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La Grande Beuverie

La Grande Beuverie est un roman de René Daumal publié en 1938. Dans un style à la fois comique et irréaliste, il met en scène le parcours initiatique d'un narrateur qui, après une soirée arrosée, s'aperçoit de la fragilité de la condition humaine et de la puissance trompeuse du langage.

Résumé

Un avant-propos commence par poser le postulat que malgrĂ© les apparences, aucune pensĂ©e claire n’est indicible. Le narrateur affirme qu’il n’y a pas choisir entre la confusion babĂ©lienne des langues et les langues universelles pauvres d’expĂ©rience rĂ©elle ; se proposant de dĂ©crire ces deux formes d’incomprĂ©hension.

Dans la première partie, qui s’annonce comme un « Dialogue laborieux sur la puissance des mots et la faiblesse de la pensĂ©e Â», des personnages boivent sans discontinuer dans un endroit enfumĂ©, poussĂ©s par une soif inaltĂ©rable. Ils Ă©changent des paroles nĂ©buleuses Ă  l’image de leur ivresse prononcĂ©e. MalgrĂ© leur nombre règne un sentiment largement partagĂ© de solitude. Alors que Gonzague l’Araucanien a la malencontreuse idĂ©e de jouer de la guitare, Totochabo, d’abord dĂ©nommĂ© l’homme de derrière les fagots, rĂ©ussit Ă  exploser l’instrument en prononçant quelques mots. Il tient ensuite un discours sur la force dĂ©sintĂ©grative du langage, que le narrateur n’écoute que partiellement et d’une oreille distraite. L’auditoire manifeste d’ailleurs Ă  plusieurs reprises son ennui de l’exposĂ© et son souhait de s’épancher dans la beuverie. Dans un demi-sommeil, le narrateur croit un moment percevoir s’entretenir Totochabo seul avec Rabelais, Jarry et LĂ©on-Paul Fargue mais personne ne le prend au sĂ©rieux. Le narrateur, quoiqu’il rĂ©ussisse Ă  se dĂ©barrasser de ses idĂ©es noires, pressent que la grande beuverie porte le germe d’une maladie mortelle. Le Père Pictorius, prĂ©disant la pĂ©nurie de boissons, de vignes et de soleil, exhorte Ă  l’exil, tandis qu’AmĂ©dĂ© Gocourt prĂ©dit la venue de la RĂ©volution Onirique. Sous l’effet de l’alcool, le narrateur s’écroule et s’endort. A son rĂ©veil, il regrette d’avoir manquĂ© une occasion de penser.

IntitulĂ©e « Les paradis artificiels Â», la seconde partie constitue la plus grande partie de l’ouvrage. Le narrateur est emmenĂ© Ă  l’infirmerie, oĂą patientent tous ceux qui ont demandĂ© la sortie. Les malades sont soignĂ©s par l’administration progressive de boissons alcoolisĂ©es. L’infirmier dĂ©cide le lui faire visiter la section des Ă©vadĂ©s, oĂą logent les incurables qui croient avoir rĂ©ussi Ă  s’enfuir et ne boivent que du tilleul ou du jus de raisin. Après ĂŞtre passĂ©s par le Stade, ils arrivent devant la JĂ©rusalem contre-cĂ©leste, capitale des EvadĂ©s supĂ©rieurs. DivisĂ©e en cercles concentriques, elle abrite les Bougeotteurs, les Fabricateurs, les Explicateurs et au centre les dieux.

Les Bougeotteurs ne cessent d’être en mouvement, de chercher la fortune et la gloire, quand bien mĂŞme leur carcasse est toujours attablĂ©e au tapis vert d’une table de jeu. Les Fabricateurs sont convaincus de vivre dans le monde des idĂ©es et s’ingĂ©nient Ă  rendre inutiles des objets utiles, ce qu’ils appellent le triomphe de l’art. Dans chacune de leurs Ĺ“uvres se cache un bout de leur viscère. Un architecte bâtit des maisons inhabitables ; des sculpteurs modèlent des productions destinĂ©es Ă  ĂŞtre admirĂ©es dans des palais dĂ©saffectĂ©s et d’autres se spĂ©cialisent dans le coloriage de rectangle de toile. Les Fabricateurs d’objets inutiles regardent avec bienveillance le public mais exècrent les Fabricateurs d’objets autrement utiles que sont les artistes. Les Fabricateurs de discours inutiles se subdivisent en trois catĂ©gories : les Pwatts, qui sont des menteurs en cadence ; les RuminssiĂ©s, des marchands de fantĂ´me ; et les Krittikks, des ramasse-miettes. Ils sont respectivement des contrefaçons de poètes, d’écrivains et de critiques littĂ©raires. Le narrateur rencontre Aham Egomet, qui lui explique le schĂ©ma de La Grande Beuverie qu’il escompte Ă©crire.

