NikolaĂŻ Boukharine
NikolaĂŻ Ivanovitch Boukharine (en russe : ĐĐžĐșĐŸĐ»Đ°ÌĐč ĐĐČĐ°ÌĐœĐŸĐČĐžŃ ĐŃŃ Đ°ÌŃĐžĐœ), nĂ© le 27 septembre 1888 ( dans le calendrier grĂ©gorien) Ă Moscou, et mort exĂ©cutĂ© le dans la mĂȘme ville, est un intellectuel, rĂ©volutionnaire et homme politique soviĂ©tique, membre des bolcheviks, puis du Parti communiste soviĂ©tique.
NikolaĂŻ Boukharine ĐĐžĐșĐŸĐ»Đ°Đč ĐŃŃ Đ°ŃĐžĐœ | |
Fonctions | |
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Candidat puis titulaire du Politburo | |
- 1924, puis 1924 â | |
Secrétaire du comité exécutif de l'Internationale communiste et un moment - 1926-1928 - son principal dirigeant | |
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Biographie | |
Nom de naissance | NikolaĂŻ Ivanovitch Boukharine |
Date de naissance | 27 septembre 1888 ( dans le calendrier grégorien) |
Lieu de naissance | Moscou, Empire russe |
Date de décÚs | |
Lieu de décÚs | Moscou, Russie, URSS |
Nature du décÚs | Fusillé |
Nationalité | Russe (de 1883 à 1917) Russe (de 1917 à 1922) Soviétique (de 1922 à 1938) |
Parti politique | Bolcheviks, puis Parti communiste |
Profession | Ăconomiste Journaliste |
Il fut membre du Bureau politique (1919-1929) et du ComitĂ© central du Parti bolchevik (1917-1937), Membre et secrĂ©taire du ComitĂ© ExĂ©cutif de lâInternationale Communiste dĂšs sa fondation, en 1919, il exerça les fonctions de chef de lâInternationale communiste (1926-1928), rĂ©dacteur en chef de la Pravda (1918-1929), de la revue Bolchevik (1924-1929) et mĂȘme, pendant quelques mois, du journal pour enfants PionerskaĂŻa Pravda (1925). AprĂšs sa mise Ă lâĂ©cart de la direction du Parti (1929), il dut se limiter Ă des recherches scientifiques (il avait Ă©tĂ© Ă©lu Ă lâAcadĂ©mie des Sciences de lâURSS en janvier 1929) et attendre cinq ans pour retrouver un poste de rĂ©dacteur en chef du journal du gouvernement, les Izvestia (1934-1936). Il est lâauteur prolifique de nombreux ouvrages (livres thĂ©oriques, brochures, pamphlets, rapports politiques, articles de toutes sortes), les plus diffusĂ©s de son vivant Ă©tant LâABC du communisme (1919), et La ThĂ©orie du matĂ©rialisme historique (1921). Il est avec Piatakov, lâun des jeunes membres du ComitĂ© Central mentionnĂ©s comme hĂ©ritiers politiques â puis rĂ©cusĂ©s â par LĂ©nine. Boukharine choisit de soutenir Staline aprĂšs la mort de LĂ©nine mais Ă©choue dans ses tentatives de rĂ©sistance quand il prend conscience des orientations rĂ©elles de la politique du dictateur soviĂ©tique (1928-1929). MalgrĂ© son respect des rĂšgles de la discipline du Parti, il est une des victimes de la grande purge stalinienne de la fin des annĂ©es 1930 : inculpĂ© lors du troisiĂšme « procĂšs de Moscou » en 1938, il est contraint d'« avouer ses crimes » avant dâĂȘtre exĂ©cutĂ©.
Biographie
Famille et enfance[1].
Boukharine est nĂ© Ă Moscou, rue BolchaĂŻa Ordynka, oĂč Ă©tait situĂ©e lâĂ©cole Ă©lĂ©mentaire oĂč enseignaient ses parents, Ivan Gavrilovitch et Lioubov Ivanovna[2]. Il est lâainĂ© dâune fratrie de six enfants, cinq garçons et une fille (NikolaĂŻ, Vladimir, AndreĂŻ, Piotr, Vania et Ekaterina). Sur les photos de famille qui ont Ă©tĂ© conservĂ©es, seuls NikolaĂŻ et Vladimir apparaissent. Des autres enfants, on sait dâabord ce que Boukharine en dit dans Vremena, son roman autobiographique Ă©crit en prison en 1937-1938 : AndreĂŻ est dĂ©cĂ©dĂ© brutalement Ă lâĂąge de 7 ans, entre 1900 et 1902 (la chronologie est difficile Ă Ă©tablir Ă partir du seul rĂ©cit de Boukharine) ; Piotr est nĂ© Ă Moscou, en 1898 ou 1899 ; Ekaterina est nĂ©e et dĂ©cĂ©dĂ©e Ă Moscou, entre 1900 et 1902. Le nom de Vania, sans date de naissance ou de dĂ©cĂšs, nâapparaĂźt que dans le livre dâEmma B. Gurvich. Selon Hedeler et E. B. Gurvich, Piotr est dĂ©cĂ©dĂ© en 1918 (ou en 1919) du typhus, alors quâil Ă©tait au Turkestan, soldat de lâArmĂ©e rouge. Vladimir, nĂ© en 1890, est dĂ©cĂ©dĂ© Ă Moscou en 1979, Ă 89 ans.
Dans lâenfance de Boukharine, il y a trois moments.
Pendant quatre ans et demi, jusquâĂ lâĂ©tĂ© 1893, il vit Ă Moscou dans un bĂątiment situĂ© juste derriĂšre lâĂ©cole oĂč travaillaient ses parents. Câest un enfant trĂšs Ă©veillĂ© (il sait lire et Ă©crire Ă quatre ans et demi), choyĂ© par sa famille, curieux de tout, mais surtout de sciences naturelles sous lâinfluence de son pĂšre. Cette passion ne le quittera pas.
Pendant les quatre annĂ©es suivantes, la famille sâinstalle en Bessarabie, Ă Beltsy (BÄlÈi, dans lâactuelle Moldavie) dans le gouvernement de Kichinev (Chisinau, dans lâactuelle Moldavie). Ivan Gavrilovitch a dĂ» quitter lâĂ©cole moscovite oĂč il enseignait aprĂšs un conflit avec un collĂšgue et il a obtenu un poste dâinspecteur des impĂŽts dans ce gouvernement des confins ouest de lâEmpire Russe. Assez rapidement, la carriĂšre de fonctionnaire dâIvan Gavrilovitch sera compromise : il est rejetĂ© par les riches Russes qui lui reprochent, entre autre, de ne pas faire peur aux Juifs⊠Le contrat sera rompu avant son terme, en 1897. Pour NikolaĂŻ, cette pĂ©riode provinciale est un moment oĂč il continue Ă observer le monde et la nature, sans vĂ©ritables contraintes scolaires. Il dessine dĂ©jĂ beaucoup. Il se fait des amis. Il prend goĂ»t Ă lâautonomie.
La situation de la famille Boukharine Ă son retour Ă Moscou est devenue prĂ©caire. Ivan ne trouvera pas de travail stable pendant deux ans. Il faudra changer plusieurs fois de logement, les dettes sâaccumuleront, les enfants, dont le nombre sâaccroit (ils seront un moment au moins cinq) devront porter des vĂȘtements usagĂ©s, etc. Cette expĂ©rience dâune misĂšre relative est balancĂ©e par les succĂšs scolaires de Kolia qui frĂ©quente enfin rĂ©guliĂšrement lâĂ©cole Ă©lĂ©mentaire (il a dĂ©jĂ neuf ans !). Un des Ă©vĂ©nements les plus marquants est sa participation Ă une cĂ©rĂ©monie en lâhonneur du centenaire de Pouchkine (en 1899), pour laquelle il peint et expose un portrait du poĂšte et dĂ©clame le poĂšme « Aux calomniateurs de la Russie »[3]. Il recevra en sortant un diplĂŽme de « meilleur Ă©lĂšve », mais, pour ĂȘtre admis au Premier lycĂ©e classique de Moscou, il devra attendre un an : il fallait apprendre le latin et prĂ©parer un examen. La curiositĂ© et lâappĂ©tit de culture de NikolaĂŻ restent insatiables : il lit toute la bibliothĂšque de son pĂšre (notamment tout MoliĂšre), il rĂ©cite par cĆur des poĂšmes, il apprend la peinture Ă lâhuile et visite rĂ©guliĂšrement la galerie Tretiakov, etc. Au gimnaziya [lycĂ©e], comme il le dit dans son autobiographie de 1925, il obtient « presque toujours 5, la meilleure note » sans faire aucun effort : il lui suffit de « cinq Ă dix minutes avant lâarrivĂ©e du professeur » pour savoir la leçon. Cette pĂ©riode est aussi marquĂ©e par deux Ă©vĂ©nements dramatiques : le dĂ©cĂšs de Katia, la plus jeune sĆur, quelques mois aprĂšs sa naissance et surtout la mort brutale dâAndreĂŻ, sept ans, qui la veille, avait fait une chute en jouant avec NikolaĂŻ. BouleversĂ©, parce quâil se croit responsable de lâaccident, il est si dĂ©primĂ© quâil tente de se pendre. Il sortira de cette Ă©preuve en ayant dĂ©finitivement perdu la foi religieuse[4].
Premiers engagements politiques (dĂšs 1904)
Câest au lycĂ©e que commence sa vie politique, mais pas tout de suite (il nâa que treize ans !). Il connait dâabord trois ans de succĂšs scolaire. Mais lâatmosphĂšre politique change en Russie et elle change aussi au lycĂ©e. Les Ă©lĂšves ont des projets de magazine scolaire qui sont censurĂ©s ; des cercles de discussion se forment ; on y discute des idĂ©es de Pissarev, du populisme des socialistes rĂ©volutionnaires et du marxisme des sociaux-dĂ©mocrates. NikolaĂŻ participe Ă cette vie politique dĂšs lâĂąge de seize ans (en 1904) avec un nombre impressionnant de jeunes gens qui se retrouveront tout au long de lâhistoire de la rĂ©volution (parmi eux : Sokolnikov et Ehrenburg).
Dans sa brĂšve autobiographie de 1925, Boukharine Ă©voque cette rencontre avec la littĂ©rature « illĂ©gale » et comment il a dâabord adhĂ©rĂ© intellectuellement au marxisme : « Au dĂ©but, la lecture de la thĂ©orie Ă©conomique me laissa une impression pĂ©nible. AprĂšs le beau et le magnifique, « câĂ©tait marchandise-valeur-marchandise » [traduction douteuse, la traduction allemande donne : argent ââ marchandise ââ argent !]. Mais pĂ©nĂ©trant in medias res dans la thĂ©orie marxiste, jâen ressentis lâinhabituelle harmonie logique. Je dois dire que câest sans doute ce trait qui mâinfluença plus que tout. Les thĂ©ories des « socialistes-rĂ©volutionnaires » me paraissaient de la pure bouillie. Les libĂ©raux que je connaissais mâinspiraient justement lâenvie de protester violemment contre le libĂ©ralisme »[5].
Boukharine est encore au lycĂ©e quand survient le mouvement rĂ©volutionnaire de 1905. « Naturellement », dit-il, il participe aux meetings et aux manifestations avec les Ă©tudiants de lâuniversitĂ© de Moscou qui encadraient les cercles de lycĂ©ens. En 1906, son choix est fait et il est officiellement admis dans la fraction bolchevique du POSDR[6]. Il a presque dix-huit ans et il participe trĂšs vite au travail politique clandestin du parti : au moment des examens de fin dâĂ©tude (son abitur, obtenu le 4 juin 1907, avec les meilleures notes dans toutes les matiĂšres) il anime avec Ilya Ehrenbourg une grĂšve dans la fabrique de papiers peints Sladkov[7].
Des Ă©tudes supĂ©rieures Ă©courtĂ©es par la rĂ©pression et lâexil (1907-1910)
Boukharine choisit en 1907, dâĂ©tudier lâĂ©conomie Ă la facultĂ© de droit de lâUniversitĂ© de Moscou. Il dit lui-mĂȘme que ces Ă©tudes servaient de couverture Ă son travail politique clandestin. Mais, dâaprĂšs son livret universitaire, pour les 9 examens quâil passe entre mai 1908 (histoire de la philosophie) et septembre 1910 (thĂ©orie des probabilitĂ©s) il obtient cinq mentions « trĂšs bien » et quatre « bien »[8]. Boukharine nâavait pas perdu sa capacitĂ© de rĂ©ussite scolaire.
Son activitĂ© et ses responsabilitĂ©s politiques prennent de lâampleur. Ainsi, avec Grigori Sokolnikov, il organise en 1907 un congrĂšs de la jeunesse et des Ă©tudiants sociaux-dĂ©mocrates. Dans sa vingtiĂšme annĂ©e, en 1908, il est cooptĂ© comme membre du ComitĂ© du Parti de Moscou (il sera confirmĂ© un an plus tard)[9]. Dans cette pĂ©riode difficile de reflux aprĂšs les grands mouvements de 1905, il y a beaucoup de dĂ©bats entre tendances et dans chaque tendance chez les sociaux-dĂ©mocrates. Boukharine, pour sa part, dit quâil est restĂ© constamment bolchevik « orthodoxe », câest-Ă -dire, ni « otzoviste » (partisan du rappel des dĂ©putĂ©s), ni « conciliateur » ou « liquidateur »[10]. Il nâapprouve donc pas les choix politiques dâAlexandre Bogdanov qui est partisan du boycott de la Douma, mais il se passionne pour ses travaux philosophiques, sociologiques et littĂ©raires que rejettent Plekhanov et LĂ©nine. Enfin, il fera partie des premiers militants qui soupçonneront Roman Malinovski (le chef des dĂ©putĂ©s bolcheviks Ă la Douma) dâĂȘtre un agent de lâOkhrana.
De fait, il a Ă©tĂ© rapidement pistĂ© par la police politique et ses indicateurs. Sa position est devenue assez vite intenable, ne lui laissant plus que le choix entre lâexil loin de la Russie ou le bagne. Sa premiĂšre arrestation a lieu le 23 mai (5 juin) 1909, lors dâune rĂ©union de dix membres du ComitĂ© du Parti dans un appartement. Il est mis en prison dans des cellules surpeuplĂ©es, mais il est libĂ©rĂ© le 10 (23) juillet. LâOkhrana veut le prendre en filature et trouver dâautres militants⊠NikolaĂŻ Ivanovitch profite de sa libertĂ© pour passer un examen dâhistoire du droit romain le 28 aoĂ»t (10 septembre). Il est Ă nouveau arrĂȘtĂ© le 12 (25) novembre et passe trois mois en cellule au poste de police de lâArbat. LâOkhrana de Moscou enquĂȘte sur le club ouvrier dont il est un organisateur et qui sera fermĂ© en juin 1910. Il profite dâun nouveau moment de libertĂ© pour passer deux examens (droit international et histoire des faits Ă©conomiques) les 26 et 28 avril (9 et 11mai) 1910.Il participe aussi Ă lâorganisation dâune manifestation Ă©tudiante (3000 personnes) et Ă la rĂ©daction de 3 ou 4 numĂ©ros dâun journal des syndicalistes. Câest Ă cette Ă©poque quâil rencontre (trois fois) le dĂ©putĂ© Ă la Douma Roman Malinovski. Il passe encore deux examens de statistiques et thĂ©orie des probabilitĂ©s les 15 et 28 septembre (28 septembre et 11 octobre).
Le 19 dĂ©cembre 1910 (1er janvier 1911) Boukharine est arrĂȘtĂ© une troisiĂšme fois. LâOkhrana veut empĂȘcher une manifestation prĂ©vue pour le 9 (22) janvier. Cette fois, il est exclu de lâUniversitĂ© et il reste longtemps en prison (prĂšs de six mois). En soudoyant les gardiens du poste de police oĂč il est enfermĂ© pendant trois mois, il peut recevoir des visites et lire des livres. Il nargue les surveillants en dessinant et redessinant des portraits de Marx sur les murs des cellules. Câest lĂ quâil est informĂ© des soupçons de quatre codĂ©tenus sur la trahison de Malinovski. AprĂšs un transfert Ă la prison de Boutyrka, il espĂšre dâabord quâil sera relĂ©guĂ© dans la rĂ©gion dâArkhangelsk et fait des projets pour sây installer avec sa cousine et camarade du parti, Nadejda Mikhailovna Loukina. Il lâĂ©pousera en 1911, Ă une date inconnue de ses biographes, sans doute sans cĂ©rĂ©monies, peut-ĂȘtre au moment oĂč, aprĂšs versement dâune caution, il obtient dâorganiser lui-mĂȘme son voyage vers Onega, prĂšs dâArkhangelsk. Comprenant que la justice tsariste va le condamner au bagne, il a changĂ© ses plans : il part pour lâexil intĂ©rieur en profitant dâune semi-libertĂ© (le 21 juin) pour sâĂ©vader au plus tĂŽt (il disparaĂźt dâOnega le 30 aoĂ»t).
Il Ă©chappe ainsi au procĂšs de lâorganisation de Moscou du POSDR (novembre-dĂ©cembre 1911) oĂč plusieurs de ses camarades dâarrestation sont condamnĂ©s jusquâĂ 6 ans de bagne. La police le recherche depuis le 21 octobre, mais elle ne saura jamais quâil est dâabord revenu Ă Moscou pour se cacher dans la maison dâĂ©tĂ© dâun ami. Il a attendu dâavoir un vrai passeport avec un nom dâemprunt : Orlov. Il a pu alors partir pour lâAllemagne. Les lettres quâil Ă©change avec son Ă©pouse avant de partir montre quâil sâinquiĂšte pour son pĂšre : quelques mois auparavant, Ivan Gavrilovitch avait obtenu un poste dans lâadministration (conseiller judiciaire, la septiĂšme classe des quatorze classes de la fonction publique de lâEmpire). Finalement, le pĂšre ne sera pas puni pour les fautes du fils.
Hanovre â Allemagne (octobre 1911 â dĂ©but de 1912 ?)
Boukharine alias Orlov rĂ©apparaĂźt Ă Hanovre, dĂ©but octobre 1911, chez NikolaĂŻ Yakovlev, un exilĂ© rĂ©cent quâil a connu au lycĂ©e et qui est le frĂšre dâune camarade du ComitĂ© du parti de Moscou, Varvara Yakovleva[11]. Il y reste peu de temps parce quâil ne trouve pas de travail ; parce quâil nây a pas assez de livres dans les bibliothĂšques du SPD local et parce que Nadejda, en mauvaise santĂ©, ne peut pas le rejoindre[12].
Nervi â Italie (mai â juin 1912)
Il dĂ©cide de partir pour lâAutriche, en passant par lâItalie. On ne connaĂźt pas le dĂ©tail de ses Ă©tapes, mais le fait essentiel quâa dĂ©couvert Hedeler est la correspondance quâil Ă©change avec Plekhanov entre mai et juin 1912[13]. DâaprĂšs la lettre que Boukharine Ă©crit Ă Plekhanov vers le 20 mai, les deux hommes se sont briĂšvement rencontrĂ©s Ă Nervi (prĂšs de GĂȘnes), chez le Dr Mandelberg, un ancien dĂ©putĂ© Ă la Douma. Plekhanov, alias Beltov, a permis Ă ce jeune bolchevik de lui Ă©crire et câest ce quâil fait. Il lui envoie le texte dâun article quâil propose Ă la revue Prosvechtchenie (« LumiĂšres ») et il prĂ©sente son projet dâĂ©tudier « les Ă©coles les plus rĂ©centes en Ă©conomie politique, lâĂ©cole autrichienne, lâorientation "mathĂ©matique", etc... ». Il demande un avis sur ses Ă©crits et des conseils. Plekhanov a accusĂ© rĂ©ception de cette lettre, mais il ne semble pas avoir envoyĂ© plus de commentaires. Hedeler note, cependant que Kautsky a Ă©crit Ă Plekhanov pour avoir des informations sur ce Boukharine inconnu qui proposait un article Ă la Neue Zeit. La rĂ©ponse nâa pas Ă©tĂ© retrouvĂ©e, mais Plekhanov Ă©tait en mesure de donner un avis et lâarticle (« Une Ă©conomie sans valeur », contre Tougan-Baranovsky) a Ă©tĂ© publiĂ©.
Zakopane â Pologne autrichienne (juillet â aoĂ»t 1912)
Boukharine sĂ©journe dans cette ville de cure pour recevoir sa femme, nous dit Hedeler[14]. Les informations sur la vie familiale de Boukharine sont trĂšs fragmentaires et imprĂ©cises. Nadejda Mikhailovna lâa rejoint Ă un moment pendant sa pĂ©riode dâexil en Autriche-Hongrie, entre ce sĂ©jour Ă Zakopane (si elle y est bien arrivĂ©eâŠ) et son dĂ©part de Vienne pour la Russie, le 12 juillet 1913. Ils se retrouveront encore en Suisse, un an plus tard, aprĂšs le dĂ©but de la guerre, mais la maladie de Nadejda la contraindra Ă repartir vers la Russie via la SuĂšde Ă lâĂ©tĂ© 1915. Selon Hedeler, les Ă©poux se seraient encore retrouvĂ©s Ă Copenhague (briĂšvement) Ă lâĂ©tĂ© 1916.
Chemnitz â Allemagne (CongrĂšs de SPD, septembre 1912)
Boukharine fait partie de la délégation du POSDR(b) conduite par Kamenev qui assiste au CongrÚs des camarades Allemands[15]. Il a la charge de faire des comptes rendus pour la presse bolchevique. Ils paraßtront dans la Pravda. Il se fait connaßtre des rédacteurs de journaux et revues. Il espÚre y publier des articles rémunérés.
Cracovie â Pologne autrichienne (rencontre avec LĂ©nine, automne 1912)
AprĂšs Chemnitz, Boukharine revient Ă Vienne. Mais il fait aussi, Ă lâautomne (il nây a pas dâautre prĂ©cision de date), une visite Ă LĂ©nine et KroupskaĂŻa qui rĂ©sident Ă Cracovie. LĂ©nine et sa femme ont dĂ©jĂ entendu parler dâun Orlov qui fait « de beaux dessins des montagnes de Zakopane », ils savent quâil a assistĂ© au CongrĂšs de SPD, ils le reçoivent avec plaisir et discutent de politique et de peinture[16]. Boukharine Ă partir de cette rencontre sera un correspondant rĂ©gulier de la presse bolchevique et de LĂ©nine qui apprĂ©cie positivement ce « jeune homme de lettres inexpĂ©rimentĂ© ».
Vienne â Autriche (automne 1912 â Ă©tĂ© 1914)
Entre le 31 octobre 1912 et le 15 mai 1914, les registres oĂč les habitants de Vienne devaient indiquer leur domicile donnent 6 adresses pour NikolaĂŻ Ivanovitch. Câest la plus longue Ă©tape (plus de 18 mois) de son exil. MalgrĂ© lâinstabilitĂ© de sa situation que reflĂšte le nombre de ses dĂ©mĂ©nagements, câest lĂ quâil peut le mieux combiner ses diverses activitĂ©s.
Il a le projet de poursuivre des Ă©tudes dâĂ©conomie : il pourrait passer quelques examens Ă Vienne et prĂ©parer ensuite un doctorat en Allemagne ou en Suisse. Les cours et confĂ©rences quâil faut suivre pour passer les examens sont payants, mais il espĂšre recevoir des fonds de son pĂšre et gagner un peu dâargent avec ses articles ou de petits travaux dâĂ©dition. Ce plan nâa pas complĂštement rĂ©ussi. Il peut suivre quelques cours, notamment de Böhm-Bawerk, GrĂŒnberg ou Wieser, les maĂźtres de lâĂ©cole Autrichienne dâĂ©conomie politique, mais aprĂšs un semestre (hiver 1912-1913) il ne peut plus sâinscrire faute dâargent. Il ne passera pas dâexamens, mais il continuera Ă frĂ©quenter les bibliothĂšques. En fait, il est dĂ©jĂ engagĂ© dans la rĂ©alisation de ses projets de publication personnelle, comme il lâannonçait dans sa lettre Ă Plekhanov. LâĂ©tude des Ă©coles « autrichienne » et « mathĂ©matique » aboutira Ă la rĂ©daction de LâĂconomie politique du rentier, une critique approfondie du marginalisme nĂ©o-classique, prĂȘte dĂšs lâautomne 1914, mĂȘme si sa publication attendra 1919.
