Kroaz du
Le drapeau surnommé Kroaz du, dont le nom signifie « croix noire » en breton, est l'un des drapeaux utilisés par les Bretons depuis le Moyen Âge, particulièrement comme pavillon. Avec les bannières ducales, c'est un des plus anciens drapeaux bretons connus.
Kroaz du | |
Kroaz du ("croix noire" en breton), drapeau de la Bretagne utilisé aussi comme pavillon maritime quand il est cantonné d'hermines. | |
Utilisation | |
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Caractéristiques | |
Adoption | Attestée au XVe siècle; sans doute antérieure |
Éléments | Croix noire sur fond blanc, parfois accompagnée d'une ou plusieurs mouchetures d'hermine |
Jusqu'au XVe siècle
Certains auteurs récents attribuent son origine à la troisième croisade (1188)[1]. Lors de la première croisade, le basileus Alexis Ier Comnène fit tailler dans ses manteaux de pourpre des croix rouges qu'il fit distribuer aux pèlerins afin qu'ils puissent traverser l'empire byzantin sans encombre[2]. Cette croix fut rapidement arborée par les Croisés. Suivant la tradition, en 1098, à la bataille d'Antioche, les chrétiens ont été aidés par des armées angéliques vêtues de blanc et chevauchant des chevaux blancs. Leurs bannières, que les Croisés ont reproduites, étaient blanches avec des croix rouges[3].
Lors de la troisième croisade, le , une conférence à Gisors entre le pape Clément III, le roi de France Philippe Auguste, le roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt, auquel succédera six mois plus tard Richard Cœur de Lion, ainsi que le comte de Flandre Philippe d'Alsace, décida d'attribuer une croix par nationalité afin de distinguer les nations. Cette conférence mettait un terme à une alliance entre Frédéric Barberousse en guerre contre la papauté et Henri Plantagenêt contre la France, seul soutien constant du pape, et visait à substituer aux querelles entre puissances occidentales (cf. querelle des investitures, lutte du sacerdoce et de l'Empire) la défense, sinon la captation par Rome, de l'Orient chrétien. Le royaume de France prit la croix apparue lors de la première croisade et mentionnée quelques années plus tard comme étant la croix de Saint Georges terrassant le dragon, rouge du sang du Christ sur un drapeau blanc ; les Anglais eurent l'inverse, la croix d'argent (blanche) sur fond rouge ; les Flamands, seuls représentants de l'Empire qui rallia la croisade la même année par une décision prise à la diète de Mayence, la croix verte sur un drapeau blanc. Par la suite, de même que les Italiens adoptèrent la croix d'or (jaune), les Bretons auraient pris la croix noire, peut-être à la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, peut-être en 1236-1237 quand Pierre Mauclerc fut pressenti par le pape Grégoire IX comme chef de la future croisade. Cependant, il n'existe aucun texte, ni iconographie de l'époque permettant de l'affirmer[4].
L'usage de la croix noire est attesté au quinzième siècle, comme le montre une enluminure du manuscrit Compillations de Cronicques et Ystores des Bretons illustrant le combat des Trente[5], cette enluminure est une reproduction du drapeau, réalisée a posteriori, et la croix de cette reproduction est représentée avec des branches qui ne touchent pas les bords. L'étendard à croix noire est également utilisé pour figurer la victoire des blésistes avec la prise de Vannes en 1342 (enluminure du XVe ou XVIe siècle). On retrouve la croix noire sur le drapeau de la ville de Nantes[6]. Elle figurait aussi sur ceux de Brest (fond blanc et bande rouge au guindant) et de Saint-Malo (sur fond rouge, remplacé par le bleu-blanc-rouge, récent).
La croix noire est la marque des combattants bretons à Saint-Aubin-du-Cormier (récit de la bataille dans les chroniques). il est mentionné comme emblème breton dans le récit versifié Le franc-archer de Bagnolet (XVe siècle). Il s'agit d'un signe populaire et d'un attribut d'Etat internationalement reconnu[7].
