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La Fiancée du pirate

La Fiancée du pirate est un film français réalisé par Nelly Kaplan et sorti en 1969.

La Fiancée du pirate

RĂ©alisation Nelly Kaplan
Scénario Nelly Kaplan et Claude Makovski
Acteurs principaux
Sociétés de production Cythère Films
Pays de production Drapeau de la France France
Genre comédie dramatique, satire
Durée 108 minutes
Sortie 1969

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Synopsis

L'histoire est celle de la vengeance de Marie, une pauvresse orpheline, contre l'hypocrisie et la médiocrité du village de Tellier, une localité lugubre, plongée dans les brumes et la boue de l'hiver. Le film dénonce dans une veine plus surréaliste que sociale, teintée d'humour noir, la bêtise, la méchanceté et la tartuferie des bien-pensants. Selon les propres termes de Nelly Kaplan,

« [c'est] l'histoire d'une sorcière des temps modernes qui n'est pas brûlée par les inquisiteurs, car c'est elle qui les brûle. »

D'après les médiocres notables du village, quand Marie et sa mère sont arrivées à Tellier, nomades et sans-papiers, elles y ont été généreusement accueillies et adoptées. En fait, ceux-ci les exploitent pour les travaux les plus pénibles, allant jusqu'à exercer une sorte de droit de cuissage, y compris celui de la riche fermière lesbienne Irène.

Un jour, la mère de Marie se fait « écrabouiller » par un chauffard. Après avoir porté la morte dans la cabane misérable où elle vivait avec sa fille, l'adjoint M. Le Duc, le pharmacien M. Paul, le garde-champêtre Duvalier, discutent sur son cadavre encore chaud, pour conclure qu'ils déclareront le décès comme « mort naturelle ». Aucun d'eux ne veut d'une enquête de la gendarmerie, qui risquerait de révéler les conditions inhumaines dans lesquelles tout Tellier maintenait les deux femmes. C'en est trop pour Marie, qui pour la première fois se rebelle.

Face au harcèlement des mâles du village et au meurtre de son bouc noir, elle décide de se venger. Dorénavant, elle se prostitue pour 30 francs la passe. Incapables de résister à ses charmes, victimes du chantage de Marie, qui menace de tout révéler à leurs épouses s'ils ne crachent pas au bassinet, les villageois sont contraints de payer… Et elle les humilie en accordant gratuitement ses faveurs au projectionniste ambulant André, ou à l'ouvrier agricole espagnol Jesus, alors qu'elle se refuse à Gaston Duvalier qui lui propose le mariage. Tenant la dragée haute à ceux qui l'avaient opprimée, Marie amasse à leurs dépens une petite fortune, pour s'offrir des objets modernes et frivoles, qui ne lui servent à rien sinon à narguer le village.

Ultime vengeance, elle finit par diffuser en pleine messe les confidences et médisances qu'elle a recueillies sur l'oreiller grâce à un magnétophone : l'hypocrisie et la mesquinerie des respectables paroissiens, et même celles du curé, apparaissent enfin au grand jour. Fous furieux, ils se ruent vers la cabane de Marie, mais arrivent trop tard : elle l'a incendiée avant de s'enfuir. Ils ne peuvent plus que saccager aveuglément son bric-à-brac, payé par leur argent.

Sans bagage et les pieds nus, Marie prend la route de la liberté sur fond de campagne printanière.

Fiche technique

Distribution

Production

« J'ai senti mon film comme un hommage au cinéma, et j'ai voulu que celui-ci joue un rôle capital dans l'histoire. La vision de La Comtesse aux pieds nus aide Marie à se libérer, et le cinéma lui fait découvrir que l'univers ne se limite pas à ce coin de campagne perdu, qu'il existe quelque chose ailleurs. »

— Nelly Kaplan, Les Nouvelles littéraires, 1969[3]

Attribution des rĂ´les

Par sympathie pour Nelly Kaplan, le réalisateur Louis Malle fait une courte apparition dans le rôle d'un ouvrier agricole.

Tournage

« Tellier », village où est censé se dérouler l'action, n'existe pas : en réalité, le film a été tourné à Hérouville-en-Vexin (Val-d'Oise), en partie dans le château appartenant à Michel Magne. Le nom de Tellier est une allusion à La Maison Tellier, nouvelle de Guy de Maupassant.

Budget et distribution

Écriture du scĂ©nario, post-production, production et tournage, le budget total du film fut de 450 000 francs (soit un peu moins de 70 000 euros). Il se composait d'une avance sur recettes de 400 000 francs et d'un emprunt de 50 000 francs. Aucun distributeur n'en avait voulu, et aucun producteur ne s'Ă©tait risquĂ© Ă  s'associer au projet. Le film fut finalement distribuĂ© par Universal compagnie amĂ©ricaine.

Musique

  1. Moi, je me balance, paroles et musique de Georges Moustaki, chanson interprétée par Barbara[5].
  2. La Marche de Marie, instrumental.
  • Le film fait allusion Ă  L'OpĂ©ra de quat'sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill, par son titre et par la chanson interprĂ©tĂ©e par Barbara (Moi, je me balance) qu'on y entend Ă  plusieurs reprises. En effet, La FiancĂ©e du pirate et La Chanson de Barbara (ou Chant de Barbara) sont les titres de deux chansons de L'OpĂ©ra de quat'sous. Cependant, la scène oĂą AndrĂ© parle de la pièce de Brecht Ă  Marie a Ă©tĂ© supprimĂ©e.