Boukharine a aussi entrepris un tour dâhorizon critique des auteurs qui jouent un rĂŽle important dans les dĂ©bats intellectuels Russes du moment. Il sâintĂ©resse particuliĂšrement Ă Tougan Baranovsky, StrouvĂ©, Oppenheimer et Ć tokman. Il Ă©crit quatre essais sur ces auteurs proches du marxisme et donc cibles prioritaires dâun critique marxiste orthodoxe. Avant dâĂȘtre publiĂ©s en 1913-1914, ils sont lus et relus : LĂ©nine proposera et obtiendra des coupures dans lâarticle sur StrouvĂ© ; le rĂ©dacteur de la Neue Zeit, Eckstein, fera changer le titre de lâarticle sur Tougan Baranovsky.
Les annĂ©es qui prĂ©cĂšdent la guerre sont trĂšs riches pour le marxisme naissant. Une publication « austro-marxiste », Le capital financier dâHilferding, intĂ©resse particuliĂšrement Boukharine. Il dĂ©vore et assimile complĂštement ce livre publiĂ© en 1910, quâil a pu emprunter Ă Riazanov. DĂšs sa publication en 1913, Boukharine lit aussi Lâaccumulation du capital de Rosa Luxemburg, et prĂ©pare une revue trĂšs critique. Cette premiĂšre rĂ©action restera dans les cartons, mais elle refera surface en 1924, quand Boukharine entreprendra une critique thĂ©orique du luxemburgisme (et, accessoirement, de Tougan Baranovsky) dans LâimpĂ©rialisme et lâaccumulation du Capital.
Pour complĂ©ter le tableau des activitĂ©s de recherche qui font de Boukharine un jeune savant prometteur, on peut ajouter quâil a aussi collaborĂ© avec Riazanov Ă toute sorte de travaux dâĂ©dition dâĆuvres de Marx et Engels. Il avait ainsi rencontrĂ© lâun des meilleurs connaisseurs des pĂšres fondateurs du marxisme.
Boukharine nâest pas seulement un exilĂ© studieux ; il est aussi un gentil camarade, trĂšs apprĂ©ciĂ© dans la communautĂ© des jeunes rĂ©volutionnaires viennois. Sa personnalitĂ© est sĂ»rement remarquable : Rosa Meyer-Levine se rappellera de lui comme quelquâun ayant plus lâapparence « dâun saint que dâun rebelle », comme le prince Mychkine dans Lâidiot de DostoĂŻevski[17]. Nadejda KroupskaĂŻa, qui passe le voir en juin 1913, se souvient quâil avait confondu le sel et le sucre en prĂ©parant un potage âŠ[18]
Vienne, avant 1914, est un lieu de passage des exilĂ©s Russes errant dans le monde et Boukharine en croisera beaucoup, notamment Trotsky et Staline. Lev Trotsky, en ce temps lĂ , Ă©tait considĂ©rĂ© comme un adversaire par les bolcheviks et les deux hommes nâont pas eu beaucoup de contacts. Staline, de son cĂŽtĂ©, a fait Ă Vienne un passage assez bref quand, aprĂšs une de ses Ă©vasions des bagnes russes, il est venu participer Ă une rĂ©union du comitĂ© central bolchevik Ă Cracovie. Comme Staline pendant ce sĂ©jour sâĂ©tait occupĂ© de prĂ©parer et de rĂ©diger une Ă©tude sur le marxisme et la question nationale, Trotsky, dans une Ă©tude sur Staline publiĂ©e en 1941[19] , a reconstituĂ© comment LĂ©nine aurait pu inspirer cet article et Boukharine fournir la documentation en insufflant un peu de sa tendance au « pĂ©dantisme »⊠Hedeler considĂšre cette reconstruction tardive comme une « histoire en soi »[20]. Boukharine a certainement rencontrĂ© Koba au dĂ©but de 1913, il lâa peut-ĂȘtre aidĂ© pour rĂ©unir des traductions en russe (dĂ©jĂ publiĂ©es) des textes allemands utiles, mais pendant les deux semaines oĂč le texte de Staline a Ă©tĂ© rĂ©visĂ© Ă la demande de la rĂ©daction de la revue « LumiĂšres », Boukharine Ă©tait alitĂ© avec une trĂšs forte fiĂšvre. Aucun document des archives de Boukharine ne rĂ©vĂšle une coopĂ©ration entre Staline et Boukharine en 1913[21]. Enfin, lorsque Boukharine sâest exprimĂ© sur la question nationale, en 1915, il Ă©tait alors sur une position aussitĂŽt contestĂ©e par LĂ©nine et trĂšs diffĂ©rente de celle de Staline.
Dans cette pĂ©riode dâavant guerre, Boukharine, en fait, nâa quâun seul point dâaccrochage avec la direction extĂ©rieure du parti bolchevik : il ne parvient pas Ă convaincre LĂ©nine et Zinoviev que Malinovski est un policier infiltrĂ©. La question est pourtant posĂ©e de tout cĂŽtĂ©, Malinovski lui-mĂȘme sâest dĂ©mis de ses responsabilitĂ©s en mai 1914 et une commission sâest rĂ©unit en juin pour tenter de faire la lumiĂšre. DâaprĂšs les souvenirs de N. KroupskaĂŻa, Boukharine et Elena Rozmirovitch donnent leurs tĂ©moignages, mais Bourtzev les contredit. La commission, dont LĂ©nine Ă©tait membre, conclura Ă lâabsence de preuve[22].
Ă lâĂ©tĂ© de 1914, Boukharine envisage de partir en Suisse oĂč sa femme le rejoindrait. Les Ă©vĂ©nements vont bousculer ses plans. Il se repose en juillet Ă Lunz am See (basse Autriche) quand il est arrĂȘtĂ© comme « espion russe » et enfermĂ© dans une forteresse. La guerre est imminente et lâAutriche Hongrie pourchasse dĂ©jĂ les ressortissants Russes. Une intervention de dirigeants sociaux dĂ©mocrates Autrichiens, au bout de quelques jours, va lui permettre de partir en Suisse et de sâinstaller Ă Baugy, prĂšs de Lausanne. LĂ©nine, lui, est arrĂȘtĂ© en aoĂ»t et ira Ă Zurich.
Lausanne â Suisse (aoĂ»t 1914 â aoĂ»t 1915)
Ă Baugy, Boukharine rejoint NikolaĂŻ Krylenko, Alexandr Trojanovski et Elena Rozmirovitch. Ă lâautomne 1914, le groupe de Baugy envisage de faire paraĂźtre Ă Zurich une nouvelle revue, Zvezda (LâEtoile). LĂ©nine et Zinoviev sây opposent : un deuxiĂšme journal, en plus du Sotsial-Demokrat quâils contrĂŽlent, signifie une deuxiĂšme ligne dans le parti. Le groupe de Baugy que Gueorgi Piatakov et Evgenia Bosch ont rejoint, commence ainsi une pĂ©riode de relations difficiles avec la direction extĂ©rieure du POSDR(b).
LâidĂ©e dâune revue nouvelle est provisoirement reportĂ©e, mais un nouvel incident se produit Ă la confĂ©rence des sections Ă©trangĂšres du POSDR(b) rĂ©unie Ă Berne (27 fĂ©vrier - 4 mars 1915).
Les bolcheviks exilĂ©s qui ont dĂ» trouver refuge en Suisse ou dans des pays encore neutres, comme la Scandinavie ou les Ătats-Unis, sont dâaccord avec LĂ©nine pour lancer un appel Ă transformer la guerre impĂ©rialiste en guerre civile. Boukharine et ses amis veulent cependant faire entendre leur voix. Ils proposent des « thĂšses » oĂč ils dĂ©fendent la combinaison du slogan de la guerre civile avec ceux de la paix et des Ătats-Unis dâEurope. Par contre ils rejettent le slogan de la dĂ©faite de la Russie, mĂȘme en la prĂ©sentant comme « un moindre mal ». Enfin ils souhaitent un accord avec les sociaux-dĂ©mocrates les plus internationalistes comme Trotsky. En outre, Boukharine soutient que « le centre de gravitĂ© de la lutte du prolĂ©tariat doit se dĂ©placer de la sphĂšre des luttes en faveur des revendications dĂ©mocratiques gĂ©nĂ©rales vers la sphĂšre des revendications socialistes du prolĂ©tariat ». Il met cependant la Russie Ă part : les slogans dĂ©mocratiques y sont toujours au « centre de gravitĂ© », sauf le droit des nations Ă lâautodĂ©termination qui devient utopique dans les limites du capitalisme[23]. Le groupe de Baugy reste isolĂ© pendant la ConfĂ©rence et Boukharine obtient seulement de participer Ă la commission de synthĂšse qui reprendra les thĂšses de LĂ©nine, votĂ©es finalement Ă lâunanimitĂ©.
MalgrĂ© ces dĂ©saccords les relations du groupe de Baugy avec LĂ©nine vont sâamĂ©liorer parce que, pendant quelques mois, ils vont travailler ensemble au lancement dâune nouvelle revue portant le nom de Kommunist. En fait, LĂ©nine et Zinoviev nâont plus dâargent alors que Trojanovsky en a un peu. Boukharine participe Ă lâentreprise en proposant une « esquisse » de son nouveau projet de recherche : LâĂ©conomie mondiale et lâimpĂ©rialisme. Lâarticle paraĂźtra en septembre 1915, dans le no 1-2 de Kommunist (le seul Ă©ditĂ©), avec une nouvelle version des « thĂšses » Ă©crites avec Piatakov et Bosch sur le slogan du droit des nations Ă lâautodĂ©termination.
Mais Ă cette date, Boukharine a dĂ©jĂ quittĂ© la Suisse pour se rendre en SuĂšde. Il fait ce voyage pour accompagner son Ă©pouse, Nadejda Mikhailovna qui a dĂ©cidĂ© de retourner en Russie pour soigner son diabĂšte. Les biographes de Boukharine ne disent pas quand Nadejda Mikhailovna est arrivĂ©e en Suisse, mais des lettres de Boukharine citĂ©es par Hedeler nous apprennent que pour payer les soins exigĂ©s par la maladie de sa femme NikolaĂŻ Ivanovitch a dĂ» donner des leçons de mathĂ©matiques et que, lorsque son Ă©tat se dĂ©grade et quâelle dĂ©cide de repartir en Russie, il sollicite tous ses amis et connaissances pour trouver 100 francs (suisses).
Stockholm â SuĂšde (EtĂ© 1915 â printemps 1916)
Muni dâun passeport au nom de Dolgolevsky (Moshe), N. I. et N. M. doivent passer par la France et lâAngleterre[24] pour arriver Ă Stockholm. Non sans difficultĂ©s : Boukharine est emprisonnĂ© quelques jours Ă Newcastle. Il nây a aucune information sur la date et les conditions du dĂ©part de Nadejda vers la Russie, mais Boukharine, seul ou â un moment â avec son Ă©pouse, sâintĂšgre rapidement au milieu des rĂ©fugiĂ©s russes (il rencontre Larine, alors menchevik de gauche et retrouve Chliapnikov, qui vient organiser les bolcheviks des pays scandinaves). Il collabore aussi activement au journal des « jeunes » sociaux-dĂ©mocrates suĂ©dois internationalistes, Stormklockan (il devient un ami dâHöglund).
Les rĂ©fugiĂ©s nâont pas le droit de participer Ă la vie politique suĂ©doise et lorsque des policiers identifient Boukharine parmi les participants Ă un congrĂšs anti guerre organisĂ© par Höglund, il est arrĂȘtĂ© (23 mars 1916). Il est emprisonnĂ© un peu plus de cinq semaines pour ĂȘtre expulsĂ© le 28 avril vers la NorvĂšge. Branting, le chef des sociaux-dĂ©mocrates suĂ©dois, est intervenu en faveur de sa libĂ©ration Ă la demande des bolcheviks (Chliapnikov et Zinoviev) et de Kautsky qui voyait en lui un auteur de la Neue Zeit et « un trĂšs bon garçon, auquel on ne peut reprocher que du bolchevisme »[25] âŠ
Kristiania (Oslo) â NorvĂšge (printemps 1916 â juillet 1916)
Boukharine reste trois mois Ă Oslo et ses biographes se plaignent dâavoir peu dâinformations : la police nâavait pas constituĂ© de dossier sur lui⊠Il a Ă©tĂ© expulsĂ© avec Piatakov et Bosch et câest avec eux quâil loue un grenier. Il rencontre le social-dĂ©mocrate norvĂ©gien Hansen[26] et Ă©crit des articles pour la presse locale (Klassekampen et Politiken).
Le fait essentiel est quâau cours des premiers mois de 1916 les relations avec LĂ©nine et Zinoviev prennent un tour de plus en plus polĂ©mique. La prĂ©paration dâun no 3 du Kommunist nâa pas pu aboutir. LĂ©nine a rĂ©agi trĂšs vivement contre les idĂ©es de Piatakov et de ses amis sur la question nationale et contre les initiatives des « japonais » (câest un nom quâil donne au groupe de Baugy) quâil juge contraires Ă la discipline du parti. Il ne veut plus avoir affaire avec « Kievski » (Piatakov).
Le cas de Boukharine est un peu diffĂ©rent. Les fragments des correspondances qui ont Ă©tĂ© conservĂ©s montrent une volontĂ© de coopĂ©ration rĂ©ciproque. Par rapport au programme des bolcheviks, Boukharine voulait, par exemple, « ouvrir une discussion » sur les rĂŽles respectifs pendant la rĂ©volution future dâun gouvernement rĂ©volutionnaire socialiste et dâune AssemblĂ©e Ă©lue dĂ©mocratiquement, mais il Ă©tait dâaccord avec lâobjectif dâune prise du pouvoir directe des socialistes. Sur la question de lâimpĂ©rialisme la convergence Ă©tait revendiquĂ©e : Boukharine avait confiĂ© le manuscrit complet de LâĂ©conomie mondiale et lâimpĂ©rialisme Ă LĂ©nine pour quâil rĂ©dige une prĂ©face (ce quâil a fait en janvier 1916, en saluant la « valeur scientifique » de ce travail, et il en a profitĂ© pour consacrer quatre des sept paragraphes de cette prĂ©face Ă une critique du surimpĂ©rialisme de Kautsky).
LĂ©nine avait dĂ©cidĂ© dâĂ©diter un Recueil du Social-dĂ©mocrate Ă la place du Kommunist et Boukharine devait fournir un article sur lâimpĂ©rialisme. Câest cet article qui va cristalliser le conflit. En juillet 1916, quand LĂ©nine reçoit le texte de Vers une thĂ©orie de lâĂtat impĂ©rialiste[27] , il le refuse immĂ©diatement. Il y voit la confirmation dâun grave dĂ©saccord sur la question de LâĂtat. Comme il le pressentait, Boukharine est un semi-anarchiste qui veut dĂ©truire trop vite lâĂtat au cours mĂȘme de la rĂ©volution. Boukharine, en effet, ne se contente pas de dĂ©crire le dĂ©veloppement de lâappareil Ă©tatique du capitalisme dâĂtat, il dit que la rĂ©volution doit le briser avant de reconstruire lâĂtat de la dictature du prolĂ©tariat. LĂ©nine, plus intransigeant que Zinoviev Ă ce moment-lĂ , refuse « dâouvrir une discussion » et se charge dâĂ©crire une lettre de refus. Boukharine la recevra Ă Copenhague.
Copenhague â Danemark (juillet 1916 â octobre 1916)
La brĂšve lettre de LĂ©nine Ă©crite en aoĂ»t [28] est trĂšs peu explicite. Elle empile les motifs de refus. MatĂ©riellement, il nây a plus de place dans le numĂ©ro ; une partie du texte est trop superficielle ; une autre est publiable dans une revue lĂ©gale ; enfin viennent des reproches : les citations dâEngels sont coupĂ©es, LĂ©nine demande quel est le sens de quatre expressions (elles contiennent visiblement des mots empruntĂ©s Ă Bogdanov comme « sociologie », « organisation » et « gĂ©nĂ©rale ») et la distinction entre marxistes et anarchistes sur le problĂšme de lâĂtat est « absolument inexacte ». Conseil final : remaniez et publiez la partie « lĂ©gale », « laissez mĂ»rir le reste ».
Boukharine rĂ©agit trĂšs vivement Ă cette lettre et Ă un courrier de Zinoviev oĂč il est question de son « semi-anarchisme ». Sa lettre a disparu, mais LĂ©nine lui fait Ă©cho dans une lettre plus longue et plus « douce » du 14 octobre 1916[29]. Boukharine sâindigne parce que ses correspondants le prennent pour un adversaire de tout programme minimum, critiquent son semi-anarchisme comme sâil ignorait la nĂ©cessitĂ© de lâĂtat de la dictature du prolĂ©tariat et lâaccusent de couper dans ses citations sans lui dire oĂč et quoi⊠LĂ©nine veut arrondir les angles et garder de bonnes relations avec Boukharine qui est sur le point de partir vers les USA. Il compte sur lui pour renforcer ses contacts avec les exilĂ©s dâAmĂ©rique. Il lui dit combien il lâapprĂ©cie (Ă sa « juste valeur »), et quâil serait « content si la polĂ©mique ne se poursuivait quâavec Kievski », mais, mĂȘme dans une lettre « douce », il ne peut pas sâempĂȘcher de le rĂ©primander sur un ton paternel et magistral : « Vous ne raisonnez plus⊠Vous bouillonnez⊠Vous ratez la cible⊠». Il nie avoir parlĂ© dâhĂ©rĂ©sie ou de semi anarchisme [30] et il affirme quâil a indiquĂ© « archi prĂ©cisĂ©ment » les erreurs quâil a relevĂ©es (il en a donnĂ© une simple liste). Mais pour les citations, il ne dit toujours pas oĂč sont les « coupures » ! Finalement, relevant que Boukharine soutient que les phrases citĂ©es ne sont pas « passibles dâune autre interprĂ©tation » que la sienne, LĂ©nine Ă©crit : « Nous insistons justement sur lâ"interprĂ©tation" ». Il saute aux yeux que, pour lui, câest bien de leur interprĂ©tation que les citations litigieuses sont prĂ©tendument « coupĂ©es »⊠LâannĂ©e suivante LĂ©nine Ă©crira LâĂtat et la rĂ©volution et changera son interprĂ©tation.
Boukharine, Ă bord du navire qui lâemmenait en AmĂ©rique, le 21 octobre 1916, Ă©crivit lui aussi une lettre conciliante : il regrettait que leurs divergences dâopinion ne soient pas rĂ©solues, il lâaimait comme son maĂźtre et espĂ©rait quâil nây aurait pas de rupture entre eux. Mais il nâavait pas lâintention de renoncer Ă publier ses idĂ©es sur lâĂtat impĂ©rialiste et la nĂ©cessitĂ© de le briser au cours de la rĂ©volution.
Un aspect du sĂ©jour de Boukharine au Danemark reste obscur : Selon Hedeler, Nadejda Mikhailovna est venue Ă Copenhague pendant lâĂ©tĂ© 1916, mais il ne dit pas quand elle est repartie, ni oĂč⊠Ce qui semble certain, câest quâelle nâĂ©tait pas avec son Ă©poux quand il a dĂ» retourner Ă Kristiania-Oslo pour prendre son bateau et traverser lâAtlantique.
New York â Ătats-Unis (octobre-novembre 1916 â mars-avril 1917)
Le premier article de Boukharine dans le journal Novyj mir paraĂźt aussitĂŽt aprĂšs son dĂ©barquement, le 7 novembre 1916. Novyj mir est le quotidien de la section russophone du Socialist Party of America, il est dirigĂ© par le Dr Ingerman, un menchevik, et son rĂ©dacteur en chef est Novomirski, qui vient de lâanarcho-syndicalisme. Boukharine vient renforcer le groupe des rĂ©dacteurs bolcheviks. Le journal est ouvert Ă divers courants du socialisme et ce nouveau venu bolchevik est immĂ©diatement intĂ©grĂ©, comme le sera Trotsky (alors menchevik internationaliste) quand il dĂ©barquera en janvier 1917. DĂšs le 11 novembre, N. I. publie son second article, Un nouvel esclavage, oĂč il reprend ses idĂ©es sur la nĂ©cessitĂ© de briser lâĂtat impĂ©rialiste pendant la rĂ©volution. Novomirski rĂ©agit contre cette idĂ©e et, pendant un mois, Boukharine et son rĂ©dacteur en chef Ă©changeront leurs arguments sur ce sujet.
Sur la base des informations donnĂ©es par Hedeler, on peut tenter de prĂ©senter le dĂ©bat : Le rĂ©dacteur en chef du journal soutient que les socialistes doivent utiliser lâĂtat moderne et donc le conserver pour gouverner une Russie Ă©conomiquement peu dĂ©veloppĂ©e. Boukharine rĂ©pond dâabord en refusant la discussion : il rejette tous les arguments de Novomirski et lâaccuse de concevoir lâĂtat socialiste comme un Ătat sans classes. Or un Ătat de classe prolĂ©tarien ne peut Ă©tablir la Dictature du ProlĂ©tariat quâen brisant lâorganisation de la bourgeoisie (CQFD). Novomirski relance le dĂ©bat en observant que le jeune rĂ©dacteur bolchevik nâentend pas seulement « briser lâĂtat », il veut aussi « remettre les biens des trusts au peuple » : comment fera-t-on concrĂštement avec un Ătat "brisĂ©" ? Boukharine rĂ©pond et, finalement, expose plus clairement sa maniĂšre de penser. Ce qui est dĂ©terminant, câest la situation rĂ©volutionnaire mondiale. Dans la phase actuelle de lâhistoire du capitalisme, lâĂtat impĂ©rialiste a fusionnĂ© avec le grand capital dans une organisation unifiĂ©e qui ne pourrait guĂšre ĂȘtre amĂ©liorĂ©e et que la guerre a militarisĂ©e et rendue encore plus oppressive. Le conflit entre les « trusts capitalistes dâĂtat » est montĂ© jusquâĂ la guerre mondiale et ne peut se rĂ©soudre que dans une rĂ©volution socialiste mondiale. Hedeler remarque que, dans les articles de Novyj mir, Boukharine « part toujours de l'idĂ©e d'une exacerbation maximale et d'une rĂ©solution soudaine des contradictions dans une Ă©poque tumultueuse, erratique, catastrophique et conflictuelle ». Dans ce monde, il nây a aucun Ă©quilibre et la rĂ©volution ne le rĂ©tablira pas de sitĂŽt.
Sous rĂ©serve dâun accĂšs direct aux textes, on peut conclure des informations donnĂ©es par Hedeler que Novomirski semble comprendre deux choses : Boukharine pense, 1° que le capitalisme dâĂtat a socialisĂ© la production et la distribution des richesses dâune maniĂšre « qui ne peut guĂšre ĂȘtre amĂ©liorĂ©e » (par les socialistes) et, 2° que les socialistes doivent prendre le pouvoir (pour mettre fin Ă la guerre). Autrement dit : 1° il « absolutise et rend autonome l'Ă©tat de dĂ©veloppement le plus Ă©levĂ© d'une sociĂ©tĂ© » et, 2° il « coagule un processus historique en un point : le moment du renversement rĂ©volutionnaire ». Boukharine avait trouvĂ© un contradicteur compĂ©tent capable de dĂ©celer chez lui les traits dâun « mĂ©taphysicien rĂ©volutionnaire⊠qui nâa pas compris la mĂ©thode historique ».
