Lysis
Le Lysis (ou Sur lâAmitiĂ©, en grec ancien : ÎÏÏÎčÏ) est un dialogue de Platon. Il appartient Ă la sĂ©rie dite des « Premiers dialogues », composĂ©s Ă lâĂ©poque oĂč lâauteur Ă©tait encore jeune.
Ce texte est essentiellement un monologue de Socrate, lequel sait intĂ©resser et captiver son auditoire composĂ© de plusieurs jeunes gens. Si lâon en croit une anecdote rapportĂ©e par DiogĂšne LaĂ«rce, Platon aurait Ă©crit ce dialogue trĂšs tĂŽt, du vivant de Socrate, qui se serait exclamĂ© Ă la lecture du dialogue : « Que de choses ce jeune homme me fait dire auxquelles je nâai jamais pensĂ©[1] ! ». Il a vraisemblablement Ă©tĂ© composĂ© plus tardivement, aprĂšs le LachĂšs ou le Charmide, car des Ă©lĂ©ments fondamentaux du systĂšme platonicien y sont dĂ©jĂ perceptibles.
Personnages
Tous les personnages sont réels et appartiennent à de grandes familles athéniennes.
- Socrate ;
- HippothalĂšs : fils dâHiĂ©ronyme, ce jeune garçon, ĂągĂ© de quinze Ă dix-huit ans peut-ĂȘtre, se caractĂ©rise par le puissant dĂ©sir quâil Ă©prouve pour son camarade Lysis, dont il est l'admirateur secret, amant malheureux. Il n'intervient pas, ne dit rien dans la partie principale du dialogue, de peur dâimportuner son bien-aimĂ©, et sert au lecteur dâexemple concret au thĂšme de la discussion ;
- CtĂ©sippe : du dĂšme d'Attique de PĂ©anie, c'est un jeune disciple des sophistes, ami dâHippothalĂšs et cousin de MĂ©nexĂšne. Il manifeste une certaine raillerie condescendante Ă lâĂ©gard des sentiments que ressent son camarade pour Lysis. Ce personnage apparaĂźt Ă©galement dans lâEuthydĂšme. On sait enfin de lui que, tout comme MĂ©nexĂšne, il assista Ă la mort de Socrate[2].
- MĂ©nexĂšne : cousin et disciple de CtĂ©sippe, grand ami de Lysis, a la rĂ©putation dâun jeune garçon intelligent sachant manier les idĂ©es. Il manque encore, en rĂ©alitĂ©, dâun peu de maturitĂ©, et ne sait pas rivaliser avec la dialectique de Socrate ;
- Lysis : AthĂ©nien du Ve siĂšcle av. J.-C., jeune garçon charmant, peut-ĂȘtre ĂągĂ© dâune douzaine dâannĂ©es ; il semble parĂ© de toutes les vertus physiques et morales ; il est le fils du riche DĂ©mocratĂšs, du dĂšme dâAĂŻxonĂš[3]. Il nâest connu que par ce dialogue. Il a pour meilleur ami MĂ©nexĂšne.
Le dialogue : les relations dâamitiĂ©
Le Lysis traite des relations qui doivent exister dans l'amitiĂ© (philia) pour que l'on puisse parler d'amitiĂ© authentique. Ce concept doit cependant sâentendre en son acception grecque, bien plus large que la notion d'amitiĂ© : la philia recouvre en effet toutes les formes dâaffection bienveillante et rĂ©ciproque, notamment les relations amicales entre deux personnes, les relations entre citoyens dans le cadre politique ou Ă©conomique et les relations entre les parents et leurs enfants. Il nâapporte aucune conclusion ferme sur la nature spĂ©cifique de ces relations.
ScĂšne introductive
Alors quâil passe devant un gymnase Ă AthĂšnes, Socrate rencontre HippothalĂšs et CtĂ©sippe, accompagnĂ©s de plusieurs autres jeunes gens. Ils participent rĂ©guliĂšrement, expliquent-ils, Ă des discussions dans ce gymnas, en compagnie de maĂźtres sophistes, et invitent Socrate Ă se joindre Ă eux.
