R. c. Bissonnette
R c Bissonnette, 2022 CSC 23 est une dĂ©cision historique de la Cour suprĂȘme du Canada qui statue que les peines d'incarcĂ©rations Ă perpĂ©tuitĂ© sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle constituaient des peines cruelles et inusitĂ©es. La Cour a ainsi annulĂ© Ă l'unanimitĂ© l'article 745.51 du Code criminel, qui donnait aux juges chargĂ©s de la dĂ©termination de la peine le pouvoir discrĂ©tionnaire d'additionner les pĂ©riodes d'inadmissibilitĂ© Ă la libĂ©ration conditionnelle pour les meurtres multiples, ce qui viole l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s[1] - [2] - [3] - [4].
Titre complet | Sa Majesté la Reine et procureur général du Québec c. Alexandre Bissonnette |
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Références | 2022 CSC 23 |
Date | 27 mai 2022 |
DĂ©cision
L'article 745.51 du Code criminel viole l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, il est déclaré inopérant.
Jugement unanime | Richard Wagner (appuyé par : Michael Moldaver, Andromache Karakatsanis, Suzanne CÎté, Russell Brown, Malcolm Rowe, Sheilah L. Martin, Nicholas Kasirer, Mahmud Jamal) |
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L'affaire est survenue lors de la condamnation du tireur de la mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette et a attiré l'attention des médias[5] - [6] - [7].
Historique
Condamnations à perpétuité au Canada
Au Canada, l'emprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© existe pour certaines infractions et est obligatoire dans les cas de meurtre ou de haute trahison. Un dĂ©linquant peut demander une libĂ©ration conditionnelle aprĂšs avoir purgĂ© une pĂ©riode d'inadmissibilitĂ© Ă la libĂ©ration conditionnelle de 25 ans pour meurtre au premier degrĂ© ou haute trahison, ou une pĂ©riode, dĂ©terminĂ©e par un juge, se situant entre 10 et 25 ans lors d'un meurtre au second degrĂ©. Les peines obligatoires pour meurtre ont Ă©tĂ© confirmĂ©es par la Cour suprĂȘme dans R v Luxton et R v Latimer, respectivement pour meurtre au premier et au deuxiĂšme degrĂ©[8] - [9].
En 2011, le Parlement a adopté la Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux réductions de peine pour les meurtres multiples. Celle-ci a promulgué l'article 745.51 du Code criminel, qui donnait aux juges chargés de la détermination de la peine le pouvoir discrétionnaire d'ordonner que les périodes d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour meurtres multiples soient purgées consécutivement. Par exemple, si un délinquant était reconnu coupable de deux meurtres au premier degré, le juge chargé de la détermination de la peine pouvait ordonner une période d'inadmissibilité de 50 ans[10].
Article 12 de la Charte
Sous la rubrique Garanties juridiques, l'article se lit comme suit :
« 12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. »
â Article 12 de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s
Dans la jurisprudence relative Ă l'article 12, cette garantie s'est transformĂ©e en une interdiction de deux catĂ©gories de peines. PremiĂšrement, certains types de chĂątiments extrĂȘmes toujours incompatibles avec la dignitĂ© humaine, comme les chĂątiments corporels, la torture ou la castration. Et deuxiĂšmement, les types de peines qui ne sont pas en elles-mĂȘmes incompatibles avec la dignitĂ© humaine, mais qui peuvent nĂ©anmoins devenir cruelles et inhabituelles si leur durĂ©e ou leur Ă©tendue est manifestement disproportionnĂ©e par rapport Ă la peine appropriĂ©e, compte tenu de la gravitĂ© de l'infraction et du degrĂ© de responsabilitĂ©. Le dernier volet de l'article 12 est utilisĂ© pour contester les peines minimales obligatoires, mais la Cour suprĂȘme a confirmĂ© les peines obligatoires pour meurtre[9].
Contexte factuel
Le soir du 29 janvier 2017, Alexandre Bissonnette, 27 ans, est entré dans la salle de priÚre du Centre culturel islamique de Québec, une mosquée du quartier Sainte-Foy à Québec, et a ouvert le feu avec un pistolet Glock 9 mm. En environ deux minutes, six fidÚles ont été tués et cinq autres griÚvement blessés dans l'une des pires fusillades de masse de l'histoire du Canada. Il s'est rendu en appelant le 911 environ 20 minutes plus tard, aprÚs avoir d'abord fui les lieux en voiture. Bissonnette plaidera coupable à six chefs de meurtre au premier degré et à six chefs de tentative de meurtre. L'affaire a été trÚs médiatisée et a provoqué des débats sur l'islamophobie dans la société québécoise et canadienne[11].
