Magnanime (1706)
Le Magnanime est un navire de ligne à deux ponts de la Marine royale française portant 72 canons. Construit à Brest sur les plans d’Étienne Hubac, il est lancé en 1706 et armé en 1707. Il sert pendant la guerre de Succession d’Espagne dans l’Atlantique. Il est perdu par naufrage au retour de mission en 1712[3]. Sa taille et la puissance de son armement préfigure ce que sera la classe dite des « 74 canons » qui naîtra vingt-sept ans plus tard[6].
Magnanime | |
Type | Vaisseau de ligne |
---|---|
Histoire | |
A servi dans | Marine royale française |
Constructeur | Étienne Hubac |
Chantier naval | Brest |
Quille posée | [1][2] |
Lancement | |
Commission | 1707 |
Statut | Naufragé en [3] |
Équipage | |
Équipage | 500 hommes[4]. |
Caractéristiques techniques | |
Longueur | 48,7 m[4] |
Maître-bau | 13,3 m |
Tirant d'eau | 6,5 m[4] |
Tonnage | 1 400 tonneaux[4] |
Propulsion | Trois-mâts carré |
Vitesse | 5 nœuds (maximum)[5]. |
Caractéristiques militaires | |
Armement | 72[4] Ă 74[3] canons |
Carrière | |
Port d'attache | Brest[4] |
Conception et caractéristiques (1706 – 1707)
Dans les classements de l’époque, le Magnanime appartient à la catégorie des bâtiments de deuxième rang qui compte une vingtaine d’unité de ce type en 1707[4]. Il fait partie de ce petit groupe de vaisseaux lancés lors du dernier conflit de Louis XIV, période difficile pour la Marine à cause de la crise financière que connait le royaume[7]. Avec l’arrêt de la construction des vaisseaux de premier rang en 1694 (trop cher à construire et à armer, trop gourmands en équipages, inadaptés pour la guerre au commerce) et l’arrêt presque tout court des lancements en 1708, c’est l’un des derniers grands vaisseaux de ligne construit à Brest sous le règne de Louis XIV[7].
A son lancement, il est équipé de 72 canons. Son armement se répartit de la façon suivante[4] :
- le premier pont, percé à 13 sabords porte vingt-six pièces de 36 livres ;
- le second, percé à 14 sabords porte vingt-huit pièces de 18 livres ;
- les gaillards portent seize pièces de 8 livres et deux de 4 livres.
Cet armement montre une volonté d’augmenter la puissance de feu des vaisseaux de deuxième rang car les pièces de 36 livres, très lourdes, sont normalement réservées aux batteries basses des vaisseaux à trois ponts de premier rang[6]. La Marine royale, essaie, par cette évolution, de compenser la baisse du nombre de lancements et l’inemploi des trois-ponts qui ne sont plus adaptés aux besoins depuis le renoncement à la guerre d’escadre après 1704 (bataille de Vélez-Málaga).
Outre son artillerie, le Magnanime est taillé pour opérer loin de France afin d’escorter les convois de métaux précieux qui arrivent de l’Amérique espagnole[6]. Il doit aussi pouvoir attaquer le commerce ennemi aux approches de la Manche et jusqu’au cap Saint-Vincent tout en ayant la capacité de tenir en respect les plus grosses unités adverses et de se dégager par une vitesse suffisante en cas de besoin[6]. D’autres deux-ponts lancés à la même époque partagent ces caractéristiques, comme le Saint-Michel (construit à Lorient en 1705) et le Lys (à Brest en 1707[6]).
Le Magnanime est doté d’un équipage de 500 hommes[4]. Un rapport rendu à sa dernière année de service le donne comme pouvant filer à 5 nœuds[5] – vitesse respectable pour un navire de cette taille[8] – et le décrit, sur le plan nautique comme « très beau et bon »[5]. Ce vaisseau qui présente un compromis réussit entre le coût, la puissance de feu et la manœuvrabilité préfigure la révolution que représentera, vingt-sept ans plus tard la naissance du « 74 canons[6] » produit en grand nombre et qui sera l’épine dorsale de la marine française et anglaise jusqu’en 1815[9].
La carrière du Magnanime (1707 - 1712)
Mission aux Antilles (1707 – 1708)
Le Magnanime entre en service alors que la guerre avec l’Angleterre et la Hollande dure déjà depuis 5 ans. Le vaisseau est confié à l’un des meilleurs marins de Louis XIV : Jean-Baptiste du Casse, qui vient d’être nommé lieutenant général après ses succès pour assurer la sécurité des liaisons avec l’Empire espagnol maintenant allié de la France[10]. Le Magnanime prend la tête d’une petite escadre de cinq vaisseaux et trois frégates qui appareille de Brest le [11].
