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Pogrom de Bialystok

Le pogrom de BiaƂystok s'est dĂ©roulĂ© entre le 14 et le (1 au selon le calendrier julien) Ă  BiaƂystok, faisant alors partie de l'Empire russe. Pendant le pogrom, entre 81 et 88 personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es et 80 blessĂ©es.

Caricature du pogrom par Henryk Nowodworski.

Les violences Ă  l'encontre des Juifs de BiaƂystok font partie des pogroms antisĂ©mites de l'Empire russe liĂ©s Ă  l'agitation rĂ©volutionnaire des annĂ©es 1903-1907, dont les tristement cĂ©lĂšbres pogroms de Kichinev, d'Odessa et de Kiev[1].

Contexte

Au dĂ©but du XXe siĂšcle, BiaƂystok est une ville avec une population majoritairement juive. En 1895, la population juive est de 47 783 sur une population totale de 62 993 habitants, ce qui reprĂ©sente environ 76 %. BiaƂystok est essentiellement une ville connue pour sa fabrication textile, son commerce et son industrie. Lors de la rĂ©volution de 1905 qui secoue les anciennes terres polonaises, la ville est le centre d'un mouvement contestataire, avec de fortes organisations ouvriĂšres telles que l'Union gĂ©nĂ©rale des travailleurs juifs (plus connue sous le nom de Bund) et le Parti socialiste polonais.

À la fin de l'Ă©tĂ© 1904, un jeune anarchiste de 18 ans, Nisan Farber, poignarde et blesse griĂšvement Avraam Kogan, le propriĂ©taire d'une filature, alors que celui-ci se rendait Ă  la synagogue le jour de Yom Kippour. Le , Farber jette une bombe dans un commissariat, blessant plusieurs policiers. Farber lui-mĂȘme est tuĂ© par l'explosion[2].

Le , le chef de la police du district Yeltchine est tué, et le 8 juin, son remplaçant Pelenkine est blessé par une autre attaque à la bombe. En , deux officiers de police sont blessés par une bombe jetée par l'anarchiste juif, Aron Elin (Gelinker)[3]. En plus, en 1905, les officiers de police, Mozger, Moneсhko, et Barantsevitch sont tués et huit autres policiers blessés.

À la suite de ces violences, la loi martiale est instaurĂ©e Ă  BiaƂystok en , et durera jusqu'en . DĂšs la levĂ©e de la loi martiale, les assassinats et les actes de terreur reprennent. Le 4 mars, l'officier de police Koultchitsky est tuĂ©, suivi le 18 mars de l'assassinat de l'officier de gendarmerie Roubansky et du sous-officier Syrolevitch. En , l'officier de police CheĂŻman est tuĂ© par les anarchistes[3]. Plus tard, les policiers Zenevitch et AlekseĂŻtchouk sont blessĂ©s, ainsi que trois soldats du rĂ©giment d'infanterie Vladimir. Le cosaque Lopatine est tuĂ©.

Tous ces événements conduisent à une démoralisation et une désorganisation de la police de la ville. Entre 1905 et 1906, sept chefs de la police se sont succédé. La police n'entre plus dans la rue Souraj, considérée comme une place forte des anarchistes[3].

Le , le chef de la police de BiaƂystok, Derkacz, est assassinĂ©, trĂšs certainement sur ordre[4] du commissaire russe et antisĂ©mite fanatique, Cheremietiev [5]. Derkacz, qui Ă©tait polonais Ă©tait connu pour ses sympathies libĂ©rales et son opposition Ă  l'antisĂ©mitisme ; il Ă©tait respectĂ© aussi bien par le Bund juif que par le Parti socialiste polonais. À plusieurs occasions, quand des soldats russes s'attaquaient aux Juifs sur la place du marchĂ©, Derkacz avait envoyĂ© ses policiers pour calmer les violences et avait dĂ©clarĂ© qu'un pogrom contre les Juifs ne pourrait avoir lieu « que sur son cadavre ». Son assassinat annonce les violences Ă  venir, car dĂšs la mort de Derkacz, les gens virent les soldats russes commencer Ă  prĂ©parer un pogrom[6].