LĂ©nine, qui est informĂ© de ce qui se passe Ă New York par A. KollontaĂŻ, fait un commentaire dans une lettre du 18 dĂ©cembre 1916 Ă I. Armand : « Nous avons encore reçu un numĂ©ro de Novyj mir de New York. Il y a lĂ une critique â hĂ©las, hĂ©las, juste ! â le malheur est quâun menchevik ait raison contre Boukharine !! »[31]
En fait, entre novembre et dĂ©cembre 1916, Boukharine mĂšne une vĂ©ritable campagne pour ses idĂ©es, celles que LĂ©nine, en aoĂ»t, lui avait recommandĂ© de « laisser mĂ»rir ». Sous la signature de Nota Bene, il publie Ă Zurich dans le no 6 de LâInternationale de la jeunesse (1er dĂ©cembre 1916, pp. 7-9) une version allemande abrĂ©gĂ©e de son article sur la thĂ©orie de lâĂtat impĂ©rialiste. Le mĂȘme texte, un peu plus coupĂ©, est repris, sous sa signature, dans le journal de BrĂȘme Arbeiterpolitik, 9 dĂ©cembre 1916, pp. 193-195.
LĂ©nine Ă©crit aussitĂŽt une note sur LâInternationale de la jeunesse pour le Recueil du Social-DĂ©mocrate de dĂ©cembre. Un « organe de la jeunesse », cela « va se soi » nâa « encore ni clartĂ© ni fermetĂ© thĂ©orique », mais il faut critiquer « en toute camaraderie » ses erreurs et en particulier celles de N-B... La premiĂšre « inexactitude » concerne la diffĂ©rence entre socialistes et anarchistes. LĂ©nine profite dâune coupure opĂ©rĂ©e par lâĂ©dition allemande dans le texte russe de Boukharine (quâil connait) et il lui reproche dâavoir « oubliĂ© lâessentiel » : « les socialistes veulent utiliser lâĂtat moderne » et la dictature du prolĂ©tariat est « aussi un Ătat ». Dans lâarticle original, Boukharine le disait aussi ! LĂ©nine dĂ©ment que les socialistes veuillent, comme les anarchistes, « abolir » lâĂtat, le « faire sauter » : selon lui, ils nâenvisagent quâun « dĂ©pĂ©rissement » graduel, « aprĂšs lâexpropriation de la bourgeoisie ». DeuxiĂšme reproche : N-B a Ă©crit « La guerre actuelle a montrĂ© combien lâidĂ©e dâĂtat a poussĂ© de profondes racines dans lâesprit des ouvriers ». VoilĂ une phrase « tout Ă fait confuse » pour exprimer comment la « politique opportuniste » sâest heurtĂ©e Ă la « politique social-dĂ©mocrate rĂ©volutionnaire ». LĂ encore, câest exactement cette opposition entre les deux politiques ouvriĂšres envers lâĂtat que Boukharine avait dĂ©veloppĂ©e dans le texte russe et rĂ©sumĂ©e dâune formule ironiquement « idĂ©aliste » dans lâabrĂ©gĂ© en allemand⊠LĂ©nine termine en annonçant « un article spĂ©cial » sur cette question « extrĂȘmement importante »[32]. Le « Cahier bleu » prĂ©paratoire de cet article inachevĂ© servira dans la rĂ©daction de LâĂtat et la rĂ©volution, pendant lâĂ©tĂ© 1917.
Boukharine, en moins de six mois, a publiĂ© 35 articles dans Novyj mir (il en enverra encore un de Moscou en aoĂ»t 1917). Il y dĂ©fend le point de vue bolchevik (dans sa propre version, comme nous lâavons vu). Il voudrait organiser une confĂ©rence des organisations et groupes socialistes dâAmĂ©rique pour faire sortir les internationalistes du Socialist Party of America et il intervient dans les dĂ©bats de ce parti qui, pour le moment, est le sien puisquâil est celui de ses lecteurs. Le 10 janvier 1917, par exemple, il attaque la direction de droite du SPA qui oublie que les vrais internationalistes sont dans le groupe de Zimmerwald[33]. Ses projets vont tourner court pour deux raisons. Le 13 janvier 1917, avec sa famille, Trotsky dĂ©barque Ă New York et il va avoir immĂ©diatement une influence dĂ©favorable Ă celle de Boukharine sur le milieu internationaliste New Yorkais. Moins de deux mois plus tard, câest le dĂ©but de la rĂ©volution russe et le signal du retour des exilĂ©s.
Boukharine accueille Trotsky chaleureusement[34] et veut lui montrer aussitĂŽt lâune des merveilles de la mĂ©galopole : une grande bibliothĂšque ouverte jusque tard le soir (oĂč Trotsky ira se documenter pour faire les 35 confĂ©rences quâun ami lui a programmĂ©esâŠ). DĂšs le 14 janvier, Trotsky participe Ă une rĂ©union dâune vingtaine de socialistes de gauche, dont Boukharine, pour discuter dâun « programme dâaction ». Boukharine en attendait lâaccĂ©lĂ©ration dâune scission des internationalistes zimmerwaldiens, mais Trotsky a dâautres idĂ©es : il y a encore une base ouvriĂšre Ă conquĂ©rir dans le SPA et il faudrait lancer une publication hebdomadaire. Trotsky est le plus convainquant. Un mois plus tard, le 17 fĂ©vrier, Ă une « confĂ©rence internationale des organisations et groupes socialistes » â celle que Boukharine voulait rĂ©unir â câest encore Trotsky qui est le plus influent et si la confĂ©rence dĂ©cide de rejoindre formellement la gauche de Zimmerwald, elle ne sâengage pas dans la conquĂȘte de la rĂ©daction de Novyj mir, comme Boukharine semble en avoir eu le projet [35]. Le 4 mars, alors que les USA vont entrer en guerre, Trotsky et Louis Fraina soutiendront une rĂ©solution de rĂ©sistance active Ă la mobilisation qui ne sera pas adoptĂ©e par la section de Manhattan du SPA. Boukharine, ce jour lĂ , est Ă Chicago.
En effet, fin février, Boukharine a mis en route, au nom de la rédaction de Novyj mir, une tournée de réunions publiques à Chicago et Detroit. La premiÚre a lieu le 4 mars, la derniÚre est prévue pour le 24 mars. La série sera interrompue par les nouvelles de Russie. Le 16 mars, les derniÚres réunions sont annulées et Boukharine revient à New York préparer son retour en Russie.
Wladislaw Hedeler (comme Pierre BrouĂ©, le biographe de Trotsky) sâinterroge sur les relations quâont eu Trotsky et Boukharine pendant ces quelques semaines. Ce sont-ils vraiment affrontĂ©s ? Ce sont-ils apprĂ©ciĂ©s et sont-ils devenus amis ? La question a Ă©tĂ© trop peu Ă©tudiĂ©e pour conclure, mais il faut se mĂ©fier des dĂ©clarations tardives sur ce point.
De New York Ă Moscou par le Japon et la SibĂ©rie (avril 1917 â mai 1917)
Boukharine choisit de prendre la route par lâouest. Avec quelques compagnons, dont Volodarski, il boucle son tour du monde de lâexil en 45 jours dâun voyage mouvementĂ©. Parti fin mars ou dĂ©but avril, il arrivera Ă Moscou autour du 15 mai [le 2 mai dans le calendrier julien]. Il a sĂ©journĂ© briĂšvement en prison au Japon et Ă Tcheliabinsk, la « porte de la SibĂ©rie », oĂč des mencheviks lâont arrĂȘtĂ© pour « agitation auprĂšs des soldats ». Il est libĂ©rĂ© Ă la demande du Soviet de Petrograd, et les officiers de la milice le mettent dans le train avec un billet de 1Ăšre classe pour MoscouâŠ
DĂšs son retour sur le sol russe, il a pris contact avec LĂ©nine par tĂ©lĂ©gramme : il regrette de nâavoir pas pu participer Ă la confĂ©rence dâavril du parti, mais il a pris connaissance des textes des « thĂšses » et il Ă©crit : « Il me semble que vous n'avez plus Ă me critiquer. Ă l'exception de la question nationale ». Un compagnon de voyage, nommĂ© Lisovski se chargera de porter Ă LĂ©nine des lettres et des documents que Boukharine avait emportĂ©s pour lui.
En quelques jours, il retrouve sa place dans toutes les instances dirigeantes du parti bolchevik pour la ville et la rĂ©gion. Il est aussi admis au bureau du Soviet de Moscou et le journal du parti local, Sotzial demokrat, no 46, le 3 mai (Julien), soit le 16 mai (GrĂ©gorien), publie ses deux premiers articles sur « La grande dĂ©mocratie » impressions amĂ©ricaines, et Le soviet des dĂ©putĂ©s des travailleurs et des soldats de Petrograd et lâarmĂ©e.
La révolution vue de Moscou
NikolaĂŻ Ivanovitch est donc accouru aussi vite que possible pour faire la rĂ©volution, mais il nâest pas allĂ© directement Ă Petrograd, lĂ oĂč se passent et se passeront tous les Ă©vĂ©nements rĂ©volutionnaires. Il est moscovite et il fera la rĂ©volution Ă Moscou. Or les moscovites sont quasiment absents de tous les rĂ©cits de 1917[36]. Que sait-on de sa participation Ă la rĂ©volution ?
LâactivitĂ© principale de Boukharine jusquâen novembre-dĂ©cembre 1917 est son travail de rĂ©dacteur dans la presse bolchevique de Moscou. Il Ă©crit 70 articles dans le quotidien Sotzial democrat et 11 articles dans la revue Spartak[37]. Au dĂ©but, ses publications sont au rythme dâun article tous les deux jours.
Dans les deux journaux, il dĂ©fend une politique nettement « de gauche ». Ă Moscou, les « vieux » dirigeants (Rikov et Noguine) nâont pas suivi LĂ©nine et ses « thĂšses dâAvril » oĂč il affirmait quâil fallait sâorienter vers une rĂ©volution prolĂ©tarienne. Les « jeunes », c'est-Ă -dire Boukharine et ses amis depuis lâĂ©poque du lycĂ©e et de lâUniversitĂ©, qui sâappuient plutĂŽt sur le bureau rĂ©gional de Moscou, semblent ĂȘtre dĂ©jà « plus Ă gauche » que LĂ©nine et attendent avec confiance la rĂ©volution socialiste mondiale.
Boukharine est convaincu que jusquâĂ prĂ©sent les Ă©vĂ©nements ont justifiĂ© la politique des bolcheviks : la guerre a dĂ©bouchĂ©, comme prĂ©vu, sur une premiĂšre rĂ©volution. Elle va maintenant sâĂ©tendre et sâapprofondir parce que la fraternisation des soldats sur le front « allumera la flamme de la rĂ©volution dans toute lâEurope »[38].
DĂšs juin, dans le no 2 de Spartak, il reprend une de ses conclusions de LâĂ©conomie mondiale et lâimpĂ©rialisme[39] : Le capitalisme dâĂtat fait de lâouvrier « un serf dans une usine dâĂtat » et lâantagonisme de classe oppose directement lâouvrier Ă lâĂtat. Mais le capitalisme dâĂtat est aussi « la plus grande prĂ©paration possible Ă la transition vers une Ă©conomie socialiste ». La rĂ©volution avance ainsi « de deux cĂŽtĂ©s », du moins en Europe occidentale. En Russie si la guerre y a agi comme une crise gigantesque qui aurait pu ĂȘtre « freinĂ©e par une organisation capitaliste dâĂtat de lâĂ©conomie », la bourgeoisie russe « craint le transfert de l'ensemble de la machine d'Ătat entre les mains de la classe ouvriĂšre et des couches les plus pauvres des paysans et, par consĂ©quent, elle n'agit plus comme une force organisatrice, mais comme une force dĂ©sorganisatrice et anarchique »[40].
Si la bourgeoisie russe ne fait pas assez de capitalisme dâĂtat, le pouvoir rĂ©volutionnaire prolĂ©tarien saura « Ă©tatiser » les industries monopolistes et rĂ©glementer la production et la distribution en sâappuyant sur tout un appareil « compliquĂ© » dâorganisations centrales et intermĂ©diaires (les banques, les comitĂ©s dâindustrie ou dâapprovisionnement dĂ©jĂ crĂ©Ă©s, les zemstvo qui organisent lâĂ©conomie locale, etc.)[40]. Boukharine envisage un programme clair pour le prolĂ©tariat : faire ce que le capitalisme dâĂtat aurait pu faire, mais avec un esprit de classe radicalement diffĂ©rent. La rĂ©gulation (le Kontrol) de lâĂ©conomie peut avoir une forme semblable, et des contenus de classe opposĂ©s. Cette maniĂšre de voir qui caractĂ©risera la pensĂ©e de Boukharine tout au long de sa vie politique est donc prĂ©sente dĂšs le dĂ©but.
Une brochure de 48 pages, Ă©crite et publiĂ©e en juillet, prĂ©sente un intĂ©rĂȘt particulier. La lutte des classes et la rĂ©volution russe est un essai mettant en scĂšne les classes de la sociĂ©tĂ© russe de 1905 Ă fĂ©vrier-mars 1917, puis, en trois Ă©tapes, jusquâen juillet 1917. Dâune maniĂšre Ă©tonnante, les classes dominantes y sont incarnĂ©es par leurs reprĂ©sentants politiques les plus actifs, alors que le « prolĂ©tariat » semble disposer dâun parti (les bolcheviks) dont les chefs ne sont jamais nommĂ©s⊠Câest le « seul Ă©crit historique de sa carriĂšre », remarque Stephen F. Cohen et aprĂšs la victoire dâOctobre, nous le verrons, Boukharine Ă©crira la suite, jusquâĂ lâapparition de LĂ©nine comme chef du Conseil des commissaires du peuple, le 7 novembre[41].
OĂč en sont les relations de Boukharine avec LĂ©nine ? Depuis le tĂ©lĂ©gramme quâil a envoyĂ© en mai, au moment de son arrivĂ©e en Russie, Boukharine ne semble pas avoir eu de contact direct avec LĂ©nine. Câest ce quâil faut conclure de lâinformation donnĂ©e en 1925 par Boukharine lui-mĂȘme : lorsquâil est allĂ© Ă Petrograd, en juillet 1917, pour participer au VIe CongrĂšs du parti bolchevik, il ne pouvait pas rencontrer LĂ©nine qui devait se cacher aprĂšs lâĂ©chec des journĂ©es insurrectionnelles de Juillet, mais il a vu la femme de LĂ©nine, N. Kroupskaia, et ses premiers mots furent les suivants : « V. I. m'a demandĂ© de vous dire qu'il n'y avait plus aucun dĂ©saccord avec vous sur la question de lâĂtat » . Les deux hommes nâauraient donc eu aucune occasion dâĂ©changer sur cette question, mĂȘme par Ă©crit, depuis trois mois. Comme LĂ©nine restera clandestin jusquâĂ lâinsurrection, ils ne se sont revus que lorsque Boukharine est venu Ă Petrograd rendre compte au conseil des commissaires du peuples des combats rĂ©volutionnaires de Moscou pendant la semaine du 8 au 15 novembre.
Boukharine entre au Comité Central du parti bolchevik
Le VIe CongrĂšs du POSDR(b) sâouvre Ă Petrograd le 26-07 [08-08] dans un moment de pĂ©ril extrĂȘme pour les Bolcheviks. Les dirigeants du parti sont recherchĂ©s depuis lâĂ©chec des JournĂ©es de Juillet. LĂ©nine et Zinoviev se cachent, Kamenev est arrĂȘtĂ© et Trotsky, qui vient de rejoindre les Bolcheviks, est mis en prison deux jours avant lâouverture du CongrĂšs. Sverdlov, pour lâorganisation, Staline et Boukharine, pour les rapports sur la « situation actuelle » intĂ©rieure et extĂ©rieure, ont pris le relai.
MenacĂ© dâĂȘtre dispersĂ© par la police du gouvernement provisoire, le CongrĂšs change de lieu de rĂ©union et procĂšde Ă lâĂ©lection du nouveau ComitĂ© Central - dont Boukharine fait partie - avant de dĂ©battre du rapport de Staline. La question la plus Ăąprement discutĂ©e est celle de savoir ce quâil faut faire du slogan « Tout le pouvoir aux Soviets ! » quand les chefs des soviets « font pointer lâartillerie contre la classe ouvriĂšre »[42]. Staline propose lâabandon du slogan. Comme le dit Smilga, qui soutient Staline, il faut renverser le gouvernement provisoire et le parti doit pouvoir saisir une occasion, si elle se prĂ©sente, de prendre la tĂȘte du mouvement sans passer par les soviets. Dâautres, par exemple Volodarski, craignent que le parti du prolĂ©tariat sâisole de la paysannerie (pauvre) et des forces dĂ©mocratiques rĂ©volutionnaires prĂ©sentes dans les soviets. Boukharine, selon Rabinowitch, est le seul à « adopter une position intermĂ©diaire ». Finalement une commission rĂ©Ă©crit la rĂ©solution et remplace « Tout le pouvoir aux Soviets ! » par « Liquidation complĂšte de la dictature de la bourgeoisie contre rĂ©volutionnaire ! ». Lâobjet de ce dĂ©bat disparaĂźtra en quelques semaines, le temps pour que les Bolcheviks dominent les principaux soviets et le congrĂšs des sovietsâŠ.
Boukharine, selon sa bibliographie, intervient six fois pendant les huit jours que dure le CongrĂšs. Il prĂ©sente un rapport et une rĂ©solution sur « la situation actuelle et la guerre ». Il y soutient une idĂ©e zimmerwaldienne de gauche autrefois reprise par LĂ©nine[43] : le pouvoir rĂ©volutionnaire une fois installĂ©, il ne renoncera pas Ă son « devoir internationaliste » et saura se dĂ©fendre en menant une « guerre rĂ©volutionnaire » (une « guerre sainte ») qui « allumera le feu de la rĂ©volution mondiale »[44]. Il prĂ©sente aussi le rĂ©sultat de la commission chargĂ©e de rĂ©diger un Manifeste du POSDR(b)[45] et enfin, il met de cĂŽtĂ©, pour un futur CongrĂšs, des propositions pour le Programme du parti, en particulier le remplacement de la description gĂ©nĂ©rale du capitalisme rĂ©digĂ©e par Plekhanov en 1903 par une analyse du capital financier et de lâimpĂ©rialisme (ce dĂ©bat, initialement prĂ©vu, a Ă©tĂ© reportĂ© en raison des circonstances)[46].
Le ComitĂ© Central du parti, Ă cet instant de lâhistoire des Bolcheviks, est lâunique organe de la Direction. Câest lui qui prendra les dĂ©cisions conduisant Ă la rĂ©volution dâOctobre. Membre du CC et de diverses institutions Ă Moscou (Bureau RĂ©gional, Soviet, Douma municipaleâŠ), Boukharine va maintenant prendre souvent le train entre Petrograd et sa ville natale.
Il est Ă Moscou quand Kerenski y rĂ©unit une ConfĂ©rence dâEtat (du 13 [26] au 15 [28] aoĂ»t). Il sâoccupe de lâorganisation dâune grĂšve gĂ©nĂ©rale, notamment des hĂŽtels et des restaurants, pour dĂ©sorganiser la ConfĂ©rence que les Bolcheviks boycottent.
Il est Ă Petrograd le 15 [28] septembre, lorsque, 15 jours aprĂšs lâĂ©chec de lâaction contre-rĂ©volutionnaire de Kornilov, le ComitĂ© Central discute une lettre de LĂ©nine qui appelle Ă lâinsurrection immĂ©diate. « Abasourdi » par cette injonction, comme tout le CC, il participe Ă la dĂ©cision de brĂ»ler la lettre[47].
Il est encore Ă Petrograd le 21 septembre [4 octobre] oĂč, au nom du Soviet de Moscou, il prĂ©pare et prĂ©sente avec Trotsky une rĂ©solution du Soviet de Petrograd rĂ©clamant dâurgence un CongrĂšs des Soviets[48]. Comme la majoritĂ© des dirigeants bolcheviks, il a fini par se rallier Ă lâinsurrection programmĂ©e pour le 25 octobre [7 novembre]. Il repart bientĂŽt pour participer Ă la prĂ©paration de lâinsurrection de Moscou, dĂ©cidĂ©e pour conforter celle de Petrograd.
Une semaine de combats Ă Moscou
Ă Moscou, les combats qui suivent ceux de Petrograd sont beaucoup plus durs et beaucoup plus longs. Les Bolcheviks, pourtant Ă©paulĂ©s trĂšs activement par les Socialistes rĂ©volutionnaires de gauche, perdent Ă eux seuls cinq cents hommes (Ă Petrograd, il nây a que six morts). Les combats, commencĂ©s le 26 octobre [8 novembre] ne sâachĂšvent que le 2 [15] novembre.
Boukharine est le responsable politique qui a Ă©crit les proclamations du Soviet et du ComitĂ© militaire rĂ©volutionnaire de Moscou. Câest lui et son camarade Stukov qui sont dĂ©signĂ©s pour rendre compte devant le nouveau gouvernement rĂ©volutionnaire. Stukov tĂ©moigne : « Quand jâen vins au nombre de victimes, ma gorge se serra et je dus mâarrĂȘter. Je vis NikolaĂŻ Ivanovitch se prĂ©cipiter dans les bras dâun camarade ouvrier et Ă©clater en sanglots. Les gens se mirent Ă pleurer »[49].
Câest lorsquâil revient Ă Moscou, le 17 [30] novembre, que John Reed le voit et le dĂ©crit briĂšvement. Boukharine apparaĂźt dâabord dans le train qui se traĂźne entre Petrograd et Moscou, câest « un petit homme court Ă barbe rousse et aux yeux de fanatique, âplus Ă gauche que LĂ©nineâ, disait-on de lui ». Le lendemain, Reed le revoit Ă la rĂ©union oĂč Noguine qui vient de dĂ©missionner de son poste de commissaire du peuple tente de sâexpliquer devant le Soviet de Moscou. Noguine (avec Kamenev et quelques autres commissaires) avait voulu rĂ©pondre favorablement Ă une demande du syndicat des chemins de fer : le nouveau gouvernement ne pouvait pas appartenir Ă un seul parti, il fallait quâil sâĂ©largisse Ă tous les socialistes opposĂ©s Ă la guerre. Il est dĂ©sapprouvĂ© et chahutĂ© par les ouvriers du Soviet qui refusent de lâĂ©couter. Reed raconte : « Boukharine se leva, farouche et parla avec sa logique imperturbable, assĂ©nant coup pour coup⊠Lui, ils lâĂ©coutaient, les yeux brillants[50]. »
De nouvelles responsabilités
Le fait majeur qui ressort de ce qui prĂ©cĂšde a Ă©tĂ© vu et soulignĂ© par Stephen F. Cohen il y a un demi siĂšcle : en 1917 Boukharine, Ă la tĂȘte du groupe des « jeunes » moscovites, est une Ă©toile montante dans le parti bolchevik, prĂ©sent sur tous les terrains sauf la conduite des opĂ©rations militaires.
Stephen F. Cohen pensait quâune des principales faiblesses des Bolcheviks, en 1917, Ă©tait leur « incapacitĂ© Ă Ă©laborer un programme Ă©conomique avant la prise du pouvoir »[51] , mais celui dont il est le premier biographe Ă©tait peut-ĂȘtre le moins incapable dâaccomplir cette tĂąche.
