MĂ©tate
Un mĂ©tate est une meule dormante de pierre, d'usage domestique, utilisĂ©e pour moudre des graines. UtilisĂ©e depuis plusieurs milliers dâannĂ©es (depuis au moins ) dans lâaire culturelle de la MĂ©soamĂ©rique, son nom provient du nahuatl « metatl »[1]. Dans les cultures mĂ©soamĂ©ricaines traditionnelles, les mĂ©tates sont gĂ©nĂ©ralement utilisĂ©s par les femmes qui broient le maĂŻs traitĂ© Ă la chaux et d'autres matiĂšres organiques lors de la prĂ©paration des aliments (par exemple, la fabrication de tortillas).
Description
Les meules actuelles sont monolithiques, le plus souvent en basalte, apodes ou tripodes, rectangulaires et lĂ©gĂšrement concaves sur la surface de mouture. Ces meules sont associĂ©es Ă une molette, saisie Ă deux mains, appelĂ©e mano ou metlapil[2], dont la dimension dĂ©passe gĂ©nĂ©ralement la largeur de la meule et qui est actionnĂ©e en un mouvement rectiligne alternatif, ce qui se diffĂ©rencie du mouvement d'Ă©crasement vertical utilisĂ© dans un mortier et un pilon. Sur les meules tripodes, lâun des pieds est lĂ©gĂšrement plus haut que les deux autres ce qui donne une inclinaison Ă lâensemble, lâutilisateur se plaçant devant la partie la plus haute. La profondeur du bol varie, bien qu'elle ne soit gĂ©nĂ©ralement pas plus profonde que celle d'un mortier. Des bols de mĂ©tate plus profonds indiquent une usure due Ă une utilisation plus intensive ou une longue pĂ©riode d'usage.
Les mĂ©tates peuvent ĂȘtre classĂ©s en fonction de la forme de la surface de meulage. Une catĂ©gorisation identifie quatre de ces formes : plat, plat/concave, bassin et creux[3]. Les mĂ©tates en forme de bassin sont utilisĂ©s avec une course de meulage circulaire, tandis que les mĂ©tates plats et en forme de creux sont utilisĂ©s avec une course de va-et-vient rĂ©ciproque ou de basculement rĂ©ciproque[3].
Fabrication
La fabrication des meules est un travail essentiellement masculin. à l'époque préhispanique, les meuliers n'utilisaient que des outils en pierre : cette pratique persista dans certains villages jusqu'au milieu du XXe siÚcle. L'utilisation d'outils en métal, hérités probablement des tailleurs de pierre de construction, permit d'utiliser les basaltes les plus durs, donnant des meules d'une durée de vie supérieure à trente ans. Si la fabrication de meules apodes à partir de blocs de pierre naturellement polis dans le lit d'une riviÚre était autrefois à la portée de nombreux paysans, l'élaboration de métates tripodes requiert une spécialisation artisanale.
Usage
La mouture occupe une place prĂ©pondĂ©rante dans la cuisine rurale mexicaine. On peut moudre Ă sec, mais trĂšs peu de recettes sont rĂ©alisĂ©es de cette façon : on rĂ©duit en poudre du cafĂ© torrĂ©fiĂ©, du maĂŻs ou des haricots grillĂ©s, du sel, des pains de sucre ainsi que du cacao. Mais la plupart des prĂ©parations nĂ©cessitent une mouture Ă lâeau. On moud ainsi des fruits pour en faire des jus, des haricots ou des lĂ©gumes bouillis, les ingrĂ©dients de diverses sauces pimentĂ©es et surtout le maĂŻs pour confectionner des galettes (tortillas) qui constituent la base du repas. Ces derniĂšres sont confectionnĂ©es Ă partir de nixtamal, câest-Ă -dire de grains de maĂŻs sec cuits avec de la chaux, puis rincĂ©s Ă lâeau, ce qui ramollit les grains et permet dâobtenir une pĂąte. Le maĂŻs ou le nixtamal peuvent ĂȘtre moulus pour des prĂ©parations autres que les galettes : tamales, pozole, atole, pinole, masa, avec des variations dans la finesse de la mouture selon l'utilisation.
