NĂ©o-ottomanisme
Le néo-ottomanisme (en turc Yeni Osmanlıcılık) est une doctrine politique turque visant à augmenter l'influence de la Turquie dans les régions anciennement sous la domination de l'Empire ottoman.
Le nĂ©o-ottomanisme reprĂ©sente, plus quâune doctrine politique, une tentative de reconstruction de lâidentitĂ© nationale turque, basĂ©e sur la redĂ©couverte de lâEmpire ottoman en tant que forme politique, sociale et culturelle. Cette politique identitaire vise Ă proposer une alternative Ă lâidentitĂ© historiquement prĂ©dominante, lâidentitĂ© rĂ©publicaine-kĂ©maliste. Lâapproche nĂ©o-ottomaniste rend indivisibles les politiques identitaire et Ă©trangĂšre, considĂ©rant la formation d'une identitĂ© turco-ottomane essentielle pour promouvoir les initiatives gĂ©opolitiques de la Turquie[1].
MĂ©lange de turquisme, d'islamisme et d'ottomanisme, le nĂ©o-ottomanisme Ă©merge Ă la fin de la guerre froide, lors de la disparition de l'URSS[2], et prĂ©sente deux vagues distinctes : la premiĂšre, au dĂ©but des annĂ©es 1990, dĂ©veloppĂ©e par le journaliste turc et conseiller en politique Ă©trangĂšre du prĂ©sident Turgut Ăzal Cengiz Candar ; la deuxiĂšme, associĂ©e Ă la figure de DavutoÄlu et Ă sa vision de la politique Ă©trangĂšre turque.
Histoire
PremiĂšre vague: le nĂ©o-ottomanisme de Turgut Ăzal
Lâorigine du terme « nĂ©o-ottomanisme » remonte au dĂ©but des annĂ©es 1990 quand il aurait Ă©tĂ© employĂ© pour la premiĂšre fois par le journaliste turc Cengiz Candar[3] - [4]. Ce dernier Ă©tait aussi conseiller en politique Ă©trangĂšre du prĂ©sident Turgut Ăzal Ă qui sont attribuĂ©es les premiĂšres applications de cette doctrine[5].
Le nĂ©o-ottomanisme dâĂzal se caractĂ©rise par une redĂ©couverte des multiples identitĂ©s turques, contrairement Ă la conception unitaire de la rĂ©publique kĂ©maliste, et par une tendance Ă prioriser les aspects Ă©conomiques plutĂŽt que les logiques politico-Ă©tatiques et sĂ©curitaires[6].
Cette diversitĂ© sâinscrit donc dans la continuitĂ© du dĂ©veloppement Ă©conomique turc post-guerre froide. Celui-ci a amenĂ© au questionnement de lâidentitĂ© turque et Ă celui de sa position gĂ©opolitique en poussant les politiciens chargĂ©s des affaires Ă©trangĂšres Ă revoir et Ă diversifier leurs stratĂ©gies[7].
ConsidĂ©rant que la Turquie est entourĂ©e par des populations musulmanes, parfois anciennement ottomanes et turques/turcophones, Ăzal cherche Ă forger une nouvelle Turquie avec une nouvelle identitĂ©, embrassant tous ces espaces et sociĂ©tĂ©s[6].
Dans la vision dâĂzal, le passĂ© ottoman doit donner Ă la Turquie contemporaine une perspective globale. En effet, lâEmpire ottoman possĂšde dâune part, une orientation europĂ©enne, et de lâautre, une dimension moyen-orientale. Ainsi, la politique Ă©trangĂšre dâune Turquie moderne doit ĂȘtre une politique ambitieuse et tous azimuts, qui couvre toutes les anciennes branches de lâempire : l'Occident, les Balkans, le Caucase, lâAnatolie, lâAsie centrale, le Moyen-Orient et la MĂ©diterranĂ©e[8]. Ăzal est le premier prĂ©sident turc Ă entamer des discussions pour l'adhĂ©sion de la Turquie Ă l'Occident. Il met en ce sens fin Ă la crise survenue Ă la suite du coup dâĂtat de 1974 Ă Chypre afin de se rapprocher du bloc occidental, et ainsi regarder vers l'Asie et Ă©tendre son aire d'influence vers les pays du Caucase[9].
