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Le Cheval de Turin

Le Cheval de Turin (A TorinĂłi lĂł) est un film rĂ©alisĂ© par BĂ©la Tarr, en coproduction entre la Hongrie, la France, l'Allemagne, la Suisse et les États-Unis, et sorti en France le . C'est le dernier film du rĂ©alisateur BĂ©la Tarr, qui a dĂ©cidĂ© d'arrĂȘter le cinĂ©ma aprĂšs ce film.

Le Cheval de Turin

Titre original A TorinĂłi lĂł
RĂ©alisation BĂ©la Tarr avec participation d'Ágnes Hranitzky (en)
Scénario Låszló Krasznahorkai
BĂ©la Tarr
Acteurs principaux

JĂĄnos Derzsi
Erika BĂłk
MihĂĄly Kormos

Sociétés de production T. T. FilmmƱhely
Pays de production Drapeau de la Hongrie Hongrie
Drapeau de la France France
Drapeau de l'Allemagne Allemagne
Drapeau de la Suisse Suisse
Drapeau des États-Unis États-Unis
Genre Drame
DurĂ©e 146 minutes (2 h 26)
Sortie 2011

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Le film a obtenu l'Ours d'argent (Grand Prix du Jury) au Festival de Berlin 2011.

Synopsis

. Turin. Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche s'oppose au comportement brutal d'un cocher flagellant son cheval qui refuse d'avancer. Dans un Ă©lan de compassion, Nietzsche sanglote et enlace l'animal. Puis son logeur le reconduit Ă  son domicile. Le philosophe y demeure prostrĂ© durant deux jours, avant de sombrer dans une crise de dĂ©mence, pendant les onze derniĂšres annĂ©es de son existence. Ses derniers mots adressĂ©s Ă  sa mĂšre furent : « Mutter, ich bin dumm » (« MĂšre, je suis bĂȘte »).

Tel est le prologue du film, narré par une voix off, qui conclut en disant qu'on ne sait pas ce qu'est devenu le cheval. Surgit alors à l'écran, sorti d'un épais brouillard, un homme conduisant une voiture à cheval.

Synopsis détaillé

AprĂšs le prologue le plan s'Ă©tire peu Ă  peu sans aucune parole jusqu'Ă  une ferme situĂ©e dans une cuvette enclavĂ©e, dominĂ©e par un arbre mort battu par le vent : unique dĂ©cor de tout le film, dans cette campagne dĂ©solĂ©e, battue par les vents d'une incessante tempĂȘte. Sans parole, ce prologue avec le cocher, le cheval, le mouvement de la charrette, la campagne brumeuse. Le spectateur peut ressentir une certaine angoisse, avec l'impression qu'un mal mystĂ©rieux ou une sourde menace rĂŽde aux alentours.

Le film décrit ensuite minutieusement, pendant six jours, la vie dans leur ferme de cet homme, avec sa fille et leur cheval, tandis qu'au dehors le vent violent souffle sans relùche.

Chaque jour voit l'accomplissement des mĂȘmes rituels : l'homme, paralysĂ© d'un bras, se lĂšve, sa fille l'habille et le dĂ©shabille. Il se verse deux verres de pĂĄlinka (un alcool magyar) chaque matin. Sa fille prĂ©pare deux pommes de terre pour le repas. Elle sort une fois par jour pour chercher de l'eau au puits avec ses deux seaux. Souvent ils s'assoient Ă  tour de rĂŽle devant la fenĂȘtre et regardent dehors.

Une visite vient rompre la monotonie quotidienne. Un voisin qui vient déclamer les nouvelles : il annonce que la ville a été complÚtement détruite et en attribue la responsabilité à la fois à Dieu et à l'homme. Le fermier répond « Foutaises ! »

Un autre jour, un groupe de Gitans passe et s'arrĂȘte pour boire Ă  leur puits. Ils sont chassĂ©s par le pĂšre. Les Gitans le maudissent. Le cheval refuse de quitter l'Ă©curie et de s'alimenter, condamnant l'homme et sa fille.

Le lendemain, le puits n'a plus d'eau. Les fermiers décident alors d'abandonner leur ferme, ils mettent des affaires dans une petite charrette et partent, emmenant le cheval avec eux. Cependant, aprÚs une certaine distance parcourue, ils reviennent.

