Musique dans les Ĺ“uvres audiovisuelles
La musique (et plus généralement l'art sonore) occupe une place importante dans l’audiovisuel.
L’analyse de ses apports ouvre un plan d’explication qui part du constat que l’emploi de musique dans l’audiovisuel est le résultat d’un processus de création de contenus audiovisuels lesquels doivent être considérés comme des œuvres audiovisuelles dans la définition restrictive qu'en font en France le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) (les œuvres patrimoniales donnant notamment droit au soutien du Cosip) ou dans la définition large qu'en donne le Code de la propriété intellectuelle (CPI, art. L 112.2.) lequel définit l'œuvre audiovisuelle comme « toute séquence animée d’images sonorisées ou non ».
L'audiovisuel : un concept large
Pour Mario d'Angelo, la présence de la musique dans l'audiovisuel peut être appréhendée à deux niveaux d'analyse différents :
- le niveau du contenu audiovisuel lui-mĂŞme
L'utilisation de la musique (comme élément de l'art sonore) répond alors à des considérations esthétiques, de styles et de codes chaque fois spécifiques aux concepteurs d'un contenu audiovisuel. Celui-ci dans sa définition large du CPI (séquence animée d'images sonorisées ou non) peut aussi bien être un film, un documentaire, un reportage, un spot publicitaire, un journal télévisé, pour ne citer que quelques exemples de catégories de contenus audiovisuels. Une analyse sémiotique peut être menée pour chercher à expliquer l'interpénétration des composantes du contenu audiovisuel (images, dialogues, action, bruits, musique etc.) en tant que langages.
- le niveau du rapport d'interaction entre la musique et l'audiovisuel considérés chacun comme un ensemble d'acteurs formant deux systèmes organisés[1]
C'est alors l'utilisation, négociée, d'œuvres musicales, donnant lieu à des rémunérations pour leurs ayants droit (auteurs/compositeurs, artistes interprètes, éditeurs, producteurs phonographiques), qui seront versées par les acteurs du système audiovisuel (individus ou organisations) ayant en charge la production et la diffusion des contenus audiovisuels qui comportent ces œuvres musicales.
Dans les programmes télévisuels, la présence de musique correspond à trois situations types :
- la diffusion par les chaînes de télévision de contenus audiovisuels produits antérieurement (par des producteurs extérieurs ou par des producteurs délégués) et dans lesquels des œuvres musicales (originales ou existantes) ont été incorporées ;
- des contenus audiovisuels résultant de captations de spectacles, de cérémonies ou de fêtes comportant de la musique (par exemple, la retransmission du spectacle des Enfoirés pour les Restos du cœur, ou encore l'ouverture des Jeux olympiques avec la musique qui est diffusée in situ) ;
- la musique liée à la sonorisation du flux télévisuel et à l'habillage des antennes.
Sont généralement distingués les contenus audiovisuels dits de stock (ayant une durée de vie longue) et ceux dits de flux (circonstanciés, dont la valeur économique est moindre car leurs rediffusions sont limitées).
D'Angelo définit le système audiovisuel comme l'ensemble des acteurs qui contribuent à la production des contenus audiovisuels et à leur diffusion[2]. Ce système est in fine structuré autour des enjeux liés à la diffusion télévisuelle laquelle assure une part substantielle du financement) et à son contexte concurrentiel.
Les diffuseurs sont en bout d’une chaîne de valeur (le plus souvent « externe »)[3]. Ceux-ci, pour assurer une programmation adaptée à leurs cibles d’audience, commandent ou achètent les contenus audiovisuels (notamment de stock) dont ils ont besoin à des producteurs audiovisuels (y compris cinématographiques) ou les coproduisent avec eux.
Les fonctions de la musique dans l'audiovisuel
La thèse de Mario d'Angelo est qu'une explication fonctionnelle de l'apport de l'art sonore à l'audiovisuel (un contenu ou une programmation) est possible si cette explication repose sur trois éléments :
- les utilisations que font les concepteurs des contenus audiovisuels (producteur et réalisateur) ;
- le travail de création du contenu musical incorporé (original ou existant) dans le contenu audiovisuel ;
- les perceptions qu’ont les téléspectateurs de la musique dans le contenu audiovisuel ainsi produit.
L'étude de la perception des téléspectateurs est par conséquent indispensable. Elle peut se faire selon des méthodes qualitatives et/ou selon des méthodes quantitatives[4].
