Palais des comtes de Poitiers-ducs d'Aquitaine
Le palais des comtes de Poitiers est l'ancien palais comtal de Poitiers et l'ancien palais ducal d'Aquitaine. Il est un témoignage médiéval du style architectural du gothique angevin.
Type | |
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Propriétaire | |
Usage |
Palais de justice (jusqu'en ), salle d'expositions |
Patrimonialité |
Inscrit MH () Classé MH (, ) |
Coordonnées |
46° 34′ 58″ N, 0° 20′ 33″ E |
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Le bâtiment a eu la fonction de palais de justice jusqu’en 2019. Il est désormais un lieu vivant dédié à la rencontre entre les habitantes et habitants, la valorisation de projets artistiques, de pratiques culturelles et de tout type d’événements.
Histoire et description
Le palais carolingien
Le royaume d'Aquitaine avait été reconstitué par Charlemagne pour son fils Louis le Pieux. Un palais fut construit pour lui au IXe siècle à cheval sur la muraille romaine datant de la fin du IIIe siècle, sur le point le plus élevé de la ville. Le roi Louis y fit plusieurs séjours, et y revint une fois devenu empereur, en 839 et en 840. Il fut ensuite le siège des comtes de Poitiers. Ce premier état du palais a totalement disparu dans un incendie en 1018.
Le palais des comtes de Poitiers-ducs d'Aquitaine
Le , Richard Cœur de Lion vint au palais ducal se soumettre à son père Henri II[1].
Le donjon ou tour Maubergeon
Il fut reconstruit par les comtes-ducs d'Aquitaine, alors au faîte de leur puissance. Le comte Guillaume IX y ajouta un donjon vers 1104, du côté de la ville, appelé « tour Maubergeon ». Ce donjon rectangulaire était renforcé d'une tour à chaque angle, et fut très endommagé avec la partie sud du palais lors de l'incendie allumé par le comte de Derby en 1346.
La grande salle
Entre 1199 et 1204[2], Aliénor d'Aquitaine fait bâtir la grande salle (parfois désignée par son nom latin, aula), qui remplace une autre plus ancienne. Sans nom particulier à l'époque, cette salle (50 × 16,85 mètres[2]) était probablement la plus vaste de l'époque en Europe mis à part le Westminster Hall de Londres qui lui est apparenté. L’ancien « pont de la salle » du XIIe siècle existe encore dans les constructions modernes de l'actuelle rue du marché. La salle n'a pas de plafond, et on peut voir la charpente en châtaignier, construite en 1862 par les charpentiers de marine de La Rochelle. Les murs de la salle sont ornés d'arcatures aveugles supportées par de fines colonnettes, avec une organisation différente selon le mur. Des têtes grimaçantes et des personnages ornent les culots des colonnes. Ce type d'ornement est fréquent dans l'art gothique dit « plantagenêt » angevin, ou encore « gothique de l’Ouest ». On le retrouve à la cathédrale de Poitiers, édifice contemporain. Les murs ont été enduits et peints au XIXe siècle de motifs imitant la pierre en grand appareil. Une banquette de pierre fait le tour de la salle. Elle fut utilisée comme « salle des pas perdus » du palais de justice jusqu'en 2019.
- La Grande Salle avec, au fond, la « Belle Cheminée ».
- La « Belle Cheminée », photographie ancienne.
La reconstruction par le duc de Berry
Le duc Jean Ier de Berry, qui était aussi comte apanagiste de Poitiers, reconstruit la partie du palais détruite par l'incendie de 1346. D'une part, le château et les remparts sont relevés ; d'autre part, les appartements privés sont reconstruits dans le style gothique flamboyant par l'architecte et sculpteur Guy de Dammartin ; enfin, on reconstruit son pignon sud en 1386 pour y aménager une estrade, trois grandes cheminée, en arrière de laquelle trois baies furent placées[2]. Ces travaux furent effectués de 1388 à 1416, pendant les trêves dans la guerre de Cent Ans.
Guy de Dammartin dota la salle de trois cheminées monumentales, ornée de sculptures de style gothique flamboyant. Une balustrade y fut ajoutée au XIXe siècle. Le mur sud de la salle fut remanié : il fut percé de grandes baies, devant lesquelles passent les conduits des cheminées, les masquant de l'extérieur, mais donnant l'illusion d'un grand fenestrage à l'intérieur. À l'extérieur, ce mur est orné de gâbles et de choux frisés. Le mur, surnommé à l'époque la belle cheminée de Poitiers[3], est un des premiers exemples du style flamboyant dont Dammartin est un des initiateurs. C'est également à lui que l'on attribue les quatre statues qui ornent le mur de la belle cheminée (elles furent longtemps attribuées à André Beauneveu). On y voit le roi Charles VI dit le Fol, la reine Isabeau de Bavière, Jean de Berry dont la statue a été fortement remaniée au XIXe siècle, et sa deuxième épouse Jeanne de Boulogne. Ces œuvres, témoignages exceptionnels de la sculpture française de la fin du XIVe siècle, ont été moulées et des copies sont désormais visibles depuis le printemps 2007 dans la grande salle.