Nous avons vu que Boukharine pense quâen sâappuyant sur lâorganisation Ă©conomique mise en place par le capitalisme dâĂtat de guerre, lâĂtat prolĂ©tarien peut assurer un « kontrol » (une rĂ©gulation) efficace de lâĂ©conomie. Cette idĂ©e va ĂȘtre Ă la base de sa rĂ©flexion, mais, comme le montrent les articles quâil Ă©crit pendant et juste aprĂšs les journĂ©es rĂ©volutionnaires dâoctobre-novembre, son discours exprime aussi une forte inquiĂ©tude face aux difficultĂ©s futures. Il ne faut pas compter sur un retour Ă la paix et Ă lâĂ©quilibre en Russie (et dans le monde). Il va falloir dâabord dĂ©fendre la rĂ©volution contre « lâincroyable exaspĂ©ration » de ses ennemis intĂ©rieurs. Il faudra « briser cette rĂ©sistance Ă quelque prix que ce soit[52] ». La guerre civile en Russie et la guerre mondiale vont continuer et la situation Ă©conomique de la Russie sera de plus en plus difficile.
Dans deux articles publiĂ©s le premier jour des combats de Moscou[53] , Boukharine entrevoit un programme Ă©conomique prolĂ©tarien Ă mettre en Ćuvre aprĂšs lâeffondrement de lâĂtat bourgeois. Un nouvel appareil de pouvoir des ouvriers et des paysans va commencer Ă mettre en place un ordre « non capitaliste » ou « semi socialiste » et ce sera un « processus extrĂȘmement douloureux et Ă©prouvant » car « la guerre a drainĂ© et Ă©puisĂ© l'Ă©conomie du pays, dĂ©sorganisĂ© ses transports et ses finances, et conduit Ă un effondrement Ă©conomique aux proportions inouĂŻes. »
Contre ceux qui ont des doutes, Boukharine redit quâune industrie monopolistes existe dĂ©jĂ en Russie, mĂȘme si elle est masquĂ©e par une immense Ă©conomie paysanne et quâil compte sur la capacitĂ© dâorganisation dâun pouvoir prolĂ©tarien pour mettre en place un « kontrol » formellement semblable Ă ce que fait le capitalisme dâĂtat, mais avec un autre contenu de classe.
Il propose alors une « esquisse gĂ©nĂ©rale du dĂ©veloppement Ă©conomique qui se rĂ©vĂšlera, pas Ă pas, au cours de la rĂ©volution russe » : la question se ramĂšne Ă l'organisation des relations ville-campagne, et la rĂ©gulation Ă©conomique par un Ătat des travailleurs (urbains) signifie l'Ă©limination du marchĂ© anarchique des produits agricoles. « Cela change radicalement lâensemble de la direction du dĂ©veloppement. Dans ces conditions, un lien croissant et organisĂ© de la ville et de la campagne est inĂ©vitable, c'est-Ă -dire le rattachement mĂȘme des petites entreprises paysannes Ă la sphĂšre de l'organisation gĂ©nĂ©rale de la production ». Boukharine semble donc imaginer un changement (« pas Ă pas », donc plutĂŽt graduel) intĂ©grant les petites entreprises (paysannes) Ă la grande organisation prolĂ©tarienne et urbaine de la production et de la consommationâŠ
Lâarticle Au socialisme ! du 9 novembre se termine par une dĂ©claration de confiance dans la rĂ©volution, Ă la fois mondiale et permanente : la rĂ©volution internationale et la fin de la guerre renforceront lâĂ©conomie russe arriĂ©rĂ©e en la rĂ©intĂ©grant dans une Europe socialiste oĂč la rĂ©volution aura Ă©tĂ© stimulĂ©e par « La victoire complĂšte et dĂ©cisive des ouvriers, des soldats et des paysans » russes sur leurs impĂ©rialistesâŠ
LĂ©nine a immĂ©diatement vu Boukharine comme un futur responsable des questions Ă©conomiques. En novembre [dĂ©but dĂ©cembre], il le charge, avec Ossinsky et Chliapnikov, de rĂ©diger les dĂ©crets sur les nationalisations et lâorganisation de la direction de la vie Ă©conomique dans le pays (ce sera le Conseil Ăconomique SuprĂȘme, dont Boukharine sera un des premiers membres). Le 27 novembre [10 dĂ©cembre] LĂ©nine lui propose de former avec Piatakov une petite commission responsable des questions fondamentales de la politique Ă©conomique du gouvernement. Mais le ComitĂ© Central refuse la suggestion de LĂ©nine car il y a une autre urgence : trouver un responsable pour la Pravda. Sverdlov et Stassova proposent le nom de Boukharine[54].
Il dirigera la Pravda pendant prĂšs de douze ans, avec seulement quatre mois dâinterruption entre mars et juin 1918, quand il animera lâopposition au traitĂ© de Brest-Litovsk des « communistes de gauche ».
Quelques jours aprĂšs son entrĂ©e en fonctions, dans lâĂ©ditorial du Jour de lâan 1918, la Pravda de Boukharine se rĂ©jouit de ne plus voir dans les rues des riches barines en manteaux de fourrure qui ont fui « en Ukraine ou au Kouban » oĂč ils doivent « se contenter dâune ration de troisiĂšme classe »[55].
Autre signe du poids grandissant de Boukharine dans la politique des rĂ©volutionnaires : il est chargĂ© de parler au nom du parti bolchevik dans lâunique dĂ©bat de lâAssemblĂ©e Constituante, rĂ©unie dans la nuit du 5 au 6 [18 au 19] janvier 1918 et dissoute aussitĂŽt.
Boukharine nâĂ©tait pas radicalement hostile Ă la Constituante. Le 29 novembre [12 dĂ©cembre], il proposait seulement dâempĂȘcher les « kadets » de siĂ©ger et de rĂ©unir une « Convention » qui serait dominĂ©e par les Bolcheviks et les SR de gauche, mais, sous lâimpulsion de LĂ©nine, il fut dĂ©cidĂ© que la Constituante devrait adopter une DĂ©claration des droits du peuple travailleur confiant le pouvoir aux soviets et se sĂ©parer, ou quâelle serait dissoute[56].
La tĂąche attribuĂ©e Ă Boukharine le 5 [18] janvier est de rĂ©pondre au discours du PrĂ©sident Ă©lu par lâAssemblĂ©e, le SR Tchernov. Il condamne la Constituante comme une institution mort-nĂ©e parce quâelle ne pourrait ĂȘtre que le terrain des compromis entre les classes â au nom de la nation â et donc de la restauration de la dictature bourgeoise. Ce raisonnement vaut pour toutes les questions abordĂ©es dans le discours : le contenu social de lâarmement des milices, de la paix, de lâorganisation du travail, des banques nationalisĂ©es, du partage de la terre et de la rĂ©gulation de lâindustrie est dĂ©terminĂ© par la classe au pouvoir et seuls les soviets peuvent constituer un pouvoir exclusif des ouvriers et des paysans[57].
LâAssemblĂ©e nâayant pas adoptĂ© la DĂ©claration des droits du peuple travailleur, les dĂ©putĂ©s bolcheviks partent ; un peu plus tard les dĂ©putĂ©s SR de gauche les suivent ; les gardes rouges mettent fin aux dĂ©bats et Ă la Constituante le 6 [19] janvier Ă 4h40.
Le choc du traité de Brest-Litovsk[58]
Depuis le DĂ©cret sur la Paix du 26 octobre [8 novembre], le gouvernement de LĂ©nine cherche Ă obtenir un armistice â le plus long possible â et il a engagĂ© Ă Brest-Litovsk une nĂ©gociation avec les Empires dâAllemagne et dâAutriche.
Le 2 [15] dĂ©cembre un mois dâarmistice est dĂ©cidĂ©. Les Bolcheviks, Trotsky en tĂȘte, cherchent Ă utiliser les nĂ©gociations pour leur propagande rĂ©volutionnaire. Les Empires veulent rĂ©duire leur effort militaire Ă lâEst, mais exigent de contrĂŽler et dâoccuper de plus en plus de territoires (Ukraine, Pologne, Lituanie, etc).
Le 8 [21] janvier les dirigeants du parti bolchevik (réunis dans un Comité Central élargi) se divisent en trois groupes : Lénine, avec 15 voix, opte pour une paix séparée le plus vite possible ; Trotsky réunit 16 voix pour « ni guerre, ni paix » ; Boukharine est majoritaire (32 voix sur 63) pour répondre aux Empires par la guerre révolutionnaire. Ce sera le seul succÚs des opposants au traité.
Le 11 [24] janvier, Lénine récupÚre la majorité au CC en soutenant la position de Trotsky.
Au bout de prÚs de trois semaines, le 27 janvier [9 février], les Allemands perdent patience et présentent leurs demandes comme un ultimatum.
Trotsky, le 28 janvier [10 février], répond à cet ultimatum que la Russie révolutionnaire « quitte la guerre », mais refuse de signer le traité de paix des Allemands.
Le 16 fĂ©vrier[59] , lâAllemagne annonce quâelle reprendra les hostilitĂ©s le 18 fĂ©vrier.
Le 17 fĂ©vrier, le CC prĂ©fĂšre attendre plutĂŽt que signer sur le champ. Puis, le 18 fĂ©vrier, quand lâavance allemande commence, LĂ©nine obtient aprĂšs de dramatiques dĂ©bats le soutien de Trotsky pour accepter les conditions allemandes. Mais les Allemands ne rĂ©pondent pas et continuent dâavancer. En 5 jours, du 18 au 22 fĂ©vrier, lâarmĂ©e allemande se dĂ©place de 240 kms vers lâEst (autant quâen trois ans de guerre) et menace Petrograd. Le 22 fĂ©vrier le CC dĂ©cide dâaccepter une aide militaire (Ă©ventuelle) des AlliĂ©s, Boukharine et les partisans de la guerre rĂ©volutionnaire votent contre (« Nous transformons le parti en un tas de fumier ! », dit Boukharine en sâadressant Ă Trotsky).
Le 23 fĂ©vrier, les Allemands fixent leurs derniĂšres conditions : ils exigent dâoccuper tous les territoires dont ils se sont emparĂ©s jusquâĂ ce jour. LĂ©nine obtient lâacceptation du CC (Trotsky sâabstient) et de lâExĂ©cutif des soviets.
Le traitĂ© est signĂ© Ă Brest-Litovsk le 3 mars, par Tchitcherine qui a remplacĂ© Trotsky. La Russie soviĂ©tique, selon Orlando Figes, perd un tiers de sa surface et de sa population, et aussi plus de la moitiĂ© des Ă©tablissements industriels et les neuf dixiĂšmes de ses ressources en charbonâŠ
Boukharine et lâopposition des « communistes de gauche »
Boukharine et les membres du CC qui lâont suivi jusquâau vote du 23 fĂ©vrier ont donnĂ© leur dĂ©mission des postes quâils occupaient pour mener campagne contre la ratification du traitĂ©. Ils lancent un nouveau journal, Kommunist, dont le premier numĂ©ro paraĂźt Ă Petrograd le 4 mars. Un congrĂšs du parti bolchevik est convoquĂ© pour les 6,7 et 8 mars. Ce congrĂšs extraordinaire et improvisĂ© rĂ©unit des reprĂ©sentants de moins de la moitiĂ© des membres du parti. LĂ©nine sâassure une majoritĂ© en faveur de la ratification du traitĂ© (36 pour, 11 contre et 4 abstentions), mais il ne cherche pas Ă mettre les « communistes de gauche » Ă lâĂ©cart. Boukharine et ses partisans sont rĂ©Ă©lus au ComitĂ© Central. La dĂ©mission quâils prĂ©sentent aussitĂŽt est refusĂ©e au nom de lâunitĂ© du parti. Boukharine, cependant, ne paraĂźtra Ă aucune rĂ©union du CC, ni Ă la Pravda pendant quelques semaines.
Ces votes de CongrĂšs mettent fin Ă la premiĂšre phase de lâopposition des « communistes de gauche ». Du 21 janvier au 8 mars (6 ou 7 semaines), ils ont refusĂ© le traitĂ© de paix. Ce combat est terminĂ©. Une nouvelle phase commence oĂč, cinq mois aprĂšs la prise du pouvoir, une partie des dirigeants bolcheviks sâinterroge publiquement sur la politique Ă©conomique rĂ©volutionnaire. Câest un dĂ©bat rĂ©siduel qui cessera rapidement (moins de trois mois pour Boukharine). Son objet principal tourne autour dâun concept : le capitalisme dâĂtat.
Le mot a Ă©tĂ© remis au centre du dĂ©bat quand LĂ©nine, au lendemain de la signature du traitĂ© de Brest-Litovsk, a ouvert un chantier Ă©conomique sur lâorganisation de la production, en commençant par le « recensement et le contrĂŽle » par le peuple. AprĂšs les nationalisations des premiers mois, il faut sortir la production de sa paralysie et trouver un accord avec les cadres « capitalistes » qui sont capables dâorganiser la production. Il insiste aussi sur la discipline dans le travail et la productivitĂ©. Si le modĂšle du capitalisme dâEtat allemand pouvait ĂȘtre reproduit, dit-il, la Russie serait « aux trois quart socialiste »[60].
Voyons les traces du débat qui se trouvent dans le journal des communistes de gauche, Kommunist[61], et dans les discours de Lénine en 1918.
Boukharine publie six articles dans les trois premiers numĂ©ros de Kommunist. Câest lui qui donne le plus de titres au journal (les autres contributeurs ne dĂ©passent pas cinq titres), mais son absence dans le dernier numĂ©ro, en juin, est dĂ©jĂ un signe de sa mise en retrait.
Dans le no 1, il y a trois titres : une courte note bibliographique trĂšs Ă©logieuse sur LâĂtat et la rĂ©volution de LĂ©nine, une autre note bibliographique oĂč il Ă©trille un SR (Troutovsky) qui a Ă©crit sur La pĂ©riode de transition et une « revue politique » consacrĂ©e aux hĂ©ros de la trahison sociale, Mencheviks ou Socialistes rĂ©volutionnaires. Dans le no 2, il reprend sa comparaison entre Lâanarchisme et le communisme scientifique, un sujet sur lequel LĂ©nine lâavait critiquĂ© en 1916. Dans le no 3, on trouve un article sur Certaines notions essentielles de lâĂ©conomie moderne oĂč il cherche Ă dĂ©montrer que le capitalisme dâĂtat ne peut ĂȘtre confondu avec le contrĂŽle sur la production par un Ătat socialiste. LâĂtat-commune socialiste « socialise » la production, il ne la « nationalise » pas. Un capitalisme dâĂtat sans capitalisme est un non-sens. Enfin, il consacre trois pages du no 3 Ă un « thĂ©oricien trĂšs intĂ©ressant et original », A. A. Bogdanov, qui a publiĂ© en 1917 Les questions du socialisme. Il sâagit pour Boukharine de ce dĂ©marquer dâun auteur quâil admire mais qui subordonne lâĂ©mergence du socialisme Ă celle dâun nouvel univers culturel de la classe ouvriĂšre[62].
Trois articles sâattaquent Ă des rivaux politiques des Bolcheviks. Les trois autres articles font le point sur les accords et les dĂ©saccords avec LĂ©nine. Boukharine pense quâil ne subsiste quâun dĂ©saccord, celui sur le capitalisme dâĂtat, et il porte sur lâemploi dâun mot (capitalisme) pour un autre (socialisme) puisque la classe prolĂ©tarienne est au pouvoir. Câest une opposition trĂšs modĂ©rĂ©e Ă la direction que LĂ©nine donne au parti. Boukharine nâest plus le chef de file des communistes de gauche (Ossinsky est un opposant plus radical).
Boukharine reste pourtant lâopposant le plus ciblĂ© par les flĂšches anti-critiques de LĂ©nine. LĂ©nine sait que Boukharine pense que le pouvoir prolĂ©tarien peut faire tout ce que fait le capitalisme dâĂtat avec un autre contenu de classe. Câest Ă son intention quâil rĂ©affirme que le « capitalisme dâĂtat » est un modĂšle Ă assimiler parce quâil a « quelque chose de commun » avec le socialisme (recenser et contrĂŽler)[63]. Il ne veut voir que les limites de la note bibliographique de Boukharine consacrĂ©e Ă lâĂtat et la rĂ©volution : il nây dit rien des tĂąches de lâĂtat prolĂ©tarien aprĂšs la rĂ©volution, alors que LĂ©nine, dans cette brochure, avait dĂ©jĂ dit que le contrĂŽle de lâĂtat socialiste serait aussi « organisĂ© sur ceux des ouvriers qui sont profondĂ©ment corrompus par le capitalisme »[63]. Il rejette les critiques des communistes de gauche, comme Ossinsky, qui craignent que les spĂ©cialistes issus de la classe capitaliste rĂ©duisent lâinitiative de classe des ouvriers et qui nâont aucune idĂ©e pratique utile pour rĂ©tablir la circulation des trains. LĂ©nine accommode cependant ses critiques avec quelques compliments aux « marxistes » que sont toujours les communistes de gauche, en particulier Boukharine qui est « dâune excellente culture »[63] et « dĂ©passe de deux tĂȘtes les socialistes rĂ©volutionnaires de gauche et les anarchistes »[63].
Ce nâest pas une discussion thĂ©orique ni un compromis politique qui va amener Boukharine Ă quitter lâopposition, mais la lutte contre le Conseil des commissaires du peuple quâengagent ses anciens alliĂ©s, les SR de gauche, qui sont toujours des adversaires rĂ©solus du traitĂ© de paix. Les chefs SR de gauche forment dâabord le plan dâarrĂȘter LĂ©nine pour pouvoir dĂ©clarer la guerre Ă lâAllemagne et Boukharine sâoppose immĂ©diatement Ă ce projet[64]. Les SR de gauche changent alors de cible : ils prĂ©parent et exĂ©cutent le 6 juillet un attentat contre lâambassadeur dâAllemagne, le comte von Mirbach, ils montent des actions insurrectionnelles et assassinent quelques bolcheviks, finalement ils tenteront de tuer LĂ©nine le 30 aoĂ»t. Les Bolcheviks rĂ©agissent en serrant les rangs, en Ă©cartant tous les autres groupes socialistes des soviets et en mettant en place la Tcheka qui sâengage dans une « terreur rouge » assumĂ©e.
Boukharine reprend toutes ses activités dans le Parti
La bibliographie de Boukharine indique une absence complĂšte de publication en juin 1918. En fait, câest le moment oĂč il part Ă Berlin avec une dĂ©lĂ©gation chargĂ©e dâune nĂ©gociation Ă©conomique[65]. Un mois plus tard, le 7 juillet, au lendemain de lâassassinat de von Mirbach, il est de retour et il signe dans la Pravda son premier article depuis fĂ©vrier. Il en Ă©crira 72 jusquâĂ la fin de lâannĂ©e, malgrĂ© quelques semaines dâun nouveau sĂ©jour en Allemagne en octobre-novembre (dâoĂč il donne des articles Ă la presse scandinaveâŠ). Il reconnaĂźt publiquement sâĂȘtre trompĂ© en refusant le traitĂ© de paix, mais seulement le 8 octobre, dans un discours au soviet de Moscou publiĂ© par la Pravda le 11 octobre.
Il a donc repris son activitĂ© principale dans la presse du parti et les autres tĂąches qui lui sont confiĂ©es sont « internationales ». On ne sait pas exactement quelle Ă©tait sa seconde mission Ă Berlin, sauf quâil y a vu Liebknecht et que le gouvernement allemand lâa expulsĂ© avec les diplomates soviĂ©tiques avant lâarmistice qui suspend la guerre le 11 novembre.
Boukharine est aussi un propagandiste, auteur de libelles et de brochures, et, en 1918, il en a publiĂ© deux. Le premier petit livre est la suite de son rĂ©cit de la rĂ©volution de 1917. AprĂšs La lutte des classes et la rĂ©volution russe, qui sâarrĂȘtait en Juillet, il va jusquâen Octobre avec De la dictature de lâimpĂ©rialisme Ă la dictature du prolĂ©tariat, Les deux parties sont traduites en allemand et imprimĂ©es Ă Zurich avec un nouveau titre : De la chute du tsarisme Ă la chute de la bourgeoisie. La deuxiĂšme brochure est Le programme des communistes (bolcheviks) quâil rĂ©dige personnellement et publie sous son seul nom en plusieurs langues, Ă partir de mai 1918 (date indiquĂ©e Ă la fin de la conclusion)[66].
La rĂ©daction et la publication de ces travaux enjambe la pĂ©riode de lâopposition au traitĂ© de Brest-Litovsk et du « communisme de gauche ». On nây trouve cependant aucune trace de ce conflit majeur. Au contraire, ces textes, et particuliĂšrement le rĂ©cit de la rĂ©volution, expriment clairement les maniĂšres de voir et de penser des Bolcheviks dans leur ensemble Ă ce moment de leur histoire.
Quand Boukharine reprend la plume pour raconter la prise du pouvoir par les Bolcheviks. Il ne pense pas Ă faire un tĂ©moignage historique : il Ă©crit un tract pour faire avancer « la rĂ©volution permanente » qui, partant de la Russie, « se transforme en rĂ©volution europĂ©enne du prolĂ©tariat, armĂ© par ce mĂȘme Ătat impĂ©rialiste sur la tĂȘte duquel il lĂšve dĂ©jĂ le couteau luisant de la guillotine »[67].
Pour rĂ©sumer le « tract », il suffit de dire quâil raconte comment, pendant lâĂ©tĂ© 1917, les deux candidats au rĂŽle de « Bonaparte de la RĂ©volution Russe », Kerensky et Kornilov, se sont neutralisĂ©s, si bien que les Bolcheviks, un moment affaiblis, ont pu ressurgir et prendre le pouvoir Ă lâautomne. Ce rĂ©cit qui met en scĂšne des classes sociales ou des « masses » et leurs incarnations dans des personnages politiques est Ă©tonnement dĂ©sĂ©quilibrĂ©. Kerensky est nommĂ© 75 fois, Kornilov 56 fois et des dizaines de Cadets, de Mencheviks ou de S. R. sont aussi citĂ©s ; par contre le prolĂ©tariat sâincarne dans un « Parti du prolĂ©tariat », jamais autrement dĂ©signĂ©, dont deux chefs seulement sont nommĂ©s : Trotsky, 3 fois, et LĂ©nine, 2 fois dans la mĂȘme page, lorsque, le 25 octobre [7 novembre], « la nouvelle rĂ©volution lâa libĂ©rĂ© du mystĂšre dont il avait dĂ» sâentourer »[68].
Le mot « mystĂšre », vaut aussi pour tout ce qui concerne lâactivitĂ© des rĂ©volutionnaires bolcheviks pendant la pĂ©riode qui prĂ©cĂšde leur arrivĂ©e au pouvoir. Boukharine prĂ©sente les choses comme si le « Parti du prolĂ©tariat » avait toujours su quoi faire sans avoir Ă en discuter. Un silence total sur la prĂ©paration et lâorganisation dâune insurrection dĂ©cidĂ©e et rĂ©ussie par le parti bolchevik dans un rĂ©cit de la pĂ©riode oĂč le parti nâa rien fait dâautre implique la volontĂ© de garder un secret. Sans doute sâagit-il du « savoir faire » du parti, du « professionnalisme rĂ©volutionnaire » acquis dans la clandestinitĂ©. Le Bolchevisme se voit comme lâunion rĂ©ussie de la science marxiste avec la science stratĂ©gique, lâart de la guerre. Cacher une partie de ses capacitĂ©s ou de ses faiblesses peut constituer un avantage stratĂ©gique.
Boukharine en racontant la rĂ©volution comme si le parti Ă©tait toujours un bloc unique masque aussi bien son Ă©largissement que ses fractionnements. Trotsky et dâautres forces venues des Mencheviks ou des SR ont rejoint les Bolcheviks (ce qui autorise Boukharine Ă parler, comme Trotsky, de rĂ©volution permanente[69] ). Kamenev, en avril, en octobre et en novembre, Zinoviev, en octobre, et dâautres encore (Staline, Rykov, etc.) ont parfois refusĂ© de suivre LĂ©nine. Les lecteurs de la brochure nâen sauront rien.
