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Nullification

Dans l'histoire constitutionnelle des États-Unis, la nullification est une théorie juridique selon laquelle un État a le droit de nullifier, c'est-à-dire invalider, toute loi fédérale qu'il considère comme inconstitutionnelle.

Cette théorie n'a jamais été validée juridiquement par les juridictions fédérales[1]. Elle se fonde sur une conception selon laquelle les États américains ont formé l'Union que constituent les États-Unis par un pacte (« compact ») entre les États, et qu'en tant que créateurs du gouvernement fédéral, les États disposent de l’autorité finale pour déterminer les limites du pouvoir de ce gouvernement. Ils peuvent par conséquent rejeter, ou nullifier, les lois fédérales dont ils estiment qu'elles dépassent les pouvoirs constitutionnels de ce gouvernement fédéral. L'idée voisine d'interposition est une théorie selon laquelle un État a le droit et le devoir de s'interposer quand le gouvernement fédéral promulgue des lois que l’État estime être inconstitutionnelles. Thomas Jefferson et James Madison ont émis ces deux théories dans les Résolutions du Kentucky et de la Virginie en 1798.

Les juridictions de niveau fédéré et fédéral, dont la Cour suprême américaine, ont rejeté à maintes reprises la théorie de la nullification[2]. Elles ont décidé qu'en vertu de la clause de suprématie de la Constitution, la loi fédérale est supérieure aux lois des États fédérés, et qu'en application de l'article III de la Constitution, les institutions judiciaires fédérales disposent du pouvoir ultime d'interprétation de la Constitution.

Entre 1798 et le début de la guerre de Sécession en 1861, plusieurs États ont menacé ou tenté de nullifier diverses lois fédérales. L'épisode le plus connu est la crise de la nullification, qui a duré de 1832 à 1833.

La Cour suprême a repoussé les tentatives de nullification dans une série de décisions du XIXe siècle, notamment Ableman v. Booth, qui a rejeté la tentative du Wisconsin de nullifier le Fugitive Slave Act (loi sur les esclaves fugitifs). La guerre de Sécession a mis fin à la plupart de ces tentatives. Dans les années 1950, les États du Sud ont tenté d'utiliser la nullification et l'interposition pour faire obstacle à la déségrégation de leurs écoles. Ces tentatives se sont soldées par un échec lorsque la Cour Suprême a une nouvelle fois rejeté la nullification, de façon explicite, dans la décision Cooper v. Aaron.

La Constitution et la théorie de la nullification

La Constitution des États-Unis ne contient aucune clause disposant explicitement que les États ont le pouvoir de déclarer la loi fédérale inconstitutionnelle.

Les partisans de la nullification ont argué que le pouvoir de nullification des États est inhérent à la nature du système fédéral. Ils ont fait valoir le fait qu'avant que la Constitution soit ratifiée, les États étaient essentiellement des nations séparées. Selon cette théorie, la Constitution est un contrat entre les États, par lequel ils ont délégué certains pouvoirs au gouvernement fédéral, tout en se réservant la totalité des autres pouvoirs. Les États, en tant que parties à cet accord, ont conservé leur droit inhérent de juger du respect de ce pacte. Selon les défenseurs de la nullification, si les États estiment que le gouvernement fédéral a outrepassé les pouvoirs qui lui sont délégués, ils peuvent déclarer les lois fédérales inconstitutionnelles[3]. Les adeptes de ladite théorie avancent que le pouvoir de déclarer les lois fédérales inconstitutionnelles est non seulement inhérent au concept de souveraineté étatique, mais fait aussi partie des pouvoirs réservés aux États par le dixième amendement[4].

Cette vision de la Constitution a Ă©tĂ© rejetĂ©e par les juridictions fĂ©dĂ©rales, qui ont continuellement affirmĂ© qu'en vertu de la Constitution, les États n'ont pas le pouvoir de nullifier les lois fĂ©dĂ©rales. Les tribunaux ont rejetĂ© la thĂ©orie du pacte, jugeant que la Constitution ne constituait pas un pacte entre les États, mais a au contraire Ă©tĂ© mise en place directement par le peuple, comme exprimĂ© dans le prĂ©ambule : « Nous le peuple des États-Unis… Â»[5] Le peuple a rendu l’État fĂ©dĂ©ral supĂ©rieur aux États fĂ©dĂ©rĂ©s sous certains aspects. Selon la clause de suprĂ©matie de l'article VI, la Constitution et les lois fĂ©dĂ©rales adoptĂ©es en conformitĂ© avec cette dernière sont « la loi suprĂŞme du pays... nonobstant toute disposition contraire dans la Constitution ou la loi de tout État. » Les tribunaux ont affirmĂ© que les lois fĂ©dĂ©rales sont en consĂ©quence supĂ©rieures aux lois des États et ne peuvent pas ĂŞtre rĂ©futĂ©es par ces derniers. Ces lois sont valides et s'appliquent dès lors qu'elles ont Ă©tĂ© adoptĂ©es en application – donc en conformitĂ© – avec la Constitution. DĂ©terminer si une loi est compatible ou non avec la Constitution nĂ©cessite d'interprĂ©ter la loi, ce qui est par essence une fonction juridictionnelle. Le pouvoir judiciaire fĂ©dĂ©ral reconnu par l'article III de la Constitution donne autoritĂ© aux cours fĂ©dĂ©rales sur « tous les litiges relevant de la Constitution [ou] des lois des États-Unis Â». Les tribunaux fĂ©dĂ©raux ont donc reçu le pouvoir de dĂ©terminer si les lois fĂ©dĂ©rales sont en accord avec la Constitution, la Cour SuprĂŞme disposant alors du pouvoir final de dĂ©cision[6]. La jurisprudence fĂ©dĂ©rale considère donc que les États fĂ©dĂ©rĂ©s n'ont pas le pouvoir de nullifier la loi fĂ©dĂ©rale[7].

Mais le concept de "nullification" a toujours posé problème parce que sa limite est évidente, sinon logique ; ce au sens où l'État qui s'est fédéré - comme tout sujet adhérent à un pacte - a nécessairement abdiqué partie de ses droits. Le distinguo État/individu n'étant ici pas déterminant puisque c'est toujours l'État qui a intégré l'Union & non son citoyen... C'est donc la force obligatoire de l'engagement qui légitime que le sujet ou l'État partie se soit aliéné, perdant ainsi volontairement des prérogatives dont il ne se serait pas départi sans son adhésion. Ce qui contrarie la "nullification", qui n'est qu'un expédient, est donc des plus classique au sens de Hobbes ou Rousseau. Il n'est donc de contrainte ou servitude que volontaire ; mais lorsqu'elle est consentie - parce qu'elle l'est librement - elle oblige nécessairement. Par ailleurs, ledit concept de "nullification" pouvait juridiquement d'autant moins prospérer qu'il n'était excipé que pour faire le jeu des intérêts du Sud, autrement dit les états esclavagistes. Le hiatus devient alors très net entre soutenir i) qu'un état n'aurait pas perdu ses droits en se fédérant alors que ii) les Hommes qu'il tient en esclavage pourraient l'être valablement, sinon légalement... La nullification est à ce point aberrante que l'état s'est volontairement associé à l'Union ; l'esclave - lui - n'a jamais voulu se soumettre à son maître ! Pour autant, la jurisprudence de la Cour suprême n'a jamais affirmé l'inanité d'une telle conception avec la sévérité des termes, qu'à notre sens, une telle pensée abstruse méritait.