La tour Maubergeon fut reconstruite avec une immense salle en rez-de-chaussée, éclairés de fenêtres à vitraux. L'extérieur est orné au sommet de dix-neuf statues, dont seize subsistent. Celles du duc et de son épouse Jeanne de Boulogne ont disparu, restent celles de leurs vassaux, en habits de clercs. Inachevée, la tour ne possède pas l'étage de mâchicoulis ni les dais couvrant les statues.
- La tour Maubergeon, d'après Viollet-le-Duc.
- Le donjon, appelé « tour Maubergeon » : la partie haute n'a jamais été construite.
- Intérieur de la tour Maubergeon, en 1919.
- Reflets des vitraux dans la tour Maubergeon.
Palais de Justice
C'est déjà dans cette salle que les comtes-ducs rendaient parfois la justice.
Après le rattachement du Poitou au domaine royal, la « salle des pas perdus » devint la « salle du Roi », où s'exerçait la justice du roi. C'est ici aussi qu'Hugues X de Lusignan, comte de la Marche, vint défier publiquement Alphonse de Poitiers, frère du roi Louis IX, le jour de Noël 1241.
De 1418 à 1436, le parlement y siégea. Le , Jacques Cœur y fit amende honorable devant le roi, corde au cou, y entendit la sentence le condamnant à la prison jusqu'à paiement complet d'une amende. Les Grands Jours de Poitou s'y tinrent sept fois de 1454 à 1688 : il s'agit d'une juridiction exceptionnelle déléguée par le roi, pouvant juger toute affaire civile ou criminelle. Elle était mandatée de temps à autre pour remettre de l'ordre dans l'administration judiciaire d'une province et juger certains abus.
Laissée longtemps sans entretien, la grande salle se délabre fortement aux XVIIe et XVIIIe siècles. La gravure de Claude Chastillon la représente même ruinée. Le dessin de la collection Gaignières, de 1699, la représente occupée par des étals de marchands. À l'époque, on la visite pour y voir un crocodile empaillé accroché sur un des murs, ainsi que le relatent un grand nombre de voyageurs[4].
Le palais des ducs et des comtes devint le siège de la cour d'appel de Poitiers à partir de la Révolution, qui perpétuait ainsi sa fonction d'Ancien Régime. L'ancienne entrée, par « l'échelle du palais » étant devenue insuffisante, on commanda des transformations à l'architecte poitevin Vétault. Celui-ci fit une nouvelle façade sur l'ancienne place Saint-Didier. Un escalier monumental sommé d'un portique dorique, image majestueuse que l'on voulait donner de la Justice à l'époque, lui fut ajouté en 1821 de même qu'une aile en retour d'équerre dont le style, courant à l'époque, s'inspire librement des palais romains du Cinquecento.
Les armoiries royales du fronton furent remplacées par la Charte de 1830 depuis la monarchie de Juillet. En 1852, le tribunal de première instance fut abrité dans cette aile. C'est également au XIXe siècle que les appartements privés construits au XIVe siècle furent démolis pour laisser la place à la cour d'appel et au greffe.
Le palais de justice est classé au titre des monuments historiques par la liste de 1862 ; le jardin entourant le palais est classé en 1930 et certaines parties du sous-sol sont inscrits en 1957[5].
En 1870, il abrita la chambre criminelle de la cour de cassation.
2019 : l'année de transition
En 2019, le tribunal et la cour d'appel déménagent vers une nouvelle cité judiciaire située dans l'ancien lycée des Feuillants, au no 4 boulevard Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny [6].
Le a lieu la signature de l'acte d'acquisition du palais par la ville de Poitiers en présence de Bruno Belin (Président du département de la Vienne), Isabelle Dilhac (préfète de la Vienne) et Alain Claeys (maire de Poitiers). L'acte devient officiellement effectif le .
Cette nouvelle page de l'histoire du palais est marqué par l'organisation d'un évènement artistique et culturel créé autour du projet du quartier du Palais (du au ) : Traversées/Kimsooja[7]. Premier acte du projet, traversées a proposé pendant trois mois un parcours dans la ville, sous la forme d'un dialogue entre patrimoine et création contemporaine, en invitant artistes internationaux et acteurs du territoire. Mais il s'agit surtout de l'événement qui a permis aux habitants de Poitiers de découvrir ou redécouvrir le palais après le départ de la Justice qui y sera restée plus de 200 ans. Plus de 165 000 visites ont été enregistrées lors de cet événement, où plus de vingt artistes ont investi une quinzaine de lieux. Le palais s’affiche dès lors comme la porte d’entrée du territoire.
- Au cœur de la salle des pas perdus, l'œuvre Archive of Mind, une table elliptique, s'offre tel un écho aux banquets qui se déroulaient jadis dans la grande salle d'apparat d'Aliénor d'Aquitaine.