Ce dernier remarque immĂ©diatement le trouble visible dâHippothalĂšs et lui en fait part. Comme il lâavait devinĂ©, le jeune homme est amoureux dâun camarade, dont Socrate apprend quâil sâappelle Lysis. CtĂ©sippe lui explique, sans mĂ©nagement pour son ami, que ce dernier nâa que le nom de son bien-aimĂ© Ă la bouche et qu'il les importune de ses poĂšmes : « Pour nous, Socrate, il nous en a rendus sourds ; il ne nous remplit les oreilles que du nom de Lysis ; surtout lorsqu'il est animĂ© par un peu de vin, il nous en Ă©tourdit si bien qu'en nous rĂ©veillant le lendemain nous croyons entendre encore le nom de Lysis[4]. »
Câest, pense Socrate, une bien mauvaise maniĂšre de faire sa cour, car charger de tant dâĂ©loges la personne que lâon dĂ©sire aura pour seul effet de la rendre plus orgueilleuse et encore moins accessible : « Ainsi, mon cher, en amour, quiconque est un peu habile n'a garde de cĂ©lĂ©brer ce qu'il aime avant d'avoir rĂ©ussi, par une sage mĂ©fiance de ce qui peut arriver ; sans compter que d'ordinaire le bien-aimĂ©, quand il se voit cĂ©lĂ©brer et vanter de la sorte, devient fier et dĂ©daigneux. N'es-tu pas de cet avis[5] ? »
HippothalĂšs, dĂ©sireux dâen savoir autant que possible sur la bonne maniĂšre dâagir, ne sâoppose pas Ă ce que Socrate rentre avec eux dans le gymnase pour converser avec Lysis :
- SOCRATE : « [...] mais si tu pouvais faire entrer ton cher Lysis en conversation avec moi, peut-ĂȘtre te pourrais-je offrir un exemple du genre d'entretien que tu devrais avoir avec lui, au lieu des hymnes en prose et en vers que tu lui dĂ©bites, Ă ce qu'on dit[6]. »
Une fois Ă lâintĂ©rieur du gymnase et afin dâinciter le timide Lysis Ă les rejoindre et Ă prendre part Ă la conversation, CtĂ©sippe va chercher son cousin MĂ©nexĂšne, qui est aussi le meilleur ami de Lysis. Enhardi par cette prĂ©sence, Lysis se joint au groupe. HippothalĂšs se place en retrait pour ne pas ĂȘtre vu du jeune garçon.
Comment parler Ă l'ĂȘtre aimĂ©
En prĂ©ambule Ă la conversation sur lâamitiĂ©, Socrate veut discrĂštement indiquer Ă HippothalĂšs la maniĂšre dont il convient de rabattre et de restreindre lâamour-propre de celui quâon aime pour mieux le conquĂ©rir.
Il se met donc Ă questionner Lysis. Il va de soi que les parents de ce dernier lui portent un grand amour et souhaitent de tout cĆur son bonheur. Comment, dĂšs lors, expliquer que son pĂšre lui interdise de conduire un char lors dâune course alors qu'il le permet Ă son esclave, ou lui impose lâautoritĂ© dâun pĂ©dagogue, esclave lui aussi :
- « Mais que leur as-tu donc fait pour qu'ils t'empĂȘchent avec tant de rigueur d'ĂȘtre heureux et de faire ce qu'il te plaĂźt, pour qu'ils te tiennent toute la journĂ©e dans la dĂ©pendance de quelqu'un, en un mot dans l'impossibilitĂ© de faire Ă peu prĂšs rien de ce que tu peux dĂ©sirer ? »[7]
Câest, rĂ©pond Lysis, quâil nâa pas encore lâĂąge requis pour Ă©chapper Ă toutes ces choses.