Le 14 juin, deux processions chrĂ©tiennes se dĂ©roulent simultanĂ©ment : une catholique sur la place du marchĂ© pour cĂ©lĂ©brer la FĂȘte-Dieu, et une orthodoxe au travers de la nouvelle-ville de BiaƂystok pour cĂ©lĂ©brer la fondation de la cathĂ©drale. La procession orthodoxe est suivie par une unitĂ© de soldats. Une bombe est jetĂ©e sur la procession catholique, et des coups de feu sont tirĂ©s sur la procession orthodoxe. Un surveillant de l'Ă©cole locale, StanisƂaw Milyusski, et trois femmes, Anna Demidiouk, Aleksandra MinkovskaĂŻa et Maria Kommisariouk, sont blessĂ©s. Ces incidents constituent le signal pour le commencement du pogrom. Les tĂ©moins rapportent que simultanĂ©ment avec les coups de feu, quelqu'un a criĂ© « À bas les Juifs[7] ». AprĂšs le pogrom, un paysan, arrĂȘtĂ© pour des faits sans rapport dans la ville voisine de ZabƂudĂłw avouera qu’il avait reçu une somme substantielle pour tirer sur la procession orthodoxe, afin de provoquer le pogrom[8]. Les autoritĂ©s russes annoncent que les Juifs ont tirĂ© sur la procession orthodoxe[9] - [10].

Les violences

Les violences commencent immĂ©diatement dĂšs que les coups de feu ont Ă©tĂ© tirĂ©s. Des bandes de casseurs issus de la formation d'extrĂȘme droite de Cent-Noirs commencent Ă  piller les magasins et les appartements dĂ©tenus par des Juifs sur la rue Nova-Linsk. Les policiers et les soldats qui suivaient la procession orthodoxe, n’interviennent pas ou mĂȘme participent aux violences. Le premier jour du pogrom est chaotique. Tandis que les unitĂ©s de l’armĂ©e tsariste, amenĂ©es Ă  BiaƂystok par les autoritĂ©s russes, Ă©changent des tirs avec les groupes paramilitaires juifs[11], des voyous armĂ©s de couteaux et de barres de fer, se dispersent dans la ville pour continuer le pogrom[10]. Certains quartiers juifs de la ville sont protĂ©gĂ©s par des unitĂ©s d’autodĂ©fense, gĂ©nĂ©ralement organisĂ©es par les partis ouvriers, qui s’opposent aux voyous et pilleurs[9] ainsi qu’aux dragons tsaristes. GrĂące Ă  ces groupes d’autodĂ©fense, plusieurs quartiers ouvriers juifs de la ville seront Ă©pargnĂ©s par la violence et de nombreuses vies sauvĂ©es[6].

Les deux jours suivants ne sont pas aussi violents, mais les attaques sur les personnes et les biens sont plus systĂ©matiques et ciblĂ©es, ressemblant Ă  une action militaire coordonnĂ©e, plutĂŽt qu’à une explosion spontanĂ©e de violence. Des bandes de maraudeurs et de soldats russes pĂ©nĂštrent dans les maisons juives et soit tuent les Juifs sur place, soit les traĂźnent dans la rue avant de les tuer. Ce n’est qu’à la fin du troisiĂšme jour que Stolypine, le ministre des Affaires internes, donne instruction aux gouverneurs rĂ©gionaux et aux maires d’en finir avec le pogrom[12]. La violence cesse immĂ©diatement dĂšs le retrait des troupes russes de la ville.

Le San Francisco Call newspaper daté du , décrit l'aspect de Bialystok aprÚs le pogrom :

« Les corps de nombreuses victimes juives des émeutiers fanatiques, mutilés et battus jusqu'à qu'ils perdent tout semblant de forme humaine
MĂȘme les blessĂ©s qui remplissent les hĂŽpitaux sont terriblement mutilĂ©s. Leurs mains, bras ou jambes ont Ă©tĂ© tranchĂ©s par les bourreaux.
Le calme rÚgne à l'intérieur de cette ville dévastée. Des coups de feu sont entendus dans les faubourgs de Bialystok, prÚs du cimetiÚre, mais il n'y a plus de troubles.

