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L'Année dernière à Marienbad

L'Année dernière à Marienbad est un film en noir et blanc de langue française réalisé par Alain Resnais et sorti en 1961. Il reçoit le Lion d'or à la Mostra de Venise la même année. Le scénario et le découpage sont d'Alain Robbe-Grillet, lui-même inspiré du roman fantastique L’Invention de Morel de l'écrivain argentin Adolfo Bioy Casares.

L'Année dernière à Marienbad

Réalisation Alain Resnais
Scénario Alain Robbe-Grillet
Acteurs principaux
Pays de production Drapeau de la France France
Drapeau de l'Italie Italie
Allemagne de l'Ouest Allemagne de l'Ouest
Drapeau de l'Autriche Autriche
Durée 94 min
Sortie 1961

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Le film est célèbre pour l'ambiguïté de sa structure narrative, qui a beaucoup dérouté et divisé les critiques. La dimension onirique et la confusion entre réalité et illusion ont par la suite inspiré bien des réalisateurs.

Synopsis

Dans un grand hôtel de luxe, un homme tente de convaincre une femme qu'ils ont eu une liaison l'année précédente, qu'il lui a laissé un an de réflexion et qu'il est maintenant temps pour elle de partir avec lui. La jeune femme affirme n'avoir « jamais été à Frederiksbad ». Ce pouvait être alors ailleurs, « à Karlstadt, à Marienbad, à Baden-Salsa ». L'inconnu affronte un autre personnage, peut-être le mari de l'héroïne, dans une partie de jeu d'allumettes et perd.

Fiche technique

Distribution

Distinctions

L'année de sa sortie, en 1961, L'Année dernière à Marienbad reçoit le prix Méliès, prix du meilleur film français du syndicat français de la critique de cinéma, et le Lion d'or de la Mostra de Venise. Le film est proposé en 1962 pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère par le comité français de sélection. Il n'est pas nommé par l'Academy.

Tournage

Le film a principalement été tourné en Bavière, à l'Antiquarium de Munich, dans le château de Nymphembourg, le pavillon de chasse d'Amalienburg et le parc du château de Schleissheim, ainsi qu'en studio à Paris[5].

Musique

Alain Robbe-Grillet souhaite que le film s'ouvre sur « une musique romantique, violente, passionnée comme on en entend à la fin des films où l'émotion éclate (avec tout un orchestre de cordes, bois, cuivres, etc.) » accompagnant le générique et laissant progressivement la place à une voix d'homme jusqu'à disparaître tout à fait. Pour reprendre sur les applaudissements de la fin de la représentation théâtrale en croissant d'intensité jusqu'à les couvrir et couvrir les conversations qui suivent. Il veut que la musique, d'abord en sourdine puis de plus en plus nette, se poursuive sur les mouvements de caméra, une musique sérielle « avec beaucoup de trous », des notes disjointes de piano ou de percussion, se transformant à un moment en air de valse « avec beaucoup de cordes à l'unisson ». La musique sérielle doit reprendre pour la scène du concert, une « musique violente, inquiète, qui, pour le spectateur du film ne s'intéressant pas à la musique moderne, doit être à la fois irritante et comme continuellement en suspens ». Elle doit se faire plus douce sur la scène du parc, toujours un peu inquiète cependant, décousue et atonale[6].

Alain Resnais ne suit pas ces indications, il a sa propre vision d'« un film où l'orgue serait utilisé d'un bout à l'autre, où il donnerait une impression envoûtante, hypnotique ». Il s'oriente vers Olivier Messiaen qui ne peut accepter à cause de la contrainte du minutage incompatible avec son mode de composition. Le choix de Francis Seyrig, élève de Messiaen, lui permet de poursuivre son idée[7] : pour Marienbad, il veut « une musique « fonctionnelle » et lyrique à la fois. Sa fonction est de renforcer le perpétuel balancement entre le réel et l'imaginaire qui caractérise cette histoire d'amour. Cette musique veut donc se confondre au décor, renforcer l’ambiguïté des sentiments des personnages, accentuer les doutes que l'on peut éprouver sur la réalité du déroulement de l'action. C'est pourquoi elle utilise des formes musicales tantôt archaïques, tantôt contemporaines, et que telle séquence qui commence dans un style finit volontairement dans un autre »[8].