Pourtant, rĂ©plique Socrate, il est certaines choses que les parents de Lysis lui laissent faire, et mĂȘme lui font faire en prioritĂ© par rapport aux autres personnes du foyer, comme Ă©crire des lettres ou jouer de la lyre. L'Ăąge n'est donc pas une raison. Lysis explique cette diffĂ©rence dâattitude :
- « â C'est, je pense, parce que je sais les unes, et que j'ignore les autres. »[8]
Les personnes savantes, capables ou compĂ©tentes se voient volontiers confier les tĂąches artisanales, Ă©conomiques ou politiques dans lesquelles elles ont dĂ©montrĂ© leurs capacitĂ©s, ce qui leur donne le droit de commander mĂȘme aux rois, tandis que les ignorants doivent obĂ©ir et obĂ©issent volontiers dans les domaines qui ne sont pas de leur compĂ©tence ; les premiers sâattachent lâamitiĂ© et la confiance de tous, tandis que les seconds ne sont apprĂ©ciĂ©s de personne. L'amitiĂ©, que Socrate entend au sens large que la notion de philia possĂšde en grec, est donc, dans ce passage, fondĂ©e sur l'utile :
- SOCRATE : « Oui, cher Lysis, ainsi vont les choses: dans quelque genre que nous acquĂ©rions des talents, tout le monde s'adressera Ă nous, Grecs et Barbares, hommes et femmes ; tout ce qu'il nous plaira de faire, nous le pourrons, personne ne s'avisera de nous le dĂ©fendre ; pour tout cela nous serons libres, et mĂȘme nous commanderons aux autres ; [...] »[9]
- « â Si donc tu acquiers des lumiĂšres, mon enfant, tout le monde deviendra ton ami et te sera dĂ©vouĂ©, car tu seras utile et prĂ©cieux : dans le cas contraire, personne n'aura d'amitiĂ© pour toi, ni tes proches, ni ton pĂšre, ni ta mĂšre. »[10]
Si Lysis a toujours besoin dâun maĂźtre, câest quâil nâest pas encore parfaitement instruit. Et sâil nâest pas encore parfaitement instruit, câest donc quâil ne saurait en aucun cas ressentir de la fiertĂ© pour lui-mĂȘme. Lysis ayant donnĂ© son assentiment Ă cette conclusion de Socrate, ce dernier a ainsi montrĂ© Ă HippothalĂšs, comme il se le proposait, comment il faut parler avec ceux qu'on aime : en s'efforçant de les rendre humbles plutĂŽt qu'en les louant immodĂ©rĂ©ment par des poĂšmes[11].
Socrate en appelle Ă lâexpĂ©rience de MĂ©nexĂšne
Ceci ayant Ă©tĂ© convenu, Lysis prie Socrate de bien vouloir sâentretenir avec MĂ©nexĂšne, qui sait selon lui parler avec Ă©lĂ©gance sur de nombreux sujets.
Socrate commence par avouer son dĂ©sir de faire un jour la connaissance dâun vĂ©ritable ami, ce qui nâest jusquâalors jamais arrivĂ© :
- « [...] Ce que je dĂ©sire avec passion c'est de possĂ©der des amis : un bon ami serait plus prĂ©cieux pour moi que la meilleure caille, le meilleur coq qui soit au monde, mĂȘme que quelque cheval et quelque chien qu'on me proposĂąt : oui, par le chien, je crois mĂȘme que j'irais jusqu'Ă prĂ©fĂ©rer, et de beaucoup, un ami Ă tout le trĂ©sor de Darius, quand on y ajouterait encore Darius en personne, tant je suis amateur passionnĂ© de l'amitiĂ© »[12].
Il complimente alors MĂ©nexĂšne sur la belle amitiĂ© quâil entretient avec Lysis et l'interroge afin de lâĂ©clairer de sa visible expĂ©rience en la matiĂšre
- « Pour moi, je suis si Ă©loignĂ© d'avoir fait une telle acquisition, que j'ignore mĂȘme la maniĂšre dont on acquiert un ami, et c'est justement ce dont je voulais m'informer Ă toi, comme Ă©tant bien au fait. »[13]
Lâami nâest ni celui qui aime, ni celui qui est aimĂ©, ni celui rĂ©unissant les deux conditions
La question, poursuit Socrate, se pose en ces termes : il souhaiterait dâabord savoir, quand un homme en aime un autre, lequel des deux est lâ« ami ». Socrate demande si câest celui qui aime, celui qui est aimĂ© ou encore les deux Ă la fois, et MĂ©nexĂšne est tentĂ© de rĂ©pondre que les deux personnes sont amis, dĂšs lors qu'un homme en aime un autre. Mais Socrate lui objecte quâun homme en aimant un autre peut ne pas ĂȘtre payĂ© en retour, ou mĂȘme ĂȘtre haĂŻ par celui quâil aime. Dans ce cas, au contraire, ni lâun ni lâautre ne semblent pouvoir ĂȘtre qualifiĂ©s dâamis. Ainsi :
- Si l'ami est l'amant, il peut ĂȘtre l'ami de son ennemi ;
- Si l'ami est l'aimĂ©, il peut ĂȘtre l'ami de celui qu'il hait.