Les ordres sont multiples. « En faisant beaucoup de mal aux ennemis écrit Louis XIV, nous pourrions sauver l’Amérique espagnole et l’Espagne ». Le roi préconise aussi d’attaquer les Hollandais dans la Manche et les garde-côtes anglais en Irlande tout en sauvegardant « de préférence à tout », l’arrivée de la flotte des galions du Mexique[12]. Du Casse prend finalement la route des Antilles et se retrouve à La Havane. Il en sort en pour faire la chasse à six navires anglais puis escorter vers l’Espagne un gros convoi marchand[13]. Il arrive sans pertes à Pasajes le , avec des galions « riches de 50 millions de fruits[14] » puis regagne Brest.
L’expédition de Rio de Janeiro (1711 – 1712)
En 1711, le Maganime est requis pour participer à la grande attaque de Rio de Janeiro que prépare Duguay-Trouin avec les derniers bâtiments disponibles (quatorze vaisseaux et frégates, une galiote à bombes, deux traversiers). Son équipage est porté à 658 hommes (dont 295 soldats prévus pour le débarquement[15]) et l’armement à 74 canons, sans doute par l’adjonction de petites pièces sur les gaillards[3]. Il fait partie des deux bâtiments les plus puissants de l’escadre[16]. Compte tenu du délabrement des finances royales, il s’agit d’un armement corsaire payé par des investisseurs presque tous malouins[17]. Le Maganime reçoit pour commandant le chevalier de Coursérac qui porte le grade de capitaine de frégate (choisi comme tous les autres officiers par Duguay-Trouin lui-même, sur ses qualités de marin et de chef[3]). La préparation s’effectue dans différents ports pour ne pas éveiller l’attention. Le Maganime est armé à Brest, qui sert de point de ralliement principal (les autres ports sont La Rochelle, Port-Louis, Dunkerque[3]).
L’escadre appareille de et réussit à tromper toutes les patrouilles anglaises. Le , elle est en vue de la passe qui donne accès à la baie de Rio de Janeiro[3]. Celle-ci est étroite et bien défendue par plusieurs forts. Duguay-Trouin n’a pas seulement choisi le chevalier de Coursérac sur ses seules qualités de marin : c’est aussi le seul officier qui connaisse les lieux. Il est donc chargé d’ouvrir le passage, tous les autres devant suivre dans son sillage[3]. L’opération n’est pas facile car il faut longer à courte portée les forts portugais mais le Magnanime « manœuvra avec une fierté qui fit l’admiration de toute l’escadre et fit croire aux Portugais qu’il y avoit des pilotes du pays dans le vaisseau[18] ». Le , le corps de débarquement est à terre. Duguay-Trouin forme trois brigades et confie le commandement de l’une d’entre elles au chevalier de Coursérac qui s’illustre dans les opérations[19].
Soumise à un bombardement intensif, menacée d’être emportée d’assaut, Rio est abandonnée par sa population puis capitule le 10 octobre. Le , après paiement de la rançon, l’escadre victorieuse appareille[3]. Ce sera la dernière croisière du Magnanime. Le , une tempête balaye les navires au large des Açores. Le Magnanime sombre avec son équipage et le butin qu’il transportait[20]. Si on suit les Mémoires de Duguay-Trouin, il avait embarqué une bonne partie de la rançon : « ma confiance en lui (le chevalier de Coursérac) étoit si grande, que j’avois fait charger sur le Magnanime, qu’il montoit, plus de six-cent mille livres en or et en argent. Ce vaisseau étoit, outre cela, rempli d’une grande quantité de marchandises. Il est vrai que c’étoit le plus grand de l’escadre, et le plus capable, en apparence, de résister aux efforts de la tempête et à ceux des ennemis. Presque toutes nos richesses étoient embarquées sur ce vaisseau, et sur celui que je montois (le Lys, qui faillit sombrer aussi)[21] ».
La perte peut aussi être estimée au poids du métal précieux. Les Portugais avaient versé 1 350 kg d’or pour racheter leur ville[17]. Si le Magnanime transportait la moitié de ce chargement, c’est plus de 600 kg d’or qui auraient filé au fond de l’Atlantique où ils se trouvent encore. L’épave du Magnanime, qui git dans des abysses de plus de 2 000 mètres n’a jamais fait l’objet de recherche[22]. Le Magnanime sera relevé en 1744 par l’un des tout premiers « 74 canons » mis en service par la Marine royale[23].
