274 (ISSN 0001-771X et 1710-3991, DOI 10.7202/601332ar, lire en ligne, consultĂ© le )
- Daniel Fournier, « Pourquoi la revanche des berceaux? L'hypothĂšse de la sociabilitĂ© », Recherche, vol. 30, no 2,â , p. 171â198 (ISSN 1705-6225 et 0034-1282, DOI 10.7202/056437ar, lire en ligne, consultĂ© le )
- Kevin Rousseau, « Danielle Gauvreau, Peter Gossage et Diane Gervais, La fĂ©conditĂ© des QuĂ©bĂ©coises 1870-1970 : dâune exception Ă lâautre, MontrĂ©al, BorĂ©al, 2007, 346 p. », Recherches sociographiques, vol. 52, no 2,â , p. 421 (ISSN 0034-1282 et 1705-6225, DOI 10.7202/1005704ar, lire en ligne, consultĂ© le )
- GĂ©rard Bouchard et Richard Lalou, « La surfĂ©conditĂ© des couples quĂ©bĂ©cois depuis le XVIIe siĂšcle, essai de mesure d'interprĂ©ation », Recherche, vol. 34, no 1,â , p. 9â44 (ISSN 1705-6225 et 0034-1282, DOI 10.7202/056736ar, lire en ligne, consultĂ© le )