La caractérisation de six fonctions apporte une objectivation, d’une part, aux buts qu’ont les concepteurs des contenus audiovisuels lorsqu’ils y incorporent de la musique et, d’autre part, aux perceptions qu’en ont les téléspectateurs. Les six fonctions identifiées[5] (et qui ne sont pas mutuellement exclusives) sont :
- Didactique : la musique aide à la compréhension (donne des clés) du contenu audiovisuel (elle participe à sa lecture) ;
- Émotionnelle : la musique matérialise les émotions ; elle stimule les sens et souligne les aspects émotifs de l’image et/ou du récit; elle stimule l’imagination du téléspectateur ;
- Esthétique : la musique cherche à rendre une œuvre audiovisuelle ou une séquence plus qualitative voire à la sublimer ;
- Identitaire : la musique laisse une empreinte et rend une séquence ou un contenu audiovisuel reconnaissable (mélodie, rythme, harmonisation, instruments, effet sonore…) ;
- mnémonique : la musique s’apparente à un stimulus pavlovien : elle sert à se souvenir ; elle évoque ; elle déclenche potentiellement un processus de mémorisation (de quelques notes ou d’une ambiance) ;
- narrative : la musique est un langage à part entière ; écriture de l’image et écriture de la musique s’interpénètrent.
L’analyse par les fonctionnalités éclaire aussi la question de la valeur ajoutée qu’apporte le discours musical aux autres discours que comporte un contenu audiovisuel ou une programmation télévisuelle. Les chaînes de télévision par exemple, doivent veiller à leur identité sonore. Celle-ci se traduit notamment dans la ponctuation sonore du flux (identification des séquences et des transitions), dans des habillages sonores, dans les inter-programmes[6] et, plus généralement, dans la nécessité de donner des repères aux téléspectateurs en se servant des fonctions que peut alors remplir la musique. De ce point de vue, l’art sonore joue un rôle dont les chaînes de télévision ne peuvent pas se passer.
Notes et références
- Sur les notions d'acteur et de système, on peut se référer aux travaux du CSO. Voir notamment, Michel Crozier, A quoi sert la sociologie des organisations ?, Théorie, culture et société, Paris, Séli Arslan, 2000.
- La musique dans le flux télévisuel, p. 51 et suivantes.
- Gerry Johnson (de), Kevan Scholes, Richard Whittington et Frédéric Fréry, Stratégique, 7e éd., Paris, Pearson Éducation, 2008, p. 119-124.
- Ce sont seulement des résultats d'études qualitatives qui sont rapportés dans l'ouvrage La musique dans le flux télévisuel tels qu'ils ont été conduits sous la direction de Mario d'Angelo par le cabinet Idée Europe et WSA. Une étude quantitative a également été conduite par Mario d'Angelo avec Médiamétrie et la SPEDIDAM.
- Mario d'Angelo, Op. cit., p. 49-50.
- Séquences qui se situent à certains moments charnière dans une grille de programme (par exemple entre deux émissions d'une certaine durée) et qui comportent un ensemble de contenus courts et souvent des fenêtres publicitaires. L'inter-programme entre le Journal télévisé et l'émission en première partie de soirée sur TF1 (20h30-20h50) est sans doute l'un des plus importants de la journée pour cette chaîne de télévision (en termes d'audience et de recettes publicitaires). Il comporte, outre des fenêtres publicitaires, des petits films parrainés, une série courte comme Nos chers voisins, ou Canteloup, et bien entendu, le bulletin météo. Voir Mario d'Angelo, op. cit.
Bibliographie
- Mario d'Angelo, La musique dans le flux télévisuel, OMF/Université Paris-Sorbonne, 2014.
- Michel Chion, L’audio-vision : son et image au cinéma, Paris, Armand Colin, 2005 (rééd.).
- Véronique Cayla, Anne Durupty, Relations entre diffuseurs et filière musicale, [http:// www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/cayla/rapportcayla200.pdf] [PDF]
- Laurent Fonnet, Les programmes: production et diffusion, dans Pierre-Jean Benghozi et Jean-Charles Paracuellos, Télévision, l'ère du numérique, Paris, La documentation française, 2011.
- François Jost, « Un continent perdu. Le son à la télévision », dans Dominique Nasta et Didier Huvelle (dir.), Le son en perspective : nouvelles recherches, Bruxelles, Peter Lang, 2004.
- David Kessler, L'œuvre audiovisuelle, rapport au Ministre de la Culture et de la Communication, (téléchargeable sur le site du CNC).
- Philippe Lavat, Musiques et direct télévisuel : 1958-1963, Lille, ANRT, 2008.
- Danièle Pistone, « Paroles et musiques : une perspective musicologique », dans Catherine Naugrette et Danièle Pistone (dir.), Paroles et musiques, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 14.
- Nadine Toussaint-Desmoulins, L'économie des médias, PUF, coll. Que sais-je?, 2008 (rééd.),
- Raymond Williams, Television, technology & cultural forms, London, Routledge, (rééd.) 1990