Mouvement Travail-Études
Entre 1912 et 1927, le mouvement Travail-Études aida de jeunes Chinois à venir étudier en France. Il a été lancé par Li Shizeng (philanthrope et admirateur de la culture française, celui-ci avait étudié à l'école agricole du Chesnoy, à Montargis). Le but était de permettre de financer les études de Chinois en les embauchant dans des usines françaises[1].
Le mouvement est durement frappé par la crise économique post guerre mondiale de 1921, qui précarise ses membres[1]. Avec cette crise, des membres du mouvement nourrissent l'espoir d'être admis dans l'Institut franco-chinois de Lyon (IFCL)[1]. Cet espoir sera éteint à la suite de la Marche sur Lyon d'octobre 1921, qui a eu pour conséquence l’expulsion d'une centaine de Chinois du territoire français vers la Chine[1].
Origine
Li était un ami de Sun Yat-sen, alors président de la jeune République chinoise. Comme Sun, Li est convaincu qu'il faut s'inspirer des modèles occidentaux pour développer la Chine. En effet, la Chine est à cette époque en crise et dans une période de mutation profonde. Les famines et les guerres intestines entre seigneurs de guerre ravagent le pays. Les puissances étrangères, notamment le Japon, le Royaume-Uni, la France, ainsi que d'autres nations occidentales se partagent des zones d'influence. En ces temps difficiles, les fondements de la Chine traditionnelle sont remis en cause. Des idées nouvelles émergent pour doter la Chine d'un système qui lui permettrait de se débarrasser de la présence étrangère et la remettre au-devant de la scène mondiale. Ainsi, dans l'espoir de former une certaine élite intellectuelle, le mouvement Travail-Études favorise le départ vers la France de jeunes étudiants Chinois.
Le formule travail-études est initiée par Li Shizeng en 1909[1].
Le mouvement est notamment soutenu par le professeur Cai Yuanpei de l'université de Pékin. Avec Li Yuying et Wu Zhihui il fonde à Pékin la LiuFa jianxuehui, ou Société d'éducation rationnelle française, qui doit préparer des jeunes gens à des études en France. Le mouvement travail-études permet par ailleurs à des jeunes de familles modestes et surtout aux jeunes filles, dont l'entrée dans les universités est souvent interdite en Chine, de pouvoir étudier grâce à l'expatriation.
L'école des révolutionnaires
Le mouvement prend de l'ampleur après la première guerre mondiale. Jusqu'en 1927, 4 000 jeunes chinois viendront étudier et travailler en France. Parmi eux se trouve notamment un groupe de jeunes intellectuels, originaires du Hunan, qui ont découvert avec enthousiasme le socialisme. Embarquant pour la France en 1919, ce groupe compte la plupart des amis de Mao Zedong : Cai Hesen, Chen Yi, Li Fuchun, la jeune Xiang Jingyu, et la sœur de Cai Hesen, Chang. Le jeune Mao, lui, préfère rester en Chine[2]. Il ne quittera d'ailleurs jamais le sol chinois.
Le groupe s'installe à Montargis. Les garçons étudient dans le collège, sous la tutelle du professeur Chapeau, et les filles suivent les cours de Mme Dumont (mère de l'agronome René Dumont) à l'école du Chinchon. Le groupe se réunit souvent au jardin Durzy pour débattre. Il y a ceux qui, autour de Cai, veulent suivre la voie radicale de la révolution russe, et ceux qui prônent une réforme des institutions existantes.
Cai correspond fréquemment avec son ami Mao et lui envoie des lettres enthousiastes décrivant leur quotidien. Cai constate notamment que "la vie en France n'est pas si différente de la vie en Chine", et relativement peu chère. La Société Franco-chinoise a ainsi pu acheter un bâtiment "splendide" dans le centre de Paris. Il qualifie également les conditions de travail "généralement assez bonnes". Donnant l'exemple de certains amis, il montre que l'on peut facilement s'établir en France en ouvrant un restaurant ou une boutique artisanale, et enjoint ceux qui sont restés à les retrouver.
Mais c'est avant tout de politique que s'entretiennent Cai Hesen, brillant théoricien, et Mao Zedong, qui en admire la sagesse. Le , soit quatre mois avant le congrès de Tours qui divise la gauche française, Cai écrit une nouvelle lettre à Mao. Il lui propose la création du Parti communiste chinois (PCC), afin de constituer ce qu'il pense être "l'avant-garde et le commandement de la révolution". Le 1er décembre, Mao lui envoie son accord.
