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Mamadou Dia

Mamadou Dia, né le à Khombole au Sénégal, mort le à Dakar[1] est un homme politique sénégalais qui fut le Président du Conseil du Sénégal de 1957 à 1962. Il est l'un de principaux protagonistes de la crise politique de décembre 1962 qui l'opposa à Léopold Sédar Senghor.

Mamadou Dia
Illustration.
Mamadou Dia en 1960.
Fonctions
Président du Conseil du Sénégal
–
(2 ans, 8 mois et 14 jours)
Président Léopold Sédar Senghor
Prédécesseur Lui-même (Président du Conseil de gouvernement)
Successeur Abdou Diouf
Président du Conseil
de gouvernement sénégalais
–
(2 ans, 10 mois et 17 jours)
Prédécesseur Pierre Lami
Successeur Lui-même (Président du Conseil)
Biographie
Date de naissance
Lieu de naissance Khombole (Afrique-Occidentale française)
Date de dĂ©cès (Ă  98 ans)
Lieu de décès Dakar (Sénégal)
Nationalité Sénégalaise
Parti politique Bloc démocratique sénégalais
Diplômé de École normale William Ponty
Profession Instituteur

Mamadou Dia
Président du Conseil du Sénégal

Biographie

Jeunesse et Ă©tudes

Mamadou Dia nait en 1910 de l'union d'un Toucouleur originaire de Kanel, cheminot à Thiès puis policier à Khombole, et d'une Sérère, originaire du Baol[2].

Formé à l'école coranique puis à l'école régionale de Diourbel, il entre après la mort de son père, à l'école primaire supérieure Blanchot de Saint-Louis en 1924 tout en poursuivant ses études coraniques[2].

Un instituteur le fait vieillir d'un an pour qu'il puisse passer le concours d'entrée de l’École normale William Ponty de Gorée (École normale fédérale de l’AOF). Admis en 1927, et reçu premier de l’AOF, il devient instituteur à Saint-Louis et Fissel, puis directeur de l'école régionale de Fatick en 1943[3]. Il côtoie Joseph Mbaye, Fara Sow, Abdoulaye Sadji et Ousmane Socé Diop, connus à Blanchot, développant une hostilité envers le colonialisme et l'assimilation[2].

Ne portant aucun intérêt à l’engagement politique, il se fait régulièrement le relais dans la presse de la situation économique du Sénégal, en particulier de la misère des paysans pour lesquels il préconise un regroupement en coopératives[3].

Carrière politique

Les habitants de Fatick lui demandant d'être candidat à l’Assemblée du Conseil général, il adhère pourtant à la SFIO, qu'il juge pas assez socialiste. Parrainé par Léopold Sédar Senghor et par Ibrahima Seydou Ndaw, il est élu conseiller général en 1946[3].

Avec Senghor, Ndas et Léon Boissier-Palun, il s'oppose au dirigeant de la SFIO sénégalaise, Lamine Guèye, qui tient la direction fédérale, et devient le porte-parole des contestataires jusqu'à leurs démissions du parti le [3]. Ils créent le Bloc démocratique sénégalais (BDS), qui tient son congrès fondateur du 15 au à Thiès, Dia désigné secrétaire général et Senghor président du nouveau parti, rebaptisé au cours des années Bloc populaire sénégalais (BPS) puis UPS[3]. Dans cette période fondatrice, Dia sait habilement seconder Senghor dans les efforts de propagande en direction des minorités non-wolof, notamment en Casamance ou dans le pays sérère.

Grand Conseiller de l’AOF en 1948, Dia devient ensuite sénateur du Sénégal (1949-1955) puis député, avec Senghor, à l’Assemblée nationale française en 1956, où il siège au sein des indépendants d'outre-mer (IOM).

Durant ces années de parlementaire, il complète son cursus par des études supérieures de géographie, de droit et de sciences économiques sous le professorat marquant de François Perroux.

Dia constitue avec Senghor, en , à partir du BPS, le Parti de la convention africaine (PCA), premier pas vers une future fédération africaine que beaucoup de dirigeants appellent de leurs vœux.

Réception au palais présidentiel (1960) - x, Général Fall, Valdiodio N'diaye, Mamadou Dia, Léopold Sédar Senghor.