Le dialogue entre le réalisateur et son musicien est difficile, s'agissant d'indiquer par des mots ce qui devra finalement s'exprimer par des sons. Francis Seyrig explique ainsi les difficultés du départ, les modalités de travail avec Alain Resnais puis la façon dont sa musique a pris forme :

« Au début, je ne comprenais pas bien ce qu'il désirait. Il s'exprimait par paraboles et ne semblait pas savoir exactement ce qu'il voulait. Il m’avait dit, d’abord de faire très moderne. Pendant trois semaines, on a fait des essais à l'orgue, dans les graves, puis dans les aigus ; il écoutait, on discutait. Je me suis aperçu qu'il voulait, en définitive, des éléments wagnériens pour le côté passionné du film, mais aussi un aspect 1925 et des morceaux modernes, tout cela ensemble. Il m'a ensuite fourni un diagramme du film entier, très bien fait, au crayon de couleur, avec les photos ; et j'ai commencé à travailler sur la septième bobine, la plus importante dramatiquement et la plus complexe musicalement. Puis j'ai bâti les thèmes, développé, précisé. La musique fait partie de certains plans, comme la valse ; mais très souvent, elle déborde, se transforme, devient sérielle, avec par endroits des mélanges d'orgue et d'orchestre. En réalité, la musique marque des passages, elle hésite, n'ose pas s’approcher[8]... »

La musique orchestrale de Francis Seyrig est dirigée par André Girard. Sa musique d'orgue est interprétée par Marie-Louise Girod sur l'instrument de l'Oratoire du Louvre qui ne disposait encore que de dix jeux. L'organiste explique, dans un entretien pour la revue L'Orgue, que « Resnais avait apprécié que l'orgue ne soit pas fini car, il n'aurait, ainsi, pas vraiment une sonorité d'orgue... »[9].

Le compositeur apporte de nombreuses corrections au fur et à mesure du montage : il ne s'agit pas de paraphraser l'image mais bien plutôt de souligner « l'absence d'action, l'absence des personnages à eux-mêmes ». Dès le générique, l'orgue prend immédiatement le relais d'une courte introduction à la fois vive et nostalgique par l'orchestre, pour accompagner le long monologue et l'interminable travelling parcourant les corridors et les salons de l'hôtel baroque « dont il n'y a pas moyen de s'échapper », jouant, tour à tour sinueuse et lancinante, avec la voix off, la couvrant ou lui cédant la place[9].

L'absence totale de musique diégétique[10] est particulièrement marquante dans des scènes comme celle du concert, où l'orgue lance de larges accords sur le jeu des deux violonistes que l'on voit à l'écran, ou celle de la valse, où les couples dansent ce qui ressemble « à un souvenir de valse plutôt qu'à une valse » pendant que l'orgue joue, à contre-emploi, une musique qui n'appartient pas à son répertoire[9]. Elle illustre parfaitement la recherche de distanciation entre la musique et l'image voulue par Alain Resnais : « Dans un film, pour moi, la musique ne saurait se réduire à un simple commentaire du spectacle. Il ne s'agit pas d'écrire de la musique sur les images comme on pose une mélodie sur un poème. La musique et le texte font partie intégrante de l'image »[8].

La bande originale du film a été publiée par Philips[11].

Accueil critique

S'il est largement considéré comme un chef-d’œuvre, L'Année dernière à Marienbad suscite également des réactions négatives extrêmement fortes[12] - [5].

