Pierre de Rosteguy de Lancre
Pierre de Rosteguy de Lancre ou Pierre de Lancre, né en 1553 à Bordeaux et mort en 1631 à Loubens (actuelle Gironde), est un juriste et magistrat français, conseiller au Parlement de Bordeaux à partir de 1582, à l'époque où Montaigne est à deux reprises maire de la ville, conseiller d'État à partir de 1612.
Juge |
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Il est surtout connu en raison de la mission de chasse aux sorcières qu'il a conduite en 1609 dans la province du Labourd, au Pays basque, résultant en une répression que la mémoire locale a probablement exagérée, mais tout de même importante.
Il est aussi l'auteur de textes philosophiques, ainsi que de textes issus de sa mission, à l'origine de certains stéréotypes concernant les supposées « sorcières ».
Biographie
Origines familiales et formation
Issu d'une famille de marchands de Juxue, en Basse-Navarre (le « royaume de Navarre » du nord à partir de 1512), connue depuis 1510, il est le fils d'Étienne de Rosteguy, conseiller du roi et seigneur de Lancre, et de Marguerite de Beziat de Nozières.
Il fait des études de droit et de théologie, d'abord en France, puis dans le royaume de Bohême et à Turin (principauté de Piémont, possession des ducs de Savoie).
Carrière (1582-1609)
Le , il devient conseiller au Parlement de Bordeaux, devenant collègue de Michel de Montaigne.
En 1588, il épouse Jeanne de Mons, petite-nièce de Montaigne.
Mise en place de la commission d'enquête (janvier-juin 1609)
Le , le roi Henri IV, saisi par des habitants du Labourd (Bayonne et les villes de la côte, et à l'intérieur, Saint-Pée, Ascain, Ustaritz, La Bastide-Clairence), adresse au parlement de Bordeaux une lettre chargeant Pierre de Lancre d'aller sur place à la tête d'une commission d'enquête.
Le , une deuxième lettre de Henri IV nomme deux commissaires : Jean d'Espagnet, « conseiller au Conseil d'État et président en notre cour du parlement de Bordeaux », et Pierre de Rosteguy de Lancre, « aussi notre conseiller en notre dite cour et parlement ». Après un échange de courrier entre le parlement et le roi, celui-ci émet une lettre de jussion datée du , à la suite de laquelle le , le parlement enregistre les lettres royales des et .
Objectifs
Cette commission doit « purger le pays de tous les sorciers et sorcières sous l'emprise des démons », faire la lumière, en particulier à Saint-Jean-de-Luz, sur les actes et les mœurs réputés libres des femmes de marins en l'absence de leurs maris (marins-pêcheurs au long cours), et sur les comportements des guérisseuses et cartomanciennes.
La mission (2 juillet-1° novembre 1609)
La mission débute le à Bayonne, mais Pierre de Rosteguy de Lancre se retrouve rapidement seul, le roi envoyant Jean d'Espagnet régler un différend entre pêcheurs français et espagnols.
À ce moment de l'année, les pêcheurs sont en mer du côté de Terre-Neuve.
Pierre de Lancre entend plusieurs centaines de témoins et fait procéder à des dizaines d'arrestations et d'exécutions. Puis les pêcheurs rentrent à la fin du septembre et réagissent fermement, s'opposant par la force à certaines exécutions. La plus grande émeute a lieu lors de l'exécution de Marie Bonne.
Pierre de Lancre met fin à sa mission le , contrairement aux ordres du roi. La mission a donc duré quatre mois.
Cependant, des femmes du Labourd accusées de sorcellerie restent emprisonnées au fort du Hâ à Bordeaux jusqu'en 1610. Elles viennent de nombreuses paroisses rurales et de villes, dont Dax. En 1613, il y en a encore qui attendent d'être jugées par le parlement de Bordeaux.
Pierre de Lancre est également connu pour une observation faite pendant sa mission concernant les bains de mer de Biarritz, qu'il juge contraires à la morale : « ce mélange de grandes filles et de jeunes pêcheurs qu'on voit à la côte en mandille, et tout nus en dessous, se pêle-mêlant dans les ondes […] ».
Historiographie et bilan de la mission
Cet épisode de chasse aux sorcières reste par la suite dans les mémoires, mais la légende va en amplifier les dimensions.
Reuss, dans un ouvrage sur la sorcellerie publié en 1872, parle de six cents personnes torturées, puis exécutées, parmi lesquelles des femmes, des enfants, des prêtres.
Les études publiées en 1938 dans la Revue du Musée de Bayonne, lors de la grande exposition de 1938 sur la sorcellerie, ramènent ces chiffres à soixante à quatre-vingts exécutions, après audition de 400 à 500 témoins à Saint-Pée-sur-Nivelle[1].
Suite de sa carrière
En 1612, il devient conseiller du roi, membre du Conseil d'État.
Dans les années 1610, il écrit plusieurs ouvrages sur les sorcières.
Succession
Il a, hors mariage, un fils connu sous le nom de père Bienassis. .