Enfin le vent s’arrĂȘte, le monde plonge alors dans l'obscuritĂ© la plus totale ; ils tentent d'allumer des lampes mais elles s'Ă©teignent aussitĂŽt, mĂȘme les braises du poĂȘle refusent de prendre. Ils sont condamnĂ©s Ă  manger des pommes de terre crues dans l'obscuritĂ© – ce que la fille refuse.

Fiche technique

Distribution

  • Erika BĂłk (en) : la fille d'Ohlsdorfer
  • JĂĄnos Derzsi : Ohlsdorfer, le cocher
  • MihĂĄly Kormos : Bernhard
  • Ricsi : le cheval

Distinctions

Analyse et réception critique

MĂȘme si certains journalistes expriment leur dĂ©sapprobation de ce cinĂ©ma exigeant et atypique, parlant d'« expĂ©rience limite pour les nerfs du spectateur », d'un « ennui quasi intolĂ©rable[1] », comme Aude Lancelin dans Marianne, ou de vĂ©ritable « torture cinĂ©matographique » (Laurent PĂ©cha, dans Écran large), ou bien encore de « thĂ©Ăątralisation de la misĂšre » (Les Cahiers du cinĂ©ma), le film est globalement encensĂ© par la critique.

Pour Thomas Sotinel, critique au journal Le Monde, il s'agit du meilleur film de l'annĂ©e 2011[2]. Dans sa critique pour le mĂȘme journal, Isabelle Regnier considĂšre qu'avec ce film d'une « folie terrifiante », dont « on [...] sort terrassĂ©, le souffle coupĂ© par l'extraordinaire puissance d'Ă©vocation de ses plans-sĂ©quences en noir et blanc et par le pessimisme absolu avec lequel il dĂ©peint l'humanitĂ© », « le cinĂ©aste hongrois porte Ă  son paroxysme la radicalitĂ© hypnotique de son cinĂ©ma[3] » : noir et blanc d'un temps immĂ©morial, plans-sĂ©quences et travellings dĂ©lirants, silences interminables, façon de scruter l'essence des choses, ambiance visuelle et sonore absorbante et fascinante.

Film Ă  valeur d'Ă©pitaphe qui glace le sang et constitue sans doute le plus noir dans la filmographie de BĂ©la Tarr, il s'apparente Ă  une « macĂ©ration filmique sur la fin du monde[4] ». DĂšs l'ouverture, le dĂ©cor est lourd de misĂšre et de la menace d'une apocalypse qui s'annonce, dans cette campagne dĂ©solĂ©e battue par les vents d'une incessante et dĂ©sespĂ©rante tempĂȘte - violence de la nature, renforcĂ©e par le retour pĂ©riodique d'une phrase musicale simple et obsĂ©dante, leitmotiv glaçant soulignant la rĂ©pĂ©tition Ă  l'identique des mĂȘmes dĂ©solantes journĂ©es. Fable sur la fin du monde, le film cristallise cette lente et inexorable extinction Ă  travers le quotidien du cocher, sa fille et son cheval ; et Ă  partir du moment oĂč ce dernier ne veut plus quitter l'Ă©curie ni se nourrir, il semble condamner l'homme et la femme Ă  rester sur place, donc Ă  dĂ©pĂ©rir, en proie Ă  une Ă©trange et sourde malĂ©diction. À la pĂ©riphĂ©rie du film, dans l’enclos oĂč on ne le visite que rarement, le cheval est pourtant le cƓur secret du film, l’Ɠil tragique oĂč tout, irrĂ©mĂ©diablement, s’engloutit – « comme en atteste un sidĂ©rant gros plan qui continue de vous hanter aprĂšs la fin de la projection [...] Opposant Ă  l'homme sa subjectivitĂ© muette et le mystĂšre de son irrĂ©ductible altĂ©ritĂ©, l'animal cesse de s'alimenter. Ce refus opaque rĂ©sonne avec l'histoire de Friedrich Nietzsche, suggĂ©rant la vanitĂ© de toute volontĂ© de puissance, et par lĂ , de toute entreprise humaine[5]. »

On s'enlise peu Ă  peu dans le cauchemar de cet Ă©ternel retour du quotidien, dans cette immobilitĂ© du monde et ce « piaffement » du destin qui semblent illustrer ce qu'Ă©crivait en 1872 le conspirateur socialiste Auguste Blanqui dans L’ÉternitĂ© par les astres : « Toujours et partout, dans le camp terrestre, le mĂȘme drame, le mĂȘme dĂ©cor, sur la mĂȘme scĂšne Ă©troite [...]. L’univers se rĂ©pĂšte sans fin et piaffe sur place[6] ».

