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Mujeres Libres

Mujeres Libres (« Femmes libres Â» en français) est une organisation fĂ©ministe libertaire[1] espagnole, ainsi qu'une revue Ă©ponyme.

Mujeres Libres
Le premier numéro de la revue, daté du 1er mai 1936.
Histoire
Fondation
Dissolution
Organisation
Membres
Environ 30 000
Fondatrices
Idéologie
Publication
Couverture du numéro 9 de la revue (1938).

Créée en avril 1936, dans le sillage des premières féministes catalanes telles Teresa Claramunt et Soledad Gustavo, et dissoute en février 1939, Mujeres Libres est active durant la révolution sociale espagnole de 1936 et la guerre d'Espagne.

Mujeres Libres est la première organisation féministe autonome prolétarienne en Espagne. Son but est de mettre fin au « triple esclavage des femmes : l’ignorance, le capital et les hommes ». Si quelques-unes des fondatrices exercent des professions libérales, la vaste majorité de ses membres sont issues des classes ouvrières. Les femmes de Mujeres Libres visent à la fois à surmonter les obstacles de l’ignorance et de l’inexpérience qui les empêchent de participer en tant qu’égales à la lutte pour une société meilleure, et à combattre la domination des hommes au sein même du mouvement libertaire[2].

Mujeres Libres met en place des campagnes d’alphabétisation, des cours techniques et professionnels ainsi que des formations politiques pour les femmes, en plus d’organiser collectivement la production alimentaire pour les milices révolutionnaires qui résistent aux franquistes, de mettre sur pied des cliniques médicales et de participer à la formation des infirmières et des miliciennes.

Avec ses 20 000 adhĂ©rentes (en ), provenant majoritairement des milieux populaires, Mujeres Libres dĂ©fend l’émancipation des femmes et leur participation Ă  la lutte rĂ©volutionnaire. L’organisation se rĂ©clame d’un « fĂ©minisme prolĂ©tarien »[3] dans le but de se dissocier du fĂ©minisme libĂ©ral qui prĂ´ne l’égalitĂ© des femmes sans contester les rapports de domination de classes. Leurs « camarades » n'Ă©taient pas pour autant enclins Ă  les reconnaĂ®tre politiquement comme une organisation autonome au sein du mouvement libertaire[4].

Histoire

Miliciennes de la CNT-FAI lors de la révolution sociale espagnole de 1936.

Malgré l'égalité entre les sexes prônée par les organisations libertaires espagnoles telles que la FAI, la CNT et la FIJL, il était patent que les femmes avaient besoin d'une organisation spécifique afin d'être mieux entendues et plus spécifiquement défendues.

Premiers noyaux

En 1933 est formé à Barcelone le Grupo Cultural Femenino (« Groupe culturel des femmes »), qui publie une revue, Cultura integral y femenina (1933-1936)[5].

Au cours de la première apparition publique de la CNT Ă  la foire du livre de Barcelone, des jeunes femmes vendent Ă  la criĂ©e des ouvrages traitant de la maternitĂ© consciente. La revue Estudios, Ă  l'avant-garde d'une campagne en faveur de l'Ă©ducation sexuelle et de l'Ă©mancipation fĂ©minine, aura un tirage qui oscillera entre 65 000 et 75 000 exemplaires[5].

Le groupe se développe avec le soutien des femmes de la revue Mujeres Libres, parue à partir d', animée par Lucía Sánchez Saornil[6], Mercedes Comaposada Guillén et Amparo Poch y Gascón[7].

Ces groupes, rejoints par des militantes de la Confédération nationale du travail comme Lola Iturbe, sont à l'origine de l'organisation Mujeres Libres, créée en .

Cette organisation mène une lutte sur deux fronts : pour la révolution sociale, et pour la libération des femmes. Elle est, à ce titre, exemplaire des mouvements libertaires que connut l'Espagne dans ces années.

La militante Anna Delso décrit cette démarche : « La capacité d’organisation des femmes me laisse stupéfaite. Plusieurs d’entre elles ont un rôle prépondérant dans leur syndicat, CNT, et font partie en même temps du comité d’autogestion de leur usine. Elles se trouvent au même niveau d’égalité que les hommes dans une société non hiérarchisée. C’est une transformation totale et radicale de la vie sociale. Les femmes espagnoles en avaient tant besoin ! Elles se sont débarrassées de l’esclavage que leur imposaient le clergé, le mari, le père, les frères et tous les autres. À tous ceux qui nous disent : Oui, nous sommes d’accord avec vos revendications de femmes, mais il faut laisser tout cela pour après, car votre attitude peut créer des divisions. Nous leur répondons : Pour après quoi ? C’est maintenant ou jamais ! [...] Leurs idées sont une chose et leur femme et leur famille autre chose. Leur femme est à eux, intouchable. Comme les abeilles vont de fleur en fleur, eux peuvent aller de femme en femme. Et ils trouvent ça très naturel, mais ils ne peuvent accepter qu’une femme puisse en faire autant. La sempiternelle devise de la femme, bonne mère, bonne épouse, fidèle et obéissante, doit changer »[8].