Son frère Étienne de Rosteguy de Tastes laissant lui aussi un enfant naturel, ses héritiers seront les fils aînés des enfants de ses deux sœurs Catherine et Marie, respectivement mariées à Florimond de Raymond, conseiller au Parlement de Bordeaux, et à Jean-Jacques de Spens d'Estignols, tous deux conseillers au Parlement de Bordeaux, sous condition d'ajouter à leur nom celui de Lancre et d'écarteler leurs armoiries en y ajoutant ses armes : d'azur à 3 ancres d'or, posées 2 et 1.
Il convient donc de ne pas confondre ces trois familles Rosteguy de Lancre (éteintes au XVIIe siècle), Raymond de Lancre et de Spens d'Estignols de Lancre (branche cadette éteinte au XIXe siècle des barons de Spens d'Estignols).
Son neveu Jean-Jacques de Spens d'Estignols hérite du château de Tastes qui reste ensuite dans cette famille jusqu'au début du XIXe siècle. Ce château, rebaptisé château Malromé devient alors la propriété de la famille de Toulouse-Lautrec (c'est là que le peintre Henri de Toulouse-Lautrec meurt le ).
Œuvres de Pierre de Lancre
Sujets philosophiques
- Tableau de l'inconstance et instabilité de toutes choses (1607)
- Tableau de l'inconstance et instabilité... revu et corrigé et augmenté d'un livre nouveau de l'inconstance de toutes les nations principales d'Europe (1610)
- Le Livre des princes contenant plusieurs notables discours pour l'instruction des roys, empereurs et monarques (1617)
Démons et sorcellerie
- Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons : première édition en 1612, réédition en 1613[2] et en (1982) par les éditions Aubier, collection Palimpseste.
- Incrédulité et mescréance du sortilège plainement convaincue (1622)
- Du sortilège (1627)
Pierre de Lancre, les « sorcières » et le « sabbat des sorcières »
À l'origine du mythe du « sabbat des sorcières », ses écrits ont contribué à véhiculer à travers les siècles une vision caricaturale et fantasmée de la « sorcière », séductrice, dansant nue et pactisant avec le diable[3] :
« Leurs cheveux voletant sur les épaules et accompagnants les yeux de façon qu’elles semblent beaucoup plus belles en cette naïveté et ont plus d’attraits. […] Elles ont cette belle chevelure, tellement à leur avantage que le soleil y étend ses rayons, l’éclat est aussi violent et forme d’aussi brillants éclairs qu’il fait dans le ciel. […] Elles sont aussi dangereuse en amour qu’en sortilège ». « Le Diable se représente en bouc au sabbat. […] Il s’accouple sous cette forme avec [les sorcières] »[4].
Ses arguments sont parfois surprenants comme son analyse sur Pays basque, qu'il finit par considérer dans son ensemble comme un pays de sorciers :
« Et enfin c’est un pays de pommes, elles ne mangent que des pommes. […] Ce sont des Eve qui séduisent volontiers les enfants d’Adam »[3]
Influence sur la littérature et les arts
- Le roman L'Inconstance des démons d'Eugène Green (2015), dont le titre s'inspire directement de l'ouvrage de Pierre de Lancre, est situé au Pays basque et traite des questions de possessions et de sorcellerie.
- Le film Les Sorcières d'Akelarre (Akelararre, 2020), de Pablo Agüero, est inspiré de la mission de Pierre de Lancre, s'appuyant sur les éléments fournis par son livre Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons (1612)[3]. Le rôle de Pierre de Lancre y est tenu par Àlex Brendemühl.
Bibliographie
Ouvrages anciens
- Communay, Le Conseiller Pierre de Lancre, 1890
Ouvrages récents
- « Aux confins du Royaume » : l'État moderne, la société basque et la sorcellerie au travers du regard de Pierre de Lancre (1553-1631), Bayonne, Colloque consacré à la sorcellerie, , 21 p. (lire en ligne)
- Josane Charpentier, Petite histoire de la sorcellerie au Pays basque à l'époque de Pierre de Lancre, Cairn, , 208 p. (ISBN 978-2-35068-796-4)
- Joëlle Dusseau, Le Juge et la Sorcière, 2002
- François Bordes, Sorciers et sorcières en Gascogne et Pays basque, 1999
- Roland Villeneuve, Les Procès en sorcellerie, 1979
- Claude Labat, Sorcellerie ? : Ce que cache la fumée des bûchers de 1609, Donostia; Bayonne, Elkarlanean; Igela, , 96 p. (ISBN 9788497836616 et 8497836618, OCLC 495056631)
Notes et références
- Laure PIGANIOL, « Saint Pee sur Nivelle, le château des sorcières », sur piganl.net (consulté le ).
- « Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons , où il est amplement traicté des sorciers et de la sorcellerie... par Pierre de Lancre,... », sur Gallica, (consulté le ).
- Audrey Gleonec, « Quand Bordeaux était une capitale de la chasse aux sorcières », sur Rue89Bordeaux,
- Pierre de Lancre, De l’inconstance des démons,