Devant les tribunaux de premiĂšre instance et d'appel
Au procĂšs, la Couronne a demandĂ© que toutes les peines pour meurtre soient purgĂ©es consĂ©cutivement en vertu de l'article 745.51 du Code criminel, pour une pĂ©riode totale d'inadmissibilitĂ© Ă la libĂ©ration conditionnelle de 150 ans. Bissonnette, pour sa part, a contestĂ© l'art. 745.51, en vertu de l'article 12 de la Charte . Le juge de premiĂšre instance a conclu que mĂȘme si les crimes de Bissonnette Ă©taient graves, une pĂ©riode d'inadmissibilitĂ© Ă la libĂ©ration conditionnelle de 150 ans Ă©tait excessive.
En fin de compte, le juge du procĂšs a conclu que la gravitĂ© de l'infraction de Bissonnette nĂ©cessitait une peine supĂ©rieure Ă la pĂ©riode de base de 25 ans d'inĂ©ligibilitĂ©, mais que la pĂ©riode de 50 ans serait exagĂ©rĂ©ment disproportionnĂ©e et constituerait ainsi une peine cruelle et inusitĂ©e. AprĂšs avoir conclu que la disposition Ă©tait inconstitutionnelle, a condamnĂ© Bissonnette Ă la prison Ă vie sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle avant 40 ans[1] :paras 12â19.
La Couronne et Bissonnette ont interjeté appel devant la Cour d'appel du Québec, qui a finalement accueilli l'appel de Bissonnette et rejeté celui de la Couronne. La Cour a confirmé que le juge de premiÚre instance avait raison et qu'effectivement, la disposition était inconstitutionnelle, mais a conclu que l'interprétation discrétionnaire était trop envahissante d'un recours et qu'il aurait plutÎt dû annuler la disposition. Il a à son tour réduit la peine de Bissonnette à une peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans[1] :paras 20 & 24.
Jugement
Le juge en chef Richard Wagner, Ă©crivant pour une cour unanime, a rejetĂ© l'appel de la Couronne et a dĂ©clarĂ© l'article 745.51 inconstitutionnel. Il a commencĂ© ses motifs en Ă©voquant les deux volets de l'article 12, l'un qui protĂšge contre les peines disproportionnĂ©es, et l'autre qui exclut cette catĂ©gorie Ă©troite de peines qui sont si contraires Ă la dignitĂ© humaine qu'elles ne peuvent pas ĂȘtre imposĂ©es. Il a soutenu qu'une peine qui relĂšve de ce dernier volet sera toujours nĂ©cessairement manifestement disproportionnĂ©e, de sorte qu'il n'est pas nĂ©cessaire de l'analyser en termes de disproportionnalitĂ© grossiĂšre une fois qu'une telle constatation est faite. Il a Ă©galement conclu que mĂȘme si les juges chargĂ©s de la dĂ©termination de la peine ont le pouvoir discrĂ©tionnaire de ne pas cumuler les pĂ©riodes d'inadmissibilitĂ© Ă la libĂ©ration conditionnelle en vertu de l'article 745.51, le simple fait qu'il autorise une telle peine suffira Ă rendre l'article inconstitutionnel, s'il devait ĂȘtre conclu que le pouvoir peut ĂȘtre exercĂ© en d'une maniĂšre qui engage ce dernier volet[1] :paras 59â70.
La Cour a statuĂ© qu'une peine d'emprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© qui prive un dĂ©linquant dĂšs le dĂ©but de toute possibilitĂ© rĂ©aliste de libĂ©ration relĂšve de la catĂ©gorie des peines qui ne peuvent jamais ĂȘtre infligĂ©es en vertu de la Charte . La Cour a estimĂ© qu'une telle peine est intrinsĂšquement contraire Ă la dignitĂ© humaine, car elle prĂ©suppose qu'un dĂ©linquant est irrĂ©cupĂ©rable et n'a pas l'autonomie morale pour se rĂ©habiliter. Le juge en chef Wagner a soulignĂ© que mĂȘme s'il Ă©tait loisible au Parlement de ne pas accorder la prioritĂ© Ă l'objectif de rĂ©habilitation par rapport Ă d'autres objectifs de dĂ©termination de la peine pour certaines infractions, ce qu'il ne pouvait pas faire, c'Ă©tait l'Ă©radiquer complĂštement. La porte de la rĂ©habilitation doit toujours rester ouverte, mĂȘme lĂ oĂč elle est d'une importance minime par rapport aux autres objectifs de la peine. La Cour a Ă©galement notĂ© que le Parlement avait dĂ©jĂ dĂ©classĂ© la rĂ©adaptation par rapport Ă d'autres objectifs de dĂ©termination de la peine pour meurtre au premier degrĂ© en fixant une pĂ©riode d'inadmissibilitĂ© Ă la libĂ©ration conditionnelle de 25 ans, ce qui, bien que constitutionnel, Ă©tait dĂ©jĂ plus long que de nombreux pays dĂ©veloppĂ© Ă©quivalent au Canada dans le monde[1] :paras 81-98.
