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Paire minimale

En phonologie, le terme paire minimale dĂ©signe deux Ă©lĂ©ments en opposition du point de vue phonologique. Selon l’une des dĂ©finitions, les Ă©lĂ©ments en opposition sont des mots dont le sens est diffĂ©renciĂ© par un seul phone ou par des Ă©lĂ©ments prosodiques portĂ©s par un phone[1] - [2] - [3] - [4] - [5] - [6]. Dans une autre vision, les deux Ă©lĂ©ments en opposition sont des phones diffĂ©renciĂ©s par un seul de leurs traits, par exemple sourde ↔ voisĂ©e, et ces Ă©lĂ©ments produisent des paires minimales de mots[7] - [8].

Par sens des mots, on entend le plus souvent sens lexical mais il peut aussi s’agir de sens grammatical[9].

La notion de paire minimale fut introduite par le Cercle linguistique de Prague en relation avec celle de phonĂšme, car Ă  l’aide de la premiĂšre notion on peut Ă©tablir quels phones d’une langue sont aussi des phonĂšmes, c’est-Ă -dire des phones qui diffĂ©rencient des sens[10]. On Ă©tablit le caractĂšre de phonĂšme d’un phone en cherchant des mots dont le sens est diffĂ©renciĂ© par un seul phone. Dans ces mots, les phones forment un paradigme, c’est-Ă -dire ils sont commutables dans le mĂȘme contexte phonĂ©tique[11], par consĂ©quent ils sont en opposition phonologique, devant ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des phonĂšmes.

Il arrive que dans certaines successions de phones qui forment un mot, on puisse commuter, dans la mĂȘme position, plus de deux phones, et que la succession en question reste tout de mĂȘme un mot. Dans ce cas il s’agit d’une sĂ©rie minimale[12] - [6]. Exemples :

  • (fr) cal ↔ mal ↔ pal[13], capot ↔ canot ↔ calot ↔ cadeau ↔ cagot ↔ cabot ↔ caveau ↔ cachot ↔ cageot (/ka/ + phonĂšme commutable + /o/)[14];
  • (ro) dragă « chĂšre » ↔ fragă « fraise » ↔ tragă « (qu’il/elle) tire », mamă « mĂšre » ↔ mama « la mĂšre » ↔ mame « mĂšres »[15] ;
  • (en) big « grand » ↔ pig « cochon » ↔ rig « appareil de forage »[6], gap « brĂšche » ↔ cap « bonnet » ↔ map « carte » ↔ tap « robinet »[16] ;
  • (hu) Ă©g « ciel » ↔ Ă©h « faim» ↔ Ă©k « ornement » ↔ Ă©l « il vit » ↔ Ă©n « je » ↔ Ă©r « il atteint » ↔ Ă©s « et » ↔ Ă©sz « intellect » ↔ Ă©v « annĂ©e », eb « chien » ↔ edz « il s'entraĂźne » ↔ egy « un » ↔ eh « hĂ© » ↔ ej « oh » ↔ el (prĂ©fixe verbal) ↔ esz « Ă©roder » ↔ ez « ceci »[17].

Paires et séries minimales déterminées par des traits des phonÚmes

Le nombre de paires minimales oĂč il y a une certaine opposition phonologique confĂšre Ă  celle-ci un poids fonctionnel plus ou moins grand. En anglais, par exemple, l’opposition /p/ ↔ /b/ (sourde vs voisĂ©e) se trouve dans un nombre relativement grand de paires minimales, alors que l’opposition /a/ ↔ /e/ est reprĂ©sentĂ©e par un nombre relativement petit de telles paires. L’apprĂ©ciation quantitative se fait selon plusieurs critĂšres, dont la place de l’opposition dans le mot ou la frĂ©quence d’occurrence des mots en cause[18].

Une paire de phones opposĂ©s par un seul trait n’est pas toujours une paire de phonĂšmes. Elle ne l’est pas lorsqu’elle ne produit pas de paire minimale de mots existants dans la langue Ă©tudiĂ©e. C’est le cas en hongrois, par exemple, du phonĂšme /j/ qui a une variante voisĂ©e, [ʝ] (dans dobj!, impĂ©ratif de dobni « jeter ») et une autre, sourde, [ç] (dans lĂ©pj!, impĂ©ratif de lĂ©pni « faire un/des pas »). Ces variantes s’appellent allophones du phonĂšme[5].