LâunitĂ© de pensĂ©e et dâaction du parti bolchevik est un mythe aussi bien avant 1917 que pendant la pĂ©riode rĂ©volutionnaire et dans les premiĂšres annĂ©es du rĂ©gime soviĂ©tique. Mais au terme de la guerre civile, en 1921, les « fractions » seront interdites et le mythe deviendra une contrainte destructrice : Tous ceux qui seront Ă©liminĂ©s dans la lutte pour le pouvoir dans le parti le seront pour « fractionnisme » et leurs divergences seront toujours inscrites dans une sĂ©rie de « fautes » remontant aux origines de la rĂ©volutionâŠ
Le contenu du Programme des communistes (bolcheviks) rĂ©digĂ© par Boukharine confirme que, sauf sur la question du traitĂ© de paix, il ne se voit pas comme un opposant, mĂȘme sâil dĂ©veloppe quelques idĂ©es personnelles.
Le dĂ©bat sur le Programme a commencĂ© Ă la confĂ©rence dâavril 1917 du POSDR(b). La majoritĂ© de la commission du programme, contre lâavis de LĂ©nine, veut refondre toute la partie gĂ©nĂ©rale du programme fondateur de 1903 en la basant sur une description de lâimpĂ©rialisme. LĂ©nine, lui, veut garder le rĂ©sumĂ© de Plekhanov sur le capitalisme en le complĂ©tant par un paragraphe sur la derniĂšre Ă©tape du capitalisme, lâimpĂ©rialisme. Comme dans les dĂ©bats prĂ©cĂ©dents entre exilĂ©s, deux autres questions divisent les Bolcheviks : le droit Ă lâautodĂ©termination des nations et le contenu du programme « minimum » quand la rĂ©volution prolĂ©tarienne est Ă lâordre du jour.
La rĂ©daction dâun texte de programme est prĂ©vue et reportĂ©e quatre fois de suite : 1. La ConfĂ©rence dâavril prĂ©voit de prendre une dĂ©cision au CongrĂšs suivant. 2. Le VIe CongrĂšs de juillet Ă©tant semi clandestin, le dĂ©bat est reportĂ© Ă un CongrĂšs extraordinaire convoquĂ© pour le 30 octobre. 3. Le CongrĂšs extraordinaire ayant Ă©tĂ© annulĂ© pour cause dâinsurrection le 25 octobre, le dossier du programme est mis en attente pour le prochain CongrĂšs. 4. Le VIIe CongrĂšs du 4-6 mars 1918 Ă©tant entiĂšrement consacrĂ© Ă la ratification du traitĂ© de Brest-Litovsk, une nouvelle rĂ©solution de report est adoptĂ©e. Cette fois LĂ©nine propose quâune commission spĂ©ciale rĂ©dige le texte et le publie rapidement pour le compte du parti, mĂȘme sâil peut contenir « de nombreuses erreurs »[70]. La commission spĂ©ciale, dâaprĂšs une note de Iaroslavsky incluse dans lâĂ©dition de 1933 du protocole du VIIIe CongrĂšs, nâa pas laissĂ© dâarchives, mais câest elle qui, un an plus tard, diffuse un projet qui sert de base au Programme adoptĂ© finalement au VIIIe CongrĂšs, le 20 mars 1919.
Le programme des communistes (bolcheviks) de Boukharine est achevĂ© environ deux mois aprĂšs le VIIe CongrĂšs. Le texte dĂ©coupĂ© en 19 chapitres et une conclusion est un dĂ©fi lancĂ© Ă la commission (dont Boukharine est membre). LĂ©nine espĂ©rait une publication rapide dâun texte respectant ses indications et câest un des trois « minoritaires » de la commission qui propose une sorte de commentaire dĂ©veloppĂ© dâun programme encore non Ă©critâŠ
Sur le point le plus controversĂ©, la refonte de la partie gĂ©nĂ©rale sur le capitalisme, Boukharine a une solution. Il nâa pas besoin de complĂ©ter le tableau Ă©conomique du capitalisme concurrentiel (selon Plekhanov) par une dĂ©finition Ă©conomique de lâimpĂ©rialisme (selon LĂ©nine). Le capitalisme est une structure sociale basĂ©e sur lâappropriation privĂ©e des moyens de production, elle oppose « deux camps : Ceux qui travaillent beaucoup et qui mangent peu et mal, et ceux qui travaillent peu ou point, mais qui nâen mangent que davantage et mieux ». Comment la propriĂ©tĂ© privĂ©e des moyens de production sâest-elle maintenue jusquâĂ prĂ©sent ? Parce que les capitalistes ont constituĂ© des « organisations ». La plus importante et la plus gĂ©nĂ©rale est lâĂtat bourgeois qui sâest dĂ©veloppĂ© en « une Ă©norme fĂ©dĂ©ration de capitalistes ». Ce sont ces « associations Ă©tatistes » des diffĂ©rentes bourgeoisies qui « luttent actuellement entre elles comme les capitalistes sĂ©parĂ©s luttaient entre eux ». Seule la classe ouvriĂšre peut « Ă©touffer la guerre et briser le joug du capitalisme », comme elle a commencĂ© Ă le faire en Russie.
Boukharine sâappuie sur sa thĂ©orie de lâĂtat impĂ©rialiste Ă©laborĂ©e en 1916 et sur ce quâil retient des idĂ©es de Bogdanov. Le chapitre III sur lâobjectif dâune « production communiste coopĂ©rative » le confirme : LĂ©nine avait contestĂ© la proposition faite par Boukharine dâintroduire une dĂ©finition du communisme dĂ©veloppĂ©. « Ce sont des choses que nous ne savons pas », disait-il, « les briques qui serviront Ă bĂątir le socialisme ne sont pas encore faites »[71]. Boukharine a une solution : il Ă©voque une sociĂ©tĂ© communiste future oĂč le « bureau central de statistique » jouera un rĂŽle essentiel dans la planification. Cette reprĂ©sentation, commune dans la social-dĂ©mocratie dâavant guerre, semble empruntĂ©e Ă LâĂ©toile rouge, le roman dâanticipation de Bogdanov de 1908, ou Ă La femme et le socialisme de Bebel.
LĂ©nine dans sa rĂ©solution sur la modification du Programme recommandait de mieux dĂ©finir « lâĂtat de type nouveau, la RĂ©publique des soviets et la dictature du prolĂ©tariat ». Boukharine le fait en quatre chapitres oĂč il critique le parlementarisme bourgeois qui Ă©carte le peuple du pouvoir. Pour la « partie politique », il ne sâĂ©loigne des demandes de LĂ©nine que sur un point : il nâenvisage pas lâhypothĂšse dâun « recul » au cours de la lutte vers lâĂ©tape « dĂ©passĂ©e » du parlementarisme bourgeois que le parti, dans ce cas, ne renoncerait pas à « utiliser ».
« Il faudra revoir dans le mĂȘme esprit les parties Ă©conomiques, y compris la partie agraire, et aussi les parties pĂ©dagogiques et autres de notre programme » disait LĂ©nine. Boukharine rĂ©dige neuf chapitres sur la nationalisation des banques, de la grande industrie et de la terre, sur lâadministration de lâindustrie, lâobligation du travail et le contrĂŽle du commerce. Il rejoint LĂ©nine sur les thĂšmes de la discipline au travail et anticipe ce quâil dira en 1919 sur la fin du pouvoir de lâargent[72]. Il complĂšte la liste de LĂ©nine en justifiant trĂšs fermement la « nationalisation du commerce extĂ©rieur ».
Il explicite enfin les « autres parties » du programme en traitant de la place de lâĂ©glise et de lâĂ©cole dans la RĂ©publique des soviets, de lâarmĂ©e et de « la libĂ©ration des peuples ». Câest seulement sur le dernier point quâil conteste ouvertement une position majoritaire dans le parti et dans la Commission. Le droit de « disposer dâelles-mĂȘmes », prĂ©cise-t-il, ne peut pas concerner les « nations (des ouvriers et des bourgeois ensemble) ». Câest un droit des classes ouvriĂšres : « les ouvriers dâune nationalitĂ© vivant en Russie peuvent constituer une RĂ©publique des soviets sĂ©parĂ©e⊠nous ne vous retiendrons pas un instant par la violence ».
Boukharine, avec ce Programme Ă la fois personnel et conforme aux choix majoritaires (il ne laisse voir quâil sâen Ă©carte quâune seule fois) inaugure sa sĂ©rie de contributions Ă la rĂ©daction des « programmes » communistes internationaux. Elle sâĂ©tirera sur 10 ans, jusquâen 1928âŠ
Le dĂ©faut majeur de ce Programme est quâil anticipe peu ou mal les difficultĂ©s Ă venir. Câest encore un exposĂ© des idĂ©es conçues avant le moment rĂ©volutionnaire : le capitalisme monopoliste dâĂtat a dĂ©jĂ mis en Ćuvre les moyens dâun « kontrol » de la production et de la distribution des richesses produites ; lâĂtat prolĂ©tarien peut les utiliser, y compris pour contrĂŽler les innombrables petites entreprises qui doivent rester en dehors de la nationalisation⊠En fait, les nationalisations ont Ă©tĂ© plus Ă©tendues vers la petite production et nâont pas pu se saisir dâune grande partie de la grande industrie sur un territoire disloquĂ© et occupĂ© par des troupes Ă©trangĂšres⊠Sâemparer des banques et les faire fusionner laisse espĂ©rer la rĂ©alisation « dâune comptabilitĂ© sociale de la production coopĂ©rative socialiste », mais en attendant il faut sâaccommoder de lâinflation⊠La guerre civile va prolonger les trois ans de guerre internationale. Lâauteur du Programme le sait, mais anticipe trĂšs peu les dĂ©sorganisations encore Ă venir. Enfin ce programme des communistes bolcheviks est imaginĂ© comme Ă©tant tout aussi bien celui de la RĂ©publique des soviets et de la classe ouvriĂšre russe entraĂźnant la masse des paysans pauvres. Sans le dire, la lutte « sans indulgence » contre la bourgeoisie a dĂ©jĂ Ă©tabli un rĂ©gime de parti unique.
La fin de la guerre mondiale et lâappel Ă la fondation dâune nouvelle Internationale
MalgrĂ© toutes les difficultĂ©s, les chefs et les militants bolcheviks sont optimistes quand sâapproche la fin de la guerre mondiale. Les deux Empires vaincus vont entrer en rĂ©volution. Boukharine, nous lâavons vu, est Ă Berlin en octobre pour ĂȘtre au plus prĂšs de lâĂ©vĂ©nement et rapprocher les Spartakistes des Bolcheviks.
Lâexpulsion des reprĂ©sentants officiels de la RĂ©publique des soviets, dont Boukharine, ne change pas le projet de LĂ©nine et de la direction du PC(b)R. Câest le moment de crĂ©er une nouvelle Internationale Communiste violemment opposĂ©e aux rĂ©sidus de lâancienne Internationale Social-dĂ©mocrate. Boukharine fait partie des principaux acteurs de la fondation de lâIC.
W. Hedeler a dĂ©couvert dans les archives russes quâun manuscrit prĂ©paratoire de la Lettre dâinvitation au CongrĂšs de fondation (publiĂ©e le 24 janvier 1919 dans la Pravda) Ă©tait de la main de Boukharine (pour les Russes, elle est signĂ©e seulement par LĂ©nine et Trotsky, qui lâa incluse dans le volume XIII de ses Ćuvres â mais câest Ă©videmment un travail collectif).
Les lettres Ă©changĂ©es entre LĂ©nine et Tchitcherine (le commissaire aux affaires Ă©trangĂšres chargĂ© dâorganiser les liaisons internationales) montrent que dĂšs dĂ©cembre 1918, Boukharine est au travail pour prĂ©parer une Plate-forme de lâInternationale.
Les mauvaises communications et lâaccumulation des dĂ©convenues en Allemagne auraient pu ralentir les efforts des chefs bolcheviks. Boukharine le sait bien puisque, Ă la mi-dĂ©cembre, une dĂ©lĂ©gation des soviets de Russie, dont Boukharine fait partie, est invitĂ©e par le Conseil exĂ©cutif de Berlin au CongrĂšs des Conseils allemands du 16 dĂ©cembre 1918. Les sociaux-dĂ©mocrates « majoritaires » dominent dĂ©jĂ la plupart des Conseils mais ils ont laissĂ© lancer cette invitation. Lâautre pouvoir, le gouvernement du Conseil des commissaires du peuple, Ă©galement sociaux-dĂ©mocrates et trĂšs anti-bolchevik, fait refouler la dĂ©lĂ©gation russe quand elle se prĂ©sente Ă la frontiĂšre[73]. Un parti communiste allemand se constitue malgrĂ© tout Ă travers des Ă©vĂ©nements de plus en plus dramatiques, jusquâĂ lâassassinat de ses chefs en janvier 1919. Les dirigeants qui survivent demandent de retarder la fondation de la nouvelle Internationale. Câest le message que porte Albert (Eberlein), le seul dĂ©lĂ©guĂ© qui a pu parvenir Ă Moscou.
En sâappuyant sur quelques petits partis et surtout sur des groupes de militants prĂ©sents en Russie, le parti communiste russe atteint son objectif. LâIC est fondĂ©e le 4 mars 1919, malgrĂ© lâabstention du dĂ©lĂ©guĂ© allemand, Albert (Eberlein). Câest avec lui que Boukharine prĂ©sente un rapport sur la Plate-forme qui est adoptĂ©e le 6 mars[74].
Premiers écrits à la suite de la révolution (vers 1920)
Membre supplĂ©ant du Bureau politique, idĂ©ologue et propagandiste rĂ©putĂ©, il est le spĂ©cialiste du programme du Parti et il publie des livres qui feront connaĂźtre dans le monde entier ce quâest le nouveau mouvement rĂ©volutionnaire, en particulier LâABC du communisme (1919), rĂ©digĂ© avec Evgueni Preobrajenski.
StimulĂ© par quelques conflits thĂ©oriques avec LĂ©nine et par les besoins de formation des cadres du parti dans lâInstitut des professeurs rouges, il Ă©crit et publie des ouvrages comme Ăconomique de la pĂ©riode de transition (1920), qui contient une analyse Ă©conomique du processus rĂ©volutionnaire que LĂ©nine, en 1919, avait jugĂ© impossible Ă mettre en forme, et La ThĂ©orie du matĂ©rialisme historique (1921), un Manuel populaire de sociologie qui a lâambition de prĂ©senter la thĂ©orie marxiste sous une forme nouvelle.
Certains historiens du communisme pensent que ces textes Ă©crits Ă lâĂ©poque du communisme de guerre reflĂštent nĂ©cessairement les illusions de cette pĂ©riode (illusion dâun passage direct au socialisme puisque lâĂtat, pour les besoins de la guerre, tend Ă organiser la production et la rĂ©partition ; illusion de la mise en place dâune planification par lâĂtat rendant inutile lâĂ©change et la monnaie ; jusquâĂ lâillusion dâun dĂ©but de dĂ©pĂ©rissement de lâĂtat, alors quâil est seulement profondĂ©ment dĂ©sorganisĂ©). Mais la rĂ©flexion de Boukharine sur la « transition » dĂ©veloppe seulement lâidĂ©e que la crise rĂ©volutionnaire est, Ă©conomiquement, la « dĂ©sagrĂ©gation » des structures et de lâorganisation du capitalisme dâĂtat et que la rĂ©volution prolĂ©tarienne a pour tĂąche de reconstruire et recombiner tous ces Ă©lĂ©ments sous la direction dâun Ătat socialiste. Lâillusion propre Ă Boukharine, Ă ce moment de guerre civile dâune violence extrĂȘme, est quâil sâimagine que lâĂtat de la « dictature du prolĂ©tariat » peut rapidement organiser lâensemble de lâĂ©conomie Ă peu prĂšs comme cela sâest fait en Allemagne pendant la guerre, sous la direction de lâarmĂ©e.
Positions controversées sur la NEP (en 1921)
Au dĂ©but de 1921, lorsque la guerre civile sâest conclue par la victoire nette des bolcheviks, la crise politique et sociale que connaissent la Russie soviĂ©tique et le PC(b)R remet tout en question. Boukharine, qui traverse cette crise en mĂ©contentant tout le monde parce quâil cherche Ă jouer le rĂŽle de « tampon » entre LĂ©nine et Trotsky sur la « question syndicale », est trĂšs vite un des partisans les plus convaincus de la « nouvelle politique Ă©conomique » (la NEP) lancĂ©e par LĂ©nine. Alors que beaucoup dâanciens « communistes de gauche » et de « vieux bolcheviks » ne reconnaissent plus le socialisme quâils avaient imaginĂ©, Boukharine, dĂšs 1921, donne son explication de ce qui sâest passĂ© : lâĂtat socialiste nâa pas pu maintenir une organisation rationnelle non marchande de lâĂ©conomie reprenant les Ă©lĂ©ments donnĂ©s par le capitalisme dâĂtat. LâĂtat socialiste russe est encore incapable dâorganiser intĂ©gralement lâensemble de lâĂ©conomie.
Mais il reste vrai que la transition passe par des « formes socialistes qui sont dans un certain sens le prolongement, sous une forme diffĂ©rente, des formes capitalistes qui lâont prĂ©cĂ©dĂ© »[75]. Pour aller au socialisme, le pouvoir soviĂ©tique doit partir dâun niveau dâorganisation infĂ©rieur Ă celui quâatteignait dĂ©jĂ le capitalisme dâĂtat. Les formes capitalistes qui sont lâobjet dâune « destruction-reconstruction » sont celles de la petite production marchande (dans lâagriculture) et de la concurrence monopoliste (dans la grande industrie et la finance). Par une ruse dont lâhistoire a le secret on ira au socialisme par le marchĂ©, car les grandes unitĂ©s Ă©conomiques, dont lâĂtat socialiste a le contrĂŽle, sont plus rationnelles et plus efficaces, elles finiront donc par absorber les petites unitĂ©s marchandes urbaines et rurales.
La NEP sâoppose certainement au « communisme de guerre » et aux « folies » (mot de LĂ©nine et de Boukharine) qui ont pu ĂȘtre faites Ă cette Ă©poque hĂ©roĂŻque, mais elle ne contredit pas le raisonnement thĂ©orique de Boukharine. Le passage de Boukharine de la « gauche » Ă la « droite » du parti signifie avant tout quâil prend conscience des consĂ©quences du niveau rĂ©el de dĂ©veloppement de lâĂ©conomie soviĂ©tique. Dans un contexte dâĂ©chec de lâexpansion internationale de la rĂ©volution, il constate, avec LĂ©nine et Trotsky, que lâĂtat soviĂ©tique est, pour une pĂ©riode indĂ©terminĂ©e, le seul bastion conquis par la « rĂ©volution mondiale ». Pour le renforcer et passer dans la mesure du possible Ă la « phase constructive » de la rĂ©volution, il faut ĂȘtre trĂšs rĂ©aliste et ne compter que sur les faibles moyens disponibles. LĂ©nine, dans cette pĂ©riode de la NEP, jusquâĂ lâattaque cĂ©rĂ©brale qui le rendra muet en , est ouvertement porteur dâun discours « rĂ©formiste » et « gradualiste » (dans le cadre dâun Ătat tenu exclusivement par le parti du prolĂ©tariat) qui servira de modĂšle Ă Boukharine pendant toute la suite de sa carriĂšre.
Il dirige Ă©galement Ă cette Ă©poque l'Ăcole internationale LĂ©nine.
Ralliement Ă Staline Ă la mort de LĂ©nine (aprĂšs 1924)
AprĂšs la mort de LĂ©nine, en , Boukharine devient membre titulaire du Bureau politique. Dans la lutte pour le pouvoir entre Trotsky, Zinoviev, Kamenev et Staline, Boukharine se rallie Ă Staline qui se place au centre du Parti et soutient la poursuite de la NEP contre lâopposition trotskiste qui voudrait lâinflĂ©chir « Ă gauche » en accĂ©lĂ©rant lâindustrialisation, en luttant plus Ă©nergiquement contre les paysans riches (les « koulaks ») et en dĂ©veloppant un mouvement dâagitation rĂ©volutionnaire mondial. Dans ce dĂ©bat, câest Boukharine qui met en forme les arguments de la thĂšse du « socialisme dans un seul pays » avancĂ©e par Staline en 1924.
En fait Boukharine dit seulement que le processus de transition peut se poursuivre en lâabsence dâune rĂ©volution dans les pays europĂ©ens plus dĂ©veloppĂ©s que lâURSS (Ă condition de maintenir le cap de la NEP et de prĂ©server lâalliance avec la paysannerie), mais lâopposition se souvient que les bolcheviks ont toujours dit que la rĂ©volution ne rĂ©ussirait quâen devenant mondiale et elle pense que cette thĂ©orie nouvelle revient Ă dire que la rĂ©volution nâa plus besoin dâĂȘtre encouragĂ©e dans les pays capitalistes puisque la Russie peut et va rĂ©aliser le socialisme avec ses seules forces. ComplĂštement impermĂ©able Ă ces critiques, Staline se glorifiera jusquâau bout de sa « thĂ©orie » du « socialisme dans un seul pays », mais, aprĂšs le tournant de la collectivisation, il lui donnera un contenu complĂštement opposĂ© aux idĂ©es de Boukharine.
Le chef de file de la « droite » du parti ? (de 1926 à 1928)
Dans la lutte pour le pouvoir, Staline est assez habile pour Ă©carter ses rivaux les uns aprĂšs les autres. Trotsky, la personnalitĂ© la plus forte de lâopposition de gauche, est dĂ©fait le premier, avec lâaide de Zinoviev et Kamenev. Puis Staline utilise Boukharine pour Ă©liminer Zinoviev et Kamenev de la direction du parti. Pendant presque deux ans (1926-1928) Boukharine semble ainsi accĂ©der au plus haut niveau du pouvoir. Il est de facto le chef de file de lâaile droite du parti qui occupe de solides positions. La « droite » est Ă la tĂȘte du gouvernement (Alexei Rykov), des syndicats (MikhaĂŻl Tomsky), de la presse et de lâInternationale communiste (NicolaĂŻ Boukharine). Les dirigeants de la droite sont populaires, et, aprĂšs le XVe congrĂšs du Parti communiste, en , ils ont en apparence la majoritĂ© au Bureau politique, lĂ oĂč tout se dĂ©cide.
AprĂšs ĂȘtre allĂ©s jusquâau bout des affrontements avec lâopposition en l'excluant du Parti et en exilant Trotsky et son groupe, les chefs de la droite dĂ©couvrent alors que Staline a dĂ©jĂ dĂ©cidĂ© de renverser lâorientation de sa politique. Pour surmonter la pĂ©nurie de cĂ©rĂ©ales, le SecrĂ©taire GĂ©nĂ©ral du Parti demande des mesures de rĂ©quisition « extraordinaires » et amorce un tournant vers une politique dâindustrialisation rapide et de collectivisation accĂ©lĂ©rĂ©e dans lâagriculture. Se serait-il soudain converti aux idĂ©es politiques de la gauche quâil vient dâĂ©liminer ?
Boukharine et ses amis ne refusent pas dâenvisager une croissance plus rapide et plus planifiĂ©e des investissements (le premier plan quinquennal est en prĂ©paration), mais ils redoutent les « mĂ©thodes administratives » et ils prĂ©fĂšrent une approche plus modĂ©rĂ©e offrant aux paysans lâopportunitĂ© de sâenrichir et de consommer, donc respectant des proportions Ă©quilibrĂ©es entre les grands secteurs de lâĂ©conomie. Boukharine dĂ©nonce depuis longtemps lâidĂ©e de prĂ©lever un « tribut » sur les paysans en faveur de lâindustrie comme une forme dâ« exploitation militaro-fĂ©odale » inadmissible. Boukharine, pendant toute lâannĂ©e 1928, tente dâorganiser la rĂ©sistance Ă Staline aux rĂ©unions du Bureau politique, aux sessions plĂ©niĂšres du ComitĂ© central et au CongrĂšs de lâInternationale. Sur ce terrain, il nâest pas de taille pour lâemporter.