En application de la Loi-cadre Defferre, adoptée le , il devient vice-président du Conseil de gouvernement du Sénégal en mai 1957 auprès du gouverneur Pierre Lami, puis président du gouvernement du Sénégal. Lorsque Charles de Gaulle propose un référendum sur la communauté française en 1958, les deux responsables s'opposent publiquement sur la position à prendre : Dia est favorable à une rupture avec la France, alors que Senghor veut conserver le Sénégal dans la communauté, ce qui est finalement réalisé[3].

Dia se succède à lui-même en qualité de Président du Conseil après l’indépendance du . Quand Modibo Keïta cherche à prendre le contrôle de la Fédération du Mali, Dia convoque une séance extraordinaire de l'Assemblée du Sénégal et un conseil des ministres dans la nuit du 20 au . L’indépendance de la République du Sénégal et l’état d’urgence sur tout le Sénégal sont proclamés[3].

Spécialiste des questions économiques, influencé par Perroux, Henri Desroches et Louis-Joseph Lebret[2], Dia met en place le premier plan de développement économique du Sénégal[3]. Il tente aussi de développer un islamisme éclairé et une administration moderne, non sans provoquer quelques heurts avec les milieux conservateurs[3].

Crise politique de décembre 1962

Alors que le PrĂ©sident du Conseil, Mamadou Dia, incarne le sommet de l’État dans un rĂ©gime parlementaire bicĂ©phale de type quatrième RĂ©publique (la politique Ă©conomique et intĂ©rieure pour lui, la politique extĂ©rieure pour le PrĂ©sident de la RĂ©publique), ses relations avec LĂ©opold SĂ©dar Senghor s’enveniment peu Ă  peu. Le conflit repose essentiellement sur la politique Ă©conomique du gouvernement et le sort Ă  rĂ©server aux dĂ©putĂ©s « affairistes Â» ayant commis de nombreux abus. Ces dĂ©putĂ©s s’étaient octroyĂ©s, des augmentations de salaire, avaient pris des crĂ©dits dans des banques (qu’ils ne remboursaient pas) et des actions dans des sociĂ©tĂ©s anonymes, directement ou par l’intermĂ©diaire de leurs femmes ou de leurs enfants. Tout ceci Ă©tait contraire Ă  la ligne politique du parti. Mamadou Dia leur demanda Ă  plusieurs reprises de rembourser leurs crĂ©dits et de rendre leurs actions, mais en vain.

De plus, le , le Président du Conseil, Mamadou Dia, prononce un discours sur « les politiques de développement et les diverses voies africaines du socialisme » à Dakar ; il prône le « rejet révolutionnaire des anciennes structures » et une « mutation totale qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement » et revendique une sortie planifiée de l'économie arachidière[4]. Cette déclaration, à caractère souverainiste, heurte les intérêts français et inquiète les puissants marabouts qui interviennent dans le marché de l’arachide.

Cela motive Senghor à demander à ses amis députés de déposer une motion de censure contre le gouvernement. Jugeant cette motion irrecevable, Mamadou Dia tente d'empêcher son examen par l'Assemblée nationale au profit du Conseil national du parti, en faisant évacuer la chambre le 17 décembre et en faisant empêcher son accès par la gendarmerie. Malgré ce qui est qualifié de « tentative de coup d'État » et l'arrestation de quatre députés, la motion est votée dans l'après-midi au domicile du président de l'Assemblée nationale, Lamine Guèye.

Mamadou Dia est arrêté le lendemain par un détachement de paras-commandos, avec quatre autres ministres, Valdiodio N'diaye, Ibrahima Sar, Joseph Mbaye et Alioune Tall. Ils sont traduits devant la Haute Cour de justice du Sénégal du 9 au ; alors que le procureur général ne requiert aucune peine, il est condamné à la prison à perpétuité tandis que ses quatre compagnons sont condamnés à 20 ans d’emprisonnement ; ils seront détenus au centre spécial de détention de Kédougou (Sénégal oriental).

Le procureur gĂ©nĂ©ral de l'Ă©poque, Ousmane Camara, revient sur le dĂ©roulement du procès dans une autobiographie publiĂ©e en 2010 : Â« Je sais que cette haute cour de justice, par essence et par sa composition, (ndlr : on y retrouve des dĂ©putĂ©s ayant votĂ© la motion de censure), a dĂ©jĂ  prononcĂ© sa sentence, avant mĂŞme l’ouverture du procès (...) La participation de magistrats que sont le PrĂ©sident (Ousmane Goundiam), le juge d’instruction (Abdoulaye Diop) et le procureur gĂ©nĂ©ral ne sert qu’à couvrir du manteau de la lĂ©galitĂ© une exĂ©cution sommaire dĂ©jĂ  programmĂ©e Â»[5].