Une organisation de femmes travailleuses

La plupart des Mujeres Libres sont des travailleuses. De 1936 à 1939, elles conduisent les tramways et négocient avec le syndicat des transports de Madrid l'ouverture d'une auto-école pour remplacer les hommes partis au front. Elles ouvrent des centres de formation professionnelle, apprennent à tirer et à sauter en parachute. Elles sont contraintes de mendier auprès des syndicats le moindre local, le moindre subside[5].

Une importante réflexion est menée sur la meilleure éducation à donner aux enfants, privilégiant « la méthode de l'aide permettant l'épanouissement des richesses intrinsèques de chacun », évitant les punitions et les prix, « la mesquine compétition ». Une place importante est accordée à la puériculture, à l'éducation sexuelle, définie selon les termes de l'époque, comme « la connaissance du fonctionnement physiologique de notre organisme, plus spécialement l'aspect eugénique et sexologique »[9].

Lutte contre la prostitution

À Barcelone, Mujeres Libres est notamment à l'origine de la création de la Casa de la dona treballadora et de la campagne en faveur de la réinsertion des prostituées dans les Liberatorios de prostitucion. La prostitution est fermement combattue. Leur but n'est pas de l'aménager mais de l'éradiquer, en rendant les femmes économiquement indépendantes et en réalisant une profonde révolution sociale et morale. Elles se désolent d'ailleurs de voir nombre de leurs camarades hommes fréquenter les maisons de passe[9].

Dans son ouvrage Carnets de la guerre d'Espagne, la poétesse et écrivaine anglo-australienne Mary Low note : « Les prostituées s'occupèrent finalement elles-mêmes de leurs propres intérêts et surent faire valoir leurs droits. Un jour, elles comprirent qu'elles aussi pouvaient trouver leur place dans la révolution. Alors elles flanquèrent à la porte les propriétaires des maisons où elles travaillaient et occupèrent les "lieux de travail". Elles se proclamèrent les égales de tous. Après beaucoup de débats houleux, elles créèrent un syndicat qui fut affilié à la CNT. Tous les bénéfices étaient partagés de façon égale. Sur la porte de chaque bordel, un écriteau remplaça le Sacré Cœur de Jésus. Il disait : VOUS ÊTES PRIÉ DE TRAITER LES FEMMES COMME DES CAMARADES. Sur ordre du Comité. »[10].

Isolement dans le mouvement

Le , se tient à Valence le premier et unique congrès de la Fédération nationale de Mujeres Libres avec des délégations de Barcelone, Cuenca, Elda, Guadalajar, Horche, Lleida, Madrid, Mondejar, Tendilla, Valence, Yebra, etc.[11] Mujeres Libres se veut le quatrième pilier du mouvement libertaire espagnol.

En , la déception est grande quand le Mouvement libertaire et la CNT refusent de considérer la Fédération nationale de Mujeres libres comme une de ses composantes spécifiques[9] - [5].

Mujeres libres regroupe Ă  son apogĂ©e plus de 20 000 femmes en 1938. Elle s'est auto-dissoute dans les derniers mois de la RĂ©publique espagnole, alors que la dĂ©route de l'armĂ©e rĂ©publicaine ne fait plus de doute, lors de la chute de la Catalogne, bastion de l'association.

Jusqu'au bout, elles refusent de s'intégrer aux comités de l'organisation mise en place par le Parti communiste espagnol, l'Asociacion de Mujeres Antifascistas (AMA), bien que cette attitude intransigeante les prive de tout appui matériel, un appui qu'elles ne peuvent malheureusement pas obtenir non plus de leurs propres camarades libertaires[9].

Dans les années 1970, durant la Transition espagnole, il y eut plusieurs tentatives pour refonder le mouvement. Plusieurs groupes furent formés, mais ils furent pour la plupart assez rapidement auto-dissous.

Revue

L'association Mujeres Libres a publié un journal éponyme (disponible en ligne).

  • Entre 1964 et 1976, 47 numĂ©ros en exil, avec entre autres Suceso Portales, Sara Guillen, Tomás Cano, Violeta Olaya.
  • En 1977 et 1978, Ă  Barcelone.