Le nombre total de victimes n'est pas connu, mais soixante-dix corps ont été enterrés aujourd'hui. Ceci est parait-il moins de la moitié du total des morts. Les Juifs estiment qu'il n'y a pas moins de 200 morts. Le nombre de blessés est énorme. Des chirurgiens sont arrivés de Varsovie pour aider le personnel débordé des hÎpitaux et prendre en charge les blessés.

Quelques exemples de la bestialité et de la brutalité avec lesquelles ont été traitées les victimes du massacre : certains cadavres n'étaient plus que de simple amas de chair, et des blessés, dans certains cas n'avaient plus aucun os intact.

Aujourd'hui, l'histoire de l'Ă©meute est Ă©crite en grosses lettres dans l'aspect des rues, qui ne sont plus qu'une suite continue d'incendies criminels et de pillages. Les fenĂȘtres et les portes des maisons juives sont grandes ouvertes, donnant une vue de leur intĂ©rieur saccagĂ©, ou ont Ă©tĂ© condamnĂ©es avec des volets en bois grossier[13]. »

Les cadavres des tués au cours du pogrom sont déposés dans la cour de l'hÎpital juif de Bialystok

Conséquences et effets

Pendant le dĂ©roulement du pogrom, 88 personnes sont tuĂ©es dont 82 Juifs, bien que certaines sources donnent un bilan de 200 morts[14]. Un total de 169 magasins et maisons ont Ă©tĂ© pillĂ©s, dont les plus importants magasins de la ville. Le pogrom fait l’objet de nombreux rapports et articles dont un manifeste spĂ©cial publiĂ© par le Parti socialiste polonais, condamnant l’évĂ©nement[15].

Les autoritĂ©s russes essaient d’accuser la population locale de la responsabilitĂ© du pogrom afin d’attiser la haine entre les Juifs et les Polonais, deux groupes ethniques opposĂ©s au tsar. Cependant, de nombreux tĂ©moins juifs rapportent que la population polonaise locale a protĂ©gĂ© de nombreux Juifs en les cachant et n’a pas participĂ© aux violences[9]. Apolinary Hartglas et Vladimir Jabotinsky rĂ©ussissent Ă  obtenir des documents secrets Ă©mis par Cheremietiev qui montrent que le pogrom a Ă©tĂ© organisĂ© longtemps Ă  l'avance par les autoritĂ©s russes, qui avaient transportĂ© depuis des endroits reculĂ©s de Russie des ouvriers des chemins de fer russes pour les faire participer[5] - [9].

La commission mise en place par la Douma, chargĂ©e d'enquĂȘter sur le pogrom, et composĂ©e du professeur Chtchepkine, du procureur Arakantzev et de Jacobson, arrive Ă  la mĂȘme conclusion[16]. Elle demande au Ministre de l’IntĂ©rieur de traduire en justice, le gouverneur de Grodno et la police de Bialystok pour leur non-intervention pendant les massacres et d’autres personnes pour leur participation active.

OutrĂ©, LĂ©on TolstoĂŻ Ă©crit concernant le pogrom : « La police a eu la garantie que ses membres pouvaient commettre les pires crimes sans ĂȘtre punis et avec cette garantie, ils ont tuĂ© des Juifs, mis le feu Ă  leur maison, violĂ© leur femme, etc. »

En 1908, Ă  l'initiative des dĂ©putĂ©s du Parti constitutionnel dĂ©mocratique de la Douma, certains des participants aux violences sont jugĂ©s, mais le procĂšs est vivement critiquĂ© pour les faibles peines infligĂ©es aux coupables et pour s'ĂȘtre abstenu de rechercher les vrais organisateurs du pogrom[12].

Monument aux victimes

Les victimes du pogrom sont enterrés dans une fosse commune dans le cimetiÚre Bagnowka[17], et un obélisque mémorial est érigé avec un poÚme en hébreu de Zalman Sznejur gravé dessus. Le poÚme commence par la phrase: « Tiens-toi fort et sois fier, toi, pilier de la tristesse », et le monument deviendra connu sous le nom de Pilier de la tristesse[18]. Le monument survivra à la Seconde Guerre mondiale et à la Shoah en Pologne. Il existe toujours[19] - [20] bien qu'une source indique faussement qu'il aurait été détruit aprÚs la guerre par des vandales polonais locaux[6].