Lors de leur incarcération, des personnalités comme Jean-Paul Sartre, le pape Jean XXIII ou encore François Mitterrand demandent leur libération. Mais Senghor reste sourd jusqu'en mars 1974, année à laquelle il décide de les gracier et de les libérer. Ils sont amnistiés en avril 1976, un mois avant le rétablissement du multipartisme au Sénégal. Parmi leurs avocats durant cette période, on compte Abdoulaye Wade et Robert Badinter.

Aujourd'hui encore cet épisode dramatique de l'histoire du Sénégal reste un sujet délicat car beaucoup considèrent cet événement comme la première véritable dérive politicienne de la part de Senghor, dans un pays qui passait alors pour un modèle de démocratie[6].

Après sa libération

En 1981, il fonde le Mouvement démocratique populaire (MDP) avec comme objectif la mise en place d'un « socialisme autogestionnaire ». Mais ce nouveau parti ne recueille que peu de soutien ; Valdiodio N'diaye s'en éloignera même en rejoignant le Parti socialiste (PS) et en apportant son soutien au président sortant Abdou Diouf lors de l'élection présidentielle de 1983.

Le , soit 30 ans après les événements, le Général Jean Alfred Diallo, nommé Chef d'État major par Senghor au moment des événements en remplacement du général Amadou Fall et homme clé de ces événements, déclara : « Mamadou Dia n’a jamais fait un coup d’état contre Senghor … l’histoire du coup d’état, c’est de la pure fabulation ».

Malgré l’échec de son retour en politique, Mamadou Dia conserve une place intellectuelle et morale au Sénégal. Peu rancunier, il manifeste une profonde tristesse lors de la mort de Senghor et dénonce avec virulence, durant ses dernières années, le libéralisme économique pratiqué par son ancien avocat, le président Wade.

Il Ă©tait Ă©galement un grand ami de Serigne Abbas Sall de Louga[7].

Postérité

Malgré les annonces successives de la révision du procès de Mamadou Dia et de ses co-accusés par Abdoulaye Wade au cours des années 2000, cet épisode dramatique de l'histoire du Sénégal reste un sujet délicat car de nombreux politologues et historiens considèrent cet événement comme la première véritable dérive politicienne du régime Senghorien[8] - [9] - [10].

Publications

Premier gouvernement du Sénégal (1960).
  • Contribution Ă  l'Ă©tude du mouvement coopĂ©ratif en Afrique noire, PrĂ©sence africaine, 1951 (rĂ©Ă©d. 1961, 1962)
  • RĂ©flexions sur l'Ă©conomie de l'Afrique noire, Éditions africaines, 1954 (rĂ©Ă©d. 1960, 1961)
  • L'Ă©conomie africaine : Ă©tudes et problèmes nouveaux, Presses universitaires de France, 1957
  • Nations africaines et solidaritĂ© mondiale, Presses universitaires de France, 1960 (rĂ©Ă©d. 1963)
  • Islam, sociĂ©tĂ©s africaines et culture industrielle, Nouvelles Ă©ditions africaines, 1975
  • Essais sur l'Islam, vol. 1, Islam et humanisme, Nouvelles Ă©ditions africaines, 1977
  • Essais sur l'Islam, vol. 2, Socio-anthropologie de l'Islam, Nouvelles Ă©ditions africaines, 1979
  • Essais sur l'Islam, vol. 3, Islam et civilisations nĂ©gro-africaines, Nouvelles Ă©ditions africaines, 1980
  • MĂ©moires d'un militant du Tiers monde : si mĂ©moire ne ment, Publisud, 1985
  • (en) A governance approach to civil service reform in Sub-Saharan Africa, World Bank, 1993
  • (en) Africa's management in the 1990s and beyond : reconciling indigenous and transplanted institutions, World Bank, 1996
  • Kaso : le migrant perpĂ©tuel, Esprit frappeur, 1999
  • Afrique : le prix de la libertĂ©, L'Harmattan, 2001 (rĂ©Ă©d. 2003)
  • Échec de l'alternance au SĂ©nĂ©gal et crise du monde libĂ©ral, L'Harmattan, 2005
  • SĂ©nĂ©gal, radioscopie d'une alternance avortĂ©e (articles et documents)
  • Corbeille pour l'an 2000, Éditions Paix et dĂ©veloppement, Dakar, 1995

