Paraphilie
Une paraphilie, (du grec para- [ÏαÏÎŹ], « auprĂšs de, Ă cĂŽtĂ© de » et -philia [ÏÎčλία], « amour ») est une attirance ou pratique sexuelle qui diffĂšre des actes traditionnellement considĂ©rĂ©s comme « normaux ». Elle se distingue du trouble paraphilique et n'est donc pas considĂ©rĂ©e comme un trouble mental. Les pratiques que la loi proscrit sont classĂ©es comme des dĂ©lits ou des crimes sexuels dans diffĂ©rents pays.
Ce terme de paraphilie a Ă©tĂ© proposĂ© par Friedrich Salomon Krauss (en) en 1903[1]. Il est utilisĂ© par certains milieux psychiatriques aux Ătats-Unis Ă la place du mot perversion, considĂ©rĂ© comme pĂ©joratif. Le sexologue nĂ©o-zĂ©landais John Money lâa popularisĂ© dans les annĂ©es 1970 en tant que dĂ©signation non pĂ©jorative pour classifier « les intĂ©rĂȘts sexuels inhabituels »[2] - [3] - [4] - [5]. Il dĂ©crit la paraphilie comme un « embellissement sexo-Ă©rotique, ou alternative Ă la norme officielle idĂ©ologique »[6].
Avant l'introduction du terme paraphilie dans le DSM-III (1980), le terme déviance sexuelle était utilisé pour classifier la plupart des paraphilies dans les deux premiÚres éditions du manuel[7] - [8] décrivant les paraphilies en tant que « fantaisie, désir ou comportement sexuellement intense » incluant notamment et généralement des anomalies telles que l'exhibitionnisme, l'utilisation d'objets inanimés, le non-consentement d'une personne et, donc, le viol, le fétichisme, le frotteurisme, la pédophilie, le masochisme, le sadisme sexuel, le travestissement fétichiste ou le voyeurisme, d'un cÎté pathologique avéré.
Les paraphilies doivent ĂȘtre distinguĂ©es notamment des problĂšmes psychiques et comportementaux associĂ©s au dĂ©veloppement psychosexuel, ou des dysfonctionnements sexuels.
Généralité
Liste de paraphilies
En 2018, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) liste huit paraphilies majeures[9] - [10]. Selon cet ouvrage, pour qu'une paraphilie soit diagnostiquĂ©e, l'objet de la dĂ©viance doit ĂȘtre la seule source de gratification sexuelle pendant une pĂ©riode d'au moins six mois et doit causer « une dĂ©tresse clinique notable ou un handicap dans le domaine social, professionnel ou autres domaines fonctionnels importants », ou impliquer une violation du consentement d'autrui[11]. Le DSM classe Ă©galement une large liste de paraphilies.
Perceptions cliniques
Principe contestable
Apparu dans le volumineux ouvrage de Richard von Krafft-Ebing (1840-1902) dans Psychopatia sexualis (1886), lâidĂ©e mĂȘme dâune systĂ©matique du comportement sexuel sâapparentant Ă la notion de perversion est aujourdâhui trĂšs contestĂ©e : le « vĂ©ritable » paraphile devant a fortiori, en tant que psychopathe/sociopathe, satisfaire l'objet de sa dĂ©viance pour sâexciter sexuellement.
La question de la paraphilie peut ĂȘtre abordĂ©e sous lâangle social et ses limites sâintĂšgrent Ă une interrogation juridique. Le philosophe Michel Onfray, dans son ouvrage intitulĂ© Le souci des plaisirs. Construction d'une Ă©rotique solaire[12], propose de contrer cette dĂ©marche en se rĂ©orientant sur la notion de contrat intersubjectif sâapprochant de celle adoptĂ©e par Charles Fourier en 1817 dans Le Nouveau Monde amoureux : lâutopiste admet quâil existe une infinitĂ© de sexualitĂ©s et de fantasmes mais que les individus peuvent « complĂ©ter » tout en sachant que « ce qui fait plaisir Ă plusieurs personnes sans prĂ©judicier Ă aucune est toujours un bien sur lequel on doit spĂ©culer en Harmonie, oĂč il est nĂ©cessaire de varier les plaisirs Ă lâinfini ».
Toutes les paraphilies ont cependant un dĂ©nominateur commun : il sâagit dans tous les cas dâune pulsion sexuelle nĂ©cessitant un passage Ă lâacte pour faire disparaĂźtre une tension. Il est important de distinguer parmi les paraphilies celles dont le passage Ă lâacte constitue nĂ©cessairement une atteinte Ă lâintĂ©gritĂ© dâautrui, comme la pĂ©dophilie, l'exhibitionnisme sans consentement, par exemple. Denise Medico, sexologue clinicienne, enseignante Ă lâUniversitĂ© de GenĂšve, a analysĂ© les mĂ©canismes qui permettent de distinguer parmi les paraphilies celles qui ont le caractĂšre dâune perversion sous-tendue par la haine (notamment la pĂ©dophilie) et celles qui constituent, selon elle, un mĂ©canisme de dĂ©fense exempt de perversitĂ© en rĂ©ponse Ă un traumatisme subi dans lâenfance (le fĂ©tichisme par exemple)[13] - [14].