Le critique Michel Mourlet, par exemple, a vivement critiqué le film et plus généralement l'œuvre d'Alain Robbe-Grillet. Il dénonce le fait que « l'objet le plus anecdotique se trouve sur le même plan que le plus important ». Il y voit un « esthétisme académique et vide[13] ». À propos de L'Année dernière à Marienbad et d'Hiroshima mon amour, il écrit : « Aucune connaissance de l'acteur, aucun empire sur le décor, les éléments, aucun sens du récit, rien que de pauvres petits essais d'intellectuels qui jouent gravement à faire du cinéma[14]. » Mourlet précise encore: « que pour s'ennuyer une heure trente, d'un ennui noir, dense, irrémédiable, des foules puissent piétiner devant la porte et payer... C'est par des considérations de cet ordre que l'intérêt de L'Année dernière à Marienbad apparaît considérable. »[13].

Son confrère mac-mahonien Jacques Lourcelles, dans son célèbre Dictionnaire des films, considère le film de Resnais comme « l'un des plus insanes que le cinéma ait produits »[15]. À l'opposé, pour Michel Grisolia de L'Express : « Seule compte la beauté baroque de l'œuvre, délibérément répétitive, sans équivalent dans le cinéma. Succès de snobisme typiquement sixties ? Le snobisme, parfois, a du bon. »

Autour du film

L'actrice Françoise Spira avait filmé le tournage du film avec une caméra mm. Volker Schlöndorff a repris ses images pour en faire un documentaire intitulé Souvenirs d’une année à Marienbad[16] - [17]. Le film a été mis en ligne sur le site de la revue La Règle du jeu en [18].

Influence

L'impact de L'Année dernière à Marienbad est perceptible dans les œuvres de cinéastes français tels qu'Agnès Varda, Marguerite Duras et Jacques Rivette, ou de figures internationales comme Ingmar Bergman et Federico Fellini[19]. Parmi les films qui doivent le plus à l'influence de Marienbad reviennent souvent les noms de Shining[20], de Stanley Kubrick, et Inland Empire[21], de David Lynch. Terence Young a élaboré le générique du début du film James Bond Bons Baisers de Russie à partir de L'Année dernière à Marienbad[22]. Le film constitue l'influence la plus importante sur le travail de Peter Greenaway (lui-même est devenu un proche collaborateur du directeur de la photographie Sacha Vierny)[23].

Après la sortie, en 2010, du film Inception réalisé par Christopher Nolan, des similitudes avec L'Année dernière à Marienbad sont remarquées. Inception présente en effet une structure narrative jouant avec la perception de la réalité par le spectateur. Dans une interview, Nolan reconnaît l'influence du film, qu'il n'avait pourtant jamais vu avant la réalisation d'Inception, en tenant ces propos :

« Tout le monde m'accusait d'avoir copié le film, mais je n'avais en fait jamais eu l'occasion de le voir. Je l'ai vu et je me suis dit « Oh, wow. Les gens vont penser qu'il y des passages d'Inception que j'ai copiés directement de L'année dernière à Marienbad. » (…) [Ce que ça veut dire, c'est que] j'ai copié les films qui ont copié L'Année dernière à Marienbad, sans avoir vu l'original. C'est vraiment à ce point une source d'idées sur les relations entre le rêve, la mémoire et ainsi de suite, et c'est vraiment ce de quoi traite Inception. Mais notre film a bien plus d'explosions[24]. »

Le style visuel du film est imité dans de nombreuses publicités[25]. Le clip de To The End du groupe de rock anglais Blur, avec Françoise Hardy, tourné en 1994 est un pastiche du film.

Références au film

En 1973, Barbara intitule l'une de ses chansons Marienbad. Viktor Lazlo fait débuter sa chanson Canoë rose par « C'était pas l'année dernière — C'était pas à Marienbad » en 1985 et en 1986. Patricia Lavila commence la sienne, Le Cœur au fond des yeux, par « C'était l'année dernière à Marienbad ».

