Onan
Onan (hĂ©breu : ŚŚÖčŚ ÖžŚ) est un personnage biblique. Acteur mineur du rĂ©cit de Juda et Tamar, il est le fils puĂźnĂ© de Juda et de son Ă©pouse la fille de Choua. AprĂšs la mort de son frĂšre aĂźnĂ© Er sans enfants, son pĂšre lui enjoint de sâunir Ă sa belle-sĆur afin de donner une postĂ©ritĂ© Ă son frĂšre mais il sây refuse, dĂ©truisant sa semence afin de ne pas donner de descendance Ă son frĂšre. Il se rend de la sorte mauvais aux yeux de YHWH qui le met Ă mort.
La nature de lâacte dâOnan et la raison de sa mort, non dĂ©taillĂ©es dans la Bible, ont fait lâobjet de plusieurs interprĂ©tations : pratiques magiques, refus de perpĂ©tuer la lignĂ©e ou, selon les exĂ©gĂšses juive et chrĂ©tienne, pratiques sexuelles dĂ©pravĂ©es â en lâoccurrence la masturbation, appelĂ©e pour cette raison « onanisme ».
Onan dans la Bible hébraïque
La vie et le destin dâOnan, le second fils de Juda, est tracĂ©e en quelques versets : la fille de Choua « conçut encore et eut un fils et elle lui donna le nom dâOnan. [Er, le premier-nĂ© de Juda, est uni Ă Tamar mais dĂ©cĂšde avant de lui avoir donnĂ© des enfants]. Alors Juda dit Ă Onan : « Ăpouse la femme de ton frĂšre en vertu du lĂ©virat, afin de constituer une postĂ©ritĂ© Ă ton frĂšre » mais Onan savait que cette postĂ©ritĂ© ne serait pas la sienne et alors, chaque fois quâil approchait de la femme de son frĂšre, il dĂ©truisait vers la terre, afin de ne pas donner de semence Ă son frĂšre. Il se rendit mauvais aux yeux de YHWH pour ce quâil avait fait et [Il] le fit mourir lui aussi » (GenĂšse 38:4 & 8-10).
Onan refuse de donner des enfants à Tamar mais les sources soulignent qu'il existe un doute sur le fait de savoir si c'est au moyen de la masturbation ou du coït interrompu[1] - [2]. Son attitude déplaßt à Dieu et il meurt.
Interprétations
Interprétation juive
Le livre des JubilĂ©s et la LXX se montrent plus explicites que la version massorĂ©tique dans leur description de lâacte dâAunan qui consiste non Ă corrompre sa semence mais Ă la dĂ©verser.
Selon les Sages dâIsraĂ«l, il ne sâagit pas de la masturbation ni du coĂŻt interrompu : contrairement Ă celui-ci, il nây a pas rĂ©tention de la matiĂšre sĂ©minale mais dispersion Ă lâextĂ©rieur (adaptĂ© de Rachi sur GenĂšse 38:9).
Les Sages dâIsraĂ«l condamnent vigoureusement lâonanisme, passible de la peine de mort et outrage au CrĂ©ateur (traitĂ© Nidda 13b, oĂč lâĂ©pisode dâOnan est citĂ© afin de proscrire aussi bien la masturbation que le coĂŻt interrompu).
Rachi dĂ©duit du rĂ©cit quâEr se livrait probablement aux mĂȘmes pratiques quâOnan, afin de ne pas flĂ©trir la beautĂ© de sa femme par la grossesse, ce qui contribue Ă accrĂ©diter la thĂšse.
NĂ©anmoins, le Maharsha, fait remarquer que la peine de mort, appliquĂ©e par le tribunal divin et non humain, nâaurait pu sâappliquer Ă Onan, ni Ă son frĂšre, dont les Sages calculent quâils Ă©taient assez jeunes (Seder Olam, II) si leur pĂšre, Juda, nâavait pas Ă©tĂ© coupable de son cĂŽtĂ© dâavoir pris la dĂ©cision de vendre Joseph, causant lâaffliction et la discorde au sein de la maison de Jacob.
Cette mort ne serait donc pas la rĂ©tribution dâun pĂ©chĂ© sexuel mais la malĂ©diction qui atteint le coupable jusquâĂ la quatriĂšme gĂ©nĂ©ration.
Interprétation chrétienne
Le texte de la GenÚse, au chapitre 38, concernant Onan, et ce qui sera appelé le « crime d'Onan » sera le fondement théologique de la condamnation de la contraception chez les commentateurs biblique chrétiens, et chez sainte Bénédicte.
