Moggallana
MoggallÄna, MahÄ MoggallÄna (pali) ou MahÄmaudgalyÄyana (sanscrit), nom personnel Kolita, Ă©tait le second en titre des dix principaux disciples du Bouddha, premier pour les pouvoirs surnaturels de siddhi, et lâun des prĂ©cepteurs de son fils Rahula. NĂ© dans une famille brahmane, il fut tout dâabord avec Sariputta, ami dâenfance et premier disciple, ascĂšte de lâĂ©cole paribbajaka dirigĂ©e par le sceptique Sanjaya Belatthiputta. Un poĂšme religieux du Theragata (Khuddaka Nikaya) lui est attribuĂ©. Il est connu dans le courant mahayana essentiellement Ă travers l'Ullambana Sutra qui relate comment il sauva sa mĂšre de lâenfer.
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Dans les rĂ©gions theravada, il est parfois reprĂ©sentĂ© dans les temples Ă la gauche du Bouddha, avec Sariputta ou Ananda Ă droite. La transcription de son nom en chinois est MĂłhÄ MĂčjiĂ nliĂĄn æ©èš¶çźçéŁ, simplifiĂ© en MĂčliĂĄn çźéŁ ; japonais : Mokuren, çźéŁ ou Mokkenren çźć»șéŁ; vietnamien: MỄc-kiá»n-liĂȘn ou MỄc-liĂȘn.
Actuellement, certains historiens, parmi diverses chronologies, retiennent ces dates : premiÚre rencontre avec le Bouddha en -527, décÚs en nov. déc. -486 un mois aprÚs Sariputta et avant le Bouddha (mars avril -483 ?)[1].
Jeunesse
Il serait nĂ© le mĂȘme jour que Sariputta dans un bourg proche de Rajagaha (Magadha). Son pĂšre, un brahmane, Ă©tait chef du bourg et sa mĂšre, Ă qui il doit son nom usuel, sâappelait Moggali ou Moggallani, indication que sa famille prĂ©tendait descendre du devin Mugdala. On dit qu'il tire son prĂ©nom, Kolita, du nom de son village natal, Kolitagama. Il sera plus tard appelĂ© Maha (grand) Moggallana pour le distinguer dâun homonyme moins Ă©minent.
Sa famille et celle de Sariputta Ă©taient amies, et câest ensemble que les deux jeunes gens rejoignirent la secte paribbajaka. AprĂšs quelque temps, leur maĂźtre Sanjaya leur ayant, de son propre aveu, dispensĂ© lâintĂ©gralitĂ© de son savoir, ils furent convaincus de rejoindre la communautĂ© de Shakyamuni par Assaji (sk Asvajit), lâun des cinq premiers compagnons du Bouddha avant son illumination. Mogallana se serait dĂ©cidĂ© le premier ; Sariputta, Ă©ternellement respectueux envers ses maĂźtres, ne voulait tout dâabord pas abandonner Sanjaya et tenta de le convaincre de les suivre. Devant son refus obstinĂ©, il se rĂ©signa Ă partir. Les deux compagnons dâascĂšse se prĂ©sentĂšrent donc auprĂšs de Gautama avec 250 ou 500 disciples paribbajakas qui les auraient suivis. Ces derniers devinrent arhats immĂ©diatement aprĂšs avoir entendu le premier prĂȘche du Bouddha, mais Moggallana nâatteignit ce stade quâune semaine aprĂšs et Sariputta deux semaines plus tard, fait traditionnellement interprĂ©tĂ© comme signe de leur potentiel supĂ©rieur, demandant plus de temps pour mĂ»rir.
Moine
Le Bouddha leur aurait donnĂ© rapidement aprĂšs leur ordination le titre de chefs des disciples (aggasÄvaka). Aux autres moines qui dĂ©sapprouvaient cette promotion de nouveaux venus, Gautama expliqua quâils la mĂ©ritaient pour avoir fait dans une vie antĂ©rieure le vĆu dâaccĂ©der Ă cette position, et pratiquĂ© Ă cet effet les vertus durant de nombreuses existences.
Sariputra et Mogallana, amis dâenfance selon la lĂ©gende, entretenaient une relation privilĂ©giĂ©e, illustrĂ©e dans de nombreuses anecdotes oĂč lâintuition du premier est mise en parallĂšle avec les pouvoirs surnaturels du second. Le Saccavibhanga Sutta compare Sariputta Ă la mĂšre naturelle des disciples, qui les amĂšne Ă la conversion, et Moggallana Ă la mĂšre nourriciĂšre qui les Ă©duque jusquâaux pouvoirs surnaturels dâiddhi. En tant que premiers disciples, ils Ă©taient aussi « exĂ©cuteurs des hautes Ćuvres ». Câest ainsi quâils furent chargĂ©s de ramener les schismatiques qui avaient suivi Devadatta et dâexcommunier les moines rĂ©calcitrants de Kitagiri. Cette fonction disciplinaire leur valut quelques inimitiĂ©s. Ils furent tous deux prĂ©cepteurs de Rahula, que Sariputta avait ordonnĂ© Ă la demande de son pĂšre.