La Cour a Ă©galement soulignĂ© les effets psychologiques d'une telle peine, estimant que les dĂ©linquants privĂ©s de toute possibilitĂ© de libĂ©ration n'ont aucune incitation Ă s'amĂ©liorer et vive une existence futile. Il a tenu compte de l'effet psychologique d'ĂȘtre isolĂ© de ses proches et du monde extĂ©rieur, sachant que rien de ce que vous pourriez faire ne vous permettrait de briser cet isolement. La Cour a Ă©galement relevĂ© que de nombreux dĂ©linquants confrontĂ©s Ă une telle situation souhaiteraient mettre fin Ă leurs jours afin d'abrĂ©ger leurs souffrances. La Cour a estimĂ© que ces effets Ă©tayaient la conclusion selon laquelle une peine d'emprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle est fondamentalement incompatible avec la dignitĂ© humaine[1] :paras 81-98.
Accueil de la décision
Les dirigeants de la communautĂ© musulmane du QuĂ©bec ont exprimĂ© leur dĂ©ception face Ă cette dĂ©cision[5]. Le Conseil national des musulmans canadiens a dĂ©clarĂ© que la dĂ©cision rouvrirait des blessures pour les survivants de l'attaque et les familles des victimes. Le ministre de la Justice, David Lametti, a dĂ©clarĂ© que mĂȘme si le gouvernement avait soutenu la loi, il respecterait la dĂ©cision et rĂ©examinerait ses implications, tout en reconnaissant la douleur et la colĂšre ravivĂ©es par la dĂ©cision[12]. Le parti conservateur de l'opposition a immĂ©diatement appelĂ© le gouvernement Ă explorer des options lĂ©gislatives en rĂ©ponse Ă la dĂ©cision. Le NPD Ă©tait d'accord, affirmant que mĂȘme s'il respectait la dĂ©cision, le gouvernement avait toujours la responsabilitĂ© d'explorer ses options. L'ancien premier ministre conservateur Stephen Harper, sous le gouvernement duquel la loi a Ă©tĂ© promulguĂ©e, a exprimĂ© sa dĂ©ception face Ă la dĂ©cision. Pierre Poilievre, le favori de l'Ă©lection Ă la direction conservatrice en cours, a dĂ©clarĂ© qu'il invoquerait la clause dĂ©rogatoire pour annuler la dĂ©cision. Si cela se produisait, ce serait la premiĂšre fois dans l'histoire du Canada que la clause serait invoquĂ©e par le gouvernement fĂ©dĂ©ral[13].
La dĂ©cision a Ă©galement Ă©tĂ© critiquĂ©e par certains Ă©ditoriaux des mĂ©dias comme dĂ©valorisant la vie des victimes et comme un activisme judiciaire[14] - [15] - [16]. Tandis que d'autres le dĂ©fendaient comme une juste limitation du pouvoir rĂ©tributif de l'Ătat[17] - [18] - [19]. Les familles des victimes dans d'autres cas oĂč la disposition de cumul avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© utilisĂ©e ou devait ĂȘtre utilisĂ©e ont Ă©galement vivement critiquĂ© la dĂ©cision[20].
Voir aussi
- 2022 motifs de la Cour suprĂȘme du Canada
- Contestations judiciaires des ordonnances de vie entiĂšre en Angleterre et au Pays de Galles
Références
- , May 27, 2022
- « Case in Brief: R. v. Bissonnette » [archive du ], Supreme Court of Canada, (consulté le )
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- (en-CA) « Supreme Court of Canada unanimously strikes down life without parole for mass murderers », The Globe and Mail website,â (lire en ligne, consultĂ© le )
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