Figure d'opposition fragile Ă Staline (jusqu'Ă 1928)
Au dĂ©but de 1928, Boukharine est populaire Ă la base du Parti (et peut-ĂȘtre dans la population soviĂ©tique, largement paysanne), mais il nâa pas le soutien de beaucoup de cadres supĂ©rieurs du Parti en dehors de quelques-uns des Ă©lĂšves de son Ă©cole (lâInstitut des professeurs rouges) qui sont tous des spĂ©cialistes des questions idĂ©ologiques et non des « organisateurs ». Seul le comitĂ© du Parti de la ville de Moscou est dirigĂ© par des boukhariniens sĂ»rs. LâInternationale communiste, qui aurait pu devenir son bastion puisquâil la dirige, nâapporte que des dĂ©ceptions (la grĂšve des mineurs anglais en 1926) ou des catastrophes (la dĂ©route des communistes en Chine en 1927) qui le fragilisent.
Le soutien de Boukharine Ă la poursuite de la NEP nâenthousiasme pas les cadres du Parti. Son slogan Ă lâintention des paysans, « Enrichissez-vous ! » et lâidĂ©e que la construction du socialisme ira « Ă pas de tortue » sont mal accueillis et nâont pas Ă©tĂ© dĂ©fendus avec ardeur quand Zinoviev les a attaquĂ©s. Staline et ses partisans reprendront les mĂȘmes attaques contre la « dĂ©viation droitiĂšre » en la prĂ©sentant comme une menace pour la rĂ©volution Ă un moment oĂč il faut accĂ©lĂ©rer lâindustrialisation de la maniĂšre la plus Ă©nergique.
Fin de la « droite » et perte de ses fonctions (1928 et 1929)
Face Ă un secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral dont il a renforcĂ© le pouvoir en lâaidant contre les oppositions de gauche, Boukharine est assez facilement mis en difficultĂ© et finalement Ă©cartĂ© de tous ses postes dans la direction du Parti. La nouveautĂ© est que plus rien ne se passe au grand jour. Boukharine est dâabord affaibli par la trahison de deux membres du Bureau politique (MikhaĂŻl Kalinine et Kliment Vorochilov) qui lĂąchent la majoritĂ© de droite lorsquâil est question de censurer les « excĂšs » commis par Staline[76]. Au plenum du ComitĂ© central de juillet, puis au CongrĂšs de lâIC, en aoĂ»t, les chefs de la droite constatent que lĂ aussi ils ont perdu la majoritĂ© dans la direction et que les staliniens les harcĂšlent de plus en plus ouvertement.
Boukharine et ses amis cependant se laissent berner par Staline qui, nâayant pas encore de programme bien dĂ©fini, accepte des compromis successifs apparemment favorables Ă la droite. Publiquement, la droite joue le jeu de lâunitĂ© presque jusquâĂ la fin de 1928, alors que pendant ce temps Staline et ses partisans utilisent leur contrĂŽle de la machine du parti pour remplacer les soutiens de Boukharine dans leurs bastions de Moscou, des syndicats et de la Comintern.
Recherche infructueuse de soutiens (1928-1929)
EffarĂ© par la tournure des Ă©vĂ©nements[77], Boukharine essaie dâobtenir le soutien ou la neutralitĂ© de ses anciens adversaires. Il prend des contacts avec le groupe Zinoviev-Kamenev et cherche Ă joindre Trotsky. Une rencontre discrĂšte avec Kamenev, Ă son domicile, le , est particuliĂšrement importante. Kamenev prend la mesure de lâinquiĂ©tude de son visiteur et de la peur que lui inspire Staline, ce « Genghis Khan » qui « ne craint pas de trancher les gorges » et qui « conduit le pays Ă la famine et Ă la ruine ». Boukharine hĂ©site encore Ă rendre la discorde publique et il donne Ă Kamenev lâimpression dâĂȘtre « un homme qui se sait condamnĂ© ». Boukharine ne tire aucun avantage de ces dĂ©marches interdites par la discipline du parti. Les trotskistes exilĂ©s en SibĂ©rie nâenvisagent pas de rallier le camp de Staline, mais ils excluent catĂ©goriquement de se joindre Ă Boukharine. Ils font cependant circuler le mĂ©morandum Ă©tabli par Kamenev dans le Bulletin de lâopposition, si bien quâil est publiĂ© Ă Paris, en , par un journal menchevik. Cette rĂ©vĂ©lation dâune activitĂ© fractionnelle du chef de la droite arrive alors que Boukharine sâest enfin dĂ©cidĂ© Ă intervenir sur le fond du dĂ©bat (sans nommer son adversaire rĂ©el) en publiant quelques articles et elle donne Ă Staline une occasion de lâaccuser pour un motif disciplinaire.
Soumission publique (1929)
Le dĂ©bat final, trĂšs vif, est tranchĂ© en avril par un Plenum du ComitĂ© central, mais dans le secret le plus complet. Les textes des vaincus ne seront pas publiĂ©s. Les dĂ©cisions prises sont mĂȘme cachĂ©es Ă la XVIe ConfĂ©rence du Parti, rĂ©unie fin avril. Staline lancera dâabord ses « brigades thĂ©oriques » dans une campagne virulente contre la « dĂ©viation de droite » pour annoncer petit Ă petit son exclusion des syndicats, de lâInternationale, de la presse, etc. Le , Boukharine est enfin dĂ©mis officiellement du Bureau politique.
Boukharine, qui ne peut rien dire publiquement pour se dĂ©fendre, est contraint de signer avec Rykov et Tomsky une dĂ©claration de soumission datĂ©e du . Un an plus tard, il signe une nouvelle dĂ©claration personnelle[78]. La « droite » est ainsi Ă©liminĂ©e, aussi bien dans le Parti communiste dâUnion soviĂ©tique que dans lâInternationale. Les partisans de Boukharine (lâAmĂ©ricain Lovestone, les Allemands Brandler et Thalheimer, etc.) sont exclus ou quittent le Comintern. Ils tentent un moment de former une alliance internationale, une Opposition Communiste Internationale (les trotskistes de lâOpposition de Gauche la dĂ©signeront toujours comme lâOpposition de Droite).
Protection des modérés envers Boukharine (jusqu'en 1934)
Staline dispose maintenant dâune autoritĂ© sans Ă©gale dans la direction du Parti (en , par exemple, Syrtsov et LominadzĂ© veulent corriger la politique de collectivisation et ils sont aussitĂŽt punis). Cependant, vers 1932-1933, il y a des signes que des modĂ©rĂ©s parmi les partisans de Staline songent Ă mettre fin Ă la terreur officielle et Ă apporter un changement gĂ©nĂ©ral de politique, maintenant que la collectivisation de masse est largement rĂ©alisĂ©e et que le pire est passĂ©. Ils protĂšgent Boukharine, directement, en lui offrant des emplois de directeur de recherche au Conseil Ă©conomique suprĂȘme, puis au Commissariat Ă lâindustrie lourde[79], et indirectement, lorsquâun groupe de ses anciens partisans, autour de Martemyan Rioutine, rĂ©dige et fait circuler clandestinement une plate-forme anti-stalinienne.
Staline, « le mauvais gĂ©nie de la rĂ©volution russe » selon Rioutine, rĂ©agit en voulant appliquer la peine de mort Ă tous ces comploteurs, malgrĂ© la recommandation de LĂ©nine, suivie jusquâici[80], de ne pas faire couler le sang entre les membres du Parti. Les modĂ©rĂ©s de la direction du Parti refusent dâaller aussi loin et limitent Ă un minimum le nombre des victimes emprisonnĂ©es ou exclues. Plus important encore : SergueĂŻ Kirov, le dirigeant du Parti Ă Leningrad, apparaĂźt de plus en plus comme le chef populaire des modĂ©rĂ©s. Kirov lui-mĂȘme est totalement loyal envers Staline, mais il est favorable Ă un relĂąchement gĂ©nĂ©ral de la tension et Ă une rĂ©conciliation avec les anciens opposants. Au CongrĂšs du Parti en 1934, Kirov est le candidat au ComitĂ© central le mieux Ă©lu avec seulement trois votes nĂ©gatifs, alors que Staline en enregistre deux cent quatre-vingt-douze.
RĂ©habilitation politique en sursis (1934 Ă 1936)
Câest dans ce contexte dâune courte pĂ©riode de dĂ©gel quâen 1934-1936 Boukharine est politiquement rĂ©habilitĂ©. Il a prĂ©alablement reconnu une fois de plus ses « fautes » en . Il y a mis plus de bonne volontĂ©, parce quâil pense quâil faut resserrer les rangs face aux famines et aux rĂ©voltes qui ravagent les campagnes russes et aussi face Ă lâarrivĂ©e dâHitler au pouvoir en Allemagne. La direction lui confie en 1934, aprĂšs le CongrĂšs, le poste de rĂ©dacteur en chef du journal quotidien du gouvernement, Izvestia.
Dans ses nombreux articles, conformes aux rĂšgles journalistiques de cette Ă©poque du culte de Staline, il met plus particuliĂšrement lâaccent sur les dangers des rĂ©gimes fascistes en Europe et dĂ©veloppe ses idĂ©es sur « lâhumanisme prolĂ©tarien ». Il est aussi nommĂ© Ă la commission qui prĂ©pare le texte de la Constitution soviĂ©tique de 1936, un texte qui promet les libertĂ©s de parole, de la presse, de rĂ©union, de religion, et le respect de la sphĂšre privĂ©e de la personne, de son domicile et de sa correspondance. Boukharine renforce autant que possible le camp des modĂ©rĂ©s et ceux-ci lui rendent un peu dâinfluence politique.
Mais lâesprit de modĂ©ration est bien menacĂ© depuis que Kirov a Ă©tĂ© assassinĂ© Ă Leningrad en . Ce crime, dont sont accusĂ©s les membres de l'Opposition OuvriĂšre, profite Ă Staline pour dĂ©clencher le processus de la « Grande Purge » par laquelle il fera Ă©liminer toutes les oppositions Ă sa ligne politique, par le biais de milliers dâexĂ©cutions. AprĂšs le meurtre de Kirov, le NKVD travaille Ă la mise en accusation successive de groupes toujours plus nombreux dâanciens opposants, en commençant par le groupe de Zinoviev et Kamenev. Il leur impute rituellement une participation Ă lâassassinat de Kirov et y ajoute dâautres actes de trahison, de terrorisme, de sabotage et dâespionnage.
Un séjour trÚs politique (en 1936)
Peu avant que la purge ne sâaccĂ©lĂšre, Staline envoie Boukharine Ă Paris pour y nĂ©gocier lâachat dâarchives de Marx et Engels appartenant au Parti social-dĂ©mocrate allemand (SPD), qui a pu les faire sortir dâAllemagne aprĂšs lâarrivĂ©e au pouvoir des nazis. AprĂšs un pĂ©riple europĂ©en (Prague, Vienne, Copenhague, Amsterdam), Boukharine est Ă Paris pendant six semaines (mars-). En marge de ses rencontres avec Boris Nicolaevski, un vieux menchevik qui reprĂ©sente le SPD, il fait une confĂ©rence Ă la salle de la MutualitĂ© sur Les ProblĂšmes fondamentaux de la culture contemporaine () et sa jeune Ă©pouse[81], Anna MikhaĂŻlovna Larina, vingt-deux ans, enceinte de huit mois, le rejoint le .
Les tĂ©moignages sur ce sĂ©jour sont contradictoires. Les premiers qui ont Ă©tĂ© reçus par les historiens sont moins fiables quâon lâa dâabord cru. Nicolaevski, Ă la fin des annĂ©es 1950 et au dĂ©but des annĂ©es 1960[82], a racontĂ© longuement ses rencontres avec Boukharine. Selon Nicolaevski, Boukharine profite de son sĂ©jour Ă Paris pour confier ce quâil pense rĂ©ellement de Staline et de sa politique Ă des personnes quâil connaĂźt de longue date (Fedor I. Dan) ou qui sont des parents de ses amis (Nicolaevski est le frĂšre dâun beau-frĂšre de Rykov). Il leur parle par exemple de la « dĂ©shumanisation » des membres du Parti qui ont pris part Ă la campagne de collectivisation et Ă ses massacres et qui, « pour ne pas devenir fous, ont acceptĂ© la terreur comme une mĂ©thode administrative normale ».
Il dit encore beaucoup dâautres choses, sur les dirigeants du Parti, sur lâaffaire Rioutine ou sur Kirov, que Nicolaevski utilise pour rĂ©diger une Lettre dâun vieux bolchevik, publiĂ©e Ă partir de par Le Messager socialiste, la revue menchevik parisienne qui avait dĂ©jĂ rĂ©vĂ©lĂ© en 1929 la rencontre de Boukharine et Kamenev. Ce document anonyme a immĂ©diatement Ă©tĂ© beaucoup utilisĂ© pour comprendre ce qui se passait en URSS et Stephen Cohen sâest appuyĂ© sur le tĂ©moignage de Nicolaevski pour rĂ©diger sa biographie de Boukharine (parue en 1971). Mais Nicolaevski ignorait encore au dĂ©but des annĂ©es 1960 quâAnna MikhaĂŻlovna Larina avait survĂ©cu Ă Staline.
Incertitudes historiques et incohérences face aux stratégies staliniennes
Lorsquâelle a pris connaissance de ces rĂ©cits, elle a eu le sentiment que Nicolaevski avait tout inventĂ© et rĂ©Ă©crit lâhistoire comme sâil nâavait pas Ă©tĂ©, en rĂ©alitĂ©, un adversaire de Boukharine. Selon Anna Larina, son mari lui dit avant de partir Ă Paris et lui redit quand elle le rejoint quâil ne peut pas envisager de parler sans tĂ©moin avec ceux qui ont Ă©ditĂ© le mĂ©morandum de Kamenev. Elle ne lâentend faire aucune confidence, mĂȘme Ă une vieille amie de la famille Larine quâelle rencontre avec lui. Elle note que Nicolaevski raconte comment Boukharine lui a parlĂ© plusieurs fois dâun voyage dans le Pamir, alors, nous dit-elle, quâil nâest allĂ© dans ces montagnes que quatre mois plus tard.
Anna Larina, quand elle rĂ©dige ses mĂ©moires[83], nâest pas loin de penser que la Lettre de Nicolaevski a Ă©tĂ© publiĂ©e pour nuire Ă Boukharine qui Ă©tait alors lâobjet dâune enquĂȘte du NKVD (et elle a, en effet, Ă©tĂ© utilisĂ©e pour le procĂšs). Anna Larina conclut que ce voyage nâest quâune provocation de la machine infernale stalinienne, dont le but est de rendre crĂ©dible les accusations dâespionnage et de trahison qui sont en prĂ©paration. Reste le tĂ©moignage dâAndrĂ© Malraux, qui organise la confĂ©rence du et rĂ©vise la traduction du texte imprimĂ©. Il se souvient, trente-cinq ans plus tard, dâun Boukharine se promenant place de l'OdĂ©on, distrait, et disant, en passant, « Maintenant, il va me tuer »[84].
Boukharine, mĂȘme lorsque sa femme le rejoint Ă Paris, nâenvisage pas dâĂ©migrer parce quâil ne « prĂ©voit pas sa perte »[85] et parce quâil nâest plus un « opposant ». Quand il parle devant sa femme, il reconnaĂźt invariablement que Staline a gagnĂ©, il vante les rĂ©alisations de lâindustrie lourde soviĂ©tique[86], etc. Il se surveille lui-mĂȘme et il sait bien quâon le surveille. Mais Boukharine a toujours le souci de protĂ©ger les siens. On ne peut pas exclure complĂštement quâil se cache aussi de sa femme, pour ne pas la compromettre. Les critiques et les doutes dâAnna Larina mettent en lumiĂšre les reconstructions laborieuses des tĂ©moignages de Nicolaevski ou de Dan.
ProcĂšs des anciens opposants Ă Staline (1936-1937)
Boukharine est en voyage dans le Pamir quand sâouvre le procĂšs de Zinoviev et Kamenev, entourĂ©s de quelques vieux bolcheviks de lâancienne Opposition de gauche. Dâ jusquâau , Boukharine est soumis Ă une premiĂšre arrestation avec lâouverture dâune instruction par la Procurature de lâURSS : il est coupĂ© de presque toutes ses relations, toutes ses activitĂ©s sont suspendues, il est confrontĂ© Ă une sĂ©rie de faux tĂ©moins et il comparait devant Staline ou Kaganovitch qui font alterner le chaud et le froid.
Boukharine veut « tenir bon »[87], mais il est dĂ©sespĂ©rĂ©. Il dĂ©cide finalement dâengager une grĂšve de la faim, et il interpelle ses tourmenteurs du ComitĂ© Central : « Je ne peux pas me tuer dâune balle de revolver, parce quâon dira que je me suis suicidĂ© pour nuire au Parti ; par contre si je meurs pour ainsi dire de maladie, que perdez-vous ?⊠Mais dites-moi ce que vous perdez. Si je suis un saboteur, un fils de chienne, etc., Ă quoi bon me plaindre ? ». Comme il se heurte Ă un mur de haine et de ricanements, il sâĂ©crie : « Mais comprenez quâil mâest difficile de vivre ! »[88]. Il ne dĂ©fend pas une politique comme en 1929, mais sa dignitĂ© dâhomme qui nâa pas trahi, qui ne veut rien faire qui puisse nuire politiquement Ă son Parti et pour qui il est maintenant « impossible de vivre ». « Certes, si je ne suis pas un homme, alors il nây a rien Ă comprendre »[89].
Emprisonnement et questionnements d'un simple homme
Boukharine fait ses adieux Ă sa famille. Il cherche pendant les treize mois suivants, enfermĂ© Ă la Loubianka, comment rĂ©pondre comme un homme aux questions quâil inscrit, dĂšs le dĂ©but de son emprisonnement, sur un morceau de papier : « (c) Si tu meurs, quâemportes-tu avec toi ? Au nom de quoi ? SpĂ©cialement Ă lâĂ©tape actuelle (d) Si tu vis â comment vivre et pourquoi ? (e) Tout ce qui est personnel est en train dâĂȘtre Ă©cartĂ© (f) Dans les deux cas il nây a quâune seule conclusion »[90]. Il redit ces questions dans sa derniĂšre dĂ©claration du procĂšs et dit quelle est cette conclusion. Les « faits positifs qui resplendissent en Union soviĂ©tique » lâont « dĂ©sarmĂ© dĂ©finitivement », il peut mourir au nom de lâURSS, comme il pourrait vivre pour elle.
Le protagoniste d'un « procÚs spectacle »
Le procĂšs spectacle dans lequel Boukharine joue le premier rĂŽle entourĂ© de vingt autres accusĂ©s, dont Rykov et lâancien chef de la police Guenrikh Iagoda, est longuement prĂ©parĂ© pour ĂȘtre le sommet de la sĂ©rie commencĂ©e avec les zinovievistes et poursuivie avec Radek, Gueorgui Piatakov et quelques anciens trotskistes. Le procĂšs du « bloc des droitiers et des trotskistes » doit dĂ©montrer que tous les « vieux bolcheviks » qui sâĂ©taient si peu que ce soit opposĂ©s Ă Staline avaient complotĂ© dĂšs 1918 pour assassiner LĂ©nine et Staline ; quâils avaient tuĂ© Kirov, empoisonnĂ© Maxime Gorki, et quâils Ă©taient des espions de toutes les puissances Ă©trangĂšres pour le compte desquelles ils sâapprĂȘtaient Ă dĂ©pecer lâURSS et Ă partager ses territoires entre lâAllemagne, le Japon et la Grande-Bretagne.
LâabsurditĂ© des accusations et lâinvraisemblance des aveux de tous ces vieux rĂ©volutionnaires nâempĂȘchent pas cette opĂ©ration de rĂ©ussir jusquâĂ un certain point. Pour quelques communistes et anciens communistes amĂ©ricains ou europĂ©ens (Bertram Wolfe, Jay Lovestone, Arthur Koestler, Heinrich Brandler ou Charles Rappoport), le procĂšs de Boukharine provoque leur rupture dĂ©finitive avec le communisme et mĂȘme, pour les trois premiers, leur conversion Ă un anti-communisme fervent. Une petite partie des observateurs de la presse comprend aussitĂŽt que tout ici est mensonge, mais sur les masses soviĂ©tiques et sur une bonne part de lâopinion publique dans le reste du monde, le spectacle mis en scĂšne atteint son but : anĂ©antir les accusĂ©s et les faire sortir de lâhistoire comme des criminels quâil faut oublier pour toujours. La clĂ© de la rĂ©ussite relative de cette imposture est que lâaccusation est portĂ©e par les accusĂ©s eux-mĂȘmes. Et Boukharine sâest prĂȘtĂ© Ă cette mise en scĂšne.
Analyses extérieures des cadres du Parti
Anastase Mikoyan et Molotov ont affirmĂ©, longtemps aprĂšs, que Boukharine nâavait jamais Ă©tĂ© torturĂ©. Les documents disponibles sur son sĂ©jour en prison ne donnent pas dâindication de torture allant au-delĂ de conditions dâenfermement extrĂȘmement dures. Mais Boukharine se plaint de souffrir dâhallucinations et il craint Ă©videmment tout ce qui peut menacer ses proches. Il rĂ©siste trois mois aux enquĂȘteurs, puis, Ă partir de , il rĂ©dige avec eux, en plusieurs Ă©tapes, des aveux quâil sâefforce encore de limiter mais quâil promet de ne pas retirer publiquement[91]. Cependant, comme il prĂ©sente lui-mĂȘme sa dĂ©fense, il a une « tactique » (qui met en rage le procureur Vychinski) : il reconnaĂźt la « somme totale de ses crimes » et sa responsabilitĂ© pour tout ce qui est imputĂ© au « bloc des droitiers et des trotskistes », mais il nie avoir eu connaissance de la plupart des « crimes » particuliers. Il refuse aussi dâavouer Ă lâaudience sa participation Ă de prĂ©tendus complots contre LĂ©nine, et dâautres affaires dâespionnage, qui nâĂ©taient pas inscrites dans lâinstruction.
De ce fait, il donne aux observateurs quelques exemples de lâincohĂ©rence de lâensemble du procĂšs[92]. Boukharine, consciemment, laisse des indices pour ceux qui voudraient la vĂ©ritĂ©, et, pour ceux qui nâauraient pas encore compris, il dit, tout Ă la fin de sa derniĂšre dĂ©claration, que pour aboutir Ă leur condamnation par le tribunal, « les aveux des accusĂ©s ne sont pas obligatoires. Lâaveu des accusĂ©s est un principe juridique moyenĂągeux »[93]. Le procĂšs qui sâachĂšve Ă©tant entiĂšrement basĂ© sur un tissage dâaveux et de dĂ©nonciations de repentis, il repose donc sur peu de chose, mais ces aveux, dit-il, sont importants car ils signifient ce que Boukharine appelle : « la dĂ©faite intĂ©rieure des forces de la contre-rĂ©volution ». Cela sonne bien comme une dĂ©claration de renoncement, dâautant plus forte quâil ajoute : « il faut ĂȘtre Trotsky pour ne pas dĂ©sarmer », et quâil le dĂ©nonce immĂ©diatement â câest la seule dĂ©nonciation apparente de ce dernier discours â comme « le principal moteur du mouvement », celui qui a Ă©tĂ© Ă la source des « positions les plus violentes ». Il fait lors de ce procĂšs des dĂ©clarations contradictoires.