Le jeu de Marienbad tire son nom du jeu avec des allumettes qui est joué de multiples fois au cours du film, et auquel M, le joueur invétéré, peut-être l'époux de A, gagne à chaque fois.

L'Année dernière à Marienbad, dont les costumes ont été créés par Coco Chanel, est l'inspiration principale de la collection Printemps-Été 2011 de Chanel élaborée par Karl Lagerfeld[26]. Pour le défilé de mode sont mis en place une fontaine et une réplique des jardins du château de Schleissheim, également inspirée du jardin de Versailles.

Notes et références

  1. « L'Année dernière à Marienbad », sur Allociné (consulté le )
  2. « L'Année dernière à Marienbad », sur cbo-boxoffice.com (consulté le )
  3. « L'Année dernière à Marienbad », sur Unifrance (consulté le )
  4. « L'Année dernière à Marienbad », sur encyclocine.com (consulté le )
  5. Antoine de Baecque, « Ce lieu réel n'existe pas, ou si peu... », Libération, (lire en ligne, consulté le )
  6. Alain Robbe-Grillet, 1961
  7. François Thomas, 1989, p. 258-260
  8. L'Arc, 1967, p. 82-83
  9. L'Orgue, 1998
  10. La durée de la musique extradiégétique et donc de la totalité de la musique est de 56 minutes 14 secondes, soit 62,5 % de la durée du film : Rémi Lecompte, La représentation de la musique dans le cinéma de fiction : l'exemple de la musique diégétique dans le cinéma français des années 1960, Tours, Université François-Rabelais, , 760 p. (lire en ligne), p. 246
  11. « Francis Seyrig - L'Année Dernière À Marienbad », sur Discogs.com (consulté le )
  12. Édouard Launet, « L'Année dernière à Marienbad », Libération, (lire en ligne, consulté le )
  13. Michel Mourlet, « Il y a trente ans à Marienbad », dans Michel Mourlet, Sur un art ignoré : La mise en scène comme langage, Ramsay, coll. « Ramsay Poche Cinéma », , p. 225-230
  14. Michel Mourlet, « Réponse à une enquête sur Hollywood », dans Michel Mourlet, Sur un art ignoré : La mise en scène comme langage, Ramsay, coll. « Ramsay Poche Cinéma », , p. 78
  15. Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma, t. 3 : Les films, Paris, R. Laffont, coll. « Bouquins », , 1725 p. (ISBN 978-2-221-09112-8, OCLC 718669260), p. 1617
  16. Édouard Launet, « Dernière escapade à «Marienbad» », Libération, (lire en ligne, consulté le )
  17. Jean-Michel Frodon, « Les herbes folles de Marienbad », Slate.fr, (lire en ligne, consulté le )
  18. Olivier Corpet, « Projection d’un making of inédit de L’Année dernière à Marienbad », La Règle du jeu, (lire en ligne)
  19. Robert Benayoun, Alain Resnais : arpenteur de l'imaginaire. Paris : Ramsay, 2008. p. 106.
  20. E.g. L'année dernière à Marienbad : quelle année et où ça ?, de Mark Polizzotti (un essai pour la Criterion Collection). [Consulté le 27 mai 2014]
  21. E.g. « Marienbad revient, toujours aussi perturbant », de Mark Harris, dans The New York Times, 13 janvier 2008. [Consulté le 27 mai 2014]
  22. Stephen Jay, James Bond Films, p. 27, Random House Value Publishing,
  23. (en) « Les cinéastes parlent de films : Peter Greenaway, une interview avec John Whitley », sur The Daily Telegraph, (consulté le )
  24. (en) « Un homme et son rêve : Christopher Nolan et Inception », sur The New York Times, (consulté le ).
  25. Philip French, « L'Année dernière à Marienbad », sur The Observer, (consulté le ).
  26. (en) Suzy Menkes, « L'Année à Marienbad de Chanel », sur The New York Times, (consulté le ).

Annexes

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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