Ayant apparemment rĂ©futĂ© toutes les possibilitĂ©s du rapport amant/aimĂ© (mais en ignorant en rĂ©alitĂ© le cas de l'amour rĂ©ciproque), Socrate fait part de son embarras, car lâami, semble-t-il, nâest ni celui qui aime, ni celui qui est aimĂ©, ni mĂȘme celui qui tout ensemble aime et est aimĂ© :
- « Comment donc ferons-nous si l'ami n'est ni l'aimant, ni l'aimĂ©, ni mĂȘme celui qui est Ă la fois l'un et l'autre ? Faut-il supposer un autre rapport dans lequel on peut devenir rĂ©ciproquement amis ? »[14]
LâamitiĂ© peut naĂźtre entre deux personnes semblables
Reconnaissant que la discussion sâest engagĂ©e sur de mauvaises bases, Socrate reprend la recherche depuis le dĂ©but par une autre question, destinĂ©e cette fois Ă Lysis, quant Ă savoir s'il est vrai que lâamitiĂ© ne peut naĂźtre quâentre deux personnes semblables. Socrate rappelle que câest ce que semble avoir pensĂ© HomĂšre lorsquâil a Ă©crit :
Au mieux, une telle idĂ©e nâest vraie quâen partie : on peut en effet difficilement concevoir quâun homme mĂ©chant se lie dâamitiĂ© avec un autre homme mĂ©chant, la mĂ©chancetĂ© rejetant par nature toute forme dâamitiĂ©. Mais cette thĂšse ne trouve pas non plus dâapplication pour les hommes de bien : un homme parfaitement bon se suffit Ă lui-mĂȘme et nâa pas besoin de lâamitiĂ© dâautres hommes bons.
Plus gĂ©nĂ©ralement, on peut donc dire que le semblable nâa pas besoin du semblable, et que la ressemblance empĂȘche la naissance de lâamitiĂ© au lieu de lâencourager, comme le prouve cette citation dâHĂ©siode :
- Le potier en veut au potier, l'aĂšde Ă l'aĂšde,
- Et le mendiant au mendiant.[15]
La naissance de lâamitiĂ© entre deux personnes contraires
Se demandant si Ă lâinverse, lâamitiĂ© ne peut apparaĂźtre quâentre des personnes nâayant rien en commun, Socrate rappelle ici les idĂ©es dâHĂ©raclite[16], selon lequel chacun dĂ©sire son contraire : « Câest ainsi que le sec dĂ©sire lâhumide, le froid le chaud, lâamer le doux, lâaigu lâobtus, le vide le plein, le plein le vide, et ainsi du reste ». Toutefois il est Ă©vident que de nombreux types de contraires sont impossibles Ă unir : lâamitiĂ© et la haine, le juste et lâinjuste, le bon et le mauvais et ainsi de suite. Cette seconde idĂ©e est par consĂ©quent tout aussi fausse que la premiĂšre.
La thĂšse de Socrate : lâamitiĂ© est le rapport dâun ĂȘtre imparfait Ă un ĂȘtre bon
Pour sortir de toutes les contradictions sâaccumulant depuis le dĂ©but du dialogue, Socrate soumet Ă son jeune public sa propre thĂ©orie.
Pour ce faire, il Ă©tablit tout dâabord une distinction entre les trois concepts du bon, du mauvais et du ni bon ni mauvais. Comme convenu prĂ©cĂ©demment, le bon se suffit Ă lui-mĂȘme et ne peut donc prendre lâinitiative dâune relation amicale. Il en est de mĂȘme du mauvais, dont la mĂ©chancetĂ© exclut toute forme dâamitiĂ©.