Regards historiographiques sur ses derniers Ă©crits
LâĂ©tude des documents qui ont petit Ă petit revu le jour (message verbal transmis par sa femme, manuscrits, lettres, bouts de papier, etc.) ne rĂ©duit pas lâimpression dâambivalence que donne le comportement de Boukharine. Elle dessine les traits dâun homme qui a peur et qui souffre (moins pour lui-mĂȘme que pour ses proches). Il a un sentiment de culpabilitĂ© qui affleure toujours et qui ne sâattĂ©nue que lorsquâil exprime sa foi dans lâidĂ©al du socialisme. Pendant les trois premiers mois Ă la Loubianka, il rĂ©siste aux enquĂȘteurs en mĂȘme temps quâil Ă©crit recto verso, sans aucune rature, seize folios constituant les douze chapitres dâun livre, Le Socialisme et sa culture. Ce livre, qui nâa Ă©tĂ© lu que par Staline jusquâen 1992, semble ĂȘtre une tentative pour influencer le dĂ©veloppement du socialisme soviĂ©tique (par le truchement de son chef) en direction dâune utopie oĂč se rĂ©aliseraient quelques-unes des espĂ©rances des socialistes. Boukharine Ă©crira ensuite quarante chapitres dâArabesques philosophiques, oĂč il fait le tour de la philosophie pour prouver enfin Ă LĂ©nine quâil a Ă©tudiĂ© la dialectique.
Boukharine sâapaise plus lorsquâil Ă©crit des poĂšmes (il y en a 173) et un roman autobiographique, Vremena (Comment tout a commencĂ©) qui restera inachevĂ©. Il envoie une lettre Ă Staline le . Cette lettre contient des idĂ©es incohĂ©rentes sur ce quâil ferait sâil vivait et des aveux sur ce quâil regrette vraiment (la rencontre avec Kamenev en 1928) ou sur sa prĂ©fĂ©rence pour une exĂ©cution par une injection de morphine. Le message quâil a fait apprendre par cĆur Ă Anna, en , est une adresse Ă la gĂ©nĂ©ration future des dirigeants du parti. Il y dit avec beaucoup de luciditĂ© ce quâest « la machine infernale » qui le tue et il rejette toutes les accusations dont on lâaccable, mais le message, destinĂ© Ă une gĂ©nĂ©ration qui devra « dĂ©nouer lâincroyable Ă©cheveau de crimes » qui « Ă©touffe le Parti », ne donne aucune indication politique particuliĂšre : son auteur, « depuis sept ans », nâavait « plus lâombre dâun dĂ©saccord avec le Parti » et il ne prĂ©sente quâune seule requĂȘte : la rĂ©habilitation de sa mĂ©moire et sa rĂ©intĂ©gration posthume dans le Parti. « Ne me jugez pas plus sĂ©vĂšrement que Vladimir Ilitch ne lâa fait », voilĂ une phrase qui exprime de quelle maniĂšre Boukharine reste jusquâau bout en quelque sorte enfermĂ© dans lâexpĂ©rience humaine de la rĂ©volution quâil a faite « avec » et « contre » LĂ©nine.
LâexĂ©cution, le jour de l'Anschluss en 1938
Romain Rolland, juste aprĂšs lâarrestation de Boukharine, Ă©crit Ă Staline un appel Ă la clĂ©mence : « Une intelligence de lâordre de celle de Boukharine est une richesse pour son pays ; (âŠ) Depuis un siĂšcle et demi que le Tribunal rĂ©volutionnaire de Paris condamna Ă mort le gĂ©nial chimiste Lavoisier, nous avons toujours en France, nous les plus ardents RĂ©volutionnaires, les plus fidĂšles au souvenir de Robespierre et du grand ComitĂ© du salut public, un amer regret et un remords de cette exĂ©cution ». Et il ajoute : « Au nom de Gorki, je vous demande sa grĂące. Quelque coupable quâil ait pu ĂȘtre, un tel homme nâest pas de lâespĂšce de ceux du procĂšs prĂ©cĂ©dent »[94]. Staline lit la lettre et griffonne : « On ne doit pas rĂ©pondre ». LâexĂ©cution de Boukharine est annoncĂ©e le , mais la nouvelle de sa mort est Ă©clipsĂ©e par lâentrĂ©e des nazis en Autriche (lâAnschluss), qui a lieu le mĂȘme jour.
« Koba, quel besoin as-tu de ma vie? ». Boukharine, disait-on en URSS, dans les annĂ©es 1980[95], avait Ă©crit ces mots avec son sang sur le mur de sa cellule (Koba Ă©tait le nom utilisĂ© dans la clandestinitĂ© par Staline Ă l'Ă©poque oĂč Boukharine lâavait connu et aidĂ©, en 1913). Selon une autre lĂ©gende, la question Ă©tait inscrite sur un billet que Staline conserva sur son bureau jusquâĂ sa mort en 1953[96]. Staline, en 1935, portait ainsi un toast Ă Boukharine devant une assemblĂ©e dâofficiers : « Tout le monde lâaime ici, tout le monde le connaĂźt. Mais celui qui se risquera Ă remuer le passĂ©, gare Ă lui ! »[97]. Anna Larina elle-mĂȘme peut en tĂ©moigner : Staline a aimĂ© Boukharine, qui a Ă©tĂ© longtemps trĂšs proche de lui et de sa famille. Pour obtenir quâil joue son rĂŽle, Koba ne sâest pas contentĂ© dâautoriser Boukharine Ă Ă©crire, il lui a sans doute promis dâĂ©pargner les siens.
Le sort de ses proches
Ivan, son pĂšre, est mort en 1940. Staline lui a fait d'abord supprimer sa pension, mais il est mort avant d'avoir Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ© autrement. Anna Larina a Ă©tĂ© exilĂ©e peu aprĂšs l'arrestation de son mari, puis arrĂȘtĂ©e. Elle a passĂ© prĂšs de 20 ans de sa vie dans les prisons internes du NKVD, les isolateurs politiques, les camps et la relĂ©gation. Son fils, nommĂ© Iouri Larine, ĂągĂ© alors de moins de 2 ans, a Ă©tĂ© envoyĂ© par le NKVD en orphelinat sous un pseudonyme, Gusman, le nom de sa tante maternelle. Il a retrouvĂ© sa mĂšre en 1956 seulement. Svetlana, sa fille nĂ©e en 1924, nâa pas Ă©chappĂ© aux camps (elle est arrĂȘtĂ©e en 1949). Vladimir, le frĂšre de Boukharine, a passĂ© dix-huit ans dans les camps et en exil, et il a vĂ©cu jusquâĂ quatre-vingt-neuf ans. Par contre, sa cousine et premiĂšre Ă©pouse, Nadejda Loukina et son cousin ont Ă©tĂ© fusillĂ©s. Certains se sont demandĂ© si ce destin relativement clĂ©ment pour une famille « dâennemis du peuple » n'Ă©tait pas dĂ» Ă la sollicitude de BĂ©ria, qui aurait veillĂ© Ă leur survie[98].
RĂ©habilitation trĂšs tardive (en 1988)
Le Parti a trĂšs longtemps déçu lâespĂ©rance de rĂ©habilitation de Boukharine. Ni la mort de Staline, ni la premiĂšre dĂ©nonciation du culte de la personnalitĂ©, ni sa seconde dĂ©nonciation et encore moins la chute de Khrouchtchev, nâont Ă©tĂ© lâoccasion de rĂ©habiliter Boukharine. Il a fallu attendre la fin de la pĂ©riode Gorbatchev pour que Boukharine obtienne satisfaction : ĂȘtre rĂ©intĂ©grĂ© (Ă titre posthume, il aurait eu cent ansâŠ) dans le Parti.
Vie privée et personnalité
Simon Sebag Montefiore le dĂ©crit dotĂ© dâune barbe rousse et dâyeux pĂ©tillants, « peintre, poĂšte et philosophe [âŠ] un charmeur, le farfadet des bolcheviks [âŠ] lâami le plus intime de Staline et de Nadia »[99]. « Boukhartchik » Ă©tait dâailleurs trĂšs proche de Nadia, avec qui il se promenait souvent en compagnie de ses renards apprivoisĂ©s[100].
Figure politique et Ćuvre
De Boukharine, les acteurs politiques qui lâont connu ont dit beaucoup de choses nĂ©gatives ou faussement positives : il manque de « fermetĂ© intĂ©rieure » (Lukacs), il est une « cire molle » (Kamenev), il nâest que le « mĂ©dium » de lâautoritĂ© dâun maĂźtre (Trotsky). Il a Ă©tĂ© qualifiĂ© de « brave », incapable de « mettre du venin dans ses attaques » (LĂ©nine). Il incarnerait ce que Stephen Cohen propose dâappeler le « bon bolchevik », ce qui n'est pas vraiment un compliment. D'un caractĂšre aimable, il est cependant apprĂ©ciĂ© sur le plan humain par tous ses camarades bolcheviks, Staline le premier, et il est souvent considĂ©rĂ© comme le meilleur thĂ©oricien du Parti.
Assertions dans le « testament »
Selon le « testament » de LĂ©nine du , Boukharine est « un thĂ©oricien des plus marquants et de trĂšs haute valeur », mais « ses vues thĂ©oriques ne peuvent quâavec la plus grande rĂ©serve ĂȘtre tenues pour pleinement marxistes ». Il y a « quelque chose de scolastique » chez lui, car « il nâa jamais Ă©tudiĂ© et, je le prĂ©sume, il nâa jamais compris entiĂšrement la dialectique »[101]. Ces propositions nâont de sens que sâil nây a aucun « bon » thĂ©oricien dans le Parti. LĂ©nine le pense peut-ĂȘtre, car aucun de ses « hĂ©ritiers » dĂ©signĂ©s dans le « testament » nâest Ă©pargnĂ©. Ils ont tous un dĂ©faut majeur et, au fond, il les rĂ©cuse tous.
Le sens de ce fameux « testament », que tout le monde citait et qui nâĂ©tait jamais publiĂ©, est plutĂŽt dâintervenir au point de dĂ©part de la compĂ©tition entre les hĂ©ritiers en chargeant chacun de son handicap. Faut-il accorder de lâimportance au fait que LĂ©nine nâĂ©voque pas du tout le dĂ©faut « politique » majeur du benjamin du Bureau politique ? Il ne dit rien des « erreurs » qui lâont prĂ©cipitĂ© dans lâopposition en 1918, alors quâil assomme Zinoviev et Kamenev pour leur attitude Ă la veille dâ et quâil reproche allusivement Ă Trotsky les dĂ©bats de 1921, au moment oĂč Ă©clate la crise de lâaprĂšs-guerre civile (Staline, lui, a de trĂšs graves dĂ©fauts de caractĂšre).
Interprétations
Peut-ĂȘtre LĂ©nine ne voyait-il en Boukharine quâun thĂ©oricien et peut-ĂȘtre pensait-il que son rayonnement dans le Parti, dont il Ă©tait « lĂ©gitimement » le « favori », ne tenait quâĂ cette qualitĂ© particuliĂšre qui avait pu sâĂ©panouir dans le « travail idĂ©ologique » de la presse et de lâĂ©dition. « Le thĂ©oricien de trĂšs haute valeur » du parti Ă©tait certainement un « spĂ©cialiste » des idĂ©es, mais aussi un chef de file politique, qui avait une image politique auprĂšs de ses pairs et rivaux. Cette image Ă©tait plutĂŽt paradoxale. La principale qualitĂ© politique que lui trouve son ami non boukhariniste le plus fidĂšle, Sergo OrdjonikidzĂ©, est, dit-il, un « trait de caractĂšre admirable » : il a « le courage, non seulement dâexprimer ses idĂ©es mais aussi de reconnaĂźtre publiquement ses erreurs, lorsquâil en prend conscience ». « Cette magnifique qualitĂ© », si « nos » dirigeants la possĂ©daient, rendrait plus facile la rĂ©solution des litiges, dĂ©clare ainsi Sergo devant le XIVe CongrĂšs du Parti, en 1925[102]. Boukharine lui-mĂȘme a dit Ă un ami quâil avait Ă©tĂ©, dans sa jeunesse, le pire des « organisateurs » du Parti. Il nâĂ©tait certainement pas un grand stratĂšge et ses fausses manĆuvres ont Ă©tĂ© multiples.
Une position politique propre ?
La question de savoir sâil existe une position politique propre Ă Boukharine, et sâil sâagit dâun apport digne dâintĂ©rĂȘt Ă lâhistoire mondiale du socialisme ne peut ĂȘtre envisagĂ©e que parce que Boukharine a une Ćuvre intellectuelle, et câest dans cette Ćuvre quâil survit. Mais la mĂ©connaissance de lâĆuvre de Boukharine est une des grandes rĂ©ussites du stalinisme. Rien nâest remontĂ© Ă la surface avant les annĂ©es 1960 et 1970, et sa lecture a dâabord Ă©tĂ© complĂštement brouillĂ©e par les stĂ©rĂ©otypes rĂ©pandus partout pour le calomnier. Une vue dâensemble sur lâĆuvre de Boukharine, de 1912 Ă 1938 (ou 2009, date de publication de lâensemble de ses poĂšmes Ă©crits en prison) est proposĂ©e dans les lignes Ă suivre.
Un théoricien du capitalisme moderne
Lâaxe principal de son travail est la thĂ©orie Ă©conomique du capitalisme moderne (de son temps) quâil analyse comme un « capitalisme dâĂtat », câest-Ă -dire un capitalisme dont lâĂtat a pris le contrĂŽle en organisant la production, et qui peut Ă©liminer les crises du marchĂ©. Cette conception du capitalisme moderne est constante de 1914 Ă 1929. Elle sous-tend lâexplication de lâimpĂ©rialisme et de la guerre (par la concurrence dans lâĂ©conomie mondiale entre les « trusts capitalistes dâĂtat »), lâanalyse Ă©conomique de la crise rĂ©volutionnaire (la dĂ©sagrĂ©gation des structures du capitalisme dâĂtat au cours de la « crise » quâest la guerre), la premiĂšre thĂ©orie de la transition (le socialisme est, Ă©conomiquement, une reconstruction et une nouvelle combinaison des structures du capitalisme dâĂtat) et la seconde version de la thĂ©orie de la transition (la construction du socialisme sâappuie sur la rationalitĂ© supĂ©rieure des grandes entreprises monopolistes contrĂŽlĂ©es par lâĂtat ; de mĂȘme que leur dĂ©veloppement a conduit le capitalisme jusquâau capitalisme dâĂtat, sous la dictature du prolĂ©tariat il conduira au socialisme).
En 1929, cependant, Boukharine dĂ©couvre (en apparence dans la littĂ©rature Ă©conomique) que les grandes entreprises monopolistes peuvent ĂȘtre irrationnelles, contre-productives et rĂ©gressives. Il nâen tire aucune conclusion explicite, mais il sâagit objectivement dâune remise en question de toute la base de son raisonnement. Les outils thĂ©oriques dont Boukharine se sert pour Ă©tudier lâĂ©conomie sont tirĂ©s dâune connaissance profonde et fine du Capital et des ThĂ©ories sur la plus-value de Marx, enrichie par les travaux des austro-marxistes (Hilferding, Bauer) et ceux des meilleurs auteurs « bourgeois » (surtout les marginalistes et lâĂ©cole historique allemande, Sombart par exemple). Les ouvrages les plus importants de la veine Ă©conomique de Boukharine sont au nombre de six ou sept : LâĂconomie politique du rentier (1914), LâĂconomie mondiale et lâimpĂ©rialisme (1915-1916), Vers une thĂ©orie de lâĂtat impĂ©rialiste (1916), Economique de la pĂ©riode de transition (1920), LâImpĂ©rialisme et lâaccumulation du capital (1924-1925), La ThĂ©orie du dĂ©sordre Ă©conomique organisĂ© (1929) et on peut y ajouter LâEnseignement de Marx et son importance historique (1933), mais il sâagit dâune synthĂšse oĂč il rĂ©ussit Ă prĂ©server lâessentiel des apports de Marx en effaçant toute trace de ses propres travaux sociologiques et Ă©conomiques pour introduire quelques-uns des dogmes estampillĂ©s par le MaĂźtre.
Vers une conception scientifiquement marxiste de la sociologie
Le deuxiĂšme axe, probablement constamment prĂ©sent dans son esprit, est son projet dâĂ©tablir philosophiquement et scientifiquement une conception marxiste de la sociologie, dont il donne un exposĂ© longuement dĂ©veloppĂ© dans La thĂ©orie du matĂ©rialisme historique, manuel populaire de sociologie marxiste (1921). Il sâagit dâune synthĂšse extrĂȘmement ambitieuse visant une sorte de thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de la sociĂ©tĂ©. LâidĂ©e la plus originale, pour aller Ă lâessentiel, est que le capitalisme, lâune des formes historiques de la sociĂ©tĂ© humaine, peut ĂȘtre dĂ©fini comme un systĂšme de rapports sociaux dont les uns, ceux qui sĂ©parent les sujets Ă©conomiques, sont des rapports « marchands » portĂ©s par la classe dominante, tandis que les autres, ceux qui rĂ©unissent les sujets et les font coopĂ©rer, sont des rapports « non marchands » portĂ©s par la classe dominĂ©e. Il y a donc, Ă lâarriĂšre plan du conflit entre les bourgeois et les prolĂ©taires, un conflit entre ces deux types de rapports sociaux (câest une maniĂšre dâexprimer lâidĂ©e que le communisme est dĂ©jĂ inscrit dans les structures mĂȘmes du capitalisme et que le dĂ©veloppement de cette opposition prend la forme dâun conflit entre le « marchĂ© » et « lâorganisation »).
La critique marxiste de lâĂ©conomie politique, comme lâĂ©conomie politique elle-mĂȘme, considĂšre exclusivement les rapports de production marchands et ne donne que les lois Ă©conomiques du capitalisme. Les lois du changement social (i. e., la thĂ©orie du matĂ©rialisme historique) dĂ©pendent des Ă©volutions et des contradictions des rapports « marchands » et « non marchands ». Dans cette optique, les rapports sociaux non marchands (les rapports dâorganisation) jouent un rĂŽle crucial pour le progrĂšs des forces productives, dans le capitalisme comme dans la transition vers le socialisme. Lâorganisation tend vers la rationalisation de la production en mĂȘme temps quâelle la socialise. Un sujet Ă©conomique plus « organisĂ© » est plus « rationnel » et plus productif, donc plus compĂ©titif quâun autre sujet moins « organisĂ© », etc. La recherche que propose Boukharine part ainsi dans des directions novatrices et se poursuit en examinant surtout les relations quâentretiennent les infra-structures et les super-structures (y compris les arts). Toutes ces idĂ©es nouvelles mĂ©ritent la discussion (Lukacs et Gramsci ont critiquĂ© le livre) mais sa dĂ©marche lâamĂšne Ă tenir compte, dans toute son Ćuvre, de « lâorganisation » et des « organisateurs », Ă sâintĂ©resser au rĂŽle des « cadres » dans le capitalisme moderne qui est dĂ©jĂ largement « organisĂ© », et enfin Ă identifier, dĂšs 1921, le risque que les « organisateurs » de la transition au socialisme (les membres du parti qui exerce la dictature du prolĂ©tariat) se dĂ©veloppent en une nouvelle classe dominante.
Saisir en fin de compte les problĂšmes politiques concrets
Ă lâintersection des deux axes de sa pensĂ©e, Boukharine aborde les problĂšmes politiques plus concrets en essayant toujours de rĂ©flĂ©chir. On ne peut pas dire, naturellement, que câest toujours une dĂ©marche rationnelle qui le dĂ©termine, mais ses contributions aux dĂ©cisions de politique Ă©conomique sont argumentĂ©es. Dans les dĂ©bats des annĂ©es 1920 sur la construction du socialisme ou sur la politique de lâInternationale, il prĂ©sente ses idĂ©es et il discute celles des autres. JusquâĂ sa chute du sommet du pouvoir, son Ćuvre thĂ©orique et ses travaux politiques, en particulier ses brochures de popularisation du programme du communisme, sont intellectuellement cohĂ©rents mĂȘme sâil expose souvent des thĂšses qui ne sont pas exactement les siennes mais celles qui ont Ă©tĂ© adoptĂ©es par le Parti.
Dans cette catĂ©gorie, les Ćuvres principales sont LâABC du communisme (1919), les divers Projet de programme de lâinternationale communiste (1922, 1924 et 1928), RĂ©volution prolĂ©tarienne et culture (1923), LĂ©nine marxiste (1924), les articles critiques de la « plate-forme Ă©conomique de lâopposition » (1925), Le Chemin du socialisme et le bloc ouvrier et paysans (1925), les articles du dĂ©bat avec Staline : Remarques dâun Ă©conomiste (1928), Le Testament politique de LĂ©nine (1929). Les choses changent dans les annĂ©es 1930 dans la mesure oĂč une forte censure, encore plus fortement intĂ©riorisĂ©e, contraint lâexpression de la moindre idĂ©e. JusquâĂ son emprisonnement Boukharine est rĂ©duit Ă une activitĂ© discrĂšte. Sâil dit un mot de trop, il est immĂ©diatement rappelĂ© Ă lâordre. En prison, par contre, lâautorisation dâĂ©crire semble lâavoir engagĂ© dans une Ćuvre nouvelle. Il ne choisit pas un thĂšme Ă©conomique, mais la philosophie et la sociologie.
Productions
Caricatures et arts-visuels
Boukharine a dessinĂ© des caricatures, quâil agrĂ©mentait de phallus exubĂ©rants ou dâuniformes tsaristes[103]. Ceux Ă qui il les donnait les ont souvent conservĂ©es (en particulier Vorochilov), ce qui a permis leur publication[104].
Mais Boukharine a aussi peint. Constantin Yuon lui a dit une fois : « Oubliez la politique. Vous nâavez pas dâavenir en politique. Peindre est votre vraie vocation »[105]. Les tableaux de Boukharine nâont pas bien rĂ©sistĂ© Ă la rĂ©pression stalinienne. Une dizaine seulement ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s.
Ćuvres principales
Principaux titres en français :
- L'Ăconomie politique du rentier â critique de l'Ă©conomie marginaliste, 1914. trad. Paris, EDI, 1966 - rĂ©Ă©dition, avec un avant-propos de Michel Husson, Ăditions Syllepse, 2010.
- L'Ăconomie mondiale et l'impĂ©rialisme 1915. trad. Paris, Anthropos, 1977.
- Le Programme des communistes (Bolchéviks), Imprimerie coopérative, La Chaud-de-Fond 1918.
- L'ABC du communisme- écrit avec E. Préobrajenski 1919. trad. Paris, Maspero, 1971. (2 vol.). Réédition (Tome I), avec une nouvelle présentation et postface d'A. Hasard. Paris, Les Nuits rouges, 2008.
- Ăconomique de la pĂ©riode de transition, 1920. trad. Paris, EDI, 1976.
- La Théorie du matérialisme historique, 1921. trad. Paris, Anthropos, 1977, réédition, Le Sandre, 2008.
- L'ImpĂ©rialisme et l'accumulation du capital â critique de Rosa Luxembourg, 1925. trad. Paris, EDI, 1977
- Le Socialisme dans un seul pays, recueil de publications 1925-1927, Paris, U.G.E, coll. 10-18, 1974.
- Le Léninisme et le problÚme de la révolution culturelle, 1928, Dialectiques, no 13, 1976, pp. 109-128.
- Ćuvres choisies en un volume (textes de 1919 Ă 1929, plus un choix de lettres), Moscou, 1990.
- Théorie et pratique du point de vue du matérialisme dialectique, 1931,Dialectiques, no 13, 1976, pp. 89-107.
- Les ProblĂšmes fondamentaux de la culture contemporaine, 1936, Nouvelles Fondations, no 6, 2007, pp. 156-168.