L’opposition entre phonĂšmes n’apparaĂźt pas dans toutes les formes des mots de la paire minimale, Ă  cause du contexte phonĂ©tique de certaines formes. On sait, par exemple, que /k/ et /g/ est une paire de phonĂšmes en hongrois, Ă©tant donnĂ© qu’il y a une paire minimale fok « degrĂ© » ↔ fog « dent », mais dans les mots a fokhoz « au degrĂ© » / a foghoz « Ă  la dent », leur opposition se neutralise sous l’influence de /h/ qui fait que [g] devienne sourde, par consĂ©quent se prononçant comme [k][5].

Les inventaires de phonĂšmes des langues diffĂšrent plus ou moins les uns des autres. Entre certaines il y a de trĂšs grandes diffĂ©rences concernant aussi bien le nombre de phonĂšmes, que les traits qui les diffĂ©rencient. Ce qui est un phonĂšme dans une langue peut ne pas l’ĂȘtre dans une autre. Dans les langues hindi et anglais, par exemple, les consonnes occlusives peuvent ĂȘtre aspirĂ©es ou non aspirĂ©es. En hindi ce sont des phonĂšmes diffĂ©rents, Ă©tant donnĂ© qu’il y a, par exemple, une paire minimale phāl /pÊ°aːl/ « tranchant de couteau » ↔ pāl /paːl/ « soigner ». En anglais aussi il y a [pÊ°] (ex. pin « Ă©pingle ») et [p] (ex. spin « tourner ») mais non pas dans des paires minimales, par consĂ©quent [pÊ°] n’est pas un phonĂšme[4]. De mĂȘme, l’anglais, aussi bien que le hongrois, possĂšdent les phones [n] et [Ƌ]. En anglais ce sont des phonĂšmes, ce qui est prouvĂ© par une paire minimale comme sin « pĂ©chĂ© » ↔ sing « chanter ». En hongrois ce n’est pas le cas, bien qu’ils existent dans des mots comme ro[n]da « laid » et so[Ƌ]ka « jambon », mais non dans des paires minimales. De telles oppositions, ne diffĂ©renciant pas des sens, ne sont pas phonologiques, mais seulement phonĂ©tiques[5].

Paires et séries minimales déterminées par des éléments prosodiques

Il y a des langues oĂč non seulement les traits des phones, mais aussi des Ă©lĂ©ments prosodiques portĂ©s par un phone diffĂ©rencient des sens, dans certains cas Ă©tant les seuls Ă  le faire. Ce sont principalement les langues Ă  tons ou tonales, dans lesquelles le ton, c’est-Ă -dire la hauteur du phone et son Ă©ventuelle variation limitĂ©e au phone ont un rĂŽle relativement important dans la diffĂ©renciation des sens des mots. Par analogie avec la notion de phonĂšme, un tel ton a Ă©tĂ© appelĂ© tonĂšme. Parmi ces langues, certaines disposent de plus de tons que d’autres. Par exemple le chinois mandarin a quatre tons. La sĂ©quence de phones ma, par exemple, a cinq sens, les mots correspondants formant la sĂ©rie minimale[19] - [20] :

mā (ton haut constant) « mĂšre » ↔ mĂĄ (ton ascendant) « chanvre » ↔ mǎ (ton descendant-ascendant) « cheval » ↔ mĂ  (ton brusquement descendant) « gronder »

La mĂȘme sĂ©quence sans ton est utilisĂ©e en fin de phrase en tant que particule interrogative.

Dans les langues bunu ou punu de la famille de langues hmong-mien parlĂ©es en Asie du Sud-Est (sud de la Chine, nord du ViĂȘt Nam, nord du Laos), il y a huit tons. Leurs niveaux de hauteur sont notĂ©s avec des chiffres de 1 (le plus bas) Ă  5 (le plus haut). Un ton peut ĂȘtre constant Ă  un certain niveau, ce qui est indiquĂ© par une succession de deux chiffres identiques, ou donnĂ© par une variation de niveaux, rendue par une succession de chiffres diffĂ©rents. Exemple de sĂ©rie minimale dans ces langues : cu33 « ensemble » ↔ cu22 « dernier » ↔ cu12 « pont » ↔ cu43 « vin, alcool » ↔ cu42 « ordre » ↔ cu31 « crochet » ↔ cu21 « justement » ↔ cu231 « sĂ©cheresse »[21].