Histoire
On estime que l'utilisation des métates a commencé au cours du Protonéolithique du Mexique, quelque part entre environ 5000 et [4], et à l'époque archaïque moyenne dans le sud-ouest américain, vers [3]. Les premiers métates connus étaient plats ou en forme de cuvette. Les métates en forme d'auge sont entrés en usage dans le sud-ouest autour de l'an 450[3].
Lâusage du mĂ©tate est exclusivement fĂ©minin et, en pays mixtĂšque, le lieu oĂč se trouve la meule est un espace rĂ©servĂ© aux femmes. Un couple acquiert, ou se voit souvent offrir une meule au moment dâĂ©tablir son foyer. Cette acquisition reprĂ©sente une dĂ©pense majeure dans la vie dâun paysan mixtĂšque comme en tĂ©moignaient dĂ©jĂ des testaments de nobles et de riches paysans du XVIe au XVIIIe siĂšcle dans lesquels figuraient des mĂ©tates[1].
La fabrication des tortillas quotidiennes se fait Ă partir de pĂąte de maĂŻs suffisamment humidifiĂ©e, qui ne peut donc pas ĂȘtre conservĂ©e, Ă la diffĂ©rence de la farine. Cette caractĂ©ristique technique explique sans doute le fait que les mĂ©tates domestiques nâaient pas Ă©tĂ© remplacĂ©s il y a plusieurs siĂšcles par des moulins, comme en Europe. Lors des guerres du XIXe siĂšcle et de la RĂ©volution de 1910, les armĂ©es mexicaines Ă©taient accompagnĂ©es de femmes et de mĂ©tates pour assurer lâintendance. La conquĂȘte espagnole nâa pas eu pour effet de remplacer les tortillas par le pain, bien au contraire. Ă la fin du XIXe siĂšcle les propriĂ©taires des grandes plantations introduisirent les moulins Ă moteur pour le maĂŻs, ce qui eut pour consĂ©quence de libĂ©rer la main-dâĆuvre fĂ©minine pour les champs[5]. Ă partir de 1920, des moulins Ă©lectriques apparaissent dans les campagnes et sont la propriĂ©tĂ© de municipalitĂ©s, de coopĂ©ratives ou de privĂ©s. Pourtant les meules dormantes sont toujours utilisĂ©es et font encore partie du patrimoine rural du Mexique.
Métates cérémoniels du Costa Rica
Les mĂ©tates cĂ©rĂ©moniels sculptĂ©s en pierre volcanique reprĂ©sentent l'une des traditions les plus inhabituelles et les plus complexes d'artefacts prĂ©colombiens du Costa Rica. Ils se prĂ©sentent sous de nombreuses formes diffĂ©rentes et la variation morphologique correspond Ă diffĂ©rentes rĂ©gions et pĂ©riodes. Ils peuvent ĂȘtre rectangulaires, circulaires, plats ou courbĂ©s. Ils peuvent ou non avoir des bords et trois ou quatre pattes. Certaines piĂšces prĂ©sentent des signes d'usure tandis que d'autres ne montrent aucun signe d'usure et semblent avoir Ă©tĂ© spĂ©cialement conçues pour ĂȘtre utilisĂ©es comme objets funĂ©raires. Certains exemples caractĂ©risĂ©s comme mĂ©tate auraient pu ĂȘtre en fait un type de trĂŽne sur lequel s'asseoir.
Certains exemples sont connus sous le nom de mĂ©tate Ă tĂȘte d'effigie, qui prĂ©sentent la tĂȘte d'un animal Ă une extrĂ©mitĂ©, le mĂ©tate lui-mĂȘme constituant le corps de la crĂ©ature. Les animaux gĂ©nĂ©ralement reprĂ©sentĂ©s sont le jaguar, le crocodile ou les oiseaux. Le type le plus complexe de mĂ©tate cĂ©rĂ©moniel est la classe appelĂ©e mĂ©tate « Ă panneau volant ». Ce style provient de la rĂ©gion du bassin versant de l'Atlantique, incluant la ville de Guayabo. Il reprĂ©sente un haut niveau de savoir-faire et de complexitĂ©. SculptĂ©s Ă partir d'un seul morceau de pierre, ces mĂ©tates contiennent gĂ©nĂ©ralement plusieurs figures, Ă la fois sous la plaque et sur les jambes. Les tĂȘtes de trophĂ©es, les oiseaux, les figures de jaguar, de singe et de saurien sont les thĂšmes les plus courants. On pense que le mĂ©tate « Ă panneau volant » est le prĂ©curseur des figures sculpturales autoportantes plus courantes plus tard dans la rĂ©gion du bassin versant de l'Atlantique.
