Liu Binyan
Liu Binyan (chinois simplifiĂ© : ć ćźŸ é ; chinois traditionnel : ćèłé ; pinyin : liĂș bÄ«n yĂ n ; bopomofo : ăă§ăĄË ă ă§ăŁ ă§ăąË) est un journaliste et Ă©crivain dissident chinois, nĂ© le Ă Changchun, province du Jilin, dans le Nord-Est de la Chine, et mort le dans un hĂŽpital du New Jersey, Ătats-Unis.
Président Independent Chinese PEN Center (d) | |
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(Ă 80 ans) Trenton |
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Programme international d'Ă©criture de l'Iowa (en) |
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Son Ćuvre, mĂ©connue en France, offre un regard lucide et critique, de lâintĂ©rieur, sur les contradictions de la sociĂ©tĂ© chinoise sous le pouvoir communiste. L'un de ses collĂšgues Ă lâuniversitĂ© de Princeton, le professeur Perry Link, qualifiait Liu de « conscience de la Chine », affirmant qu'il Ă©tait « sans peur et incorruptible ».
Dans sa prĂ©sentation de l'Ă©dition française du Cauchemar des mandarins rouges (1989), son Ă©diteur français, Gallimard, affirme que Liu Binyan « est sans conteste le plus grand journaliste chinois. Non pas un zĂ©lĂ© propagandiste, non pas un plumitif du Parti, mais un authentique reporter ». Son parti pris de vĂ©ritĂ© et ses enquĂȘtes sur la corruption, les abus de pouvoir, la rĂ©pression, mettant en exergue la dĂ©tresse et la solitude des petites gens victimes du systĂšme, lui coĂ»teront vingt-deux ans de persĂ©cution.
Biographie
Liu Binyan venait dâune famille modeste. Il Ă©tait le fils dâun employĂ© des chemins de fer, russophone, employĂ© comme interprĂšte sur le chemin de fer transmandchourien. Il a passĂ© son enfance dans la ville industrielle de Changchun, oĂč il est nĂ©[1]. Il a Ă©tĂ© obligĂ© d'interrompre ses Ă©tudes assez tĂŽt, lorsque son pĂšre a perdu son emploi, lors de lâinvasion japonaise en Chine du Nord.
PrivĂ© d'Ă©cole en raison de la dĂ©chĂ©ance de sa famille, Liu dĂ©vore nĂ©anmoins les Ćuvres de TolstoĂŻ et DostoĂŻevski, lectures prĂ©coces qui inspireront Ă la fois sa vocation d'Ă©crivain et son admiration pour la Russie.
Liu, Ă qui son pĂšre a transmis sa foi marxiste, adhĂšre au parti communiste Ă 19 ans, en 1944[1]. Il se trouve Ă Harbin (province du Heilongjiang), quand, aprĂšs la dĂ©faite du Japon, la reprise de la guerre civile voit l'inexorable progression des communistes en Mandchourie. AprĂšs la victoire communiste, il est engagĂ©, en 1951, comme journaliste dans le Quotidien de la jeunesse de Chine, l'organe de la Ligue de la jeunesse communiste, oĂč il va pratiquer un journalisme littĂ©raire, soucieux dâune description mĂ©ticuleuse.
Lors dâun voyage en Union soviĂ©tique en 1951, il est surpris par lâatmosphĂšre que le stalinisme fait peser sur la Russie, mais le dĂ©gel krouchtchĂ©vien le convainc ensuite que le communisme rĂ©formĂ© reste porteur dâespoir.
Il se lie avec lâĂ©crivain russe Valentin Ovetchkine, dĂ©nonciateur des excĂšs du stalinisme, et cette rencontre va l'amener Ă s'orienter vers la « littĂ©rature de reportage », dont la mission est, pour lui, de pointer les travers du systĂšme pour mieux le redresser de lâintĂ©rieur[2] - [3]. Liu Binyan restera dans l'histoire des lettres chinoises comme le maĂźtre incontestĂ© de cette littĂ©rature « corrosive et audacieuse, portant la plume dans les plaies politiques et sociales d'une Chine rouge Ă laquelle il aura tentĂ© de croire jusqu'au bout » (FrĂ©dĂ©ric Bobin, Le Monde, ).
TrĂšs vite, il commence Ă publier des reportages sur la corruption et la bureaucratie, et, en 1956, aprĂšs l'appel de Mao Zedong Ă faire Ă©clore les Cent Fleurs, Liu publie Nouvelles confidentielles de notre journal, un livre sur lâabsence de libertĂ© de la presse, qui va lui apporter une certaine notoriĂ©tĂ©, et qui est un plaidoyer en faveur de la libĂ©ration des plumes de journalistes au nom de la juste cause du socialisme.
Liu Binyan fut lâun des Ă©crivains les plus admirĂ©s en Chine, avant dâĂȘtre mis au ban, par deux fois, par le parti communiste, victime des purges maoĂŻstes, pour ses Ă©crits critiques : en 1957 d'abord, aprĂšs le piĂšge de la campagne des Cent Fleurs, il est victime du « retour de bĂąton » qui suit, dĂ©noncĂ© comme « droitier » et exilĂ© dans un village de montagne[4] ; puis, vilipendĂ© pendant la rĂ©volution culturelle en 1966, il est sĂ©parĂ© de sa famille, envoyĂ© en « rĂ©Ă©ducation » Ă la campagne, condamnĂ© aux travaux forcĂ©s dans un laogai pendant huit ans.