Inscrivant son action dans une politique de concorde nationale, Ăzal refuse toute nĂ©gation de spĂ©cificitĂ© entre citoyens turcs. Il cherche alors notamment Ă relancer le dialogue avec les Kurdes, souhaitant mettre un terme Ă l'Ă©tat de guerre permanent entre le PKK et lâĂtat turc, conflit qui entache l'image de la Turquie dans le monde[10].
MalgrĂ© les multiples renvois Ă une « vision impĂ©riale », le nĂ©o-ottomanisme özalien se sert de lâidentitĂ© culturelle ottomane pour s'intĂ©grer dans un monde occidental en train de se globaliser et pour reconstruire un systĂšme pluraliste, multiculturel et multiethnique[3].
En effet, la quĂȘte du positionnement du pays sur la scĂšne internationale suit les dĂ©veloppements domestiques des annĂ©es 90 avec la redĂ©couverte des identitĂ©s et mĂ©moires prĂ©-rĂ©publicaines. La rĂ©cupĂ©ration de la mĂ©moire ottomane est strictement liĂ©e Ă une graduelle restauration de lâidentitĂ© islamique, un processus qui trouve ses racines dans les annĂ©es 50 sous les gouvernements du Parti dĂ©mocrate et qui a progressivement pris de l'ampleur dans les annĂ©es 90 avec le pic du mouvement pan islamiste de Fethullah GĂŒlen[3].
Seconde vague : lâAKP et DavutoÄlu
Ahmet DavutoÄlu, ministre des Affaires Ă©trangĂšres de 2009 Ă 2014 et fidĂšle conseiller dâErdoÄan en matiĂšre de politique Ă©trangĂšre, peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme lâarchitecte de la seconde vague du nĂ©o-ottomanisme dĂ©clinĂ© selon sa doctrine de « profondeur stratĂ©gique »[4] - [11].
Cette vision, qui reprend lâapproche de lâancien prĂ©sident Ăzal, est axĂ©e sur la rhĂ©torique de la rencontre entre civilisations. Elle s'inscrit aussi dans un cadre plus large et plus complexe de reconstruction de lâidentitĂ© nationale et vise Ă une transformation de la Turquie dâun 'Ătat pĂ©riphĂ©rique Ă un acteur central dans le contexte rĂ©gional et global[12]. Selon la vision de DavutoÄlu, et afin d'assurer cette transformation, la Turquie doit assurer son rĂŽle de pont entre l'Orient et l'Occident, d'une part en tant que leader et exemple pour le monde musulman, et d'autre part en tant quâĂtat laĂŻc alliĂ© de l'Occident[13].
Selon Taspinar, trois facteurs principaux ont contribuĂ© Ă former la dĂ©finition du nĂ©o-ottomanisme sous le gouvernement de lâAKP dâErdoÄan.
Le premier atout de la doctrine de DavutoÄlu prĂ©voit la rĂ©cupĂ©ration progressive de l'hĂ©ritage islamique ottoman, autant pour sa politique intĂ©rieure quâĂ©trangĂšre. Dans cette approche, la vision quâa l'AKP de l'islam est centrale en tant que facteur qui, contrairement Ă la doctrine kĂ©maliste, n'est plus dĂ©stabilisant, mais agrĂ©gateur. DavutoÄlu et ErdoÄan, ainsi quâĂzal avant eux, partagent une vision dynamique de lâIslam qui puisse sâadapter Ă la modernitĂ© mondialisĂ©e[1].