Les résolutions du Kentucky et de la Virginie

Les thĂ©ories de nullification et d'interposition ont Ă©tĂ© affirmĂ©es pour la première fois dans les rĂ©solutions du Kentucky et de la Virginie de 1798, dont l'objet Ă©tait de protester contre les lois sur les Ă©trangers et la sĂ©dition (Alien and Sedition Acts). Dans ces rĂ©solutions, les auteurs Thomas Jefferson et James Madison ont avancĂ© que « les États Â» disposent d'un droit d'interprĂ©ter la Constitution et peuvent dĂ©clarer les lois fĂ©dĂ©rales inconstitutionnelles quand le gouvernement outrepasse les pouvoirs qui lui sont dĂ©lĂ©guĂ©s. Ces rĂ©solutions sont considĂ©rĂ©es comme les textes fondateurs des thĂ©ories de nullification et d'interposition.

Les rĂ©solutions du Kentucky de 1798, Ă©crites par Jefferson, affirment que les États ont mis en place la Constitution comme un pacte (compact), dĂ©lĂ©guant certains pouvoirs spĂ©cifiĂ©s Ă  l'État fĂ©dĂ©ral et de rĂ©servant pour eux-mĂŞmes tous les autres pouvoirs. Tout État, en tant que partie au pacte, dispose d'un « droit de juger pour lui-mĂŞme Â» de l'Ă©tendue des compĂ©tences des autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales. Lorsque les normes Ă©dictĂ©es au niveau de l'État fĂ©dĂ©ral sortent du cadre des compĂ©tences qui lui sont dĂ©lĂ©guĂ©es, un État peut dĂ©cider qu'elles sont « dĂ©pourvues d'autoritĂ©, nulles et non applicables Â». Les rĂ©solutions de 1798 appelaient les autres États Ă  rejoindre le Kentucky, « en dĂ©clarant ces actes nuls et non applicables Â» et en « demandant leur abrogation Ă  la prochaine session du Congrès Â».

Les rĂ©solutions du Kentucky de 1799 ont ajoutĂ© l'affirmation que lorsqu'une loi fĂ©dĂ©rale est inconstitutionnelle, le remède consiste en la « nullification Â» de cette loi par « les diffĂ©rents États Â». Les rĂ©solutions de 1799 n'ont pas affirmĂ© que le Kentucky refuserait unilatĂ©ralement d’appliquer ou ferait obstacle Ă  l'application de la loi sur les Ă©trangers et la sĂ©dition. Au contraire, ces rĂ©solutions ont indiquĂ© que le Kentucky « se plierait aux lois de l'Union Â» mais continuerait Ă  « s'opposer d'une manière constitutionnelle Â» Ă  cette loi. Ces rĂ©solutions ont par ailleurs indiquĂ© que le Kentucky entrait en « protestation solennelle Â» contre ces lois. L'auteur des rĂ©solutions de 1799 n'est pas connu avec certitude[8].

Les rĂ©solutions de la Virginie de 1798, Ă©crites par Madison, ne mentionnent pas la nullification. Elles ont par contre introduit l'idĂ©e d'« interposition Â». Ces rĂ©solutions contiennent l'affirmation que lorsque l’État fĂ©dĂ©ral s'engage dans « un exercice dĂ©libĂ©rĂ©, manifeste et dangereux Â» de pouvoirs qui ne lui sont pas confiĂ©s par la Constitution, les États, en tant que partie Ă  cette dernière, ont le droit et le devoir de s'interposer pour enrayer la progression du mal, et pour maintenir, dans leurs limites respectives, l'autoritĂ©, les droits et les libertĂ©s qui leur appartiennent. Â» Les rĂ©solutions de la Virginie n'ont pas expliquĂ© quelle forme cette « interposition Â» pourrait prendre. Elles ont appelĂ© Ă  l'adhĂ©sion et Ă  la coopĂ©ration des autres États concernant l'opposition Ă  la loi sur les Ă©trangers et la sĂ©dition.

Ces rĂ©solutions ont Ă©tĂ© rejetĂ©es par dix États. Sept d'entre eux ont transmis de façon formelle leur rejet au Kentucky et Ă  la Virginie[9], et les trois autres ont adoptĂ© des rĂ©solutions exprimant leur dĂ©sapprobation[10]. Au moins six États ont rĂ©pondu aux rĂ©solutions en exprimant l'avis que la constitutionnalitĂ© des actes du Congrès est une question qui relève des juridictions fĂ©dĂ©rales, et non des assemblĂ©es lĂ©gislatives des États. Par exemple, la rĂ©solution du Vermont Ă©nonce : « L'AssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale de l'État du Vermont dĂ©sapprouve fortement les rĂ©solutions de l'AssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale de Virginie, en tant qu'elles sont inconstitutionnelles dans leur nature, dangereuses dans leur tendance. Il n'appartient aux assemblĂ©es lĂ©gislatives des États de dĂ©cider de la constitutionnalitĂ© des lois faites par le gouvernement gĂ©nĂ©ral ; ce pouvoir Ă©tant dĂ©tenu exclusivement par les cours judiciaires de l'Union. Â»

La Virginie a rĂ©pondu aux critiques des autres États en publiant le Rapport de 1800, Ă©crit par Madison. Ce rapport rĂ©affirme et dĂ©fend les rĂ©solutions de la Virginie. Il Ă©nonce aussi qu'un dĂ©claration d'inconstitutionnalitĂ© faite par un État serait seulement l'expression d'une opinion destinĂ©e Ă  inciter au dĂ©bat, et n'aurait pas l'autoritĂ© d'une dĂ©cision provenant d'une juridiction fĂ©dĂ©rale. Durant la crise de la nullification des annĂ©es 1830, Madison a dĂ©noncĂ© comme inconstitutionnel le concept de nullification de la loi fĂ©dĂ©rale par un État[11]. Madison a Ă©crit : « Mais il suit que la nullification d'une lois des États-Unis, comme on le prĂ©tend maintenant, appartiendrait lĂ©gitimement a un État unique, car il est l'une des parties Ă  la Constitution ; sans que cet État ne cesse d'affirmer son obĂ©issance Ă  la Constitution. On ne peut imaginer de plus Ă©vidente contradiction dans les termes, ou de gouffre plus fatal vers l'anarchie[12]. Â»