Beaucoup de communautés paraphiles, en particulier fétichistes et BDSM, considÚrent l'étrangeté des pratiques sexuelles comme purement subjective et dépendante du contexte sociétal, et se basent sur des critÚres plus pragmatiques tels que le respect, le consentement mutuel et la gestion éclairée des risques pour juger une pratique.
DSM-I et DSM-II
Dans la psychiatrie amĂ©ricaine, avec la premiĂšre publication du DSM-I, les paraphilies Ă©taient classĂ©es en tant que « personnalitĂ©s psychopathes avec sexualitĂ© pathologique ». Le DSM-I (1952) inclut la dĂ©viation sexuelle en tant que trouble de la personnalitĂ© de sous-type psychopathe. La spĂ©cificitĂ© des troubles devait ĂȘtre classifiĂ©e en tant que « terme supplĂ©mentaire » aux diagnostics des dĂ©viations sexuelles ; ces exemples de terme supplĂ©mentaire du DSM-I incluent homosexualitĂ©, travestisme, pĂ©dophilie, fĂ©tichisme et sadisme sexuel. Il n'y avait aucune restriction dans le DSM-I sur ce que pouvait ĂȘtre ce terme supplĂ©mentaire[15].
Le DSM-II (1968) a maintenu l'utilisation du terme « dĂ©viations sexuelles », mais ne les assigne plus aux troubles de la personnalitĂ©, les catĂ©gorisant plutĂŽt sous le terme de « troubles de la personnalitĂ© et certains autres troubles mentaux non psychotiques ». Les types de dĂ©viations sexuelles listĂ©s dans le DSM-II Ă©taient : troubles de l'identitĂ© sexuelle (homosexualitĂ©), fĂ©tichisme, pĂ©dophilie, travestisme, exhibitionnisme, voyeurisme, sadisme, masochisme et « autre dĂ©viation sexuelle ». Aucune dĂ©finition ou aucun exemple nâĂ©tait donnĂ© pour la catĂ©gorie « autre dĂ©viation sexuelle », mais la catĂ©gorie gĂ©nĂ©rale de « dĂ©viation sexuelle » dĂ©crivait la prĂ©fĂ©rence sexuelle des individus qui Ă©taient « attirĂ©s par les objets plutĂŽt que par les individus du sexe opposĂ©, actes sexuels nĂ©cessairement non associĂ©s au coĂŻt, ou portĂ©s sur les coĂŻts de circonstances bizarres, comme la nĂ©crophilie, la pĂ©dophilie, le sadisme sexuel et le fĂ©tichisme »[16]. Ă l'exception de la suppression de l'homosexualitĂ© dans le troisiĂšme ouvrage du DSM (DSM-III), cette dĂ©finition gĂ©nĂ©rale a dĂ©fini d'autres types de paraphilies dans les Ă©ditions du DSM, jusqu'au DSM-IV-TR[17].
DSM-III et DSM-IV-TR
Le terme « paraphilie » a été intronisé dans le DSM-III (1980) en tant que nouvelle catégorie des « troubles psychosexuels ». Les types de paraphilies listés étaient : fétichisme, travestisme, zoophilie, pédophilie, exhibitionnisme, voyeurisme, masochisme sexuel, sadisme sexuel et « paraphilie atypique ». Le DSM-III-R (1987) renomme cette catégorie en « troubles sexuels », paraphilie atypique en « paraphilie non spécifiée », affine la définition du travestisme en « travestissement fétichiste », ajoute frotteurisme et supprime zoophilie, le classant dans les paraphilies non spécifiées. Il classe également sept autres exemples de paraphilies non spécifiées, qui, parmi la zoophilie, incluent scatologie téléphonique, nécrophilie, partialisme, coprophilie, klysmaphilie et urophilie[18].
Le DSM-IV (1994) retient la classification des troubles sexuels pour les paraphilies, mais ajoute Ă©galement la catĂ©gorie « troubles de l'identitĂ© sexuelle et des genres », qui les classifie. Le DSM-IV retient les mĂȘmes types de paraphilies listĂ©s dans le DSM-III-R, incluant les exemples non spĂ©cifiĂ©s et intronisant certains changements aux dĂ©finitions de types spĂ©cifiques[17].
Les paraphilies sont définies par le DSM-IV-TR comme troubles sexuels caractérisés par des « comportements intenses et récurrents sexuellement fantaisistes, des grandes envies sexuelles impliquant généralement (1) objets inanimés, (2) souffrance et humiliation de soi ou d'un partenaire (3) enfants ou autre personne non consentante durant une période de plus de 6 mois (CritÚre A), qui peut « cliniquement causer une détresse sociale, d'occupation, ou autre zone importante du fonctionnement » (CritÚre B). Le DSM-IV-TR décrit 8 troubles spécifiques de ce type (exhibitionnisme, fétichisme, frotteurisme, pédophilie, masochisme sexuel, sadisme sexuel, voyeurisme et travestissement fétichiste) parmi une neuviÚme catégorie, paraphilie non spécifiée[19]. Le CritÚre B diffÚre de l'exhibitionnisme, du frotteurisme et de la pédophilie pour inclure l'acte de ses besoins, et du sadisme, acte de ses besoins sur une personne non consentante[20].