Citations

  • « En dĂ©finitive, je considère que la solution au problème sexuel de la femme ne se trouve que dans la solution du problème Ă©conomique. Dans la RĂ©volution. Rien de plus. Le reste revient Ă  changer de nom pour un mĂŞme esclavage. » - LucĂ­a Sánchez Saornil, Solidaridad Obrera, . texte intĂ©gral.
  • « Au mois de , naquit la revue Mujeres Libres. Le choix de ces deux mots n’était pas un pur hasard. Nous voulions donner au mot mujeres (femmes) un contenu maintes fois niĂ©. En l’associant Ă  l’adjectif libres nous nous dĂ©finissions comme absolument indĂ©pendantes de toute secte ou groupe politique, cherchant la revendication d’un concept – mujer libre (femme libre) – qui jusqu’à prĂ©sent Ă©tait connotĂ© d’interprĂ©tations Ă©quivoques qui rabaissaient la condition de la femme en mĂŞme temps qu’elles prostituaient le concept de libertĂ©, comme si les deux termes Ă©taient incompatibles. » - LucĂ­a Sánchez Saornil, CNT, no 531, .
  • « Il y a deux choses qui, parce qu’elles sont iniques, commencent Ă  s’effondrer dans le monde : le privilège de la classe qui fonda la civilisation du parasitisme, d’oĂą est nĂ© le monstre de la guerre ; et le privilège du sexe mâle qui transforma la moitiĂ© du genre humain en ĂŞtres autonomes et l’autre moitiĂ© en ĂŞtres esclaves, et crĂ©a un type de civilisation unisexuelle : la civilisation masculine. » - Suceso Portales, Mujeres Libres, no 10, 1938.

Postérité

  • En 2011, le collectif de diffusion libertaire La Sociale de MontrĂ©al au QuĂ©bec Ă©dite une affiche pour saluer les 75 ans de la fondation des Mujeres Libres[12].

Commentaire

  • Pour l'historienne Mary Nash, les Mujeres Libres mettent en Ĺ“uvre « une stratĂ©gie duale, fondĂ©e sur l’initiative individuelle mais aussi sur une rĂ©ponse collective qui offrit aux femmes l’appui et la formation indispensables leur permettant de devenir libres »[13]

Bibliographie

Articles

  • Martha A. Ackelsberg, « SĂ©parĂ©es et Ă©gales » ? Mujeres Libres et la stratĂ©gie anarchiste pour l’émancipation des femmes, Feminist studies, vol. 11, no 1, printemps 1985, p. 63-83, texte intĂ©gral.
  • Les Mujeres Libres et la question de la « non-mixitĂ© Â», Avec des textes de LucĂ­a Sánchez Saornil, Ravage Editions et Les Fleurs Arctiques, , texte intĂ©gral.
  • Jacinte Rausa, Mujeres libres, groupe libertaire autonome. Entretien avec Sara Berenguer, , texte intĂ©gral.
  • Thyde Rosell, Femmes libertaires, femmes en lutte... femmes libres !, Alternative Libertaire, no 233, , texte intĂ©gral.
  • HĂ©lène Hernandez, Sara Berenguer : hasta luego compañera !, Le Monde libertaire, no 1601, , texte intĂ©gral.
  • Miguel Chueca, Une force fĂ©minine consciente et responsable qui agisse en tant qu’avant-garde de progrès. Le mouvement Mujeres Libres (1936-1939), Revue Agone, no 43, 2010, p. 47-67, texte intĂ©gral.
  • Louise Boivin, Les anarcha-fĂ©ministes, in Relations, ActualitĂ© de l’anarchisme, no 682, , texte intĂ©gral.
  • Michael Seidman, Women's subversive individualism in Barcelona during the 1930s, (L'individualisme subversif des femmes Ă  Barcelone durant les annĂ©es 1930), International Review of Social History, vol. 37, , p. 161-176, texte intĂ©gral en anglais, texte en français..
  • Yannick Ripa, Le genre dans l'anarcho-syndicalisme espagnol (1910-1939), Clio, Histoire‚ femmes et sociĂ©tĂ©s, no 3, 1996, texte intĂ©gral.
  • Nicole Beaurain, Christiane Passevant, Femmes et anarchistes : De Mujeres libres aux anarchafĂ©ministes, L'Homme et la sociĂ©tĂ©, no 123-124, 1997, ActualitĂ© de l'anarchisme, page 76.
  • Jean-Louis Guereña, Anarchisme et sexualitĂ© en Espagne jusqu’en 1939, Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, 2|2015, lire en ligne, DOI 10.4000/ccec.5591.
  • JoĂ«l Delhom, Anna Delso, Trois cents hommes et moi (1989) - Quelle mĂ©moire pour les femmes libertaires ?, communication prĂ©sentĂ©e le Ă  l'UniversitĂ© de Pau et des Pays de l'Adour, lors de la journĂ©e d'Ă©tude « ¡Libertarias! Femmes militantes et anarchistes de l'Espagne Ă  l'exil (1934-1975) », lire en ligne.
  • Rosine PĂ©lagie, Femmes libres : toujours d’actualitĂ©, Le Monde libertaire, , [lire en ligne].