Notes et références

  1. (fr) « Sénégal: décès de Mamadou Dia, premier Premier ministre du Sénégal indépendant » afp, 25 janvier 2009
  2. Diop 2007.
  3. Laurent Correau, « Mamadou Dia, l’homme du refus », RFI.fr, 26 janvier 2009.
  4. « Philippe Bernard, « Mamadou Dia », Le Monde, 29 janvier 2009 (ISSN 0395-2037) », Le Monde, no 29 janvier 2009,‎ (ISSN 0395-2037)
  5. Ousmane Camara, Mémoires d'un juge africain. Itinéraire d'un homme libre, Paris, Karthala, , 312 p. (ISBN 978-2-8111-0389-7, lire en ligne), p. 122
  6. « Valdiodio N'diaye », sur www.interieur.gouv.sn, (consulté le )
  7. « Mamadou Dia | ****MINTSP**** », sur www.interieur.gouv.sn (consulté le )
  8. « Mamadou Dia | ****MINTSP**** », sur www.interieur.gouv.sn (consulté le )
  9. « Mamadou Dia, un monument de l’histoire politique du Sénégal - Jeune Afrique », sur http://www.jeuneafrique.com/,
  10. « Valdiodio N'diaye », sur www.interieur.gouv.sn, (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Mamadou Dia. Discours et dĂ©clarations 1957 Ă  1961, Ministère de l'information, de la radiodiffusion et de la presse, impr. du Gouvernement au SĂ©nĂ©gal puis impr. de la RĂ©publique du SĂ©nĂ©gal, Saint-Louis, 19?, 11 fasc.
  • F. Diaye, M. Printz, Tine, Visages publics au SĂ©nĂ©gal. 10 personnalitĂ©s politiques parlent, L'Harmattan, 1991, 260 p. (ISBN 2-7384-0567-3)
  • Adama Baytir Diop, Le SĂ©nĂ©gal Ă  l'heure de l'indĂ©pendance : Le projet politique de Mamadou Dia (1957-1962), Paris, L'Harmattan, , 289 p. (ISBN 978-2-296-04724-2 et 2-296-04724-6, lire en ligne). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • Babacar Ndiaye et Waly Ndiaye, PrĂ©sidents et ministres de la RĂ©publique du SĂ©nĂ©gal, Dakar, 2006, p. 32
  • Roland Colin, SĂ©nĂ©gal notre pirogue, au soleil de la libertĂ©, Paris, PrĂ©sence Africaine, 2007, 405 p.
  • Abdoulatif Coulibaly, Le SĂ©nĂ©gal Ă  l’épreuve de la dĂ©mocratie, Paris, L'Harmattan, 1999, 254 p.
  • Ousmane Camara, MĂ©moires d'un juge africain. ItinĂ©raire d'un homme libre, Paris, Karthala, 2010, 312 p.

Filmographie

  • « La crise Ă©clair qu’a vĂ©cue Dakar » (en ligne, un document audiovisuel de l’INA de 1 min 23 s, retraçant la tentative de coup d’État de Mamadou Dia, diffusĂ© Ă  l’origine par les ActualitĂ©s françaises le )
  • « Le SĂ©nĂ©gal après la crise » (en ligne, un document audiovisuel de l’INA de 7 min 20 s, proposant un bilan après le coup d’État avortĂ© de Mamadou Dia, diffusĂ© Ă  l’origine au cours du Journal tĂ©lĂ©visĂ© de l’ORTF le )
  • Valdiodio N'Diaye : l'indĂ©pendance du SĂ©nĂ©gal, un film de Eric ClouĂ© et Amina N'Diaye Leclerc, MĂ©diathèque des Trois Mondes, 2000
  • PrĂ©sident Dia, un film de William Mbaye, Les films Mama YandĂ© et Ina, 2013 - [vidĂ©o] Visionner la vidĂ©o sur Vimeo

Articles connexes

Liens externes

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