Certaines paraphilies peuvent interférer lors de relations sexuelles avec des partenaires consentants[21]. D'aprÚs le DSM, « les paraphilies ne sont presque jamais diagnostiquées chez les femmes »[21], mais certaines études sur les femmes ayant une ou plusieurs paraphilies ont été publiées[22].
Le DSM inclut les critĂšres pour ces paraphilies :
- Exhibitionnisme - besoin ou comportement actuel d'exposer ses parties génitales à d'autres personnes ou d'agir sexuellement en public.
- Fétichisme sexuel - utilisation d'objets inanimés pour gagner une excitation sexuelle. Le partialisme se réfÚre au fétichisme d'une partie spécifique du corps.
- Frotteurisme - besoin ou comportement actuel de toucher ou se frotter contre une personne non consentante.
- Pédophilie - préférence sexuelle pour les enfants [23].
- Masochisme sexuel - besoin ou comportement actuel de recherche d'humiliation, d'ĂȘtre tapĂ©, soumis ou de souffrir en tant que plaisir sexuel.
- Sadisme sexuel - besoin ou comportement actuel de recherche de souffrance sur une autre personne en tant que plaisir sexuel.
- Travestissement fĂ©tichiste : attirance et excitation sexuelle dans le port des vĂȘtements du sexe opposĂ©[21] - [24].
- Voyeurisme : besoin ou comportement actuel d'observer un individu non suspicieux nu, dénudé ou engageant des rapports sexuels[25] - [26].
D'autres paraphilies non spécifiées incluent scatologie téléphonique, nécrophilie, partialisme, zoophilie, coprophilie, klysmaphilie, urophilie, émétophilie. Les paraphilies du DSM sont équivalentes à la section des « troubles sexuels non spécifiés » du CIM-9.
Le comportement sexuel en association avec des objets désignés en tant que plaisir sexuel n'est pas diagnostiqué dans le DSM-IV (DSM, p. 570)[21].
DSM-V
Le DSM-V fait la distinction entre paraphilie et trouble paraphilique en prĂ©cisant que la paraphilie n'est pas en elle mĂȘme un trouble mental. Le trouble paraphilique est alors dĂ©fini comme une paraphilie associĂ©e Ă une souffrance cliniquement significative ou Ă une altĂ©ration du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants[27].
Intensité et spécificité
Les cliniciens distinguent Ă travers les paraphilies optionnelles, prĂ©fĂ©rĂ©es et exclusives[21], que la terminologie n'est pas complĂštement normalisĂ©e. Une paraphilie « optionnelle » est un moyen alternatif Ă l'attirance sexuelle. Par exemple, un homme ayant des intĂ©rĂȘts sexuels autrement sans particularitĂ© pourrait parfois chercher ou intensifier son excitation sexuelle en portant des sous-vĂȘtements fĂ©minins. Dans les paraphilies prĂ©fĂ©rĂ©es, un individu prĂ©fĂšre la paraphilie aux activitĂ©s sexuelles, mais s'engage quand mĂȘme dans des relations sexuelles. Par exemple, un homme peut prĂ©fĂ©rer porter des sous-vĂȘtements fĂ©minins durant ses activitĂ©s, dĂšs que possible. Dans les paraphilies exclusives, un individu est incapable d'ĂȘtre excitĂ© en l'absence de la paraphilie.
Essais cliniques
Le traitement des paraphilies et autres troubles liĂ©s ont Ă©tĂ© testĂ©s par les patients et cliniciens. Auparavant quand lâinconscient humain nâĂ©tait que faiblement explorĂ© , la castration chirurgicale Ă©tait considĂ©rĂ©e comme thĂ©rapie pour les hommes atteints de pĂ©dophilie, mais elle a Ă©tĂ© abandonnĂ©e car certains gouvernements considĂ©raient cette mĂ©thode comme cruelle, d'autant plus que l'accord et le consentement de l'individu ne sont objectivement pas indiquĂ©s. Les thĂ©rapies de groupe et la pharmacothĂ©rapie (dont le traitement hormonal anti-androgĂšne souvent considĂ©rĂ© comme « castration chimique ») ont Ă©tĂ© utilisĂ©s. D'autres traitements mĂ©dicamenteux pour ces troubles existent cependant[28].
Notes et références
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Voir aussi
Bibliographie
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- Julie Mazaleigue-Labaste, Les Déséquilibres de l'amour : La genÚse du concept de perversion sexuelle, de la Révolution française à Freud, Ithaque, 2014.
Articles connexes
- DĂ©veloppement humain
- Norme sexuelle
- Psychologie du développement
- 8 millimÚtres (1999), film réalisé par Joel Schumacher.
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Ressources relatives à la santé :
- ICD9Data.com
- (en) Diseases Ontology
- (en) ICD-10 Version:2016
- (en) Medical Subject Headings
- (cs + sk) WikiSkripta
- Présentation sur les paraphilies[PDF]