- Six lettres de Boukharine, 1936-1937, Communisme, no 61, 2000, pp. 7-40.
- à la future génération des dirigeants du Parti, 1937.
- Boukharine, Ossinski, Radek, Smirnov, La Revue Kommunist (Moscou, 1918) â Les communistes de gauche contre le capitalisme d'Ătat, Toulouse, Collectif d'Ă©dition Smolny, 2011.
Boukharine a Ă©crit sur beaucoup dâautres choses encore, y compris sur la littĂ©rature et sur les arts. Lui-mĂȘme sâest maintenu en vie en prison en Ă©crivant un roman sur son enfance et un cycle de poĂšmes sur la transformation du monde.
Manuscrits de prison
Les manuscrits de la prison ont été traduits en anglais :
- Socialism and its Culture, 1937, Seagull Books, 2006.
- Philosophical Arabesques, 1937, Monthly Review Press, 2005.
- The Prison Poems, 1937, Seagull Books, 2009.
- How it All Began : The Prison Novel, 1938, Colombia University Press, 1999.
Notes et références
- Les informations biographiques sur le jeune Boukharine se sont beaucoup enrichies grĂące Ă Wladislaw Hedeler qui a publiĂ© en 2015 : Nikolai Bucharin, Stalins tragischer Opponent, Eine politische Biographie, Matthes & Seitz, Berlin. Le premier biographe de Boukharine, Stephen F. Cohen, en 1971, ne pouvait se rĂ©fĂ©rer quâĂ une brĂšve autobiographie de 1925 et ignorait, par exemple, lâexistence de deux frĂšres et dâune sĆur dĂ©cĂ©dĂ©s prĂ©maturĂ©ment. Une autre source est utile : Emma B. Gurvich, Un regard sur le temps passĂ© â Fragments de la chronique familiale de N. I. Boukharine, AIRO XXI, 2010 (en russe). E. B. Gurvich Ă©tait la cousine germaine de Svetlana N. Gurvich-Boukarina, fille de N. I. Boukharine.
- Ivan Gavrilovitch Boukharine (1860-1940) avait fait des Ă©tudes de mathĂ©matiques et de philologie. Deux de ses frĂšres Ă©taient mĂ©decins. Lioubov Ivanovna Boukharina, nĂ©e IsmaĂŻlova (1860-1916) Ă©tait institutrice diplĂŽmĂ©e dâune Ă©cole des SĆurs de la charitĂ©. Son beau-frĂšre Ă©tait directeur de lâĂ©cole oĂč le couple enseignait. Boukharine est nĂ© au cĆur de la grande famille de lâintelligentsia russe.
- Vremenia, traduction anglaise : How it All Began, p. 172-177.
- Il donne un rĂ©cit de ces Ă©vĂ©nements tragiques dans Vremenia, en 1938 (cf. How it All Began, p. 251, p. 289 et pp. 319-322). Il nâen avait rien dit dans sa premiĂšre autobiographie en 1925, ni ailleurs.
- Boukharine, Autobiographie de lâEncyclopĂ©die Granat, MIA français, p. 10 du PDF.
- Parti ouvrier social-démocrate de Russie, le parti dont la fraction bolchevique se transformera en Parti communiste en 1917.
- Le premier pseudonyme de Boukharine repĂ©rĂ© par lâOkhrana est « Sladki ».
- W. Hedeler, op. cit., p.43.
- AprĂšs lâexplosion rĂ©volutionnaire de 1905 et la rĂ©action contre-rĂ©volutionnaire des annĂ©es suivantes (retour Ă lâillĂ©galitĂ©, rĂ©pression accrue, infiltrations de la police secrĂšte) le ComitĂ© du parti avaient dĂ» ĂȘtre rĂ©organisĂ© onze fois en trois ans (1907-1910). Cf. W. Hedeler, op. cit., p.49.
- Cf. Autobiographie de lâEncyclopĂ©die Granat, op. cit., p. 10.
- NikolaĂŻ Yakovlev est mort en 1918, pendant la guerre civile. Sa sĆur intervient comme tĂ©moin au procĂšs de Boukharine en 1938 : elle le dĂ©nonce comme informateur de lâOkhrana et espion de la police autrichienne.
- Wladislaw Hedeler a retrouvé presque toutes les traces laissées par Boukharine en exil. Cf. Nikolai Bucharin, op. cit., pp. 72-146.
- Boukharine nâa jamais rien dit de cette rencontre et de cet Ă©change de lettres.
- Hedeler, op. cit., p. 80.
- Boukharine sera aussi dĂ©lĂ©guĂ© par le POSDR(b) au CongrĂšs dâIĂ©na du SPD, du 10 au 16 septembre 1913, le dernier congrĂšs avant la dĂ©claration de guerre de 1914.
- N. KroupskaĂŻa, Ma vie avec LĂ©nine, Payot, 1933, p. 191.
- CitĂ© dans Lâaffaire Boukharine, MaspĂ©ro, 1979, p. 53.
- Ma vie avec LĂ©nine, op. cit., p. 196.
- Disponible sur MIA cf. https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal09.htm
- Hedeler, op. cit., p. 107.
- Stephen F. Cohen, en 1971, Ă©tait arrivĂ© Ă la mĂȘme conclusion.
- Ma vie avec LĂ©nine, op. cit., p. 209.
- John Riddell, Leninâs Struggle for a Revolutionary International, Pathfinder Press, 1986, pp. 249-251.
- Chliapnikov raconte comment, avec Litvinov, il a reconnu les Boukharine (quâil nâavait jamais vus) Ă leur arrivĂ©e en gare de Londres (Ă la veille de 1917, chap. XIV Parmi les Russes de Londres, disponible sur MIA fr).
- Cité par Hedeler, op. cit., p. 129.
- Câest lui qui retrouvera le manuscrit de LâĂ©conomie politique du rentier que Boukharine avait oubliĂ© Ă Oslo.
- Texte disponible sur MIA fr, ainsi que la traduction de sa version abrĂ©gĂ©e en allemand, LâEtat voleur impĂ©rialiste.
- LĂ©nine, Ćuvres, t. 35, p. 229-230.
- LĂ©nine, Ćuvres, t. 43, pp. 589-593.
- En fait, dans une lettre Ă Chliapnikov, il a bien qualifiĂ© les idĂ©es de Boukharine de « semi-anarchisme » (LĂ©nine, Ćuvres, t. 35, p. 212).
- LĂ©nine, Ćuvres, t. 35, p. 262.
- LĂ©nine, Ćuvres, t. 23, p. 182.
- Article disponible sur MIA fr.
- Cf Victor Serge et Natalia Sedova, Vie et mort de LĂ©on Trotsky, 1951. Dans Ma vie, Ă©crit en 1929, au plus fort du conflit entre Trotsky et Boukharine, Trotsky ne se souvient que des « transports puĂ©rils qui le caractĂ©risent ». En 1938, devant ses « juges » qui lâaccusaient dâavoir collaborĂ© au journal « trotskyste » amĂ©ricain Novyj mir, Boukharine affirmera quâil avait constamment combattu Trotsky quand ils Ă©taient ensemble Ă New York. Staline fit effacer ces propos du procĂšs verbal du procĂšs (Hedeler, op. cit. , p. 139).
- Toutes ces informations sont donnĂ©es par Theodore Draper, The Roots of American Communism, 1957. LĂ©nine, Ă lâĂ©poque, Ă©tait informĂ© par A. KollontaĂŻ. Elle lui avait dit que NikolaĂŻ Ivanovitch (Boukharine) allait prendre la direction de Novyj mir quand Trotsky Ă©tait survenu et avait « fait bloc avec la droite » pour lutter contre la gauche de Zimmerwald. En fait une note de l'Ă©dition de Novyj mir du 27 fĂ©vrier indique que la rĂ©daction du journal sâengage plus rĂ©solument contre la guerre et que Boukharine devient « rĂ©dacteur en chef ». Il avait peut-ĂȘtre atteint une partie de son objectif, et ce serait le dĂ©clenchement de la rĂ©volution Russe, moins de 10 jours plus tard, qui aurait fait oublier ce bref Ă©pisode.
- Lâindex des noms du grand livre de souvenirs de Nicolas Soukhanov, La rĂ©volution russe 1917, ne contient pas celui de Boukharine. Il ne lâa jamais vu, mĂȘme lorsquâil est passĂ© Ă Moscou, fin aoĂ»t, pour participer Ă la ConfĂ©rence dâEtat. John Reed, autre tĂ©moin direct des journĂ©es dâOctobre-Novembre, lâa seulement aperçu, aprĂšs la fin des combats, lorsquâil est allĂ© Ă Moscou, le 17 novembre [30 novembre]. Seul Marc Ferro, dans La rĂ©volution de 1917, a su faire un peu de place aux actions et aux idĂ©es des moscovites et de Boukharine.
- On trouve lâessentiel des articles publiĂ©s par Boukharine en 1917 dans un recueil Ă©ditĂ© en URSS : Na podstupach k Oktjabrju [En route vers Octobre], Moscou, 1926. En 1917, Boukharine a publiĂ© 111 titres.
- Sotzial demokrat, no 46, 03 [16] mai 1917. Câest le premier article publiĂ© par Boukharine Ă son arrivĂ©e Ă Moscou.
- Le livre lui-mĂȘme nâest pas encore publiĂ© : envoyĂ© en Russie en 1916 pour une Ă©dition lĂ©gale, le manuscrit a Ă©tĂ© Ă©garĂ©. RetrouvĂ© et envoyĂ© Ă lâimprimerie du parti bolchevik, il a Ă©tĂ© trĂšs abimĂ© dans une intervention policiĂšre aprĂšs les journĂ©es de Juillet. Remis en Ă©tat, il sera envoyĂ© Ă lâimpression le 25 novembre [8 dĂ©cembre] 1917, un mois aprĂšs la prise du Palais dâHiver et 5 jours avant lâimpression de LâĂtat et la rĂ©volution de LĂ©nine.
- « La dĂ©sintĂ©gration de l'Ă©conomie et la guerre », Spartak, no 3,â 25-06 [ 08-07] -1917.
- Textes disponibles partiellement sur MIA fr.
- Formule de Sokolnikov rapportée par A. Rabinowitch, Les bolcheviks prennent le pouvoir, 2016, p.154.
- LĂ©nine, Ă propos du mot dâordre des Ătats-Unis dâEurope, Ćuvres, T. 21.
- VIe congrĂšs du POSDR(b), 2. Rapport sur la situation actuelle, citĂ© par S. F. Cohen, Nicolas Boukharine, 1979, p. 77. La guerre rĂ©volutionnaire serait ainsi â lorsque le pouvoir appartient au parti du prolĂ©tariat â lâĂ©quivalent de la fraternisation pacifique des classes « infĂ©rieures » envoyĂ©es au front.
- Proletari, no 1, 13 [26] -08-1917, Ă tous les travailleurs, tous les ouvriers, soldats et paysans de Russie !
- Boukharine publie ses propositions dans Spartak, no 4, 10 [23-08]-1917, Sur la révision du programme du parti.
- Discours de Boukharine Ă une commĂ©moration dâOctobre en 1921, publiĂ© par la revue de lâInstitut Marx Engels, Proletarskaia revoljuciyaMoscou, 1922, no 10, p. 319.
- Trotsky, Histoire de la révolution russe, Le Seuil, coll. Politique, 1967, tome 2, p. 452.
- Stukov in, Oktiabrâskoe vostanie v Moskve, Ă©ditĂ© par N. Ovsiannikov, Moscou, 1922, p. 45, citĂ© par Stephen F. Cohen, Nicolas Boukharine, 1979, p. 79.
- John Reed, Dix jours qui ébranlÚrent le monde, traduction de Martin-Stahl, Editions Sociales Internationales, sans date [années 30], p. 239 et p. 245.
- Stephen Cohen, Nicolas Boukharine, la vie dâun bolchevik, [trad. fr. 1979], p. 78.
- De la dictature de lâimpĂ©rialisme Ă la dictature du prolĂ©tariat, MIA fr. p. 5.
- Sotzial Demokrat, 27 octobre [9 novembre] 1917 : L'effondrement du gouvernement impérialiste et Au socialisme !
- Cf. Stephen Cohen, Nicolas Boukharine, la vie dâun bolchevik, [trad. fr. 1979], pp. 86-87.
- Pravda, no 227, (31-12-1917) 13-01-1918, Bilan et perspectives. Cité par Orlando Figes, La Révolution Russe, Denoël, 2007, p.647.
- Orlando Figes, La Révolution Russe, Denoël, 2007, p.637.
- Social-demokrat, (11) 24-01-1918, Discours Ă la rĂ©union de la constituante (6-01) â traduction sur MIA fr.
- Chronologie tirĂ©e dâOrlando Figes, La RĂ©volution Russe, op. cit., pp. 668-678.
- Le gouvernement révolutionnaire a décrété que la Russie passerait au calendrier grégorien aprÚs le 31 janvier1918. En Russie, le mois de février 1918 commence ainsi le 14.
- LĂ©nine, Ćuvres, t. 27, pp. 305-306.
- Les communistes de gauche, soulignons-le, constituent la seule opposition Ă avoir eu un instant la majoritĂ© des cadres du parti bolchevik avec elle. Mais le parti leur a rapidement Ă©chappĂ©. DĂšs le mois de mars, ils ont perdu lâappui de Petrograd oĂč la ConfĂ©rence du parti sâest opposĂ©e Ă la parution du quotidien Kommunist. Moscou est restĂ©e la principale base des communistes de gauche, mais seulement pour deux mois. Kommunist y est dĂ©placĂ© et devient un « hebdomadaire » qui ne sortira que quatre fois entre avril et juin.
- Tous ces textes sont disponibles sur MIA fr.
- LĂ©nine, Sur lâinfantilisme de gauche : Ćuvres, t. 27, p. 357.
- Cette pĂ©ripĂ©tie nâest pas restĂ©e secrĂšte. Boukharine lui-mĂȘme lâĂ©voque en 1923. Lâaccusation, au procĂšs spectacle de 1938, essaiera dâen faire un complot criminel contre LĂ©nine, mais Boukharine saura rĂ©sister et Ă©carter cette accusation.
- LĂ©nine Ă©crit le 2 juin une lettre Ă IoffĂ©, alors reprĂ©sentant diplomatique Ă Berlin pour lui annoncer lâarrivĂ©e de la dĂ©lĂ©gation. « Boukharine est loyal », Ă©crit-il, « mais il sâest lancĂ© Ă fond dans le "nigaudchisme"⊠Prenez-garde ! » (LĂ©nine, Ćuvres, t. 44, pp. 76-77).
- Textes disponibles sur MIA fr, intĂ©gralement pour Le programme des communistes et De la dictature de lâimpĂ©rialisme Ă la dictature du prolĂ©tariat, partiellement pour Les luttes de classes et la rĂ©volution russe.
- De la dictature de lâimpĂ©rialisme Ă la dictature du prolĂ©tariat, op. cit, p. 5 du PDF disponible sur MIA fr.
- Idem, p. 34.
- Au mĂȘme moment Trotsky a profitĂ© de quelques instants de repos pendant les nĂ©gociations de Brest-Litovsk pour Ă©crire un bref rĂ©cit de lâannĂ©e 1917 (LâavĂšnement du bolchevisme, disponible sur MIA fr). On peut le lire et le relire : le mot « rĂ©volution permanente » nây apparaĂźt pas et, surtout, on ne verra nulle part que Trotsky nâest entrĂ© quâen juillet dans le parti bolchevikâŠ
- LĂ©nine, Ćuvres, t. 27, p. 142. La commission spĂ©ciale dĂ©signĂ©e comprend pour la majoritĂ© LĂ©nine, Staline, Zinoviev et Trotsky ; la minoritĂ© est reprĂ©sentĂ©e par des moscovites : Boukharine, Sokolnikov et Smirnov.
- LĂ©nine, Ćuvres, t. 27, pp. 148-149.
- « Le PCR sâefforcera de prendre aussi rapidement que possible les mesures les plus radicales pour prĂ©parer la suppression de la monnaie ». LĂ©nine, Ćuvres, t. 29, p. 134.
- Cf. Pierre Broué, Révolution en Allemagne, 1971, p. 187.
- Plate-forme accessible sur MIA fr.
- Cf. La correspondance Internationale, 4 janvier 1923, supplément donnant le compte-rendu du IVe CongrÚs de l'IC. Rapport de Boukharine sur le Programme. La formule choisie par Boukharine exprime assez bien la dimension réformiste de sa pensée : il parle de "prolongement".
- Voir Stephen Cohen, Nicolas Boukharine, la vie dâun bolchevik, Ă©dition française, MaspĂ©ro, BibliothĂšque socialiste, 1979, p. 343. Stephen Cohen cite le mĂ©morandum de Kamenev relatant sa rencontre avec Boukharine le 11 juillet 1928.
- S. Cohen op. cit., p. 343
- Robert Service, Stalin : A Biography rapporte que Staline faisait enregistrer les conversations privĂ©es de Boukharine et quâil ne croyait pas Ă la sincĂ©ritĂ© de ses dĂ©clarations de repentir, ni Ă celle des lettres personnelles appelant au pardon et Ă la rĂ©habilitation quâil avait reçu de lui.
- Il participe alors à la commission qui prépare le second plan quinquennal (Cf. Stephen Cohen, op. cit., p. 430).
- à condition de ne pas tenir compte des suicides, comme ceux de Joffé ou de Lominadzé.
- Câest le troisiĂšme mariage de Boukharine, qui avait eu, en 1924, une fille, Svetlana, avec une Ă©conomiste membre du Parti, Esfir Issaevna Gourvitch. Boukharine a conservĂ© toute sa vie des relations avec sa cousine et premiĂšre compagne, Nadejda Mikhailovna Loukina, qui Ă©tait gravement handicapĂ©e par une maladie lâobligeant Ă porter un corset mĂ©dical, et il la logeait dans son appartement du Kremlin. ArrĂȘtĂ©e le , elle a Ă©tĂ© fusillĂ©e le .
- Textes et entretiens rassemblés dans : Boris I. Nicolaevski, Les Dirigeants soviétiques et la lutte pour le pouvoir : essai, Paris, Collection Dossiers des Lettres nouvelles, Denoël, 1969.
- Larina Boukharina 1990 (Ă©dition russe, Lâinoubliable, dans la revue Znamia en 1988, aux Ă©ditions de lâAgence de Presse Novosti en 1989).
- AndrĂ© Malraux, Les ChĂȘnes quâon abat, Paris, Gallimard, 1971.
- Larina Boukharina 1990, p. 288.
- Larina Boukharina 1990, p. 271.
- Câest ce que lui recommande son ami OrdjonikidzĂ©, par lâintermĂ©diaire dâAnna MikhaĂŻlovna. Mais Sergo se suicide (ou est « suicidĂ© », on ne sait pas) le 18 fĂ©vrier 1937.
- Staline rĂ©pond spontanĂ©ment : « Et pour nous câest facile ? ».
- Extraits du compte rendu du Plenum du CC du PC(b)US du 23 fĂ©vrier 1937, citĂ© par MikhaĂŻl Guefter, dans la post-face, Le dit de la dignitĂ©, du livre de Larina Boukharina 1990. Staline fait une fausse promesse (« personne nâa lâintention de tâexclure », affirme-t-il) pour obtenir lâarrĂȘt la grĂšve de la faim.
- Note citĂ©e par Svetlana Gourvitch-Boukharina dans lâadresse Au lecteur qui introduit le premier manuscrit Ă©crit par Boukharine dans sa prison, Le socialisme et sa culture. La note est conservĂ©e dans les archives du prĂ©sident de la fĂ©dĂ©ration de Russie, collection 3, liste dâinventaire 24, article 431, feuille 12.
- Cf. la lettre de Boukharine Ă Staline du 10 dĂ©cembre 1937, dans la revue Communisme, no 61, 2000, p. 32-36. Cette promesse faite Ă Staline est tenue et le sort fait Ă N. Krestinski au dĂ©but du procĂšs montre ce quâil en coĂ»te de tenter de dire la vĂ©ritĂ©. Krestinski se dĂ©clare non coupable le premier jour, mais il avoue tout le lendemain aprĂšs avoir Ă©tĂ© torturĂ©.
- Lâambassadeur britannique, le vicomte Chilston, note Ă lâintention du vicomte Hallifax, son ministre (rapport no 141, Moscou, 21 mars 1938) que Boukharine a « rĂ©ussi Ă dĂ©molir, ou plutĂŽt montrĂ© quâil pouvait trĂšs facilement dĂ©molir toute lâaffaire ». Tous les observateurs ne sont pas aussi perspicaces.
- Le procĂšs du « bloc des droitiers et des trotskistes » antisoviĂ©tiques, reproduction en fac simile de lâĂ©dition soviĂ©tique de 1938, rĂ©Ă©ditĂ© par les Ăditions dâAujourdâhui, 1983, p. 826.
- Cf. Lettre de Romain Rolland Ă Staline du 18 mars 1937, Nouvelles Fondations, revue de la Fondation Gabriel PĂ©ri, no 3-4, 2006, p. 273. Romain Rolland, on le voit, nâimagine pas ce que seront les accusations et il concĂšde la possibilitĂ© dâune culpabilitĂ©. Il Ă©tait difficile dâĂȘtre totalement lucide quand on voulait influencer Staline.
- Cf. MikhaĂŻl Guefter, postface Ă Larina Boukharina 1990, p. 374.
- Cf. JaurĂšs et Roy Medvedev, Staline inconnu, chap 14, p. 296 [en anglais].
- Larina Boukharina 1990, p. 55.
- Larina Boukharina 1990, p. 208-209.
- Montefiore, la cour du tsar rouge, t. I.
- Montefiore, la cour du tsar rouge, t. I, p. 120.
- LĂ©nine, Ćuvres, t. 36, p. 607.
- Larina Boukharina 1990, p. 346.
- Montefiore, la cour du tsar rouge, t. I, p. 97.
- Dessine-moi un bolchevik, les caricaturistes du Kremlin, 1923-1937, édité par Alexandre Vatline et Larissa Malachenko, Paris, Taillandier, 2007.
- Entretien avec Iouri Larine, 7 août 2008, Russkiy Mir. Iouri Larine est peintre.
Bibliographie
- Stephen Cohen, Nicolas Boukharine : la vie d'un bolchevik (1888-1938), Paris, Maspero, 1979.
- Anna Larina Boukharina, Boukharine ma passion, Paris, Gallimard, (contient la Lettre à la génération future des dirigeants du Parti, de 1937).
- Boris I. Nicolaevski, Les dirigeants soviétiques et la lutte pour le pouvoir : essai, Paris, Collection : Dossiers des Lettres nouvelles, Denoël, 1969
- Christian Salmon, Le RĂȘve mathĂ©matique de NicolaĂŻ Boukharine, Paris, Le Sycomore, 1980.
- Charles Bettelheim, Les luttes de classes en URSS , (vol.1: 1917-1923, vol.2: 1924-1930) Paris, Seuil-Maspero, 1974 et 1977.
- Wladislaw Hedeler, N. I. Bucharin, Bibliographie seiner Schriften und Korrespondenzen, 1912-1938, Berlin, Akademie Verlag, 2005.
- Simon Sebag Montefiore (trad. de l'anglais par Florence La BruyĂšre et Antonina Roubichou-Stretz), Staline : La cour du tsar rouge, vol. I. 1929-1941, Paris, Perrin, , 723 p. (ISBN 978-2-262-03434-4).
Liens externes
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- (en) Grove Art Online
- (en) Union List of Artist Names
- Ressource relative Ă la vie publique :
- Ressource relative Ă la recherche :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Textes de Boukharine sur marxist.org
- Bibliographie des Ćuvres de Boukharine en langue française
- La Revue Kommunist (Moscou, 1918)