Il y a aussi des langues qui ne sont pas tonales mais oĂč le ton fonctionne de façon limitĂ©e pour diffĂ©rencier des sens. De telles langues sont, par exemple, le suĂ©dois et le norvĂ©gien. Des paires minimales dĂ©terminĂ©ees par le ton y sont possibles si les mots ont au moins deux syllabes. En suĂ©dois il y a des paires minimales dĂ©terminĂ©es par l’opposition « ton plus haut sur la premiĂšre syllabe que sur la seconde ↔ ton plus haut sur la seconde syllabe que sur la premiĂšre », comme[19] :

buren « la cage » ↔ buren « portĂ© » ;
tanken « le char de combat » ↔ tanken « la pensĂ©e » ;
komma « virgule » ↔ komma « venir ».

Dans les langues du diasystĂšme slave du centre-sud, l’accent est en mĂȘme temps tonique et de hauteur, c’est-Ă -dire le noyau de syllabe se prononce plus fort et sur un certain ton, la durĂ©e du noyau y intervenant aussi. Par consĂ©quent, on distingue quatre types d’accent[22] :

  • long descendant : zlȃto « or » ;
  • long ascendant : rĂșka « main » ;
  • bref descendant : kȕća « maison » ;
  • bref ascendant : ĆŸĂšna « femme ».

Dans ces langues il y a, quant au sens lexical, des paires minimales basées sur :

  • l’opposition entre phones : /pȃd/ « chute » ↔ /rȃd/ « travail », /zȏb/ « avoine » ↔ /zȗb/ « dent »[1] ;
  • l’opposition entre types d’accent : /grȁd/ « grĂȘle » ↔ /grȃd/ « ville », /lȕk/ « oignon » ↔ /lȗk/ « arc », /kȕpiti/ « rassembler » ↔ /kĂșpiti/ « acheter », /tȅk/ « Ă  peine » (sens temporel) ↔ /tȇk/ « appĂ©tit »[9].

Les types d’accent peuvent aussi diffĂ©rencier des sens grammaticaux [/sĂšla/ « du village » (gĂ©nitif singulier) ↔ /sȅla/ « villages » (nominatif pluriel), /jȅdra/ « de la voile » (gĂ©nitif singulier) ↔ /jĂšdra/ « voiles » (nominatif pluriel)] ou des sens lexicaux et grammaticaux en mĂȘme temps : /rĂłda/ « cigogne » (nominatif singulier) ↔ /rȍda/ « du genre » (gĂ©nitif singulier), /lȗka/ « de l’oignon » (gĂ©nitif singulier) ↔ /lĂșka/ « port » (nominatif singulier)[9].

La quantitĂ© des voyelles atones peut Ă©galement diffĂ©rencier des sens, mais seulement grammaticaux : /slȋkē/ « de l’image » (gĂ©nitif singulier – avec ē long) ↔ /slȋke/ « images » (nominatif pluriel – avec e bref), /pĂČjedē/ « il/elle mange » ↔ /pĂČjede/ « il/elle mangea » (aoriste)[9].

Dans les langues Ă  accent tonique oĂč celui-ci est mobile, c’est la place de l’accent qui a parfois un rĂŽle de diffĂ©renciation de sens. Exemple en anglais : permit [pÉ™ÊłËˆmÉȘt] « permettre » ↔ permit [ˈpÉœËÊłmÉȘt] « permission »[20].

En roumain (la voyelle accentuée marquée par un accent aigu)[15] :

  • paires minimales : ĂĄcele « les aiguilles » ↔ acĂ©le « ces 
-lĂ  » (fĂ©minin), vĂ©selă « gaie » ↔ vesĂ©lă « vaisselle », cĂłpii « copies » ↔ copĂ­i « enfants » ;
  • sĂ©rie minimale : mĂłbilă « meuble » (nom) ↔ mobĂ­lă « mobile » (adjectif fĂ©minin) ↔ mobiláșŻ « il/elle meubla ».

En roumain, le rĂŽle de la place de l’accent est systĂ©matique dans la diffĂ©renciation des formes de prĂ©sent de l’indicatif et de passĂ© simple des verbes de la 1re conjugaison dite sans suffixe, Ă  la 3e personne du singulier : adĂșnă « il/elle rassemble » ↔ adunáșŻ « il/elle rassembla »[23].