- Dans la tour Maubergeon, quasiment inconnue du public, Kimsooja présente l'installation To Breathe : une révélation de l’architecture par l'apposition de films miroirs au sol.
- Nest de Tadashi Kawamata. L'artiste sculpte l’architecture et l'espace urbain à partir de matériaux pauvres et de récupération. En opposition avec l'aspect minéral du palais, cette œuvre de bois, créée in situ, questionne l'architecture et interrogent la notion de refuge.
Depuis 2020
Après avoir été lieu du pouvoir - ducal et royal - puis palais de justice, le palais entre dans une nouvelle ère dédiée à la rencontre entre les habitantes et habitants, la valorisation de projets artistiques, de pratiques culturelles et de tout type d’événement. Mais il est aussi un lieu en devenir dont la réhabilitation offre une belle opportunité pour imaginer un nouveau cœur de ville autour du palais.
Dans l'attente de sa réhabilitation, le palais accueille déjà différentes manifestations temporaires (concerts, conférences, expositions, combats d'escrime, etc.), pour continuer à préfigurer les usages de demain. Depuis 2020, la salle des pas perdus est même accessible tous les jours de l'année, envisagée comme une « place publique couverte » en cœur de ville. En parallèle de la réhabilitation, des fouilles archéologiques programmées sont organisées chaque année pendant au moins trois ans. Les résultats de ces recherches vont alimenter le projet de réhabilitation du monument, et offrent une formidable occasion d’approfondir la connaissance du site, mais aussi plus largement de l'architecture civile médiévale.
L'été 2021 a représenté une nouvelle étape pour le projet : l'équipe chargée de la réhabilitation du palais est désignée par le comité de pilotage, à l'issue d'une procédure de dialogue compétitif. Il s'agit de l’équipe constituée autour de l'Atelier Novembre[8]. Cette agence d'architectes, fondée en 1989 par Marc Iseppi et Jacques Pajot, compte parmi ses réalisations le Centquatre[9] à Paris, qui fait aujourd'hui référence en matière d'équipement en accroche au territoire.
Anecdotes
Une scène du film Jeanne d'Arc y fut tournée par Luc Besson.
La rue de l'Échelle-du-Palais, qui donne sur l'arrière du palais, est l'ancien accès côté ville de la forteresse médiévale. Le fossé était franchi par une échelle, d'où le nom. Elle servit longtemps de raccourci aux habitants du quartier, qui coupaient à travers la salle des pas perdus. Ce passage a été fermé à cause de vols dans les bureaux des greffiers, puis rouvert depuis 2020.
Jusque dans les années 1970, le jardin entourant le palais et la tour Maubergeon étaient entourés de grilles avec un portail en permettant l'accès. Ces grilles et le portail ont été réinstallées au no 120, route de Bignoux à Poitiers, où elles sont toujours visibles de nos jours.
Notes et références
- Stéphane William Gondoin, « Richard Cœur de Lion : La jeunesse d'un prince rebelle », Patrimoine normand, no 119,‎ octobre-novembre-décembre 2021, p. 51-52 (ISSN 1271-6006).
- Nicolas Mengus, Châteaux forts au Moyen Âge, Rennes, Éditions Ouest-France, , 283 p. (ISBN 978-2-7373-8461-5), p. 213.
- Paris 1400, catalogue de l'exposition du musée du Louvre, 2004.
- Alain Quella-Villéger (dir), Via Poitiers, une ville, des écrivains, des voyageurs, 1998.
- « Notice n°PA00105653 », sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Mérimée, ministère français de la Culture.
- Jean-Michel Gouin, « Poitiers : le palais des ducs d'Aquitaine tourne les pages de son histoire (1/8) », La nouvelle République,‎ (lire en ligne).
- Traversées/Kimsooja
- Atelier Novembre
- Centquatre
Voir aussi
Bibliographie
- Paris 1400, les arts sous Charles VI, catalogue de l'exposition du Musée du Louvre, 2004
- Aliénor d'Aquitaine, 303, revue des pays de Loire, n°81
- A. de Champeaux, P. Gauchery, Les travaux d'architecture et de sculpture exécutés par Jean de France, duc de Berry, p. 64-71, Gazette archéologique : recueil de monuments pour servir à la connaissance et à l'histoire de l'art antique, année 1887 (lire en ligne)
- Martin Aurell, Aliénor d’Aquitaine, Presses Universitaires de France, 2020
- J.-M. Augustin, Les Grandes Affaires Criminelles de Poitiers, Gestes Éditions, 2005
- J.-M. Augustin, O. Banchereau, S. Boudaud, P. Carouge, F. Chauvaud, G. Chenard, F. Vigier, D. Veillon, Scènes de Justice en Vienne du Poitou médiéval à la cité judiciaire, La Geste Éditions, 2019
- F. Autrand, Jean de Berry, l’art et le pouvoir, Fayard, 2000