Prélude et fugue en si majeur (BWV 892)
Le Clavier bien tempéré II
Prélude et fugue n°23 BWV 892 Le Clavier bien tempéré, livre II (d) | ||
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Liens externes | ||
(en) Partitions et informations sur IMSLP | ||
(en) La fugue jouée et animée (bach.nau.edu) | ||
Le prélude et fugue en si majeur, BWV 892 est le 23e couple de préludes et fugues du second livre du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach, compilé de 1739 à 1744.
Alors que Bach terminait le premier cahier par une grande fugue en si mineur, lors de la compilation du second, vingt ans plus tard, le compositeur place à la 24e et dernière position une brève fugue aux allures de fughetta. C'est donc au majeur, pour ce 23e diptyque en si, qu'il réserve une double fugue d'une envergure plus grande encore (104 mesures, contre 76 pour le premier livre et presque égale à la précédente en si bémol mineur).
Le prélude qui l'introduit — à rapprocher des préludes en ré mineur et fa dièse majeur — est conçu sous la forme d'une toccata chatoyante et pleine de joie de vivre. La fugue, de Stile antico, est portée par un sujet d'une grande dignité, dont les quatre voix s'exposent du grave à l'aigu. Bach réalise une pièce d'une grande majesté.
Les deux cahiers du Clavier bien tempéré sont considérés comme une référence par nombre de compositeurs et pédagogues. D'abord recopiés par les musiciens, puis édités au début du XIXe siècle, outre le plaisir musical du mélomane, ils servent depuis l'époque de leur composition à l'étude de la pratique du clavier et à l'art de la composition.
Contexte
Le Clavier bien tempéré est tenu pour l'une des plus importantes œuvres de la musique classique. Elle est considérée comme une référence par Joseph Haydn, Mozart, Beethoven, Robert Schumann, Frédéric Chopin, Richard Wagner, César Franck, Max Reger, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Maurice Ravel, Igor Stravinsky[1], Charles Koechlin et bien d'autres, interprètes ou admirateurs. Hans von Bülow la considérait non seulement comme un monument précieux, mais la qualifiait d’Ancien Testament, aux côtés des trente-deux sonates de Beethoven, le Nouveau Testament[2].
Les partitions, non publiées du vivant de l'auteur, se transmettent d'abord par des manuscrits, recopiées entre musiciens (enfants et élèves de Bach, confrères…) jusqu'à la fin du XVIIIe siècle avec déjà un succès considérable[3]. Grâce à l'édition, dès le début du XIXe siècle, leur diffusion s'élargit. Elles trônent sur les pupitres des pianistes amateurs et musiciens professionnels, et se donnent au concert, comme Chopin qui en joue pour lui-même une page, avant ses apparitions publiques[3]. L'œuvre est utilisée dès Bach et jusqu'à nos jours, pour la pratique du clavier mais également pour l'enseignement de l'art de la composition ou de l'écriture de la fugue. La musique réunie dans ces pages est donc éducative, mais également plaisante, notamment par la variété, la beauté et la maîtrise de son matériau[4].
Chaque cahier est composé de vingt-quatre diptyques (préludes et fugues) qui explorent toutes les tonalités majeures et mineures dans l'ordre de l'échelle chromatique. Le terme « tempéré » (Gamme tempérée) se rapporte à l'accord des instruments à clavier, qui pour moduler dans des tons éloignés, nécessite de baisser les quintes (le ré bémol se confondant avec le do dièse)[5], comme les accords modernes. Ainsi l'instrument peut jouer toutes les tonalités. Bach exploite donc de nouvelles tonalités quasiment inusitées de son temps, ouvrant de nouveaux horizons harmoniques[4].
Les préludes sont inventifs, parfois proches de l'improvisation, reliée à la tradition de la toccata, de l'invention ou du prélude arpégé. Les fugues n'ont rien de la sécheresse de la forme, que Bach rend expressive. Elles embrassent un riche éventail de climats, d'émotions, de formes et de structures qui reflètent tour à tour la joie, la sérénité, la passion ou la douleur et où l'on trouve tout un monde vibrant d'une humanité riche et profonde[6]. Certaines contiennent plusieurs procédés (strette, renversement, canons, etc.), d'autres non, dans une grande liberté et sans volonté de systématisme, ce qu'il réserve à son grand œuvre contrapuntique, L'Art de la fugue, composé entièrement dans une seule tonalité, le ré mineur[7].