Références

  1. Barić 1997, p. 53.
  2. Bussmann 1998, p. 749.
  3. Dubois 2002, p. 340.
  4. Eifring et Theil 2005, p. 45-46.
  5. KĂĄlmĂĄn et TrĂłn 2007, p. 91-93.
  6. Crystal 2008, p. 307.
  7. A. JĂĄszĂł 2007, p. 117-118.
  8. Čirgić 2010, p. 24.
  9. Barić 1997, pp. 73-74.
  10. Bussmann 1998, p. 840.
  11. Bussmann 1998, p. 855.
  12. Dubois 2002, p. 393.
  13. Dubois 2002, p. 97.
  14. Dubois 2002, p. 393, exemples en français standard de France. Dans certaines variĂ©tĂ©s rĂ©gionales, par exemple celle de Belgique, cadeau et caveau sortent de cette sĂ©rie, puisque les autres mots finissent en /ɔ/ (cf. AndrĂ© Thibault, Francophonie et variĂ©tĂ© des français, Semaine 3 : le français en Belgique et au Luxembourg, cours universitaire, UniversitĂ© Paris-Sorbonne (Paris IV), 2014 (consultĂ© le 8 janvier 2021), p. 6).
  15. Dexonline, les articles concernant les exemples.
  16. Bussmann 1998, p. 889.
  17. Articles correspondants de BĂĄrczi et OrszĂĄgh 1959-1962.
  18. Crystal 2008, p. 201.
  19. Dubois 2002, p. 484.
  20. Eifring et Theil 2005, chap. 4, p. 18.
  21. Bussmann 1998, p. 1204.
  22. Barić 1997, p. 68 (grammaire croate). La notation des tons peut ĂȘtre diffĂ©rente de la linguistique d’une langue Ă  celle d’une autre. Celle de ces exemples correspond Ă  la tradition linguistique des langues du diasystĂšme slave du centre-sud.
  23. Bărbuță 2000, p. 165.

Sources bibliographiques

  • (hu) A. JĂĄszĂł, Anna, « Hangtan » [« PhonĂ©tique et phonologie »], A. JĂĄszĂł, Anna (dir.), A magyar nyelv könyve [« Le livre de la langue hongroise »], 8e Ă©dition, Budapest, Trezor, 2007 (ISBN 978-963-8144-19-5), p. 3-162 (consultĂ© le )
  • (hu) BĂĄrczi, GĂ©za et OrszĂĄgh, LĂĄszlĂł (dir.), A magyar nyelv Ă©rtelmezƑ szĂłtĂĄra [« Dictionnaire de la langue hongroise »] (ÉrtSz), Budapest, AkadĂ©miai kiadĂł, 1959-1962 (lire en ligne)
  • (ro) Bărbuță, Ion et alii, Gramatica uzuală a limbii romĂąne [« Grammaire usuelle du roumain »], Chișinău, Litera, 2000, (ISBN 9975-74-295-5) (consultĂ© le )
  • (en) Bussmann, Hadumod (dir.), Dictionary of Language and Linguistics [« Dictionnaire de la langue et de la linguistique »], Londres – New York, Routledge, 1998 (ISBN 0-203-98005-0) (consultĂ© le )
  • (cnr) Čirgić, Adnan ; Pranjković, Ivo ; Silić, Josip, Gramatika crnogorskoga jezika [« Grammaire du montĂ©nĂ©grin »], Podgorica, MinistĂšre de l’Enseignement et des Sciences du MontĂ©nĂ©gro, 2010, (ISBN 978-9940-9052-6-2) (consultĂ© le )
  • (en) Crystal, David, A Dictionary of Linguistics and Phonetics [« Dictionnaire de linguistique et de phonĂ©tique »], 4e Ă©dition, Blackwell Publishing, 2008 (ISBN 978-1-4051-5296-9) (consultĂ© le )
  • (ro) Dicționare ale limbii romĂąne [« Dictionnaires de la langue roumaine »] (Dexonline) (consultĂ© le )
  • (fr) Dubois, Jean et al., Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse-Bordas/VUEF, 2002
  • (en) Eifring, Halvor et Theil, Rolf, Linguistics for Students of Asian and African Languages [« Linguistique pour les Ă©tudiants en langues asiatiques et africaines »], UniversitĂ© d’Oslo, 2005 (consultĂ© le )
  • (hu) KĂĄlmĂĄn, LĂĄszlĂł et TrĂłn, Viktor, BevezetĂ©s a nyelvtudomĂĄnyba [« Introduction Ă  la linguistique »], 2de Ă©dition, augmentĂ©e, Budapest, Tinta, 2007 (ISBN 978-963-7094-65-1) (consultĂ© le )

Liens externes

  • (en) MINPAIR – generateur de paires minimales en anglais (consultĂ© le )
  • (en) John Higgins, Minimal pairs for English « Paires minimales en anglais » (consultĂ© le )

Articles connexes

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