Variation temporelle et régionale
Les premiĂšres traditions de sculpture sur pierre au Costa Rica, y compris le mĂ©tate cĂ©rĂ©moniel, ont commencĂ© Ă la fin de la pĂ©riode IV (an 1 - 500). Les mĂ©tates de la rĂ©gion de Nicoya/Guanacaste ont des plaques incurvĂ©es longitudinalement et sans rebord. Ceux du bassin versant de l'Atlantique ont une plaque horizontalement plate et bordĂ©e. Les deux sont associĂ©s Ă des biens mortuaires, ce qui suggĂšre qu'il existait un statut social diffĂ©rent au sein de ces communautĂ©s. Les trois principaux types de sculptures en pierre du Costa Rica Ă cette Ă©poque - trĂ©pied-mĂ©tate, tĂȘtes de masse et pendentifs en jade « dieu de la hache » - ont culminĂ© et dĂ©clinĂ© au cours de la pĂ©riode V (an 500 - 1000).
La sculpture sur pierre n'a plus jamais Ă©tĂ© populaire dans la rĂ©gion de Nicoya / Guanacaste, mais dans le bassin versant de l'Atlantique (comme de Guayabo) Ă la pĂ©riode VI (1000 - 1500), la sculpture figurative autonome et de nouvelles formes de mĂ©tate cĂ©rĂ©moniel sont entrĂ©es en usage. Ces nouveaux types de mĂ©tate peuvent ĂȘtre rectangulaires avec quatre pieds comme les exemples de tĂȘte d'effigie de jaguar ou peuvent ĂȘtre de forme ronde avec une base de piĂ©destal. Ces derniers types ont souvent des tĂȘtes humaines sculptĂ©es (ou simplement des encoches suggestives) autour du bord, ce qui implique une relation avec la prise rituelle de tĂȘtes de trophĂ©es. Cette forme particuliĂšre de mĂ©tate semble avoir Ă©tĂ© influencĂ©e par les sculptures en pierre du site panamĂ©en de Barriles.
Sur le site de Las Huacas, quinze métates ont été extraits de seize tombes. Aucun de ces métates n'avait de manos (meules), suggérant que le métate sculpté en tant qu'objet mortuaire avait une signification symbolique plus profonde que le simple traitement des denrées alimentaires. L'objectif mécanique de base du métate est une plate-forme sur laquelle (principalement) le maïs est moulu en farine. Cette transformation du grain en farine a des implications symboliques liées à la vie, à la mort et à la renaissance. On ne sait toujours pas si le maïs était une source principale de subsistance, et il est tout à fait possible que le maïs ait été réservé à la fabrication de chicha (biÚre), à utiliser dans les activités de festin rituel. Compte tenu de leur rÎle de bien funéraire, il semble que le métate ait une signification forte pour la vie humaine, la mort et l'espoir d'une renaissance ou d'une transformation quelconque.
Iconographie
Les trois Ă©lĂ©ments iconographiques les plus populaires du mĂ©tate cĂ©rĂ©moniel semblent ĂȘtre les crĂ©atures sauriennes, oiseau et jaguar. Les singes sont Ă©galement communs. Une caractĂ©ristique unique du mĂ©tate cĂ©rĂ©moniel est le manque de figures humaines. Les tĂȘtes dĂ©sincarnĂ©es sont la seule exception. Alors que les figures humaines deviennent le sujet principal des sculptures autoportantes, qui reprĂ©sentent des femmes nues ou des guerriers masculins avec des tĂȘtes de trophĂ©e et des captifs masculins ligotĂ©s, ceux-ci ne semblent pas avoir Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©s sur du mĂ©tate. Les mĂ©tates Ă panneaux volants ont souvent des figures anthropomorphes, mais celles-ci ont toujours des tĂȘtes d'animaux (souvent des crocodiles).