Prélude
L'œuvre « constitue l'une des plus impressionnantes paires du volume II du Clavier bien tempéré, au même niveau élevé que le précédent »[8] et la fugue « est l'une des plus parfaites et des plus équilibrées du recueil »[9]. Le prélude, noté , est composé de 46 mesures.
« Nouveau miracle d'ingénuité, de délicatesse »[10] et de joie de vivre, aux allures de toccata[11], mais composé comme un concerto virtuose[12] ou une sonate[8], il est à rapprocher des préludes en ré mineur et fa dièse majeur, qui forment tous les trois un groupe utilisant un matériau similaire (style de toccata, doubles croches en accords brisés, etc.), mais dans un contexte différent[13].
Il comprend quatre sections : mesures 1–12, 12–23, 24–36, puis la réexposition abrégée, mesures 37–46[14]. La réexposition est précédée d'accords dissonants répétés huit fois à la main gauche (mesure 35)[15].
La première section ressemble fortement au prélude en la bémol majeur du premier livre. Après l'introduction à deux voix, est conviée une troisième (mesure 12) qui ne survit que deux ou quatre mesures à chaque fois (mesure 24), mais ressemble au traitement d'une sonate en trio[16]. Deux passages en roulades (mesures 17 et 29) séparent ces trios.
« C'est Mozart que l'on croit entendre d'avance dans le dialogue exquis qui s'amorce […] mesure 23 »[10], sur un accompagnement de basse d'Alberti. Dans l'œuvre de Bach, le climat le plus proche, est celui de la sonate en ré majeur pour viole de gambe (BWV 1028), où se retrouve par exemple « une pause emphatique sur la dominante, précédée par huit accords répétés et dissonants dans la main gauche »[15]. Au point de vue de la difficulté technique du clavier, la pièce est comparable au prélude de la Partita en sol majeur, BWV 829 (1730)[13].
Fugue
Caractéristiques 4 voix — , 104 mes.
⋅ 14 entrées du sujet
⋅ réponse tonale
⋅ contre-sujet, 5 entrées
⋅ divertissements |
La fugue à quatre voix, notée , est longue de 104 mesures. Bach réalise « une œuvre majestueuse, d'une richesse extraordinaire […] l'une des plus belles pages du second livre »[11] - «_Sans_heurs_ni_accidents,_cette_belle_page_est_marquée_d'une_incontestable_sérénité_»_17-0">[17]. En revanche en regard, la fugue suivante « paraît décevante pour servir de conclusion à un tel recueil de chefs-d'œuvre »[18]. Sans être parmi les réalisations les plus significatives du Clavier bien tempéré — elle n'utilise aucun procédé du genre renversement ou strette —, « cette fugue n’est que splendeur et harmonie »[19].
Elle est une double fugue de stile antico qui présente de notables parallélismes avec L'Art de la fugue (dans les Contrapuncti 4 et 10), incluant sa leçon de contrepoint — les sujets en contrepoint renversable ou le divertissement à trois voix mesures 64–74[15] en sont de bons exemples — et ses voix croisées[8].
Bach réserve généralement ses grands moments de contrepoint strict pour les tonalités en mineures. Cette fugue en si majeur est une exception qui forme avec son prélude une paire des plus impressionnantes du second livre et du même niveau que la précédente et une des fugues à l'écriture à quatre parties parmi les plus sereines du recueil«_
Le sujet, en notes disjointes en blanches, s’étale sur une octave, avec une grande dignité et simplicité[21]. Ses premières notes reprennent simplement le court accord final du prélude[16].
Pendant l'exposition, les voix entrent du grave à l'aigu, avant une nouvelle entrée de la basse (mesure 19) et une expressive cadence à la dominante[22] (mesure 27). Un motif tout en croches descendantes apparaît, combiné à la réponse au ténor. La pièce se transforme alors en double-fugue, puisque ce thème (ou second sujet) accompagne systématiquement le sujet (sauf à l'entrée de la basse, mesure 75), une mesure après celui-ci. Ils se combinent à l'octave (mesure 27) ou à la douzième[22] (mesures 42–45, 53–58), avec un changement d'entrée un temps avant (mesure 60)[15]. Les intervalles privilégiés de cette combinaison des deux sujets favorisent les tierces et les sixtes. L'apparition du second sujet, de nature calme, « exprime un sentiment de résolution teinté de légère nostalgie »[23].