Les tentatives de nullification au XIXe siècle

L'affaire Peters

La Cour SuprĂŞme a eu Ă  connaĂ®tre de la nullification pour la première fois dans l'affaire United States v. Peters, 9 U.S (5 Cranch) 115 (1809)[13]. La Cour rejeta l'idĂ©e de nullification. L'assemblĂ©e lĂ©gislative de Pennsylvanie avait adoptĂ© une loi visant Ă  nullifier une dĂ©cision d'une juridiction fĂ©dĂ©rale. Cette loi Ă©nonçait que la juridiction fĂ©dĂ©rale en question avait agi inconstitutionnellement car elle n'Ă©tait pas compĂ©tente, et que sa dĂ©cision Ă©tait « nulle et non avenue Â». La Cour SuprĂŞme a considĂ©rĂ© que l'assemblĂ©e de Pennsylvanie n'avait pas le pouvoir de nullifier la dĂ©cision de la juridiction fĂ©dĂ©rale, Ă©nonçant que « si les assemblĂ©es lĂ©gislatives des diffĂ©rents États peuvent, lorsqu'elles le souhaitent, annuler de jugements des tribunaux des États-Unis, et dĂ©truire les droits acquis par ces jugements, la Constitution devient une moquerie solennelle, et la nation se retrouve privĂ©e du moyen de faire respecter ses lois par le biais de ses propres tribunaux. Â»

En réponse, le Gouverneur de Pennsylvanie fit appel à la milice de son État pour faire barrage à la mise en application de la décision de la Cour Suprême. Toutefois, l’U.S. Marshall leva une petite armée, mit à exécution l'ordre de la Cour Suprême, et arrêta les meneurs de la milice. L'assemblée de Pennsylvanie adopta une résolution déclarant que l'action de la Cour Suprême était inconstitutionnelle, invoquant les droits des États, et appelant les autres États à la soutenir[14]. Onze État répondirent en désapprouvant la tentative de nullification de la Pennsylvanie. Le Gouverneur de Pennsylvanie implora l'intervention du président James Madison, mais celui-ci affirma l'autorité de la Cour Suprême. L'assemblée de Pennsylvanie revint sur sa position et retira sa milice[15].

Les protestations de la Nouvelle Angleterre contre l'autorité fédérale

Plusieurs États de la Nouvelle-Angleterre s'opposèrent Ă  la loi sur l'embargo (Embargo Act) de 1807, qui limitait le commerce avec l’étranger. L'assemblĂ©e du Massachusetts adopta une rĂ©solution affirmant que l’embargo « est, selon l'opinion de l'assemblĂ©e, injuste, opprimant et inconstitutionnel sous de nombreux aspects, et ne lie pas juridiquement les citoyens de cet État. Â» La rĂ©solution du Massachusetts ne visait pas Ă  nullifier la loi fĂ©dĂ©rale, mais indiquait au contraire que « les juridictions sont compĂ©tentes pour dĂ©cider de cette question, et c'est Ă  elles que tout citoyen lĂ©sĂ© doit s'adresser pour obtenir rĂ©paration Â». Le Massachusetts appela le Congrès Ă  abroger la loi, et proposa plusieurs amendements Ă  la Constitution. Le Connecticut adopta une rĂ©solution affirmant que la loi Ă©tait inconstitutionnelle et que les autoritĂ©s de l'État « n'apporteraient pas leur assistance ou leur concours Ă  la mise en application de la loi inconstitutionnelle susmentionnĂ©e. Â» Le Connecticut se rallia Ă  l'appel en faveur d'amendements Ă  la Constitution. Le Connecticut et le Massachusetts n'ont ni l'un ni l'autre tentĂ© d'interdire l'application de la loi sur le territoire de l'État. Une cour fĂ©dĂ©rale de district (federal district court) jugea constitutionnelle la loi sur l'embargo en 1808[16]. Le Congrès abrogea la loi sur l'embargo en 1809 car elle peinait Ă  atteindre son objectif, qui Ă©tait d'exercer une pression Ă©conomique sur l’Angleterre et la France. Étant donnĂ© qu'aucun des deux États ne tenta de faire obstacle Ă  l'application de la loi sur l'embargo, la thĂ©orie de la nullification ne fut pas Ă©prouvĂ©e juridiquement.

La guerre de 1812 fut prĂ©judiciable aux intĂ©rĂŞts commerciaux de la Nouvelle-Angleterre et y fut fortement impopulaire. Les États de cette rĂ©gion Ă©taient hostiles Ă  l'idĂ©e de placer leurs milices sous contrĂ´le fĂ©dĂ©ral et arguèrent que la Constitution ne donnait pas au gouvernement fĂ©dĂ©ral d’autoritĂ© sur les milices des États dans de telles circonstances. Il y eut des dĂ©bats en Nouvelle-Angleterre concernant la perspective de conclure une paix sĂ©parĂ©e avec la Grande-Bretagne ou mĂŞme de faire sĂ©cession. Ă€ la convention de Hartford de 1814, des dĂ©lĂ©guĂ©s de plusieurs États de Nouvelle-Angleterre se rencontrèrent pour discuter de leur dĂ©saccord avec les politiques de gouvernement fĂ©dĂ©ral. Le rapport et les rĂ©solutions finales de cette convention Ă©nonçaient que « les actes du Congrès violant la Constitution Ă©taient entachĂ©s de nullitĂ© absolue Â» et affirmaient un droit pour un État « d'interposer son autoritĂ© Â» pour se protĂ©ger contre les actions inconstitutionnelles du gouvernement fĂ©dĂ©ral. Ces rĂ©solutions finales ne constituaient pas une tentative visant Ă  interdire la mise en application des actes du Congrès. Au lieu de cela, elles recommandaient aux assemblĂ©es des États de protĂ©ger leurs citoyens contre les actions inconstitutionnelles du gouvernement fĂ©dĂ©ral, appelaient le gouvernement fĂ©dĂ©ral Ă  financer la dĂ©fense de la Nouvelle-Angleterre, et proposaient une sĂ©rie d'amendements Ă  la Constitution[17]. Aucun assemblĂ©e ne donna suite en tentant de nullifier une loi fĂ©dĂ©rale. La fin de la guerre fit perdre son importance pratique Ă  cette question.

Opposition de la Virginie à la révision des décisions judiciaires par la Cour suprême

En 1813, la Cour suprême des États-Unis, se fondant sur les termes d'un traité fédéral, infirma une décision de la cour d'appel de Virginie[18]. La cour d'appel de Virginie refusa d'accepter la décision de la Cour Suprême, énonçant qu'en vertu de la Constitution, la Cour Suprême n'avait pas autorité sur les juridictions des États fédérés. La cour d'appel considéra qu'au nom de la souveraineté de l'État, ses décisions étaient définitives et non susceptibles de recours devant la Cour Suprême.