Reste le ni bon ni mauvais. Il ne peut ĂȘtre ami de ce qui lui ressemble, lâamitiĂ© ne pouvant naĂźtre entre deux ĂȘtres semblables, tout comme il ne peut ĂȘtre lâami du mauvais. La seule combinaison valable est donc que lâamitiĂ© peut ĂȘtre ressentie par le ni bon ni mauvais pour le bon.
Le corps, par exemple, qui nâest en soi ni bon ni mauvais, aime la mĂ©decine, qui est un bien, Ă cause du danger que reprĂ©sente la maladie, qui est un mal. De mĂȘme un disciple aime le savoir dispensĂ© par son maĂźtre, qui est un bien, par peur de lâignorance, qui est un mal.
Socrate en tire ainsi la conclusion que ce qui nâest ni bon ni mauvais aime le bon, Ă cause de la prĂ©sence du mal. Bref, lâamitiĂ© serait ce qui caractĂ©rise le rapport existant entre un ĂȘtre imparfait, ni bon ni mauvais, et un ĂȘtre bon :
- « Nous avons donc, repris-je, Lysis et MénexÚne, découvert d'une maniÚre certaine ce qui est ami et ce qui ne l'est pas : nous disons que, soit relativement à l'ùme, soit relativement au corps, et partout, en un mot, ce qui n'est ni bon ni mauvais est ami du bon à cause de la présence du mal. »[17]
Par contre, cette hypothĂšse revient Ă la mĂȘme qui avait Ă©tĂ© rĂ©futĂ©e prĂ©cĂ©demment, car comment l'ĂȘtre bon pourrait-il ĂȘtre attirĂ© par le mal? Cela revient Ă l'Ă©cueil prĂ©cĂ©dent : que le juste est ami de l'injuste, le modĂ©rĂ© du dĂ©bauchĂ©, ce qui est contradictoire[18].
Le premier objet de lâamitiĂ©
Mais Socrate veut aller plus loin que cette premiĂšre dĂ©finition, en dĂ©montrant que les choses ou les personnes faisant lâobjet dâun sentiment dâamitiĂ© ne sont pas aimĂ©es pour elles-mĂȘmes, mais pour autre chose, laquelle est aussi aimĂ©e pour autre chose, et ainsi de suite jusquâĂ parvenir au principe premier, au premier objet de lâamitiĂ©.
Le mĂ©decin, par exemple, nâest pas aimĂ© pour lui-mĂȘme mais pour la santĂ© quâil procure. La santĂ©, quant Ă elle, nâest pas aimĂ© pour elle-mĂȘme mais pour le bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral auquel elle contribue, et ainsi de suite. En continuant sur cette voie, affirme Socrate, nous pourrions arriver Ă un principe premier qui ne nous renverra plus Ă un autre objet aimĂ©, mais qui sera aimĂ© pour lui-mĂȘme. Toutefois il garde le silence sur la nature de ce premier objet de lâamitiĂ©.
Conclusion : Socrate réfute sa propre thÚse
Alors que la fin de la conversation approche, Socrate fait part des doutes qui lâassaillent soudain Ă propos de la validitĂ© de la dĂ©finition quâil a donnĂ©e de lâamitiĂ©.
Il lui apparaĂźt en effet que la crainte du mal nâest pas la seule raison pour laquelle le ni bon ni mauvais peut ressentir de lâamitiĂ© : si le mal Ă©tait aboli, lâamitiĂ© disparaĂźtrait alors de la mĂȘme façon, devenue inutile. Mais les dĂ©sirs, qui ne sâappuient pas sur la crainte du mal, eux, subsisteraient. Et comme celui qui dĂ©sire aime forcĂ©ment lâobjet de ses dĂ©sirs, lâamitiĂ© subsisterait aussi, malgrĂ© la disparition du mal. Bref la dĂ©finition est mauvaise, et ne recouvre pas tous les cas oĂč peut naĂźtre lâamitiĂ©.
Socrate allait reprendre la discussion lorsque les pĂ©dagogues de Lysis et de MĂ©nexĂšne viennent les chercher, ce qui met fin Ă la discussion sans quâelle ait abouti.
