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Lexique de Friedrich Nietzsche

Cet article présente le lexique de Friedrich Nietzsche. Nietzsche utilise un vocabulaire particulier. Il a créé un certain nombre de concepts philosophiques et a travaillé sur des notions dont la portée s'étend au-delà de ses seules œuvres.

Brouillon de la deuxième Considération Inactuelle.

Critique du langage

Le langage est pour Nietzsche une métaphysique implicite : il en voit l'indice le plus probant dans le fait que les cultures liées par une histoire linguistique possèdent les mêmes problématiques philosophiques. La raison n'est donc pour lui qu'un effet linguistique : les philosophes pensent des mots, non des choses. « Au commencement il y avait cette grande erreur néfaste qui considère la volonté comme quelque chose qui agit, — qui voulait que la volonté soit une faculté... Aujourd’hui nous savons que ce n’est là qu’un vain mot... Beaucoup plus tard, dans un monde mille fois plus éclairé, la sûreté, la certitude subjective dans le maniement des catégories de la raison, vint (avec surprise) à la conscience des philosophes : ils conclurent que ces catégories ne pouvaient pas venir empiriquement, — tout l’empirisme est en contradiction avec elles. D’où viennent-elles donc ? — Et dans l’Inde comme en Grèce on a commis la même erreur : « Il faut que nous ayons demeuré autrefois dans un monde supérieur (au lieu de dire dans un monde bien inférieur, ce qui eût été la vérité !), il faut que nous ayons été divins, car nous avons la raison ! »... En effet, rien n’a eu jusqu’à présent une force de persuasion plus naïve que l’erreur de l’être, comme elle a par exemple été formulée par les Éléates : car elle a pour elle chaque parole, chaque phrase que nous prononçons ! — Les adversaires des Éléates, eux aussi, succombèrent à la séduction de leur conception de l’être : Démocrite, entre autres, lorsqu’il inventa son atome... La « raison » dans le langage : ah ! quelle vieille femme trompeuse ! Je crains bien que nous ne nous débarrassions jamais de Dieu, puisque nous croyons encore à la grammaire... »[1]

Vocabulaire de Nietzsche

Ceci est une liste non exhaustive du vocabulaire nietzschéen. Il ne s'agit pas d'expliquer ces mots (pour cela, nous renvoyons aux articles), mais d'en analyser l'usage tout en évoquant de façon synthétique la notion.