La cour de Virginie jugea contraire Ă  la Constitution la loi fĂ©dĂ©rale permettant Ă  la Cour SuprĂŞme de revenir sur les dĂ©cisions des juridictions de niveau fĂ©dĂ©rĂ©. Cette dĂ©cision aurait permis aux organes juridictionnels de chaque État de dĂ©cider eux-mĂŞmes si les actions du gouvernement fĂ©dĂ©ral Ă©taient inconstitutionnelles, ce qui aurait eu pour effet de donner aux juridictions des États le droit de nullifier la loi fĂ©dĂ©rale. Dans Martin v. Hunter's Lessee, 14 U.S. (1 Wheat.) 304 (1816), la Cour SuprĂŞme rejeta ce point de vue. Elle considĂ©ra que l'article III de la Constitution donnait compĂ©tence aux juridictions fĂ©dĂ©rales pour connaĂ®tre de toutes les affaires relevant de la Constitution ou de la loi fĂ©dĂ©rale, et que la Cour SuprĂŞme disposait de la compĂ©tence de dernier ressort concernant ces affaires. Elle Ă©nonça que le peuple, en donnant cette autoritĂ© Ă  la Cour SuprĂŞme par le biais de la constitution, avait fait le choix de limiter la souverainetĂ© des États. La Cour SuprĂŞme conclut par consĂ©quent que l'autoritĂ© finale pour interprĂ©ter la Constitution revenait aux juridictions fĂ©dĂ©rales, et non aux États.

La Virginie remit en cause une nouvelle fois l'autorité de la Cour Suprême dans l'affaire Cohens v. Virginia, 19 U.S. (6 Wheat.) 264 (1821). La question qui se posait était de savoir si la Cour Suprême était compétente pour connaître d'un recours contre une décision rendue en matière pénale par une cour de niveau fédéré se fondant sur une violation de la loi de l’État fédéré, alors que l'argumentaire de la défense s'appuyait sur la loi fédérale. L'assemblée de Virginie émit des résolutions déclarant que la Cour Suprême n'était pas compétente en vertu de principes en lien avec la souveraineté étatique[19]. La Cour Suprême statua qu'en vertu de l'article III de la Constitution, les juridictions fédérales sont compétentes pour traiter de tous les litiges relevant de la Constitution ou de la loi fédérale, y compris des affaires dans lesquelles la défense invoque des dispositions de la loi fédérale. Étant donné que dans cette affaire les prévenus avançaient que leurs actes étaient autorisés par une loi fédérale, il s'agissait bien d'un litige relatif à la loi fédérale, et la Cour Suprême était compétente pour réexaminer la décision du tribunal de l’État de Virginie. La Cour Suprême statua ainsi à nouveau que le pouvoir final d'interprétation de la loi fédérale est détenu par les juridictions fédérales et non par les États.

L'Ohio et la Banque des États-Unis

En 1819, l'Ohio imposa une taxe Ă  la Banque des États-Unis, qui Ă©tait une banque Ă  charte fĂ©dĂ©rale. La Cour SuprĂŞme avait dĂ©jĂ  statuĂ© que de telles taxes Ă©taient inconstitutionnelles dans l'arrĂŞt McCulloch v. Maryland, 17 U.S. (4 Wheat.) 316 (1819). MalgrĂ© cette dĂ©cision de la Cour SuprĂŞme, l'Ohio saisit 100 000 $ de cette banque pour satisfaire la taxe. L'assemblĂ©e de l'Ohio Ă©mit des rĂ©solutions dans lesquelles elle dĂ©clarait qu'elle n'acceptait pas le verdict rendu dans l'affaire McCulloch et refusait d'admettre que la Cour SuprĂŞme disposait du pouvoir ultime d'interprĂ©tation de la Constitution. Les rĂ©solutions de l'assemblĂ©e de l'Ohio, se fondant sur les rĂ©solutions du Kentucky et de la Virginie, affirmaient que les États « ont un droit Ă©gal d'interprĂ©ter la Constitution par eux-mĂŞmes Â». Ces rĂ©solutions dĂ©claraient que l'Ohio avait lĂ©galement le pouvoir de taxer la banque[20].

Cette controverse parvint finalement jusque devant la Cour SuprĂŞme dans l'affaire Osborn v. Bank of the United States, 22 U.S. (9 Wheat.) 738 (1824). La Cour Supreme dĂ©cida que la taxe imposĂ©e par l'Ohio Ă©tait inconstitutionnelle. Elle Ă©nonça : « l'action de l’État de l'Ohio […] va Ă  l'encontre d'une loi des États-Unis adoptĂ©e conformĂ©ment Ă  la Constitution. Elle est par consĂ©quent entachĂ©e de nullitĂ©. Â» La Cour suprĂŞme a ainsi rejetĂ© la tentative de l'Ohio de nullifier la loi fĂ©dĂ©rale.

La GĂ©orgie et les Cherokees

Dans les années 1820, la Géorgie adopta une loi rendant applicable le droit de cet État dans tous les territoires cherokees et proclamant la nullité de toutes les lois de la nation cherokee. Cela entrait en contradiction avec les traités conclus entre l’État fédéral et les Cherokees, et constituait donc en fait une nullification de ces traités. L'action de la Géorgie a été examinée par la Cour Suprême dans Worcester v. Georgia, 31 U.S. (6 Pet.) 515 (1832). Alors que l'affaire était en instance devant la Cour Suprême, l'assemblée de Géorgie adopta une résolution qui affirmait qu'en vertu du dixième amendement, le droit pénal en Géorgie n'entrait pas dans les attributions du gouvernement fédéral, et que l'examen de l'affaire par la Cour Suprême était contraire à la Constitution[21].

La Cour suprĂŞme rejeta cette tentative de nullification par la GĂ©orgie des traitĂ©s fĂ©dĂ©raux conclus avec les Cherokees. La Cour retint que « selon les principes Ă©tablis de notre Constitution Â», l'autoritĂ© concernant les affaires indiennes est « confiĂ©e exclusivement au gouvernement de l'Union Â». Elle statua que, suivant les termes du traitĂ© fĂ©dĂ©ral conclus avec les Cherokees, « les lois de GĂ©orgie ne sauraient ĂŞtre applicables Â» en territoire cherokee. Elle a Ă©galement retenu que les lois rĂ©gulant le territoire cherokee Ă©taient « frappĂ©es de nullitĂ©, car contraires Ă  la Constitution, aux traitĂ©s et aux lois des États-Unis[22]. Â»

La Géorgie refusa d'accepter la décision de la Cour Suprême. Le président Andrew Jackson ne pensait pas que la Géorgie avait le droit de nullifier la loi fédérale, mais était favorable à l'objectif de la Géorgie d'obliger les Cherokees à se déplacer vers l'ouest. Il ne prit aucune mesure immédiate contre la Géorgie. Avant que la Cour Suprême n'ait pu entendre une demande d'ordonnance d'exécution forcée de son jugement, la crise de nullification survint en Caroline du Sud. Jackson voulait éviter une confrontation avec la Géorgie concernant les droits des États. Un compromis fut négocié, en vertu duquel la Géorgie devait abroger la loi incriminée dans l'affaire Worcester. Malgré la décision de la Cour qui déclarait les actes de la Géorgie inconstitutionnels, cet État continua à mettre en application d'autres lois imposées aux Cherokees. Finalement, les Cherokees furent contraints d'accepter un traité prévoyant leur déplacement, ce qui conduisit à la Piste Des Larmes[23].