Références dans la littérature

Le pogrom est mentionné dans le fameux poÚme Babiyy Yar de Evgueni Evtouchenko sur les meurtres des Juifs par les nazis à Babi Yar en Ukraine[21].

Autres pogroms des années 1903-1908

Notes

  1. (en) Samuel Joseph: Jewish immigration to the United States, from 1881 to 1910; Columbia University; 1914; pages: 65-66; (ASIN B004DR4S0Y)
  2. (en) Peter Medding: Jews and violence: images, ideologies, realities; Institute of Contemporary Jewry; Volume XVIII; Université hébraïque de Jérusalem; (ISBN 0195160096 et 978-0195160093)
  3. (ru): « Anarchist Almanac. 1909 »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?) (consultĂ© le )
  4. (pl) P.Korzec: Pogrom BiaƂostocki w 1906 r. i jego polityczne reperkusje (Le pogrom de Bialystok de 1905 et ses rĂ©percussions politiques); in "Rocznik BiaƂostocki"; tome III; BiaƂystok; 1962; pages: 149 Ă  182
  5. (pl) MichaƂ Kurkiewicz et Monika Plutecka: Zapomniane pogromy (pogroms oubliĂ©s); Nowe PaƄstwo 4 (364); hiver 2006
  6. (en) David Sohn: The Pogrom Against the Jews; The Bialystoker Memorial Book; 1982
  7. (en) Yaacov Ro'I: Jews and Jewish life in Russia and the Soviet Union; Ă©diteur: Routledge; 1995; page: 136; (ISBN 0714641499 et 978-0714641492)
  8. (en) Yaacov Ro'I: Jews and Jewish life in Russia and the Soviet Union; Ă©diteur: Routledge; 1995; page: 138; (ISBN 0714641499 et 978-0714641492)
  9. (en) Sara Bender; traduction en anglais par Yaffa Murciano: The Jews of BiaƂystok during World War II and the Holocaust;Ă©diteur: Brandeis; 2008; page: 16; (ISBN 1584657294 et 978-1584657293)
  10. (en) Simon Dubnow; traduction en anglais par Israel Friedlaender: “History of the Jews in Russia and Poland”; Ă©diteur: Avotaynu Inc; 2000; page: 484
  11. (en) Yaacov Ro'I: Jews and Jewish life in Russia and the Soviet Union; Ă©diteur: Routledge; 1995; page: 137; (ISBN 0714641499 et 978-0714641492)
  12. (en) Abraham Ascher: The Revolution of 1905: A Short History; Ă©diteur: Stanford University Press; 2004; page: 149; (ISBN 0804750289 et 978-0804750288)
  13. (en): http://www.museumoffamilyhistory.com/mfh-pogroms-bialystok.htm Anti-Semitism in Europe - The pogroms against the jews]; article du San Francisco Call newspaper daté du 19 juin 1906
  14. (en) Sarah Abrevaya Stein: Making Jews Modern: The Yiddish and Ladino Press in the Russian and Ottoman Empires (The Modern Jewish Experience); Ă©diteur: Indiana University Press; 2004; page: 113; (ISBN 0253218934 et 978-0253218933)
  15. (pl) Rezolucja wiecu robotniczego potępiająca Pogrom biaƂostocki (1906) ; (RĂ©solution des travailleurs condamnant le pogrom de BiaƂystok (1906)) ; Wikisources ; WikipĂ©dia en polonais ;
  16. (en): Samuel Joseph: Jewish immigration to the United States, from 1881 to 1910; Columbia University; 1914; pages: 66; (ASIN B004DR4S0Y)
  17. Vidéo du cimetiÚre juif de Bagnowka datant de 1938
  18. (en): Bialystok (Bagnowka) - Grodno Guberniya Poland Imaging Project; éditeur: Shtetlinks.jewishgen.org; 10 août 2008; consulté le 10 juin 2014
  19. (pl): Portail officiel de la municipalitĂ© de BiaƂystok: Cmentarz Ć»ydowski (ul. Wschodnia)
  20. (pl): Bagnówka; éditeur: Bagnowka.com; consulté le 10 juin 2014
  21. « BABI YAR By Yevgeni Yevtushenko », Remember.org (consulté le )

Liens externes

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