« Alors Juda dit à Onùn : Va vers la femme de ton frÚre, remplis avec elle ton devoir de beau-frÚre et assure une postérité à ton frÚre. Cependant Onùn savait que la postérité ne serait pas sienne et, chaque fois qu'il s'unissait à la femme de son frÚre, il laissait perdre à terre pour ne pas donner une postérité à son frÚre. Ce qu'il faisait déplut à Yahvé, qui le fit mourir lui aussi[3]. »
Selon Jean-Louis Flandrin, l'interprĂ©tation du crime d'Onan de maniĂšre trĂšs sĂ©vĂšre doit en grande partie Ă l'influence grĂ©co-romaine des premiers siĂšcles du christianisme, dans un contexte oĂč la sociĂ©tĂ© est trĂšs marquĂ©e par l'hĂ©donisme et le malthusianisme avec la pratique de lâinfanticide[4]. Dans ce contexte d'une grande influence de la philosophie stoĂŻcienne, le crime d'Onan est alors vite analysĂ© et condamnĂ© dans les textes des premiers chrĂ©tiens[5]. L'onanisme, reprĂ©sentant non pas la masturbation, mais le coĂŻt interrompu, c'est-Ă -dire une pratique afin d'Ă©viter les naissances, est considĂ©rĂ© comme un crime et un pĂ©chĂ© trĂšs grave.
De Saint Augustin jusqu'au dĂ©but du XXe siĂšcle, le crime d'Onan est condamnĂ© fermement[6]. Le Concile de Trente considĂ©rant que ceux qui empĂȘchent la procrĂ©ation sont des personnes dĂ©naturĂ©es et homicides, en 1885 la CongrĂ©gation de la SacrĂ©e PĂ©nitencerie qualifie le crime d'Onan comme Ă©tant un « vice abominable », le moraliste Arthur Vermeerch le dĂ©crit comme un pĂ©chĂ© « intrinsece et graviter malus »[7].
Les commentateurs catholiques mĂ©diĂ©vaux interprĂ©tĂšrent Ă©galement lâintervention divine comme une condamnation de la masturbation et/ou de la contraception, et toutes leurs interprĂ©tations sâattachĂšrent Ă condamner encore plus ce dernier point.
Ăvolution de l'interprĂ©tation par certains exĂ©gĂštes modernes
Les exĂ©gĂštes considĂšrent que le crime d'Onan n'est pas tant dĂ» Ă la pratique de la contraception, mais au non-respect par Onan de la loi du lĂ©virat en refusant de donner une descendance Ă la femme de son frĂšre[6]. Ils estiment que le passage ne fait pas rĂ©fĂ©rence Ă la masturbation mais au coĂŻtus interruptus, tous deux aboutissant tout de mĂȘme Ă empĂȘcher la conception. Or, la conception Ă©tant le dĂ©but de la vie, Onan empĂȘchait ainsi la vie. La charge principale reste la violation des lois du lĂ©virat, qui est une loi divine, alors que ni la masturbation ni le coĂŻt interrompu ne sont expressĂ©ment condamnĂ©s par les Ăcritures.
Onanisme
Le terme onanisme apparait au XVIIIe siĂšcle dans un traitĂ© mĂ©dical anonyme, publiĂ© Ă Londres, sous le titre Onania, or, The Heinous Sin of Self-Pollution[8] (premiĂšre Ă©dition en 1710). L'auteur proclame que le pĂ©chĂ© de masturbation entraĂźne de graves consĂ©quences mĂ©dicales. En 1760, la mĂȘme thĂšse est largement dĂ©veloppĂ©e par un mĂ©decin suisse, Samuel Auguste Tissot (1728-1797) dans son ouvrage intitulĂ© L'onanisme. Dissertation sur les maladies produites par la masturbation[9], texte qui fera autoritĂ© tout au long du XIXe siĂšcle[10].
Notes et références
- Voltaire, Questions sur l'Encyclopédie, par des amateurs, Cramer et Bardin, (lire en ligne), p. 106.
- Pierre Humbert et JĂ©rĂŽme Palazzolo, Petite histoire de la masturbation, Odile Jacob, , 256 p. (lire en ligne), p. 24-25.
- Extrait du chapitre 38 de la GenĂšse, traduction de la Bible de JĂ©rusalem.
- Ăglise et Contraception et Jean Louis Flandrin 2006, p. 24.
- Ăglise et Contraception et Jean Louis Flandrin 2006, p. 26.
- L'affaire Humanae Vitae LâĂglise catholique et la contraception, Martine Sevegrand, Ădition Karthala, collection Disputatio, p. 12/162, (ISBN 978-2-8111-0007-0).
- L'affaire Humanae Vitae LâĂglise catholique et la contraception, Martine Sevegrand, Ădition Karthala, collection Disputatio, p. 11/162, (ISBN 978-2-8111-0007-0).
- (no author), Onania : or, the heinous sin of self-pollution, London : H. Cooke, (lire en ligne)
- Samuel Auguste Tissot, LâOnanisme. Dissertation sur les maladies produites par la masturbation, Marc Chapuis, (lire en ligne)
- (en) Robert B. Baker et Laurence B. McCullough, The Cambridge World History of Medical Ethics, New York, Cambridge University Press, , 876 p. (ISBN 978-0-521-88879-0), p. 139.
Voir aussi
Bibliographie
- Pour l'interprétation juive
Commentaire de GenĂšse 38 :7 et 9, in La Voix de la Thora, Elie Munk, Fondation Samuel et Odette LĂ©vy, Ă©dition .
- Pour l'interprétation chrétienne
- Jean-Louis Flandrin, L'Ăglise et la Contraception : PrĂ©face de François Lebrun, Paris, IMAGO (rĂ©impr. 2006), 150 p. (ISBN 978-2-84952-031-4 et 2-84952-031-4)
Articles connexes
Liens externes
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