La crise de la nullification

La notion de nullification fut de plus en plus frĂ©quemment associĂ©e Ă  des questions relatives aux tensions nord-sud et Ă  l'esclavage. Le South Carolina Exposition and Protest, de John C. Calhoun, constitue l'affirmation la plus connue de la thĂ©orie de la nullification durant cette pĂ©riode. Calhoun soutenait que le tarif douanier de 1828 (dit « tarif des abominations Â»), qui favorisait les États industriels du nord et nuisait aux États agricoles du sud, Ă©tait inconstitutionnel. Il arguait que chaque État avait le droit d'apprĂ©cier l'Ă©tendue de ses propres pouvoirs et la rĂ©partition des compĂ©tences entre l’État et le gouvernement fĂ©dĂ©ral, ce qui constituait selon lui « un attribut essentiel de la souverainetĂ© Â». Il soutenait l'idĂ©e que chaque État dispose par consĂ©quent d'un « veto Â» ou « droit d'interposition Â» concernant les actes de l’État fĂ©dĂ©ral dont l’État estime qu'ils empiètent sur ses propres droits[24].

Au cours du débat Webster-Hayne au Sénat en 1830, Daniel Webster répondit à cette théorie de la nullification en soutenant que la Constitution elle-même prévoit le mécanisme de règlement des litiges entre le gouvernement fédéral et les États ayant trait à la répartition des compétences. Webster argua que la clause de suprématie dispose que la Constitution et les lois fédérales adoptées en conformité avec celle-ci sont supérieures aux lois des États, et que l'article III donne compétence aux juridictions fédérales pour la résolution de toutes les questions relatives à l'interprétation de la Constitution. Il affirma également que la Constitution ne donne pas aux États un pouvoir d'interprétation de la Constitution, et qu'un tel pouvoir conduirait à autant d'interprétations divergentes de la Constitution qu'il y a d’États[25].

En 1832, la Caroline du Sud entreprit de nullifier le tarif douanier de 1828 et celui de 1832, ainsi que des lois fĂ©dĂ©rales ultĂ©rieures autorisant l'usage de la force pour faire respecter ces tarifs. La Caroline du Sud prĂ©tendait pouvoir interdire l'application de ces tarifs douaniers Ă  l'intĂ©rieur de l’État, affirmant que ces lois « n'Ă©taient pas autorisĂ©es par la constitution des États-Unis et violaient la vĂ©ritable signification et intention derrière celle-ci et Ă©taient nulles, non avenues, n'avaient pas valeur de loi ni force obligatoire pour cet État, ses agents et ses citoyens Â»[26]. Le prĂ©sident Andrew Jackson rejeta l'idĂ©e que la Caroline du Sud avait le pouvoir de nullifier la loi fĂ©dĂ©rale, et prĂ©para l’exĂ©cution de cette loi fĂ©dĂ©rale, par la force si nĂ©cessaire. Dans sa Proclamation au peuple de Caroline du Sud, Jackson dĂ©clara : « Je considère alors le pouvoir que s’arroge un État d'abroger une loi des États-Unis comme incompatible avec l'existence de l'Union, contredit expressĂ©ment par la lettre de la Constitution, non autorisĂ© par son esprit, contradictoire avec tous les principes sur lesquels elle fut fondĂ©e, et destructeur du grand objectif pour lequel elle fut formĂ©e[27]. Â» James Madison, auteur de la RĂ©solution de la Virginie et du Rapport de 1800, intervint aussi Ă  ce moment-lĂ , en dĂ©clarant que la RĂ©solution de la Virginie ne devait pas ĂŞtre interprĂ©tĂ©e comme signifiant que chaque État avait le droit de nullifier la loi fĂ©dĂ©rale[28]. La question s'Ă©teignit Ă  la suite de l'adoption d'un tarif douanier de compromis en 1833. Alors que la crise de la nuliffication Ă©tait nĂ©e d'une loi sur les droits de douane, il fut reconnu que les enjeux soulevĂ©s Ă  cette occasion s'Ă©tendaient aussi Ă  la question de l'esclavage[29].

Tentatives de nullifications et lois sur les esclaves fugitifs

Au milieu du XIXe siècle, les États du nord tentèrent de bloquer la mise en application de deux lois pro-esclavagistes de 1793 et 1850, relatives aux esclaves fugitifs (Fugitive Slave Acts). Plusieurs États du nord adoptèrent des personal liberty laws qui avaient pour effet d'amoindrir l'efficacité de ces lois fédérales sur les esclaves fugitifs et d'empêcher les propriétaires de récupérer leurs esclaves évadés. Par exemple, une loi de Pennsylvanie promulguée en 1826 rendait illégal le fait pour une personne d'enlever une personne noire d'un État dans l'intention de le garder ou de vendre comme esclave.

La Cour suprême des États-Unis attesta la validité de la loi de 1793 dans l'affaire Prigg v. Pennsylvania, 41 U.S. 539 (1842). La Cour rejeta l'argument avancé par la Pennsylvanie selon lequel le Congrès ne disposait pas du pouvoir constitutionnel d'adopter cette loi, retenant que cette loi étaient autorisée par la clause de la Constitution relative aux esclaves fugitifs (article IV, section 2). La Cour est arrivée à la conclusion que la personal liberty law de la Pennsylvanie était inconstitutionnelle parce qu'elle entrait en conflit avec cette clause[30]. La Cour a par conséquent rejeté la tentative de la Pennsylvanie de nullifier le Fugitive Slave Act. Toutefois, la Cour Suprême a indiqué implicitement que les États pourraient avoir la possibilité d'adopter des lois pour refuser l'assistance de leur agents dans la mise en application de la loi, laissant alors ce soin aux agents fédéraux[31] - [32].

La Cour suprême eut une nouvelle fois à traiter d'un cas de nullification par un État du nord des lois sur les esclaves fugitifs dans l'affaire Ableman v. Booth, 62 U.S. 506 (1859). Les juridictions du Wisconsin avaient jugé inconstitutionnel le Fugitive Slave Act de 1850 et ordonné la libération d'un prisonnier qui était poursuivi pour violation de cette loi devant une cour fédérale de district. Le juge du Wisconsin déclara que la Cour suprême n'étaient pas investie de l'autorité nécessaire pour réexaminer sa décision. La législature d’État du Wisconsin adopta une résolution déclarant que la Cour suprême n'était pas compétente pour examiner la décision de la juridiction du Wisconsin. Reprenant les termes de la Résolution du Kentucky de 1798, la résolution du Wisconsin affirma que l'examen de cette affaire par la Cour suprême était entaché de nullité[33].