Dans les rĂ©gions de Nicoya et du bassin versant de l'Atlantique, les mĂ©tates sont souvent fabriquĂ©s avec des images sauriennes (en particulier des crocodiles, des alligators ou des caĂŻmans). On pense que le saurien reprĂ©sente la surface de la terre, qui se rapporte Ă la fertilitĂ© agricole[6]. L'un des thĂšmes les plus anciens et les plus importants de l'art chibcha est celui du dieu crocodile. ReprĂ©sentĂ© comme un ĂȘtre anthropomorphe Ă tĂȘte de crocodile, il a Ă©tĂ© sculptĂ© dans des mĂ©tates Ă battant, parfois reprĂ©sentĂ© debout sur un saurien Ă deux tĂȘtes et d'autres fois sur un jaguar. En tant que symbole, le Saurien Ă deux tĂȘtes a la plus longue utilisation et distribution de tous les Ă©lĂ©ments iconographiques de la rĂ©gion isthmo-colombienne.
Les mĂ©tates Ă panneaux volants du Costa Rica datent des Ier et VIIe siĂšcles. Cependant, certaines caractĂ©ristiques du dieu crocodile reprĂ©sentĂ©es sur des mĂ©tates Ă panneaux volants le montrent avec des coudes en forme de U non naturels et des doigts longs et Ă©troits, comme on le voit sur les dieux crocodiles en or datant du Xe au XVIe siĂšcle. Ces formes stylistiques sont logiques pour une utilisation dans les petits ornements en or rĂ©alisĂ©s avec la technique de la cire perdue, mais semblent Ă©tranges pour une utilisation dans la pierre sculptĂ©e. Peut-ĂȘtre que ces mĂ©tates datent beaucoup plus tard qu'on ne le pensait auparavant et ont Ă©tĂ© inspirĂ©s par les reprĂ©sentations en or[7].
Les oiseaux avec de longs becs incurvĂ©s qui semblent reprĂ©senter des vautours, des toucans ou peut-ĂȘtre des colibris sont un autre thĂšme populaire. TrouvĂ©s pour la premiĂšre fois au Costa Rica sur les poteries de la phase Pavas et El Bosque, ils sont un Ă©lĂ©ment commun des mĂ©tates Ă panneaux volants, parfois reprĂ©sentĂ©s avec ou picorant des tĂȘtes humaines.
Collections
La plus grande collection se trouve au Musée national du Costa Rica. Une collection de plus de 20 métates se trouve au British Museum [8].
Galerie
- Utilisation d'un métate mexicain.
- Utilisation d'un métate en Inde.
- Isabel NicolĂĄs, une femme Ăuu Savi (mixtĂšque) moulant de la pĂąte de maĂŻs dans le yooso (metate en mixtĂšque) lors de la fabrication de tortillas.
- Cuisine indigĂšne contemporaine avec metate au premier plan, comal, un tenate, molcajete (mortier en pierre) et un pot en argile.
- Métate mixtÚque précolombien.
Références
- Meules à grains, Actes du colloque international de La Ferté-sous-Jouarre
- Telléz, « Lessons in back-breaking Mesoamerican cooking: How to season a metate » [archive du ], The Mija Chronicles,
- Adams, « It takes both: Identifying mano and metate types » [archive du ], Desert Archaeology, Inc.,
- HernĂĄndez DĂaz, « Metate Ăpodo » [archive du ], Museo Amparo
- On retrouve ici un exemple de l'influence d'un systÚme technique sur un systÚme social, à l'instar du mode d'attelage décrit par le commandant Richard Lefebvre des Noëttes.
- Graham 1981:119.
- Quilter and Hoopes 2003:73-75.
- British Museum collection
Bibliographie
- Graham, M.M. (1981). Traditions of Costa Rican Stone Sculpture. In Between Continents/Between Seas: Precolumbian Art of Costa Rica, pp. 113â134. Harry N. Abrams, Inc. New York.
- Lange, F.W. (1996). Paths to Central American Prehistory. University Press of Colorado. Niwot, Colorado.
- Quilter, J. & Hoopes, J. (2003). Gold and Power in Ancient Costa Rica, Panama and Columbia. Dumbarton Oaks. Washington D.C.
- Snarskis, M.J. (1981). The Archaeology of Costa Rica. In Between Continents/Between Seas: Precolumbian Art of Costa Rica, pp. 15â84. Harry N. Abrams, Inc. New York.
- Stone, D. (1977). Precolumbian Man in Costa Rica. Peabody Museum Press. Cambridge, Massachusetts.