Au niveau domestique, le nĂ©o-ottomanisme comporte une ouverture Ă de nombreuses minoritĂ©s ethniques du pays, notamment les Kurdes, au nom dâune plus large citoyennetĂ© fondĂ©e sur le dĂ©nominateur commun dâappartenance Ă lâIslam. Sur le plan culturel, lâAKP propose un modĂšle dâaction conservateur qui inclut donc une rĂ©habilitation symbolique de lâhĂ©ritage ottoman[14].
Au niveau Ă©tranger, cette rĂ©habilitation reflĂšte un plus grand activisme dans les ex-territoires de l'Empire, dans les domaines du politique, de lâĂ©conomie et de la culture. Câest donc une conception qui vise Ă rĂ©pandre son influence dans les anciennes provinces ottomanes plutĂŽt que de poursuivre une nouvelle phase dâimpĂ©rialisme[12].
Le deuxiĂšme facteur concerne un activisme retrouvĂ© qui, associĂ© Ă un sentiment de grandeur sur la scĂšne internationale, pousse Ă percevoir la Turquie comme une grande puissance rĂ©gionale, avec une position gĂ©opolitique unique et un large champ dâaction diplomatique. L'activisme prĂ©conisĂ© par DavutoÄlu doit conduire la Turquie Ă jouer un rĂŽle de plus en plus influent, non seulement auprĂšs des pays limitrophes avec lesquels il est fondamental de limiter toute sorte de conflits (politique de âzĂ©ro problĂšme avec les voisinsâ), mais Ă©galement auprĂšs des principales organisations internationales[12].
Le troisiĂšme atout souligne la double essence de la Turquie qui, Ă lâimage de sa capitale impĂ©riale Istanbul, se trouve au carrefour entre lâOrient et lâOccident. Elle doit donc balancer ces deux dimensions en se dĂ©tachant quelque peu de la sphĂšre dâinfluence de lâEurope et des Ătats-Unis pour acquĂ©rir davantage dâautonomie[12].
NĂ©o-sultan
NĂ©o-sultan, ou nouveau sultan, est un titre donnĂ© par certains mĂ©dias et observateurs au prĂ©sident de la rĂ©publique de Turquie Recep Tayyip ErdoÄan pour sa politique nĂ©o-ottomane et islamiste[15] - [16]. Le terme fait rĂ©fĂ©rence au titre de sultan portĂ© par les souverains de l'Empire ottoman de 1299 Ă 1922.
Depuis le dĂ©but des annĂ©es 2010, le premier ministre puis prĂ©sident turc ErdoÄan a plusieurs fois Ă©tĂ© qualifiĂ© de « nĂ©o-sultan » ou « nouveau sultan » par des journalistes, observateurs ou personnalitĂ©s politiques, en raison de son passage d'une politique rĂ©formatrice, pro-europĂ©enne, Ă une politique populiste et nationaliste[17] - [18], tant bien par ses opposants que ses soutiens[19] - [20]. En 2017, le politologue turco-amĂ©ricain Söner Cagaptay, spĂ©cialiste du nationalisme turc, publie The New Sultan:Erdogan and the crisis of modern Turkey, dans lequel il dĂ©nonce la remise en cause par Recep Tayyip ErdoÄan de certains aspects de l'hĂ©ritage kĂ©maliste, Ă commencer par la laĂŻcitĂ©, et sa politique Ă©trangĂšre, notamment en MĂ©diterranĂ©e[21] - [22].
La politique étrangÚre turque, dont la convoitise sur les réserves de gaz et de pétrole en mer Méditerranée, en zone grecque et chypriote[23] - [24] - [25], lui vaut également ce qualificatif.
Il s'est aussi vu attribué ce titre par certains médias à cause de sa politique islamiste[26], ou de ses relations avec le djihadisme[27] - [28]. Pour bien désigner sa politique religieuse, il est aussi surnommé « néo-calife » ou « néo-sultan-calife »[29], notamment aprÚs la décision de tenir à nouveau des priÚres musulmanes dans Sainte-Sophie[30] - [31] - [32].
Notes et références
- Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Néo-sultan » (voir la liste des auteurs).
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