Deng Xiaoping et le mouvement
Un an après l'arrivée du groupe de Hunan, Deng Xiaoping part de Shanghaï en direction de Marseille[3]. Avec 80 camarades, il embarque le à bord de l'André Lebon, muni d'une recommandation du consul de France, Albert Bodard (père de Lucien). Il atteint les côtes française le . Âgé de seize ans, c'est le plus jeune étudiant, mais il est déjà très engagé. Il a notamment pris part au mouvement du . Il restera six ans en France.
Deng est d'abord accueilli dans une école à Bayeux. Ne pouvant vivre de son maigre pécule, il part travailler aux laminoirs du Creusot, en Saône-et-Loire. D'après les écrits de sa fille, c'est là qu'il découvre "la misère du prolétariat". En , Deng est embauché à l'usine Hutchinson, à Châlette-sur-Loing, sous le nom de "Teng Hi Hien". On y fabrique des galoches. On peut encore voir aujourd'hui l'atelier de l'usine (construit par Gustave Eiffel) où il travailla. Il loge dans une grange à proximité de l'usine.
Dans ce contexte ouvrier, il découvre le marxisme, alors pratiquement inconnu en Chine car les ouvrages de Marx n'y sont pas encore traduits. Il devient bientôt militant communiste et un virulent opposant au capitalisme (article de Le Monde).
Il ne fera que deux séjours à l'usine de Hutchinson, du au et du au . Renvoyé, on peut lire ce commentaire sur sa fiche d'embauche : "A refusé de travailler, ne pas reprendre". Il travaille ensuite comme assembleur à l’usine Renault de Billancourt, et fréquente aussi l'établissement de Châtillon.
Deng quitte le sol français le et part étudier à Moscou.
Zhou Enlai et le mouvement
Zhou Enlai, autre grande figure de la Chine communiste, arrive à Marseille en , et part étudier à Paris. Il habite un temps une petite chambre de moins de 10 m2 dans un petit hôtel situé au 17 rue Godefroy, près de la place d'Italie dans le 13e arrondissement de Paris (cet hôtel a été déclaré monument historique alors que Jacques Chirac était maire de Paris). Zhou Enlai fait rapidement la connaissance de Deng, qui a six ans de moins que lui, et avec qui il partage un appartement. Il part aussi parfois rejoindre le groupe de Montargis au jardin de Durzy. Profondément marqué par son séjour en France, il publie de nombreux articles en Chine, notamment la première année, pour faire connaître à ses compatriotes la société occidentale et la vie des Chinois en France et en Europe.
En , Zhou crée un groupe communiste qui devient la cellule générale du Parti communiste chinois en Europe. Ce groupe est le précurseur du Parti communiste chinois crée le 1er juillet de la même année dans la concession française de Shanghai. En 1922, Deng Xiaoping le rejoint, et intègre le PCC fin 1924. Zhou, lui, repart en Chine afin d'en assurer la direction.
Fin du mouvement
La police française commence bientôt à s'inquiéter de ces jeunes militants. Le mouvement Travail-Études prend fin en 1927, alors que de violents affrontements opposent à Shanghaï de jeunes militants chinois et des soldats des concessions françaises, britanniques, et japonaises.
Beaucoup de futurs cadres du Parti communiste chinois sont ainsi venus étudier en France. Cette page de l'histoire de la Chine est toujours enseignée dans les écoles chinoises. En dehors du cadre de ce mouvement, d'autres révolutionnaires ont aussi forgé leurs convictions en France et notamment à Paris, tels Ho Chi Minh ou Pol Pot.
Personnalités du mouvement
Personnalités chinoises influentes ayant étudié en France :
Personnalités politiques
Artistes
Notes et références
- Gregory Lee, « La « Marche sur Lyon » ou le conte des deux forts », Transtext(e)s Transcultures (跨文本跨文化), 9, 2014, mis en ligne le 26 octobre 2015, consulté le 19 janvier 2022.
- « Mao Zedong et la France » , article du Quotidien du Peuple, Beijing, 2001
- Geneviève Barman, Nicole Dulioust, « Les années françaises de Deng Xiaoping » , In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. no 20, octobre-décembre 1988. p. 17-34
Annexes
Articles connexes
Liens externes
Bibliographie
- Geneviève Barman et Nicole Dulioust, « Un groupe oublié : les étudiantes-ouvrières chinoises en France », Études chinoises, vol. 6, no 2, (lire en ligne).
- Régis Guyotat, « Montargis, berceau de la Chine nouvelle », Le Monde, (lire en ligne).
- Jonathan D. Spence, The Search for Modern China a documentary collection, doc. 13.5, "letter from 1920 by Cai Hesen to Mao Zedong", Norton & Company, New York, Londres, 1999.
- Nora Wang, Émigration et politique, Les étudiants-ouvriers chinois en France 1919-1925, éditions Les Indes savantes 2002, (ISBN 2846540144).