Analyse

La moralité du film est complexe et multiple : libertine et libertaire en même temps, politique en filigrane, lorsqu'on y aperçoit par exemple, placardée sur la porte de la cabane de Marie, une affiche revendiquant la contraception expliquée à tous, ou bien lorsque Marie encourage le valet Julien à ne plus se laisser faire par Irène, la fermière pingre et brutale qui l'exploite et le paye à coups de trique ; elle est aussi poétique : tout le bric-à-brac coloré que Marie entasse au fur et à mesure qu'elle gagne de l'argent ne lui sert strictement à rien. Il n'y a ni électricité ni confort dans sa cabane, et les ampoules, casque séchoir-à-cheveux, machine à coudre, téléphone et tutti quanti, arrangés par Marie, complétés de collages et dessins qui tiennent du cadavre exquis, finissent par former de magnifiques sculptures d'art brut[6].

RĂ©ception critique

  • « Marie, c'est Bernadette Lafont. En fille insoumise, en vamp pĂ©troleuse, en Antigone de la bouse de vache, elle est du tonnerre de BelzĂ©buth. Quel Ĺ“il ! Ça pĂ©tille jusque dans les coins, et quel sourire ! RĂ©servoir des sens et championne du mauvais esprit, elle ravage tous les plans. […] La FiancĂ©e du pirate est un des très rares films français vraiment satirique, vraiment drĂ´le[7]. »
  • « Ce film fĂ©roce et ravageur ne pourra choquer que les imbĂ©ciles car c'est, au fond, une belle histoire d'amour[8]. »
  • « Ce premier grand film de Nelly Kaplan est saccageur et insolent. […] Il rĂ©jouira le public tout simple par sa truculence et plaira aux subtils, aux raffinĂ©s pour ses rĂ©fĂ©rences et sa contestation[9]. »
  • « Nelly Kaplan s'attaque Ă  la xĂ©nophobie, Ă  l'hypocrisie, Ă  l'injustice. Ce film oĂą nous rions de si bon cĹ“ur est plus grave que nous ne pensions. Guignol aux champs, soit. Mais qui jouerait du Maupassant corrigĂ© par LautrĂ©amont[10]. »
  • « Ce n'est pas tous les jours ni mĂŞme tous les mois, qu'un film exalte ainsi, d'aussi provocante et saine façon, des valeurs qui nous sont chères et essentielles comme la rĂ©volte, la libertĂ©, la vie, le cinĂ©ma - ou, du moins, un certain cinĂ©ma : le bon, celui qui ne mystifie pas et n'aliène pas[11]. »
  • « Un film pour Buñuel, mais rĂ©alisĂ© par une femme. C'est dire que les coups de bĂ©lier (il y en a dans le film) sont remplacĂ©s par des coups de griffe. Mais il reste suffisamment de cruautĂ© pour enthousiasmer les uns et indigner les autres. Il y a surtout une Ĺ“uvre pleine de sève qui tranche heureusement sur la production courante[12]. »
  • « L'intelligence de Nelly Kaplan c'est d'avoir rĂ©ussi Ă  la fois un film d'auteur et un film pour grand public, sans jamais frĂ´ler la vulgaritĂ© et en donnant Ă  la moindre banalitĂ© une poĂ©sie indicible[13]. »
  • « Marie, magnifiquement interprĂ©tĂ©e par Bernadette Lafont, tire les ficelles de marionnettes qui reprĂ©sentent un ordre social hypocrite. Ă€ la belle fille libre et amorale s'opposent les caricatures d'un monde lâche, mĂ©diocre et pudibond. […] Une comĂ©die jubilatoire aux confins du surrĂ©alisme[14]. »
  • « Il s'agit d'une satire impitoyable contre la population mâle de tout un village. […] RĂ©alisĂ© par un cinĂ©phile et une femme cultivĂ©e, le film Ă©voque Ă  la fois Stroheim, les sensualistes. Buñuel et Maupassant. MalgrĂ© ses dĂ©fauts et ses outrances, il a un ton personnel[15]. »
  • « Porte-drapeau d'une rĂ©volte contre l'ordre Ă©tabli et l'hypocrisie des conventions bourgeoises, Marie incarne un Ă©rotisme (audacieux alors) qui est le ferment d'une allègre anarchie. Les notables, remarquablement croquĂ©s par des « seconds rĂ´les » bien choisis, sont les bĂŞtes noires de cette fable ironique et salubrement impertinente[16]. »

Autour du film

Notes et références

  1. Unifrance.org
  2. CNC Archives patrimoine.
  3. Extrait de son entretien avec Guy Braucourt, paru le 11 décembre 1969.
  4. BO sur Encyclopédisque.fr
  5. RĂ©pertoire de la Sacem
  6. « On pense aussi à l'Art brut, avec cette grande sculpture dans le jardin qui rassemble des objets fonctionnels de toutes sortes, notamment des déchets de la société de consommation. »

    — Ariel Schweitzer, Cahiers du cinéma, n° 744, mai 2018

  7. Jean-Louis Bory, Le Nouvel Observateur, .
  8. Marcel Martin, Les Lettres françaises, .
  9. Michel Duran, Le Canard enchaîné, .
  10. Claude Mauriac, Le Figaro littéraire, .
  11. Guy Braucourt, Cinéma 70, janvier 1970.
  12. Robert Chazal, France-Soir, .
  13. Henry Chapier, Combat, .
  14. Claude Bouniq-Mercier, Guide des films dirigé par Jean Tulard (ISBN 2-221-90054-5).
  15. Analyses des films de 1969, éditions Penser Vrai, dépôt légal 2e trimestre 1970.
  16. GĂ©rard Lenne, Dictionnaire des films, Larousse (ISBN 2-03-512305-4).

Voir aussi

Bibliographie

Liens externes

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