Notes et références
- Demerliac 1992.
- Article French Third Rate ship of the line Le Magnanime (1706), sur le site anglophone Three Decks - Warships in the Age of Sail d'après Demerliac 1992.
- La Roncière 1932, p. 530-540.
- Tableau de la flotte française en 1707, (d'après Roche 2005).
- Tableau de la flotte française en 1712, (d'après Roche 2005).
- Chaline 2016, p. 218-220.
- Alors que lors du conflit précédent (1689 – 1697) les arsenaux royaux ont lancé en moyenne dix-sept vaisseaux et frégates par an, ce chiffre est tombé à huit depuis 1702. Entre 1708 et 1717, en raison de l’extrême gravité de la crise financière, les lancements cessent presque totalement. Meyer et Acerra 1994, p. 66-67.
- Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, la vitesse moyenne d’un vaisseau de guerre dépasse rarement les 5 nœuds. Vergé-Franceschi 2002, p. 1031-1034.
- Acerra et Zysberg 1997, p. 68.
- Vergé-Franceschi 2002, p. 505.
- Les autres bâtiments sont le Grand (72 canons), l’Elizabeth (72), le Glorieux (66), l’Achille (64) et les frégates la Diane (42), l’Atalante (42) et la Nymphe (26). La Roncière 1932, p. 449.
- Instructions de Louis XIV à Du Casse citées par La Roncière 1932, p. 449.
- La Roncière 1932, p. 508.
- Propos de Saint-Simon cités par La Roncière 1932, p. 508.
- Duguay-Trouin 1723, p. 26.
- Les autres vaisseaux sont le Lys (74 canons, vaisseau-amiral), le Brillant (66), l’Achille (66), le Glorieux (66), le Fidèle (66), le Mars (56), les petits vaisseaux l’Aigle (40), l’Argonaute (46), le Chancelier (40), les frégates la Glorieuse (30), l’Amazone (36), l’Astrée (22), la Concorde (20), la galiote de 36 canons la Bellone, les traversiers, la Française et le Patient. Charles de La Roncière parle d’un troisième traversier, mais sans donner son nom ni celui des deux autres. Il s’agit peut-être de la Concorde, qu’il ne mentionne pas dans sa présentation de l’escadre et qu’il confond avec un traversier. La Roncière donne aussi l’équipage du Magnanime à 673 hommes. Cet écart est inexpliqué. La Roncière 1932, p. 532. Les traversiers sont des petits navires de charge. Il ne donne pas non plus le même armement à tous les navires. Les noms, l’armement et les effectifs des équipages retenus ici sont ceux publiés dans un tableau au retour de l’expédition. Document consultable en ligne sur le site de la Bibliothèque Nationale de France.
- Vergé-Franceschi 2002, p. 1249.
- Duguay-Trouin, cité par La Roncière 1932, p. 532.
- Duguay-Trouin 1820, p. 432.
- Un autre navire, le Fidèle, sombre avec lui, ce qui porte le total des disparus à 1 128 hommes. Un troisième bâtiment, L’Aigle fait escale à Cayenne où il coule à l’ancre mais son équipage est sauf. La Roncière 1932, p. 538.
- Duguay-Trouin 1820, p. 435-436.
- L’affaire, aux dires de Duguay-Trouin, laissa cependant un bénéfice de 92 % à tous ceux qui avaient investi dans l’opération. Duguay-Trouin 1820, p. 435-436.
- Un auteur affirme que le Magnanime est le premier vaisseau de ligne à avoir été construit avec des courbes de fer, les courbes en bois se faisant rares et coûtant très cher (Jean Louis Deslongchamps, Encyclopédie maritime). Il s’agit d’une erreur d’homonymie et de chronologie. C’est le Magnanime et l’Invincible de 1744 qui en seront équipés pour la première fois. Acerra et Zysberg 1997, p. 68. Jean Louis Deslongchamps affirme aussi que le Magnanime explosa près de Gibraltar et que les courbes de fer furent retrouvées et ramenées sur Brest pour servir à la confection de deux nouveaux navires. Cette affirmation ne se retrouve dans aucun document d’époque, le Magnanime étant perdu corps et bien dans la tempête du 19 janvier 1712. Les techniques métallurgiques de 1706 ne permettaient pas de développer des courbes de fer, ce qui était en revanche possible en 1744. Ces courbes de fer impressionneront beaucoup les Anglais lorsqu’ils captureront le Magnanime et l’Invincible en 1747-1748. Acerra et Zysberg 1997, p. 68.