AprÚs la mort de Mao en 1976, la Chine solde les errements de la révolution culturelle, et, en 1979, Liu est réhabilité par la nouvelle équipe de dirigeants réformateurs conduite par Deng Xiaoping, réintégré dans le Parti et autorisé à travailler pour le Quotidien du Peuple, dont il devient « correspondant spécial ». Il reprend le flambeau de cette « littérature de reportage », dont il reste convaincu qu'elle doit aider le Parti à se purger, de l'intérieur, de toutes ses déviances.
EngagĂ© avec enthousiasme dans le processus dâĂ©mancipation de la pensĂ©e, Liu Binyan participe Ă ce mouvement intellectuel, que Cheng Yingxiang a qualifiĂ© de « second rĂ©veil de lâintelligentsia chinoise » - aprĂšs le premier rĂ©veil, le fameux mouvement du 4 Mai qui remontait aux annĂ©es 1910 -, qui a constituĂ©, dans les annĂ©es 1980, lâĂąme et lâun des moteurs de la rĂ©forme. Avec quelques intellectuels partageant ses positions, Liu, journaliste et Ă©crivain de renom, va semer le doute, lancer des dĂ©fis frontaux au rĂ©gime par son influence sur les Ă©tudiants et le grand public, susciter lâespoir des Ă©tudiants et faire passer le message quâil est possible de changer la sociĂ©tĂ©. Dans son Ćuvre littĂ©raire comme dans ses reportages, il va rĂ©veiller les esprits, mettre en Ă©vidence les monstruositĂ©s au quotidien et les incohĂ©rences de la rĂ©alitĂ© du rĂ©gime. AdulĂ© par ses lecteurs, devenu une « figure » de son journal, il luttera pour une dĂ©mocratisation du rĂ©gime, en dĂ©nonçant de plus belle les bureaucrates qui entravent la marche des rĂ©formes.
En 1979, Liu Binyan publie « Cauchemar des mandarins rouges », dans lequel il dĂ©nonce une nouvelle fois la corruption. Dans sa prĂ©face Ă l'Ă©dition française de cet ouvrage (parue chez Gallimard, dans la collection « Au vif du sujet », en 1989), qui reste Ă ce jour le seul recueil de ses textes publiĂ© en France, Jean-Philippe BĂ©ja, son traducteur Ă©crit : « Sa position correspond en somme Ă celle du censeur de la Chine ancienne, cet envoyĂ© spĂ©cial de l'Empereur qui fait connaĂźtre au souverain les abus de pouvoir des fonctionnaires dĂ©pravĂ©s ». En quatriĂšme de couverture, l'Ă©diteur prĂ©cise « MĂȘlant l'Ă©motion au rĂ©alisme, l'humour Ă la dĂ©nonciation, les rĂ©cits de Liu nous font partager les aventures d'intellectuels idĂ©alistes, de paysans misĂ©rables ou enrichis, de cadres corrompus ou dĂ©chirĂ©s, de victimes de la rĂ©pression maoĂŻste ».
« Entre hommes et dĂ©mons », enquĂȘte sur un rĂ©seau de corruption locale dans la province du Heilongjiang, installe en quelque sorte Liu Binyan dans la posture d'un Ă©crivain justicier, dĂ©fenseur acharnĂ© de la libertĂ© dâexpression, figure d'intĂ©gritĂ© que le petit peuple victime des abus de pouvoir des cadres locaux submerge de cahiers de dolĂ©ances. Cette position va lui faire connaĂźtre, une nouvelle fois, quelques dĂ©sillusions. Liu devient gĂȘnant. Il ne rĂ©sistera pas longtemps au raidissement conservateur du rĂ©gime qui culminera en avec la sanglante rĂ©pression des manifestations de la place Tiananmen. Sa libertĂ© de pensĂ©e lui vaut, en , alors qu'aprĂšs un large mouvement de contestation estudiantine, le pouvoir veut reprendre la main contre le libĂ©ralisme intellectuel, une seconde exclusion du Parti, quelques jours aprĂšs la mise Ă l'Ă©cart de Hu Yaobang et la perte de son emploi[5].
L'annĂ©e suivante, Liu est expulsĂ© de Chine, contraint Ă l'exil. Il arrive aux Ătats-Unis en 1988 avec sa femme Zhu Hong, son fils Liu Dahong, et sa fille Liu Xiaoyan, un an avant le massacre de Tienanmen Ă PĂ©kin. Il enseigne Ă lâUCLA, Ă Harvard et Princeton. En , il apparaĂźt beaucoup dans les mĂ©dias pour critiquer la sanglante rĂ©pression. Depuis, il nâavait pas pu rentrer en Chine, malgrĂ© ses demandes rĂ©itĂ©rĂ©es.