L'entrée du sujet à la basse (mesure 75) réserve le même effet que les entrées finales de la fugue en fa mineur et la fugue si mineur du premier livre[24].
Le contre-sujet a une allure fortement contrastée au sujet, mais s'avère tout aussi beau et d'une force égale[21], dans sa montée vers les hauteurs qui anime toute l’exposition[22].
Manuscrits
Parmi les sources[25], les manuscrits considérés comme les plus importants sont de la main de Bach ou d'Anna Magdalena. Ils sont :
- source « A », British Library Londres (Add. MS. 35 021), compilé dans les années 1739–1742[26]. Comprend 21 paires de préludes et fugues : il manque ut mineur, ré majeur et fa mineur (4, 5 et 12), perdues[26] ;
- source « B », Bibliothèque d'État de Berlin (P 430), copie datée de 1744, de Johann Christoph Altnikol[27].
- Début du prélude (Ms. P 430, Berlin).
- Début de la fugue (Ms. P 430, Berlin).
- Seconde page de la fugue.
- Fin de la fugue.
Postérité
Emmanuel Alois Förster (1748–1823) a réalisé un arrangement pour quatuor à cordes de la fugue, interprété notamment par le Quatuor Emerson[28].
Théodore Dubois en a réalisé une version pour piano à quatre mains publiée en 1914[29].
Références
- Dufourcq 1946, p. 217.
- Candé 1984, p. 329.
- Candé 1984, p. 331.
- Nouveau dictionnaire des œuvres 1994, p. 1217.
- Dufourcq 1946, p. 222.
- Nouveau dictionnaire des œuvres 1994, p. 1218.
- « Philharmonie à la demande - L'Art de la fugue de Johann Sebastian Bach », sur pad.philharmoniedeparis.fr (consulté le )
- Schulenberg 2006, p. 271.
- Candé 1984, p. 333.
- Sacre 1998, p. 223.
- Tranchefort 1987, p. 42.
- Ledbetter 2002, p. 271.
- Ledbetter 2002, p. 325.
- Keller 1973, p. 215.
- Schulenberg 2006, p. 272.
- Ledbetter 2002, p. 326.
- «_Sans_heurs_ni_accidents,_cette_belle_page_est_marquée_d'une_incontestable_sérénité_»-17" class="mw-reference-text">Lebrun 2006, « Sans heurs ni accidents, cette belle page est marquée d'une incontestable sérénité », p. 222.
- Candé 1984, p. 334.
- Keller 1973, p. 217–218.
- «_
the_fugue_[…]_and_with_its_prelude_it_forms_one_of_the_most_impressive_pairs_of_WTC2,_on_the_same_high_level_as_the_preceding_one _»-20" class="mw-reference-text">Schulenberg 2006, « the fugue […] and with its prelude it forms one of the most impressive pairs of WTC2, on the same high level as the preceding one », p. 271–272. - Gray 1938, p. 144.
- Keller 1973, p. 217.
- Geiringer 1970, p. 302.
- Schulenberg 2006, p. 272–273.
- Sources du BWV 892 sur bach-digital.de.
- Tomita 2007, p. X.
- (de) Jean-Sébastien Bach et Johann Christoph Altnikol, Des Wohltemperirten Claviers, Zweiter Theil, besthehend in Præludien und Fugen durch alle Tone und Semitonien, verfertiget von Johann Sebastian Bach, Königlich Pohlnisch und Churfürstl. Sächs. Hoff Compositeur, Capellmeister und Directore Chori Musici In Leipzig. [« Le clavier bien tempéré, volume 2, ou préludes et fugues dans tous les tons et demi-tons, préparés par Jean-Sébastien Bach, compositeur de la cour royale de l'électorat de Saxe et de la Pologne, maître de chapelle et directeur de chorale musicale à Leipzig »] (lire en ligne [PDF]) (copie manuscrite d'Altnikol publiée par International Music Score Library Project)
- Johann Sebastian Bach, Emanuel Aloys Förster, Wolfgang Amadeus Mozart, Da-Hong Seetoo et Emerson String Quartet., Bach Fugues, CD Musical, Hambourg, Deutsche Grammophon, (présentation en ligne)
- Johann Sebastian Bach et Théodore Dubois, Le clavecin bien tempéré, 48 préludes et fugues transcrits 4 mains par Théodore Dubois, Paris, Éditions Maurice Sénart et Cie, (lire en ligne), p. 68-70
Voir aussi
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- (en) Hugo Riemann (trad. de l'allemand), Analysis of J.S. Bach's Wohltemperirtes clavier [« Katechismus der fugen-komposition »], vol. 2, Londres, Augener & Co., (1re éd. 1891 (de)), 234 p. (lire en ligne)
- (en) Cecil Gray, Forty-Eight Preludes and Fugues of J.S .Bach, Oxford University Press, , 148 p. (OCLC 603425933, lire en ligne [PDF]), p. 143–145.