Pouvoirs surnaturels
Moggallana Ă©tait reconnu pour ses pouvoirs surnaturels de siddhi quâil possĂ©dait au plus haut point parmi les disciples de Gautama. Bien que ce dernier en ait gĂ©nĂ©ralement dĂ©couragĂ© lâemploi, il aurait fait une exception pour Moggallana dont la sagesse Ă©tait grande. Le sixiĂšme chapitre du SĆ«tra du Lotus prĂ©dit quâil deviendra un bouddha sous le nom de TamÄlapatracandanagandha[2]. De nombreuses anecdotes relatent comment il mit ses pouvoirs au service de son maĂźtre et de la propagation de la doctrine. GrĂące Ă eux il pouvait avoir la haute main sur brahmanes, rois, et ĂȘtres surnaturels comme les dĂ©mons et les nagas, et aussi visiter les autres mondes pour y porter la parole du Bouddha et en rapporter des nouvelles. Voici quelques-unes des anecdotes les plus connues :
- Le roi naga : Un jour que le Bouddha en grande escorte s'en allait visiter le ciel Tavatimsa, il passa Ă proximitĂ© de la demeure du roi naga Nandopananda qui, dĂ©rangĂ©, entra dans une colĂšre noire. Il enroula son corps immense autour du mont Sumeru et dĂ©ploya sa tĂȘte de naja de telle maniĂšre que le monde en fut obscurci. Le Bouddha jugea que de tous ses moines, seul Moggallana pouvait le mettre Ă raison. AprĂšs avoir affrontĂ© Nandopananda sous diverses formes, la derniĂšre Ă©tant celle de lâaigle Supanna, Moggallanna le vainquit et le contraignit Ă prĂ©senter ses excuses.
- Le pont : Le bourg de Sravasti donna un jour un banquet pour les ascĂštes de toutes les sectes. Pour accĂ©der aux lieux, ils devaient passer Ă guĂ© une riviĂšre, mais trouvĂšrent en arrivant un cours grossi par les pluies quâil leur Ă©tait impossible de traverser Ă pied. Sachant que le Bouddha approchait, Moggallana, qui Ă©tait parmi eux, se changea en pont. Alors que les ascĂštes le traversaient, il se dĂ©sagrĂ©gea, les prĂ©cipitant dans lâeau juste Ă temps pour que Gautama puisse les en tirer, faisant la preuve de sa compassion et de ses pouvoirs. Ils se convertirent.
- MÄra : Un jour, un mara pĂ©nĂ©tra dans lâestomac de Moggallana, causant une Ă©norme enflure douloureuse. Le moine, qui avait lui-mĂȘme Ă©tĂ© mara lors dâune existence antĂ©rieure et sâen rappelait fort bien grĂące Ă ses pouvoirs, nâĂ©tait pas de nature Ă se laisser abuser et lui enjoignit de dĂ©guerpir. DĂ©masquĂ©, le mara sâenfuit sous forme de salive.
- Moggallana sauve sa mĂšre : Si lâon en croit la tradition, les mĂšres brahmanes des deux premiers disciples de Gautama dĂ©sapprouvaient fortement le choix de leurs fils. Si celle de Sariputta fut finalement convertie, câest en enfer que Moggallana aurait retrouvĂ© la sienne, tout Ă fait par hasard, un jour quâil y faisait une visite. Ămu, il alla trouver le Bouddha qui lui confirma qu'elle Ă©tait devenue esprit affamĂ© pour avoir dit du mal des Trois Joyaux[3], Ă©tant de plus colĂ©reuse et avide. Bien qu'il ait toujours insistĂ© sur lâaspect inĂ©luctable de la rĂ©tribution karmique, le Bouddha lui rĂ©vĂ©la qu'il pouvait par ses pouvoirs dĂ©livrer sa mĂšre. Câest lâorigine des rites dâUllambana, qui ont lieu le quinziĂšme jour du septiĂšme mois lunaire, Ă la sortie de la retraite annuelle monastique. De nombreux bonzes et nonnes sont devenus arhats. Il est possible de leur faire ce jour des offrandes afin quâils usent ensemble de leurs pouvoirs pour sauver les parents dĂ©cĂ©dĂ©s, ou prolonger leur vie sâils sont encore de ce monde. Cette anecdote est relatĂ©e dans l'Ullambana Sutra, que son adĂ©quation avec l'idĂ©al de piĂ©tĂ© filiale a rendu populaire dans le monde chinois ; il a mĂȘme Ă©tĂ© soupçonnĂ© d'ĂȘtre un apocryphe. La tradition d'Ullambana a donnĂ© naissance aux fĂȘtes d'O-Bon (Japon) et de Zhongyuan (Chine), encore appelĂ©e « fĂȘte des fantĂŽmes affamĂ©s ».