En 1998, dans une interview accordée à Human Rights Watch, il analyse dix ans aprÚs les évÚnements de la place Tienanmen, et conclut à la nécessité d'actions plus stratégiques, et plus ancrées dans le long terme[6].
Liu Binyan a Ă©tĂ© l'Ă©diteur pendant sept ans d'un petit journal dâinformation sur la Chine, « China Focus », dont le dernier numĂ©ro est sorti le . Dans ce dernier numĂ©ro, il publiait un article dâadieu aux lecteurs, dans lequel il faisait son autocritique, en reconnaissant quâil n'avait pas fait preuve de luciditĂ© sur la nature du pouvoir existant en Chine, qu'incapable de se dĂ©barrasser de ses illusions sur le rĂ©gime, il sâĂ©tait trompĂ© sur la capacitĂ© de celui-ci Ă se maintenir en place, ce qui l'avait empĂȘchĂ© de prĂ©voir la gravitĂ© de la tournure que les Ă©vĂ©nements allaient prendre.
Dans une interview accordĂ©e en à « Duo Wei », l'hebdomadaire en langue chinoise publiĂ© aux Ătats-Unis, pour lequel il avait travaillĂ©, lâauteur du « Cauchemar des mandarins rouges » avait affirmĂ© avoir demandĂ©, Ă l'occasion de ses 80 ans, Ă rentrer sur sa terre natale pour y passer ses derniers jours, mais que sa demande avait Ă©tĂ© rejetĂ©e par le gouvernement chinois. Reporters sans frontiĂšres, dans l'hommage rendu au journaliste dissident aprĂšs son dĂ©cĂšs, fait remarquer ironiquement que « mĂȘme mourant, Liu Binyan faisait peur au Parti communiste. Ce rĂ©gime nâa ni pitiĂ© ni compassion pour les intellectuels qui dĂ©noncent ouvertement la corruption et lâautoritarisme du Parti unique ».
Liu Binyan est mort en exil aux Ătats-Unis, le , Ă 80 ans, dans un hĂŽpital du New Jersey, dâun cancer gĂ©nĂ©ralisĂ©. Il avait subi deux opĂ©rations pour un cancer du cĂŽlon, qui avait Ă©tĂ© diagnostiquĂ© en .
Reporters Sans FrontiĂšres signale que les mĂ©dias chinois nâont publiĂ© aucune information sur la mort du journaliste et Ă©crivain chinois, et que le moteur de recherche du site en anglais de lâagence de presse gouvernementale Xinhua ne propose aucune rĂ©ponse pour « Liu Binyan ».
Sa famille peut le faire inhumer en Chine en 2010. NĂ©anmoins, les autoritĂ©s communistes ont refusĂ© l'Ă©pitaphe que souhaitait Liu Binyan sur sa pierre tombale : « Lâhomme chinois qui repose ici a fait ce quâil devait faire et dit ce quâil devait dire. » [7]
Son Ćuvre
- Nouvelles confidentielles de notre journal, 1956
- Cauchemar des mandarins rouges, 1979 (édition française, Gallimard, 1989)
- Entre hommes et démons
- Fragrant Weeds, 1983
- Chinaâs Crisis, Chinaâs Hope, 1990
- A Higher Kind of Loyalty : A Memoir by Chinaâs Foremost Journalist, 1990
- Tell the World, 1990
Articles et films
- « Le nécessaire combat contre les privilÚges et pour la démocratie », Le Monde diplomatique, 1988[8].
Citations
- « Enrichir l'ùme humaine est certainement la tùche la plus longue et la plus difficile qui nécessitera que l'on utilise le meilleur de toutes les civilisations, sans exacerber les différences entre elles » (dans l'article « Civilization Grafting : No Culture is an Island », Foreign Affairs (septembre/), p. 21).
- « Les civilisations peuvent émerger, aidant ainsi les peuples à briser les vieux cycles de déshumanisation » (dans l'article « Civilization Grafting : No Culture is an Island », Foreign Affairs (septembre/), p. 21).
Références
- (en)Obituary : Liu Binyan - Courageous Chinese journalist denounced for championing political reform John Gittings, The Guardian, 7 décembre 2005
- (en)Rudolf G. Wagner, Inside a Service Trade: Studies in Contemporary Chinese Prose, vol. 34, Harvard University Asia Center, coll. « Harvard Yenching Institute Cambridge, Mass: Harvard-Yenching Institute monograph series », (ISBN 9780674455368, lire en ligne), p. 259;
- (en)Henry He, Dictionary of the Political Thought of the People's Republic of China, Routledge, (ISBN 9781315500430, lire en ligne).
- (en)Appreciation Perry Link, Time Magazine, 11 décembre 2005
- Le cauchemar des mandarins rouges. Journaliste en Chine Le Monde diplomatique, juin 1989
- China: 10 Years After Tiananmen - Liu Binyan, Journalist Human rights watch
- Chine : Liu Binyan, journaliste censuré jusque sur sa tombe Rue89, 5 janvier 2011
- Une décennie de réformes économiques : Le nécessaire combat contre les privilÚges et pour la démocratie Le Monde diplomatique, novembre 1988