Dans le Centre-Ville, le Professeur Mumu prĂ©sente les Explicateurs. Ceux-ci se divisent entre les Scients, qui prĂ©tendent expliquer, et les Sophes, qui affirment expliquer ce que les premiers n’arrivent pas Ă  Ă©claircir. Le Professeur confie un lapin teint en rouge Ă  des Scients qui travaillent Ă  la chaĂ®ne dans un Ă©tablissement. Ils l’analysent sous tous les angles et se livrent Ă  des expĂ©rimentations avec une grande diversitĂ© d’instruments et de mĂ©thodes. Les Épurateurs de comptes recueillent les rĂ©sultats des Scients et les transforment en lois abstraites qui permettent d’énoncer des vĂ©ritĂ©s et d’en tirer des conclusions sans penser davantage. Les Sophes sont des « voyageurs imaginaires en quĂŞte de leur dĂ©esse Sophie Â» et certains de ceux qui croient avoir rĂ©ussis enseignent « l’art de la pĂ©rĂ©grination en chambre close Â». Le narrateur traverse ensuite le quartier de production d’eau bĂ©nite oĂą sont accomplis des rites incompris et inversement expliquĂ©s des rites inappliquĂ©s. Après avoir croisĂ© un Abyssologue, spĂ©cialiste des questions indiscrètes posĂ©es Ă  un inconnu Ă©tendu sur un divan, le narrateur apprend comment est rĂ©gulĂ© la population des jeunes gĂ©nĂ©rations. La mĂ©thode la plus efficace consiste Ă  les entraĂ®ner dans le « culte de l’idĂ©al commun Â» et Ă  leur dĂ©signer un ennemi avant de les envoyer Ă  la guerre.

Alors que le narrateur s’apprête à partir, l’infirmer l’invite à voir la cathédrale, environnées des effigies des dieux. Des interprètes, nommés les Archis, se chargent de perpétuer leurs pouvoirs et reçoivent l’adoration des personnes d’en bas. Ils se vantent chacun de pratiquer l’ouroborisme à leur manière, chacun dévidant un raisonnement circulaire comme le serpent qui se mord la queue, l’ouroboros. Déçu par ces dieux qui règnent sur les humains par la crainte de l’enfer et l’espoir du paradis, le narrateur se retrouve bousculé par leur farandole et projeté dans la trappe qui mène en bas.

Dans dernière partie, Â« A la lumière ordinaire du monde Â», le narrateur se rĂ©veille dans la pièce d’oĂą il est parti. Les buveurs ne sont pas lĂ  et il suppose que Totochabo n’était que le fantĂ´me de ses propres sophismes. Il se rend compte qu’il est enfermĂ© et allume un feu dans la cheminĂ©e, sacrifiant le mobilier, les livres et ses vĂŞtements. Il apostrophe le Soleil et l'implore jusqu’à ce qu’il se lève enfin. La maison tangue et se transforme en une machine qu’il apprend Ă  manĹ“uvrer. Des singes anthropomorphes lui viennent en aide. Le narrateur sort, mĂ©dite sur l’unitĂ© du monde et le caractère pitoyable de la condition humaine, puis rencontre Totochabo. Ce dernier lui demande s’il s’est remis de sa beuverie avant de rĂ©pondre Ă  ses objections sur l’homme. Son malheur vient de ce qu’il se cramponne Ă  l’état larvaire, comme une chenille, et ne se rend pas compte qu’il voit tout Ă  l’envers.

Bibliographie

Éditions

  • RenĂ© Daumal, La Grande Beuverie, Paris, Gallimard, coll. MĂ©tamorphose, 1939, Lire en ligne
  • RenĂ© Daumal, La Grande Beuverie, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », , 143 p.
  • RenĂ© Daumal, La Grande Beuverie, Paris, Allia, 2018

Études

  • Pascal Boue, « Le narrateur et ses doubles dans La Grande Beuverie de RenĂ© Daumal : ou l'impossible maĂ®trise de l'ĂŞtre », LittĂ©ratures, no 18,‎ , p. 123-137 (lire en ligne, consultĂ© le ).
  • Anne-Marie Havard, « La Grande Beuverie de RenĂ© Daumal, une fable mystique ? », dans Carole Auroy, Aude PrĂ©ta de Beaufort et Jean-Michel WIttmann, Roman mystique, mystiques romanesques aux XXe et XXIe siècles, Paris, Garnier, (ISBN 978-2-406-06659-0, lire en ligne), p. 65-80.
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