  • Amor fati : littĂ©ralement "Amour du destin", dĂ©signe l'acceptation du destin et de la rĂ©alitĂ© dans sa globalitĂ©, oĂą le chaos, la souffrance et le devenir jouent un rĂ´le important dans l'affirmation de la vie. Dans la pensĂ©e de Nietzsche, ce n'est pas le refus des difficultĂ©s mais bien la maĂ®trise de celles-ci qui permettra Ă  l'homme de se surpasser, et d'entrer dans la voie du surhomme. Ce concept s'illustre par cette citation de Nietzsche : « tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » (CrĂ©puscule des idoles, 1888).
  • Apollinien : l'harmonie, la mesure, en opposition et en complĂ©mentaritĂ© Ă  "Dionysiaque"
  • Arrière-monde : Toute conception idĂ©aliste du rĂ©el qui considère qu'il existe un monde des idĂ©es (Platon) ou une vie surnaturelle.
  • DĂ©cadence : mot repris du français, Ă  Paul Bourget. Bien que ce mot soit fortement associĂ© au XIXe siècle, l'usage qu'en fait Nietzsche s'appuie sur la physiologie, la psychiatrie et la psychologie ; aussi l'ensemble des analyses de Nietzsche sur cette notion peuvent-elles ĂŞtre rapprochĂ©es, sans s'y rĂ©duire, de phĂ©nomènes Ă©tudiĂ©s aujourd'hui sous les noms d'addiction, de dĂ©pression (aboulie, ralentissement psychomoteur, etc.), de tension nerveuse, d'hystĂ©rie.
  • Dernier homme : Vision de Nietzsche qui voit dans ses contemporains le nihilisme s'installer et l'humanitĂ© sombrer dans un lent suicide pour s'ĂŞtre laissĂ© dĂ©possĂ©der de la pulsion de vie.
  • Dionysiaque : la force de vie, l'excès, la prodigalitĂ© en opposition et en complĂ©mentaritĂ© Ă  « Apollinien »
  • Éternel Retour : notion ambiguĂ« qui peut signifier plusieurs choses : soit que tout revient inexorablement identique Ă  lui-mĂŞme — au niveau cosmique comme dans les moindres recoins de notre propre existence —, soit que tout revient fondamentalement diffĂ©rent (Cf. Gilles Deleuze), soit qu'il faille, pour Ă©valuer sa propre vie, se demander : "cela mĂŞme qui fait ma vie, suis-je suis capable de dire « oui » au fait de le revivre un nombre infini de fois ?" Pour Didier Franck et Pierre Klossowski, l'incorporation de la pensĂ©e de l'Éternel correspond au "sentiment suprĂŞme" de l'existence[2] - [3].
  • GĂ©nĂ©alogie des valeurs (ou de la morale) : au-delĂ  de toute recherche gĂ©nĂ©alogique — comme on pourrait faire l'arbre gĂ©nĂ©alogique de sa famille — , il s'agit de remonter directement Ă  l'origine de la crĂ©ation des valeurs et de comprendre pourquoi elles ont Ă©tĂ© instaurĂ©es, Ă  quelles fins, dĂ©celer les peurs qui les ont inspirĂ©es et faire le grand tri pour garder celles qui vont dans le sens de notre propre puissance, de notre propre rĂ©alisation et afin de nous dĂ©barrasser de toutes les autres.
  • Grande santĂ© : on peut avoir le corps malade comme l'est celui de Nietzsche et connaĂ®tre la grande santĂ© (de l'esprit, qui lui-mĂŞme est corps, provient du corps) ; la grande santĂ©, comme la grande maĂ®trise, c'est le fait d'ĂŞtre au plus près de soi, de sa propre puissance d'ĂŞtre.
  • Immoralisme : lecture des choses en dehors de la morale, sous l'angle de la volontĂ© de puissance seule, donc des Ă©valuations perspectives et leurs luttes instinctives. Aujourd'hui souvent confondu avec l'amoralisme, l'immoralisme nietzschĂ©en n'est pas une opposition Ă  la morale.
  • Innocence du devenir : c'est la consĂ©quence du dĂ©jugement moral mĂ©thodique et immoraliste de l'ĂŞtre humain. Aussi bien, l'Homme n'a aucune raison de se culpabiliser, notamment chrĂ©tiennement (cf. GĂ©nĂ©alogie de la morale). C'est aussi une rĂ©fĂ©rence Ă  HĂ©raclite pour qui le temps est innocent comme un enfant qui joue.
  • Morale d'esclave : L'esclave est celui qui croit Ă  un arrière monde au dĂ©triment de ce monde ci, du sensible et du rĂ©el, voire celui qui n'a mĂŞme plus la force de croire. Au fond, l'esclave, c'est celui qui renonce Ă  vivre sa propre vie. Sa morale est de placer sa faiblesse au-dessus de la force des maĂ®tres, de ceux qui affirment leur propre vitalitĂ©, et par extension la vie mĂŞme. Sa morale est, en fait, basĂ©e sur l'esprit de vengeance et de ressentiment.
  • Moraline (das « Moralin ») : Nietzsche dĂ©signe ainsi une morale prĂ©tendument Ă©levĂ©e mais qui en rĂ©alitĂ© tend au nihilisme, qu'il s'agisse de conservatisme religieux ou de conformisme bourgeois. Cette forme dĂ©gradĂ©e de la morale dĂ©coule principalement du judĂ©o-christianisme qui impose des règles formelles et un système culpabilisant au lieu de la responsabilitĂ© individuelle. Il s'agit de la morale chrĂ©tienne, dominante et bien-pensante, faisant rĂ©fĂ©rence par connotation Ă  une appellation mĂ©dicamenteuse ou pharmaceutique. La moraline chrĂ©tienne permet d'avoir, selon les ChrĂ©tiens, une bonne moralitĂ©.
  • Mort de Dieu : il ne s'agit pas de prĂ´ner l'athĂ©isme, ni de se rĂ©jouir de l'incroyance de ses contemporains, mais de stigmatiser le fait que les valeurs actuelles ne sont plus soutenues par la foi en du divin. Les valeurs qui proviennent de Platon et du Christianisme marchent dĂ©sormais Ă  vide et produiront les pires horreurs si elles ne sont pas remplacĂ©es par d'autres que Nietzsche appelle de ses vĹ“ux par la notion de "surhomme".
  • Nihilisme : cette notion est fortement associĂ©e Ă  la pensĂ©e de Nietzsche. Pourtant, elle apparaĂ®t peu dans les textes publiĂ©s. Nietzsche a surtout Ă©crit sur le nihilisme dans les fragments de 1887-1888. Le nihilisme Ă©tant le fait de croire Ă  des idĂ©aux contraires aux forces de vie.
  • Renversement des valeurs : c'est l'opĂ©ration inverse de l' "inversion des valeurs" opĂ©rĂ©e par le judĂ©o-christianisme. Sorte de rĂ©tablissement des valeurs vitales initiales.
  • Ressentiment : esprit de vengeance contre l'intensification de la vie par ceux que Nietzsche nomme les faibles; c'est-Ă -dire ceux qui ont inversĂ© les valeurs ou, pire, ceux qui subissent cette inversion des valeurs de vie et qui ont posĂ© sur un piĂ©destal tout ce qui est petit, faible, malade, en dĂ©liquescence, les valeurs qui glorifient le dĂ©pĂ©rissement de la vie: la soumission, la pitiĂ© etc.
  • Sens de la terre : le bon sens-mĂŞme, anti-idĂ©aliste (allemand ou non).
  • Surhomme, Surhumain, SurhumanitĂ© : le type d'homme qui dira "oui" Ă  la vie et donc au tragique, qui s'affirmera sans se rĂ©fĂ©rer Ă  des valeurs crĂ©Ă©es par d'autres, sans chercher des consolations dans l'irrĂ©el, en se dĂ©barrassant de toute recherche de vĂ©ritĂ©. le terme de « surhomme » est assez peu employĂ© par Nietzsche
  • VolontĂ© de puissance : il s'agit d'une volontĂ© innocente, au-delĂ  du bien et du mal, qui veut augmenter indĂ©finiment sa puissance.

Notes et références

  1. Le Crépuscule des idoles, « La « raison » dans la philosophie », § 5.
  2. Didier Franck, Nietzsche et l'ombre de Dieu, « L'instant décisif», Paris, Presses universitaires de France, 1998
  3. Pierre Klossowski, Nietzsche et le cercle vicieux, Paris, Mercure de France, 1969

Annexes

Voir aussi

Bibliographie complémentaire

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