- Le Combat des Trente en 1351 (miniature de 1480)
- Le Combat des Trente (détail)
- La Cordelière affrontant le Regent en 1512
- Carte du planisphère de Guillaume Brouscon en 1543
- Manuel de pilotage de Guillaume Brouscon en 1548
- Carte de Diogo Homem en 1559
- Portulan de Diogo Homem en 1563
Pavillon de l'Amirauté de Bretagne
Le Kroaz du était arboré par les navires bretons qui sillonnaient les mers[8]. Les différents portulans le figurant l'associent à des mouchetures d'hermine, symbole des ducs de Bretagne. Après 1532, des variantes de ce pavillon sont encore utilisées par la marine, en particulier par l'Amirauté de Bretagne. Il est modifié et on voit apparaître un filet noir (resarclé). L'Amirauté est abolie par Richelieu en 1626, puis rétablie par Louis XIV, puis abolie de nouveau à la Révolution française en 1789.
- Kroaz du (dessin avec ratio 1:5)
- Variante de certains vieux gréements et groupes historiques
- Variante du XVIe siècle
- Variante de la Bleun-Brug
- Amirauté de Bretagne (avant 1532)
Depuis le XXe siècle
Le Kroaz du, avec une croix légèrement décalée vers la hampe, fut utilisé par la Bezen Perrot vers la fin de la Seconde Guerre mondiale[9].
Relancé dans la fin des années 1980, on le voit utilisé dans le milieu maritime par le biais des fédérations pour la culture maritime et des associations regroupant les voiliers traditionnels.
Sa renaissance ne se limite pas au domaine maritime mais s'étend aussi au domaine terrestre, notamment avec les bagadoù qui se dotent de ce drapeau ou de variantes basées sur le Kroaz du. Le club de football du Stade rennais arbora un maillot extérieur reprenant le motif du Kroaz du lors de la saison 2012-2013.
- Île de Sein
- Guérande
- Saint-Nazaire
- Nantes
- Pays de Retz
Usages
Le vexillologue Philippe Rault, proche du parti nationaliste Adsav, recommande de hisser le Kroaz du en particulier[10]:
- le pour la Santez Anna
- le , fête des Sept saints fondateurs de la Bretagne
- le 1er novembre, fête de sant Kadoù patron des soldats bretons
- le pour la victoire de Nominoë à Ballon en 845
- le pour la victoire de son fils Erispoë à Jengland en 851
- le 1er août pour la victoire de Trans sur les Vikings en 939, fête nationale bretonne instituée par Alain Barbetorte
- le , pour la Saint-Yves, fête nationale bretonne (avec en dessous le drapeau de saint Yves)
Divers
Le Kroaz du pourrait aussi être à l'origine de la croix de Saint Piran, drapeau des Cornouailles[10], qui rappelle l'apparition à saint Piran, patron des mineurs, d'une croix dans le minerai d'étain fondu (les gisements d'étain de l'Aber Wrach, de Saint-Renan et des Cornouailles étaient dans l'Antiquité la principale richesse de ces régions alors appelées pour cette raison Cassitérides).
Notes et références
- Philippe Rault, Les Drapeaux bretons de 1188 à nos jours, Coop Breizh (mai-juin 1998), (ISBN 2-84346-034-4) (88 pages)
- Philippe Rault, Les Drapeaux bretons des origines à nos jours, Coop Breizh, (ISBN 2-84346-034-4)
- Whitney Smith, Les Drapeaux à travers les âges et dans le monde entier, Paris, 1976, page 44
- Divi Kervella & Mikael Bodlore-Penlaez, Guide des drapeaux bretons et celtes, 2008, page 47
- Yvonig Gicquel, Le combat des Trente, Coop Breizh, 2004, p. 99
- Drapeaux des villes bretonnes
- Ph. Jouët, Encyclopédie de la Bretagne : Celtes et celtisme, p. 191 ss., Eds Enc. de la Bretagne.,
- Ce drapeau a été utilisé notamment par les navires affrétés par Guérande, puis brièvement par Le Croisic.
- « Le Bezen Perrot adopta dès sa formation, fin 1943, le drapeau blanc à croix noire des combattants bretons du XVe siècle.» Ronan Caerleon, Le rêve fou des soldats de Breiz Atao, Quimper, 1974, p. 38.
- Philippe Rault, Les drapeaux bretons des origines à nos jours, Coop Breizh (2006), (ISBN 2-84346-088-3) (110 pages)
Annexes
Bibliographie
- Laurent Hablot, « La croix noire des Bretons : un signe d'identité politique à travers l'histoire », dans Denise Turrel, Martin Aurell, Christine Manigand, Jérôme Grévy, Laurent Hablot et Catalina Girbea (dir.), Signes et couleurs des identités politiques : du Moyen Âge à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », , 537 p. (ISBN 978-2-7535-0641-1, présentation en ligne), p. 54-70.