La Cour suprême estima que le Wisconsin n'avait pas le pouvoir de nullifier la loi fédérale or d'empêcher les agents fédéraux de faire appliquer le Fugitive Slave Act. Elle estima qu'en adoptant la clause de suprématie, le peuple des États-Unis avait rendu la loi fédérale supérieure à la loi des États et prévu que dans l'hypothèse d'un conflit, la loi fédérale primerait. De plus, la cour jugea que le peuple avait délégué le pouvoir judiciaire – y compris l'autorité de dernière instance – aux cours fédérales concernant les affaires relevant de la Constitution ou de la loi fédérale[34]. Par conséquent, le peuple avait donné aux cours fédérales l'autorité finale pour déterminer la constitutionnalité des lois fédérales et pour déterminer la frontière entre les pouvoirs fédéraux et ceux des États[35]. En conséquence, la Cour a conclu que la Wisconsin n'avait pas le pouvoir de nullifier une loi fédérale qui avait été validée par les tribunaux fédéraux ni d'interférer avec la mise en exécution de cette loi par les autorités fédérales.

L'arrêt Ableman v. Booth constitua l'examen le plus approfondi jusque-là de la théorie de la nullification par la Cour suprême. Comme les décisions qui l'avaient précédé, l'arrêt Ableman retint que la loi fédérale était supérieure à la loi de l’État et qu'en vertu de la Constitution, le pouvoir final de détermination de la constitutionnalité des lois fédérales appartient aux juridictions fédérales et non aux États. La Cour estima que la Constitution donnait à la Cour suprême l'autorité finale pour déterminer l'étendue et les limites du pouvoir fédéral.

L'ordonnance de sĂ©cession de la Caroline du Sud de dĂ©cembre 1860 Ă©nonça que les tentatives de nullification des États du nord Ă©taient une des causes de la sĂ©cession de la Caroline du Sud d'avec l'union : « une hostilitĂ© croissante de la part des États non-esclavagistes Ă  l'Ă©gard de l'institution de l'esclavage les a incitĂ©s Ă  mĂ©connaĂ®tre leurs obligations, et les lois du Gouvernement GĂ©nĂ©ral ont cessĂ© de mener Ă  bien les objectifs de la Constitution. Les États du Maine, du New Hampshire, du Vermont, du Massachusetts, du Connecticut, de Rhode Island, de New York, de Pennsylvanie, de l'Illinois, de l'Indiana, du Michigan, du Wisconsin et de l'Iowa ont adoptĂ© des lois ayant pour effet soit de nullifier les Actes du Congrès soit de rendre inutile toute tentative de les appliquer. Dans nombre de ces États, le fugitif est libĂ©rĂ© du service ou du travail exigĂ©, et dans aucun de ces États le gouvernement ne s'est conformĂ© Ă  la disposition prĂ©sente dans la Constitution… Ainsi le pacte constituĂ© a dĂ©libĂ©rĂ©ment Ă©tĂ© rompu et ignorĂ© par les États non-esclavagistes, et, en consĂ©quence, il s'ensuit que la Caroline du Sud est libĂ©rĂ©e de ses obligations. Â»

La guerre de Sécession mit fin à la plupart des tentatives de nullification. Elle reposait en effet sur des principes relatifs aux droits des États qui n'étaient plus considérés comme viables après la guerre[36] - [37] - [38].

Tentatives de nullification contre la déségrégation des écoles dans les années 1950

La nullification et l'interposition refirent surface dans les années 1950 lorsque des États du Sud tentèrent de maintenir la ségrégation raciale dans leurs écoles. Dans la décision Brown v. Board of Education, 347 U.S. 483 (1954), la Cour suprême décida que la ségrégation dans les écoles était inconstitutionnelle. Au moins dix États du sud, essayant de maintenir la ségrégation de leurs écoles et refusant d'obéir à la décision Brown, mirent en place des mesures de nullification ou d'interposition. Les tenants de ces mesures arguaient que la décision Brown constituait une atteinte inconstitutionnelle aux droits des États, et que les États avaient le pouvoir d'empêcher cette décision d'être appliquée à l'intérieur de leurs frontières.

La Cour suprĂŞme rejeta explicitement la nullification dans l'affaire Cooper v. Aaron 358 U.S. 1 (1958). L’État de l'Arkansas avait Ă©dictĂ© plusieurs lois pour tenter d'empĂŞcher la dĂ©sĂ©grĂ©gation de ses Ă©coles. La Cour suprĂŞme, dans son seul arrĂŞt Ă  avoir Ă©tĂ© signĂ© par les neuf juges, statua que les gouvernements des États fĂ©dĂ©rĂ©s n'avaient pas le pouvoir de nullifier la dĂ©cision Brown. Elle Ă©nonça que la dĂ©cision Brown et son exĂ©cution « ne peuvent ni ĂŞtre ouvertement et directement nullifiĂ©es par les lĂ©gislateurs de l’État ou ses organes exĂ©cutifs ou ses autoritĂ©s judiciaires ni nullifiĂ©es de manière indirecte via des procĂ©dĂ©s dĂ©tournĂ©s, qu'ils soient entrepris ingĂ©nieusement ou ingĂ©nument[39]. » Ainsi, la dĂ©cision Cooper v. Aaron a affirmĂ© directement que les États ne peuvent nullifier la loi fĂ©dĂ©rale.

La Cour suprĂŞme rejeta l'interposition dans un contexte similaire. Elle confirma une dĂ©cision d'une cour de district fĂ©dĂ©rale qui avait rejetĂ© la tentative de la Louisiane d'utiliser l'interposition pour protĂ©ger ses Ă©coles sĂ©grĂ©guĂ©es. La cour de district avait statuĂ© que l'usage de l'interposition par les États Ă©tait incompatible avec la Constitution, qui attribue la compĂ©tence pour trancher les questions d'ordre constitutionnel Ă  la Cour suprĂŞme, et non aux États. La Cour Ă©nonça : « la conclusion se dĂ©gage clairement : l'interposition n'est pas une doctrine constitutionnelle. Si elle prise au sĂ©rieux, il s'agit d'un acte illĂ©gal de dĂ©fi face Ă  l'autoritĂ© de la Constitution. Sinon "cela ne constituerait rien de plus qu'une protestation, une soupape par laquelle les lĂ©gislateurs Ă©vacuent de la vapeur pour apaiser leurs tensions." […] Aussi solennelles ou vigoureuses soient-elles, les rĂ©solutions d'interposition n'ont aucune valeur juridique[40]. » La Cour suprĂŞme confirma cette dĂ©cision, affirmant ainsi que l'interposition ne peut ĂŞtre utilisĂ©e pour invalider la loi fĂ©dĂ©rale.