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Ouvrages récents
- Olivier Chaline, La mer et la France : Quand les Bourbons voulaient dominer les océans, Paris, Flammarion, coll. « Au fil de l’histoire », , 560 p. (ISBN 978-2-08-133327-7).
- Michel Vergé-Franceschi (dir.), Dictionnaire d'Histoire maritime, éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1508 p. (ISBN 2-221-08751-8 et 2-221-09744-0).
- Étienne Taillemite, Dictionnaire des marins français, Paris, Tallandier, coll. « Dictionnaires », , 537 p. [détail de l’édition] (ISBN 978-2847340082)
- Rémi Monaque, Une histoire de la marine de guerre française, Paris, éditions Perrin, , 526 p. (ISBN 978-2-262-03715-4)
- Alain Boulaire, La Marine française : De la Royale de Richelieu aux missions d'aujourd'hui, Quimper, éditions Palantines, , 383 p. (ISBN 978-2-35678-056-0)
- Jean Meyer et Martine Acerra, Histoire de la marine française : des origines à nos jours, Rennes, Ouest-France, , 427 p. [détail de l’édition] (ISBN 2-7373-1129-2, BNF 35734655)
- Martine Acerra et André Zysberg, L'essor des marines de guerre européennes : vers 1680-1790, Paris, SEDES, coll. « Regards sur l'histoire » (no 119), , 298 p. [détail de l’édition] (ISBN 2-7181-9515-0, BNF 36697883)
- Patrick Villiers, Jean-Pierre Duteil et Robert Muchembled (dir.), L'Europe, la mer et les colonies : XVIIe – XVIIIe siècle, Paris, Hachette supérieur, coll. « Carré histoire », , 255 p. (ISBN 2-01-145196-5)
- Patrick Villiers, La France sur mer : De Louis XIII à Napoléon Ier, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », , 286 p. (ISBN 978-2-8185-0437-6)
- Garnier Jacques (dir.), Dictionnaire Perrin des guerres et des batailles de l'histoire de France, Paris, Ă©ditions Perrin, , 906 p. (ISBN 2-262-00829-9)
- Lucien Bély (dir.), Dictionnaire Louis XIV, éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1405 p. (ISBN 978-2-221-12482-6)
- John A. Lynn (trad. de l'anglais), Les Guerres de Louis XIV, Paris, éditions Perrin, coll. « Tempus », , 561 p. (ISBN 978-2-262-04755-9).
- Jean-Michel Roche (dir.), Dictionnaire des bâtiments de la flotte de guerre française de Colbert à nos jours, t. 1, de 1671 à 1870, éditions LTP, , 530 p. (lire en ligne)
- Alain Demerliac, La Marine de Louis XIV : nomenclature des vaisseaux du Roi-soleil de 1661 Ă 1715, Nice, Omega, , 292 p. (ISBN 2-906381-15-2)
Ouvrages anciens
- René Duguay-Trouin, Relation de l'expédition de Rio-Janeiro, par une escadre de vaisseaux du Roy que commandoit Mr. Du Guay-Troüin, en 1712, Paris, Pierre Cot, , 83 p. (lire en ligne).
- René Duguay-Trouin, Mémoires de Duguay-Trouin : 1689-1715, Paris, Foucault, , in-4 (lire en ligne).
- Onésime Troude, Batailles navales de la France, t. 1, Paris, Challamel aîné, 1867-1868, 453 p. (lire en ligne)
- Charles La Roncière, Histoire de la Marine française : Le crépuscule du Grand règne, l’apogée de la Guerre de Course, t. 6, Paris, Plon, , 674 p. (lire en ligne).
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Ronald Deschenes, « Vaisseaux de ligne français de 1682 à 1780 » (consulté le )
- (en) « French Third Rate ship of the line Le Magnanime (1706) », sur threedecks.org (consulté le )
- Tableau de la flotte française en 1706, en 1707, en 1708, en 1709, et en 1710, en 1712 sur netmarine.net, d'après Jean-Michel Roche, Dictionnaire des bâtiments de la flotte de guerre française de Colbert à nos jours, t. 1, de 1671 à 1870.