- CuriositĂ© dĂ©placĂ©e : Ses pouvoirs dĂ©cuplant son audition, un jour que Moggallana mĂ©ditait, sa concentration fut perturbĂ©e - si lâon peut dire - par la voix clairement audible du Bouddha, qui se trouvait pourtant dans une ville Ă©loignĂ©e. La curiositĂ© le poussa alors Ă tenter une expĂ©rience pour mesurer jusquâĂ quelle distance exactement portait la voix dâun bouddha. Il se rendit Ă cet effet dans le Buddhakshetra (terre de bouddha) de Lokesvarara. Celui-ci, ayant senti sa prĂ©sence et devinĂ© ses motifs, lui fit remarquer sĂšchement que le pouvoir dâun bouddha est tellement immense quâil pĂ©nĂštre lâunivers entier, proche et lointain Ă la fois ; chercher Ă le mesurer est un signe de discrimination mentale, donc de sagesse insuffisante. Moggallana se le tint dĂ©sormais pour dit.
- Le karma vainqueur des pouvoirs : Lorsque le roi Vidudabha de Kosala fit encercler Kapilavastu (capitale des Shakyas), le Bouddha, qui avait auparavant rĂ©ussi Ă dĂ©nouer pour sa tribu trois crises, sentit que cette fois-ci lui-mĂȘme ne pourrait rien, et quâils seraient rattrapĂ©s par leur karma (ils auraient jadis empoisonnĂ© les eaux de la Rohini). Mais Mogallana ne pouvait se rĂ©signer. Il enferma cinq cents shakyas choisis parmi les plus valeureux dans son bol et sortit discrĂštement de la ville, espĂ©rant quâils constitueraient une armĂ©e de renfort. Cependant, quand il dĂ©couvrit son bol, tout ce quâil contenait Ă©tait du sang.
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Fin
Le principe de la rĂ©tribution karmique est de nouveau en mis en Ă©vidence dans le rĂ©cit des circonstances de la mort de MoggallÄna, qui fut violente[4]. Ses pouvoirs et leur effet persuasif lui avaient valu lâinimitiĂ© fĂ©roce des autres sectes qui perdaient leurs disciples. Les niganthas auraient engagĂ© des brigands pour le tuer. Il dĂ©joua leurs tentatives six jours de suite, dont une fois en sâĂ©chappant par la serrure de sa hutte. Mais le septiĂšme jour, ils rĂ©ussirent Ă l'encercler, le rouĂšrent de coups et le laissĂšrent pour mort. Ses pouvoirs furent tout juste suffisants pour lui permettre de parvenir jusquâau Bouddha pour prononcer une derniĂšre fois sa profession de foi et obtenir son autorisation de sâĂ©teindre. On explique cette fin par le fait qu'il aurait lui-mĂȘme tuĂ© ses parents de cette façon, encouragĂ© par sa femme, lors dâune existence antĂ©rieure. Le temps passĂ© ensuite en enfer nâaurait pas suffi Ă purifier totalement son karma. Câest pourquoi, selon la tradition orale singhalaise, les cendres funĂ©raires bleuĂątres (couleur qu'on prĂȘte Ă celles de Moggallana) tĂ©moigneraient d'un sĂ©jour rĂ©cent en enfer. Il mourut durant le mois de katthina (octobre-novembre), un jour d'uposatha de nouvelle lune, quinze jours aprĂšs Sariputta mort un jour de pleine lune. Le Bouddha lui fit Ă©lever un stupa Ă Veluvana.
Notes
- Hans Wolfgang Schumann, Le bouddha historique (1982), trad., Sully, 2011, p. 116-118, 290, 306. Jùtaka n° 95
- (en) The Lotus Sutra, « Prediction [Chapter VI] », sur www.wisdomlib.org, (consulté le )
- le Bouddha, le dharma et le sangha
- Jùtaka n° 522.
Bibliographie
- AndrĂ© Bareau, Recherches sur la biographie du Bouddha, Publications de l'Ăcole Française d'ExtrĂȘme-Orient, t. I, 1970.
- MĂŽhan Wijayaratna, Le Bouddha et ses disciples, Cerf, 1990, 262 p.
- Nyanaponika Thera et Hellmuth Hecker Les grands disciples du Bouddha, t. I : Sariputra - Mahamoggallana - Mahakassapa - Ananda, trad. de l'anglais TancrĂšde Montmartel, Kim Burgat, Claire Jullien, Christine Louveau, Claire LumiĂšre, 1999, 284 p.
- Sylvie Servan-Schreiber et Marc Albert, Le SĂ»tra du Lotus ćŠæłèźèŻç”, Les Indes savantes, Paris, 2007, 323 p. (ISBN 978-2-84654-180-0).