Différence entre nullification et interpositon

En thĂ©orie, la nullification de distingue de « l'interposition Â». La nullification est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©e comme Ă©tant une loi d'un État par laquelle celui-ci constate qu'une loi fĂ©dĂ©rale est inconstitutionnelle et la proclame nulle et non-applicable sur son territoire. Une loi de nullification rend gĂ©nĂ©ralement illĂ©gale l'application de la loi fĂ©dĂ©rale en question.

L'interposition implique aussi l'existence d'une dĂ©claration selon laquelle une loi fĂ©dĂ©rale est inconstitutionnelle. Un État peut toutefois prendre diverses mesures pour « s'interposer Â» après avoir Ă©tabli qu'une loi est inconstitutionnelle. Dans les rĂ©solutions de Virginie de 1798, Madison ne dĂ©crivait ni la forme ni l'effet de l'interposition. Mais deux ans plus tard, dans le Rapport de 1800, Madison dĂ©crivait diverses mesures que les États pourraient adopter pour s'interposer : communiquer avec les autres États Ă  propos de l'inconstitutionnalitĂ© de la loi fĂ©dĂ©rale, essayer de s'assurer le soutien d'autres États, Ă©mettre une pĂ©tition devant le Congrès pour qu'il abroge la loi, proposer des amendements Ă  la Constitution au Congrès, ou encore convoquer une convention constitutionnelle. L'interposition est considĂ©rĂ©e comme moins extrĂŞme que la nullification car elle n'implique pas une action unilatĂ©rale de la part d'un État pour empĂŞcher l'application de la loi fĂ©dĂ©rale.

En pratique, les notions d'interposition et de nullification ont souvent Ă©tĂ© confondues, et parfois utilisĂ©es indiffĂ©remment. John C. Calhoun indiqua en ces termes que les deux mots Ă©taient synonymes : « Ce droit d'interposition, ainsi affirmĂ© solennellement par l’État de Virginie – qu'on le dĂ©signe par le terme State-right, veto, nullification, ou par quelque autre nom que ce soit – est, selon ma conception, le principe fondamental de notre système[41]. » Durant la querelle des annĂ©es 1950 relative Ă  la dĂ©sĂ©grĂ©gation des Ă©coles dans les États du sud, plusieurs de ces États ont adoptĂ© des Acts of Interposition, qui auraient en fait eu l'effet d'une nullification[42].

La nullification comparée à d'autres actions pouvant être entreprises par les États.

Les États ont parfois pris diverses mesures ne relevant pas de la nullification pour faire obstacle à l'application de la loi fédérale. Alors la nullification consiste à tenter de déclarer la loi fédérale inconstitutionnelle et à interdire son application dans l’État, d'autres actions prises par les États ne constituent pas des proclamations d'invalidité de la loi, mais à la place font usage d'autres moyens dans le but d'empêcher ou freiner l'application de ladite loi[43].

Les procédures juridictionnelles de contestation de la constitutionnalité de la loi fédérale

La nullification doit être distinguée de la situation dans laquelle un État intente une action judiciaire contestant la constitutionnalité d'une loi fédérale. Un État a la possibilité d'engager une action en justice afin d'obtenir que la loi soit déclarée inconstitutionnelle. Une telle action fait alors l'objet d'une décision par les juridictions, et la Cour suprême est compétente en dernière instance. Il s'agit de la méthode communément admise pour contester la constitutionnalité d'une loi fédérale[44].

Il ne s'agit pas d'un cas de nullification, même dans l'hypothèse où la juridiction donne raison à l’État et déclare la loi fédérale inconstitutionnelle. La théorie de la nullification est que les États peuvent décider de la constitutionnalité des lois fédérales, et que leur appréciation ne peut être examinée ou remise en cause par les tribunaux. Par conséquent, la nullification implique qu'un État déclare qu'une loi fédérale est inconstitutionnelle et ne trouve pas à s'appliquer l'intérieur de l’État. D'après cette théorie, une telle déclaration est définitive et fait autorité, et ne peut être rejetée par les juges. En revanche, lorsqu'un État engage une action en contestation de constitutionnalité devant la justice, la constitutionnalité de la loi est évaluée par la juridiction saisie, et, en dernière instance, par la Cour suprême, et non par les juridictions des États ou leurs assemblées législatives. Étant donné qu'une telle procédure reconnaît l'autorité de la Cour suprême pour rendre la décision ultime concernant la constitutionnalité de la loi, elle ne constitue pas une utilisation de la nullification.

Refus par un État d'apporter son concours à l’application de la loi fédérale

Comme notĂ© plus haut, la Cour suprĂŞme a indiquĂ© dans l'arrĂŞt Prigg v. Pennsylvania, 41 U.S. 539 (1842) que les États ne peuvent ĂŞtre contraints de faire usage de leurs ressources pour faire appliquer la loi fĂ©dĂ©rale. La Cour suprĂŞme a rĂ©affirmĂ© ce principe dans des affaires comme Printz v. United States, 521 U.S. 898 (1997) et New York v. United States, 505 U.S. 144 (1992), dans lesquelles elle a considĂ©rĂ© que le gouvernement fĂ©dĂ©ral ne peut pas mettre en place un programme de rĂ©gulation qui « rĂ©quisitionne Â» les mĂ©canismes lĂ©gislatifs et administratifs de l’État fĂ©dĂ©rĂ© pour faire appliquer la loi.

Les États peuvent par conséquent refuser d'utiliser leurs ressources législatives ou administratives pour appliquer la loi fédérale. Les États qui refusent d'apporter leur concours à l'application de la loi, sans pour autant la déclarer inconstitutionnelle ou interdire son application, ne déclarent pas invalide la loi fédérale en cause et leur attitude ne relève pas de la nullification. Comme indiqué dans l'arrêt Prigg, la loi fédérale est toujours valide et les autorités fédérales peuvent toujours la faire respecter au sein de ces États. Les États qui sont dans cette situation ne cherchent pas à invalider juridiquement la loi fédérale mais simplement à rendre son application plus difficile en refusant de mettre leurs ressources à disposition.

Légalisation par un État d'actes prohibées par la loi fédérale

Certains États ont légalisé des comportements qui sont prohibés par la loi fédérale. Par exemple, le Colorado et l’État de Washington ont rendu légal dans leur propre droit l'usage récréatif de la marijuana en 2012. Cela est à distinguer de la nullification. Le fait qu'un comportement soit légal en vertu de la loi d'un État fédéré n'affecte pas sa légalité en vertu de la loi fédérale. Un État qui légalise une action dans son propre droit, mais ne déclare pas que la loi fédérale qui la prohibe est invalide, ne procède pas à une nullification. La loi fédérale est toujours valide et peut être appliquée par le gouvernement fédéral. Par conséquent, les États qui ont légalisé la marijuana n'ont pas essayé de déclarer que les lois fédérales relatives à la marijuana sont invalides ou non-applicables. Il ne s'agit pas d'une utilisation de la nullification car les États ne remettent pas en cause la constitutionnalité de la loi fédérale, et ne cherchent pas à empêcher l'application de cette loi fédérale au sein de l’État[45]. La légalisation de la marijuana n'est donc pas un acte de nullification.