En espagnol

  • Mary Nash (prĂ©sentation et introduction par), Mujeres Libres : España 1936-1939, Barcelone, Éditions Tusquets, 1975, (ISBN 84-7223-704-4), (OCLC 1638682).
  • Conchita Liaño Gil, Mujeres Libres. Luchadoras libertarias, Madrid, FundaciĂłn de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, 1999, (OCLC 48736712).
  • Helena AndrĂ©s Granel, Mujeres Libres (1936-1939) : Una lectura feminista, Seminario Interdisciplinar de Estudios de la Mujer, Universidad de Zaragoza, 2006, texte intĂ©gral.
  • Collectif, Las mujeres y la guerra civil española, Ministerio de Trabajo e inmigraciĂłn, Instituto de la Mujer, 1991, (ISBN 84-7799-047-6), lire en ligne sur Dialnet.

En anglais

  • Martha A. Ackelsberg, Free Women of Spain : anarchism and the struggle for the emancipation of women, Indiana University Press, 1991, (OCLC 42329216).
  • Laura Ruiz, Sara Berenguer, Free women (Mujeres Libres) : voices and memories for a libertarian future, Rotterdam, Boston, Sense, 2011, (OCLC 668182876).
  • Lisa Margaret Lines, Milicianas: Women in Combat in the Spanish Civil War, Lexington Books, 2011, extraits en ligne.

Filmographie

Notices

Articles connexes

Membres notoires

Liens externes

Notes et références

  1. Mary Nash, Femmes Libres : Espagne, 1936-1939, La pensée sauvage, 1977, lire en ligne.
  2. Martha A. Ackelsberg, « Séparées et égales » ? Mujeres Libres et la stratégie anarchiste pour l’émancipation des femmes, Feminist studies, vol. 11, no 1, printemps 1985, p. 63-83, texte intégral.
  3. (ca) « Mujeres Libres », Gran Enciclopèdia Catalana, sur enciclopedia.cat, Barcelone, Edicions 62.
  4. Louise Boivin, Les anarcha-féministes, in Relations, Actualité de l’anarchisme, no 682, , texte intégral.
  5. Thyde Rosell, Femmes libertaires, femmes en lutte... femmes libres !, Alternative Libertaire, no 233, novembre 2000, texte intégral.
  6. (ca) « Lucía Sánchez Saornil », Gran Enciclopèdia Catalana, sur enciclopedia.cat, Barcelone, Edicions 62.
  7. Hélène Hernandez, Sara Berenger : hasta luego compañera !, Le Monde libertaire, no 1601, 24 juin 2010, texte intégral.
  8. Joël Delhom, Ana Delso, Trois cents hommes et moi (1989) - Quelle mémoire pour les femmes libertaires ?, 20 mars 2015, Université de Pau et des Pays de l'Adour, lire en ligne.
  9. Jean-Paul Salles, Mujeres Libres, des femmes libertaires en lutte. Mémoire vive de femmes libertaires dans la Révolution espagnole, Revue Dissidences, Bibliothèque de comptes rendus, septembre 2011, 11 juin 2011, texte intégral.
  10. Mary Low, Carnets de la guerre d'Espagne, Éditions Verticales, Paris, 1997, page 203.
  11. (es) Miguel Iñiguez, Esbozo de una Enciclopedia histórica del anarquismo español, Fundación de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, Madrid, 2001, page 616.
  12. La Sociale, Mujeres libres à l’honneur à Montréal, juin 2011, lire en ligne.
  13. Miguel Chueca, Une force féminine consciente et responsable qui agisse en tant qu’avant-garde de progrès. Le mouvement Mujeres Libres (1936-1939), Revue Agone, no 43, 2010, note 9.
  14. Smolny : Sara Berenguer.
  15. (es) Miguel Iñiguez, Esbozo de una Enciclopedia histórica del anarquismo español, Fundación de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, Madrid, 2001, lire en ligne.
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