- Norbert Dufourcq, La musique des origines à nos jours, Paris, Larousse, , 592 p. (OCLC 851442, BNF 37441761), « Jean-Sébastien Bach et Georg Friedrich Haendel ».
- Karl Geiringer (trad. de l'anglais par Rose Celli), Jean-Sébastien Bach [« Johann Sebastian Bach, the culmination of an area »], Paris, Éditions du Seuil, coll. « Musiques », (1re éd. 1966(en)), 398 p. (OCLC 743032406, BNF 35199443)
- Hermann Keller, Le clavier bien tempéré de Johann Sebastian Bach : l'œuvre, l'interprétation, Paris, Bordas, coll. « Études », (1re éd. 1965(de)), 233 p. (OCLC 373521522, présentation en ligne, lire en ligne [PDF]), p. 215–218
- Roland de Candé, Jean-Sébastien Bach, Paris, Seuil, , 493 p. (OCLC 319750728, BNF 34763585).
- (en) Yo Tomita, J. S. Bach’s ‘Das Wohltemperierte Clavier II’ : A Study of its Aim, Historical Significance and Compiling Process, Leeds, University of Leeds, (lire en ligne [PDF])
- Laffont – Bompiani, Le Nouveau dictionnaire des œuvres de tous les temps et de tous les pays, t. 1 : A-C, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », (réimpr. 1999, 2007), 2e éd. (1re éd. 1980), xxxi-7682 (OCLC 1040804733), « Le Clavecin bien tempéré », p. 1218.
- (en) Yo Tomita, J. S. Bach’s ‘Das Wohltemperierte Clavier II’ : A Critical Commentary, vol. 2 : All the extant manuscripts, Leeds, Household World Publisher, , 1033 p. (lire en ligne [PDF]), p. 15–25 ; 26–29
- François-René Tranchefort (dir.), Guide de la musique de piano et de clavecin, Paris, Fayard, coll. « Les Indispensables de la musique », , 867 p. (ISBN 978-2-213-01639-9, OCLC 17967083, lire en ligne), p. 34.
- Guy Sacre, La musique pour piano : dictionnaire des compositeurs et des œuvres, vol. I (A-I), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 2998 p., p. 210.
- (en) David Ledbetter, Bach’s Well-tempered Clavier : the 48 Preludes and Fugues, Yale University Press, , 414 p. (OCLC 5559558992, présentation en ligne), p. 325–329.
- (en) David Schulenberg, The keyboard music of J.S. Bach, New York, Routledge, , viii–535 (OCLC 63472907, lire en ligne), p. 271–273.
- Yo Tomita, « préface », dans J.-S. Bach, Clavier bien tempéré, Livre II, Henle, , xvii-163 (ISMN 979-0-2018-0017-2, lire en ligne), p. IX–XIII
- Éric Lebrun, Jean-Sébastien Bach, Paris, Bleu Nuit, coll. « Horizons », , 176 p. (OCLC 961368133, BNF 45127193)
Articles connexes
Liens externes
- Jean-Sébastien Bach, « Le clavier bien tempéré », vol. II, partitions libres sur l’International Music Score Library Project.
- Prélude et fugue en ut majeur sur freesheetpianomusic.com [PDF]
- Manuscrit autographe de Bach du prélude et fugue en si majeur (BWV 892) à la British Library (Add MS 35021).
- prélude et fugue en si majeur (BWV 892), manuscrit de Johann Christoph Altnikol sur staatsbibliothek-berlin.de
- Ressource relative à la musique :