Cependant, pour des raisons pratiques, le gouvernement fédéral ne dispose par des ressources nécessaires pour faire appliquer les lois sur la marijuana à grande échelle, et la légalisation de la marijuana dans le droit de l’État fédéré réduit donc la capacité du gouvernement fédéral de faire appliquer ces lois. À cela s'ajoute la déclaration du procureur général adjoint des États-Unis annonçant que le gouvernement fédéral n'interviendrait que dans certains cas[46], ce qui rend la marijuana de facto et de jure légale au niveau fédéré, et de facto légale mais de jure illégale au niveau fédéral.

Notes et références

  1. Card, Ryan, "Can States “Just Say No” to Federal Health Care Reform? The Constitutional and Political Implications of State Attempts to Nullify Federal Law" , 2010 B.Y.U. Law Review 1795, 1808 (2010).
  2. Voir Cooper v. Aaron, 358 U.S. 1 (1958), Bush v. Orleans Parish School Board, 364 U.S. 500 (1960), Ableman v. Booth, 62 U.S. 506 (1859), et United States v. Peters, 9 U.S. (5 Cranch) 115 (1809).
  3. Thomas Jefferson, RĂ©solutions du Kentucky de 1798
  4. John C. Calhoun, « Rough Draft of What is Called the South Carolina Exposition », in : John C. Calhoun, Union and Liberty: The Political Philosophy of John C. Calhoun [1811]
  5. Martin v. Hunter's Lessee, 14 U.S. (1 Wheat.) 304 (1816) ; McCulloch v. Maryland, 17 U.S. (4 Wheat.) 316 (1819).
  6. Voir Marbury v. Madison, 5 US (1 Cranch) 137 (1803).
  7. Voir Ableman v. Booth, 62 U.S. 506 (1859), Cooper v. Aaron, 358 U.S. 1 (1958)
  8. Voir Powell, H. Jefferson, "The Principles of '98: An Essay in Historical Retrieval", 80 Virginia Law Review 689, 705 n.54 (1994).
  9. Ces sept États sont le Delaware, le Massachusetts, l’État de New York, le Connecticut, Rhode Island, le New Hampshire, et le Vermont. Voir Elliot, Jonathan (1907) [1836]. Debates in the Several State Conventions on the Adoption of the Federal Constitution vol. IV (2d ed.). Philadelphie: Lippincott. p. 538–539.
  10. Il s'agit du Maryland, de la Pennsylvanie, et du New Jersey. Anderson, Frank Maloy (1899). "Contemporary Opinion of the Virginia and Kentucky Resolutions". American Historical Review. p. 45–63, 225–244
  11. Madison, James "Letter to Mathew Carey", Bibliothèque du Congrès, 27 juillet 1831.
  12. Madison, James Notes, On Nullification, Bibliothèque du Congrès, décembre 1834.
  13. Aussi appelée affaire Olmstead, du nom de l'une des parties.
  14. Résolution de l'assemblée de Pennsylvanie, 3 avril 1809.
  15. Ces événements sont décrits dans un article du juge à la Cour suprême William O. Douglas, Interposition and the Peters Case, 1778-1809, 9 Stanford Law Review 3 (1956), et dans Treacy, Kenneth, The Olmstead Case, 1778-1809, 10 Western Political Quarterly 675 (1957).
  16. U.S. v. The William, 28 Fed. Cas. 614 (D. Mass. 1808).
  17. Rapport et résolutions de la Convention de Hartford, 4 janvier 1815
  18. Fairfax's Devisee v. Hunter's Lessee, 11 U.S. (7 Cranch) 603 (1813).
  19. Acts of Virginia 1820-21, 142, 143. Voir Smith, Jean Edward (1996). John Marshall: Definer of a Nation. New York: Henry Holt & Co. p. 458.
  20. Annales du Congrès, 16e Congrès, 2de session, p. 1694, 1714
  21. Acts of Georgia, 1831, 259-261; Niles' Weekly Register, XLI, 335, 336
  22. Worcester v. Georgia, 31 U.S. (6 Pet.) 515, 561-62 (1832)
  23. Howe, Daniel (2007). What Hath God Wrought: The Transformation of America, 1815-1848. New York: Oxford University Press. p. 412–13
  24. Calhoun, John C., South Carolina Exposition and Protest, 1828
  25. Seconde réponse de Webster à Hayne, 26 janvier 1830
  26. Ordonnance de nullification de la Caroline du Sud, 1832
  27. Proclamation du président Jackson concernant la nullification, 10 décembre 1832.
  28. Madison, James "Notes, On Nullification", bibliothèque du Congrès, décembre 1834
  29. Lettre de John C. Calhoun Ă  Virgil Maxcy, 11 septembre 1830.
  30. Prigg, 41 U.S. at 625-26.
  31. Prigg, 41 U.S. at 615
  32. http://tenthamendmentcenter.com/2013/08/25/a-supreme-court-justices-affirmation-of-nullification/
  33. General Laws of Wisconsin, 1859, 247-48
  34. Ableman, 62 U.S. at 525.
  35. Ableman, 62 U.S. at 520
  36. Farber, Daniel A., "Judicial Review and its Alternatives: An American Tale", 38 Wake Forest L. Rev. 415, 415, 444 (2003).
  37. « Avalon Project - Confederate States of America - Declaration of the Immediate Causes Which Induce and Justify the Secession of South Carolina from the Federal Union », sur yale.edu (consulté le ).
  38. (en) « Farewell Speech - Teaching American History », sur Teaching American History (consulté le ).
  39. Cooper, 358 U.S. at 17.
  40. Bush v. Orleans Parish School Board, 188 F. Supp. 916 (E.D. La. 1960), aff'd 364 U.S. 500 (1960)
  41. Calhoun, John C., The Fort Hill Address, July 26, 1831.
  42. Voir par exemple l'act of interposition de la Louisiane, annexé à la décision Bush v. Orleans Parish School Board, 188 F. Supp. 916 (E.D. La. 1960), aff'd 364 U.S. 500 (1960).
  43. Voir « Dinan, John, "Contemporary Assertions of State Sovereignty and the Safeguards of American Federalism", 74 Albany Law Review 1635 (2011) »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)
  44. Claiborne, Robert S., "Why Virginia's Challenges to the Patient Protection and Affordable Care Act Did Not Invoke Nullification", 46 U. Richmond Law Review 917, 949 (2012).
  45. Dinan, "Contemporary Assertions of State Sovereignty and the Safeguards of American Federalism", 74 Albany Law Review at 1637-38, 1665
  46. Cole, James. MEMORANDUM FOR ALL UNITED STATES ATTORNEYS. Bureau du procureur général au département de la Justice des États-Unis. Consulté le 7 juillet 2014.

Annexes

Bibliographie

Liens externes

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