BĂ©la Tarr signe lĂ  une Ɠuvre unique dans la lignĂ©e de ses travaux prĂ©cĂ©dents, qu'il porte Ă  un degrĂ© d'impressionnante Ă©pure : un film de cinĂ©ma contemplatif, oĂč la parole laisse place au pouvoir du son et des images, donnant toute son Ă©paisseur Ă  la matiĂšre, au moindre geste, au moindre souffle, au plus petit Ă©lĂ©ment. Un cinĂ©ma qui prend son temps, quasiment sans paroles, composĂ© de longs plans-sĂ©quences hypnotiques, sollicitant tous les sens du spectateur pour l'immerger dans un monde d'Ă©motions pures. En ce sens, JĂ©rĂŽme Momcilovic Ă©voque le film « d’un grand formaliste, pĂ©trissant avec une exigence absolue une matiĂšre austĂšre et sublime, lourde en chacun de ses plans du poids de la condition humaine – plans longs coulĂ©s dans le temps rĂ©el des gestes et des activitĂ©s quotidiennes, paysages dĂ©solĂ©s oĂč se dĂ©ploient les derniĂšres forces d’une humanitĂ© promise au nĂ©ant, richesse extrĂȘme du noir et blanc et de la composition[7]. » Lente descente vers le nĂ©ant, cette fable austĂšre et noire constitue nĂ©anmoins « une expĂ©rience unique de cinĂ©ma, sensorielle, poĂ©tique, Ă©nigmatique, inoubliable » (La Croix), qui se clĂŽt dans l'obscuritĂ© progressive d'un Ă©cran noir, achevant la production cinĂ©matographique de son auteur.

Autour du film

Avec Le Cheval de Turin, le cinĂ©aste hongrois BĂ©la Tarr a manifestĂ© son dĂ©sir de mettre fin Ă  sa carriĂšre. Il se consacrera entiĂšrement Ă  l'enseignement, notamment Ă  l'École de cinĂ©ma de Split en Croatie. « Peur de se rĂ©pĂ©ter, difficultĂ© sans cesse croissante de monter financiĂšrement ses films, dĂ©saffection d'un public, pourtant constituĂ© de fidĂšles inconditionnels »[8], sont les raisons invoquĂ©es par le rĂ©alisateur pour expliquer sa dĂ©cision. Selon RaphaĂ«lle Pireyre (Critikat.com), « l'Ă©nergie dont BĂ©la Tarr avait besoin pour porter ses rĂ©alisations de plus en plus complexes et virtuoses se tarit ». À cette occasion, le Centre Georges-Pompidou prĂ©sente une rĂ©trospective de ses films, du au [9].

Notes et références

  1. Aude Lancelin, « Bela Tarr, derniÚre épreuve », Marianne, 26 novembre 2011
  2. Thomas Sotinel, Isabelle Regnier, Jacques Mandelbaum et Jean-François Rauger, « Le palmarĂšs de l'annĂ©e des critiques du "Monde" », Le Monde,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  3. Isabelle Regnier, « Le Cheval de Turin : magistral final pour Béla Tarr », Le Monde, 29 novembre 2011.
  4. Didier Péron, « Le mors dans l'ùme », Libération, 30 novembre 2011.
  5. Isabelle Regnier, « Le Cheval de Turin : magistral final pour Béla Tarr », Le Monde, 29 novembre 2011.
  6. Cité par Sylvie Rollet dans le numéro spécial sur Béla Tarr de la revue Vertigo, n°41, octobre 2011.
  7. JĂ©rĂŽme Momcilovic, « Le Cheval de Turin », Études. Revue de culture contemporaine
  8. RaphaĂ«lle Pireyre, « BĂ©la Tarr, un cinĂ©aste inactuel », Critikat.com,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  9. AurĂ©lien Ferenczi, « Si lent, si Tarr », TĂ©lĂ©rama,‎

Voir aussi

Bibliographie

  • Jonathan Rosenbaum, « Voluptueuse misĂšre dans Le Cheval de Turin », Trafic, no 81,‎

Lien interne

Liens externes

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