Portée philosophique
Le Lysis est le premier dialogue de Platon proposant une Ă©bauche de la thĂ©orie des IdĂ©es telle quâelle est exposĂ©e dans le Banquet et dans La RĂ©publique. On peut en effet prĂ©sumer que derriĂšre le principe premier de lâamitiĂ©, se cache en rĂ©alitĂ© le Bien absolu, câest-Ă -dire lâIdĂ©e du Bien. Dans la convenance nĂ©cessaire Ă lâamitiĂ©[19], pour quâil y ait analogie et non identitĂ©, il faut quâil y ait Ă la fois de lâabsolu et du relatif. Ce qui Ă©veille lâamitiĂ© dâun ĂȘtre bon, mais dont la bontĂ© nâest pas absolue, c'est le bien ; ainsi, cet ĂȘtre est capable de sentir ce qui lui manque et de le dĂ©sirer[20].
Il sâagit aussi, par excellence, dâun dialogue anatreptique oĂč le but de lâauteur est de renverser les opinions couramment admises sur un sujet, sans nĂ©cessairement proposer une solution, ce quâil se rĂ©serve de faire dans des textes ultĂ©rieurs.
Notes et références
- Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, III, 35.
- Il ne faut pas le confondre avec le fils de Criton d'AthĂšnes, originaire d'un autre dĂšme.
- DĂ©mocratĂšs est une sorte de gentleman farmer ou dâhonnĂȘte homme, en grec ancien ÎșÎ±Î»áœžÏ ÎșáŒÎłÎ±ÎžÏÏ / kalos kagathos.
- 204 d ; Ă©d. Cousin, IV, p. 37.
- 206 a ; Ă©d. Cousin, IV, p. 40.
- 206 c ; Ă©d. Cousin, IV, p. 41.
- 208 e ; Ă©d. Cousin, IV, p. 46.
- 209 c ; Ă©d. Cousin, IV, p. 48.
- 210 b ; Ă©d. Cousin, IV, p. 49.
- 210 d ; Ă©d. Cousin, IV, p. 50.
- 210 e ; Ă©d. Cousin, IV, p. 51.
- 211 e ; Ă©d. Cousin, IV, p. 53.
- 212 a ; Ă©d. Cousin, IV, p. 53.
- 213 c ; Ă©d. Cousin, IV, p. 57.
- Les Travaux et les Jours, 25 et passim.
- Platon tient ces idées de sa période passée auprÚs de Cratyle.
- 218 b-c ; Ă©d. Cousin, IV, p. 68.
- Lysis, 216 a - 216 b.
- Lysis, 221 e - 222 b.
- Alfred Croiset, Notice du Lysis, Ă©ditions des Belles Lettres, 1972, p. 128.
Bibliographie
- (fr) Platon (trad. du grec ancien par Louis-André Dorion), Lysis, Paris, GF Flammarion, , 316 p. (ISBN 2-08-071006-0)
- (fr + grc) Platon (trad. du grec ancien par Maurice Croiset, préf. Jean-François Pradeau), Lysis, Paris, Les Belles Lettres, , 74 p. (ISBN 2-251-79940-0), chap. XXVII
- Dimitri El Murr, « LâamitiĂ© (philia) dans le systĂšme social de la RĂ©publique », Revue philosophique de Louvain, t. 110, no 4,â , p. 587 Ă 604 (lire en ligne)
- Premiers dialogues, GF-Flammarion no 129, 1993 (ISBN 2-08-070129-0)
- Platon : Ćuvres complĂštes, Tome 1, Gallimard, BibliothĂšque de la PlĂ©iade, 1940 (ISBN 2-07-010450-8)
- Alain, Platon, Champs Flammarion, 2005, (ISBN 2-08-080134-1)
- François Chùtelet, Platon, Folio, Gallimard, 1989, (ISBN 2-07-032506-7)
- Jean-François Pradeau, Les Mythes de Platon, GF-Flammarion, 2004, (ISBN 2-08-071185-7)
- Jean-François Pradeau, Le Vocabulaire de Platon, Ellipses Marketing, 1998, (ISBN 2-7298-5809-1)
Voir aussi
- Le Banquet, Platon
- Ăthique Ă Nicomaque, Aristote, Livre IX
Liens externes
- Texte grec (site Perseus)